Livv
Décisions

CCE, 17 décembre 1980, n° 80-1334

COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Décision

Verre coulé en Italie

CCE n° 80-1334

17 décembre 1980

LA COMMISSION DES COMMUNAUTES EUROPEENNES,

Vu le traité instituant la Communauté économique européenne, et notamment son article 85, vu le règlement nº 17 du Conseil du 6 février 1962 (1), et notamment ses articles 1er et 3, vu la procédure engagée d'office par la Commission le 11 décembre 1979 à l'encontre des sociétés Fabbrica Pisana SpA, à Pise, Società Italiana Vetro SpA, à San Salvo (Chieti), Fabbrica Lastre di Vetro Sciarra SpA, à Rome, ainsi que de FIDES-Unione Fiduciaris SpA, à Milan, pour les accords qu'elles ont conclus et qui concernent le marché du verre coulé en Italie, après avoir entendu les entreprises concernées, conformément à l'article 19 paragraphe 1 du règlement nº 17 et aux dispositions du règlement nº 99/63/CEE de la Commission du 25 juillet 1963 (2), vu l'avis du comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes recueilli, conformément à l'article 10 du règlement nº 17, le 17 octobre 1980,

I. LES FAITS

Considérant que les faits peuvent être résumés comme suit:

A. Les sociétés

1. La Fabbrica Pisana SpA (ci-après dénommée Fabbrica Pisana), établie à Pise, avec un capital social de 11 934 500 000 lires italiennes, est une filiale à 100 % de Saint-Gobain Industries, société du groupe Saint-Gobain/Pont-à-Mousson. Ce groupe, qui figure parmi les plus importants groupes industriels du monde, comprend 134 sociétés établies dans 17 pays différents. Il est structuré en six départements industriels et commerciaux et chaque département dépend d'une société holding, contrôlée à 100 % par Saint Gobain/Pont-à-Mousson. Le groupe possède en Italie, outre Fabbrica Pisana, les sociétés suivantes, toutes concernées, à différents titres, par le marché du verre : Vetreria Milanese Lucchini-Perego, Vetreria Italiana Balzaretti-Modigliani, Vetreria Luigi Fontana, Vetrerie Riunite Bordoni-Miva.

Le groupe Saint-Gobain/Pont-à-Mousson emploie environ 110 000 personnes, dont 69 000 sont engagées dans le département dénommé "des constructions" qui comprend les usines produisant du verre.

La société Saint-Gobain Industries, qui est à la tête dudit département des constructions, contrôle 25 filiales parmi lesquelles Fabbrica Pisana en Italie. Certaines de ces filiales produisent, comme cette dernière, du verre coulé.

Fabbrica Pisana dispose d'usines à Caserta, Pise, Savigliano et Turin, qui produisent les types de verre suivants:

- verre flotté, clair et coloré (bleu, ambre, bronze, vert, gris),

- verre coulé, clair et coloré, y compris le verre profilé à "U",

- verre transformé pour la construction (Biver).

Depuis 1975, Fabbrica Pisana a destiné l'essentiel de ses investissements au verre flotté et, en ce qui concerne le verre coulé, depuis 1976, n'a plus produit de verre "jardinier" qui en est une variété. Elle occupe environ 3 000 personnes.

2. La Società Italiana Vetro SpA (ci-après dénommée SIV), dont le siège est à Rome et le capital social est de 28 000 000 000 de lires italiennes est une société contrôlée par l'Etat. Elle a été créée en mai 1962 par les sociétés Ente Finanziamento Industria Meccanica, à Rome (ci-après dénommée EFIM), et Società Finanziamenti Idrocarburi SpA, à Milan (ci-après dénommée SOFID). Actuellement, SOFID et la Società Mineraria Carbonifera Sarda (ci-après dénommée MCS), filiale du groupe EFIM, détiennent la totalité du capital de SIV, à concurrence de 50 % chacune.

Jusqu'en mai 1974, SIV ne disposait que d'installations pour la production de verre à vitres (verre étiré). La capacité a été progressivement réduite à 38 000 tonnes par an pour être définitivement arrêtée en septembre 1975. À partir de mai 1974, une ligne pour la production de verre flotté, d'une capacité de 120 000 tonnes par an, a été mise en route, ainsi qu'une installation pour la production de verre coulé.

SIV, dont les installations sont à San Salvo près de Vasto (Chieti) et qui occupe 3 500 personnes, produit maintenant du verre flotté, du verre coulé et du verre transformé (sécurité et isolation).

En ce qui concerne notamment le verre coulé, la production n'a jamais atteint son niveau optimal et, durant les années 1976/1977, l'usine a fonctionné à 50 % de sa capacité. Récemment, son exploitation a été améliorée à la suite d'un processus d'intégration de l'usine du verre coulé aux lignes de flottage de SIV et de Flovetro (1).

Sur le plan commercial, SIV est une société largement exportatrice : en 1976, la part de sa production vendue sur le marché italien ne représentait que 56 % du total. Les services de ventes de SIV en Europe comportent une filiale pour la zone est (SIV-Deutschland à Francfort) et une filiale pour la zone ouest (SIV-France à Paris).

3. La Fabbrica Lastre di Vetro Sciarra SpA (ci-après dénommée Fabbrica Sciarra), dont le capital est de 350 000 000 de lires italiennes et qui est sise à Rome, est une entreprise à caractère familial qui, en 1959, est devenue une SpA. Les actions sont restées la propriété des héritiers du fondateur de l'entreprise, qui sont également propriétaires de la Specchi Cristalli Vetro Pietro Sciarra SpA sise à Rome, qui produit essentiellement du verre transformé. Fabbrica Sciarra, qui normalement occupe moins de 100 personnes, ne produit que du verre coulé, surtout des variétés imprimées (stampato), d'une épaisseur de 4 millimètres et armées (retinato), d'une épaisseur de 6 millimètres. La production de Fabbrica Sciarra est destinée principalement à la construction ; depuis 1976, elle ne fabrique plus de verre jardinier, qui constituait une variété de la production de verre coulé imprimé clair de la société.

4. La FIDES-Unione Fiduciaria SpA (ci-après dénommée FIDES), à Milan, est une société de gestion administrative et comptable, spécialisée également dans les activités de contrôle et de recherche statistiques, qui a été chargée par Fabbrica Pisana, SIV et Fabbrica Sciarra de contrôler l'exécution régulière de l'accord dont il est question dans la présente procédure.

B. Le produit et la situation du marché

1. Le verre coulé, qui représente une des trois catégories de verre plat, les deux autres étant le verre étiré et le verre flotté, est utilisé dans les domaines de

- la construction (portes, séparations, couvertures, carrelages),

- l'agriculture (serres),

- l'industrie (matériel de support pour les électroménagers),

- l'ameublement (tables, sièges, lustres).

On peut distinguer les variétés suivantes de verre coulé:

a) le verre imprimé, comportant des impressions de dessins en surface,

b) le verre armé, renforcé par du métal,

c) le verre profilé à "U",

d) le verre jardinier, qui est normalement utilisé pour construire des serres et constitue un sous-produit du verre imprimé ou du verre profilé,

e) le cullet, ou fragments de verre coulé de toutes qualités, qui est récupéré en tant que matière première pour la production de verre flotté.

Toutes ces variétés de verre coulé sont produites en différentes épaisseurs et peuvent être claires ou colorées et, du point de vue de leur utilisation, peuvent, dans une très large mesure, se substituer l'une à l'autre.

2. Le tableau suivant comporte les données statistiques concernant le marché italien du verre coulé pendant les années 1974 à 1978 (année d'expiration des accords considérés dans la présente procédure):

<EMPLACEMENT TABLEAU>

3. Il est possible de remarquer des données qui précèdent que les 4/5 des importations de verre coulé en Italie provenaient des autres pays de la CEE (en 1976 et 1977, cependant, seulement environ 2/3) ; en outre, pendant les deux années d'application de l'accord visé, leur montant total n'a pas augmenté, tandis que les importations en provenance des pays tiers ont plus que doublé.

Quant aux exportations, qui sont nettement inférieures aux importations (elles ne représentent que 20 à 25 % de celles-ci), si, pendant les années d'application de l'accord, celles à destination des autres pays de la CEE sont restées plus ou moins stables, celles à destination des pays tiers ont, au contraire, nettement augmenté (celles de 1977/1978 ont été environ le double de celles de 1976, qui étaient déjà supérieures d'environ 1/3 à celles de 1975).

4. Les parts du marché italien du verre coulé détenues par les entreprises concernées se situaient, en 1978, à peu près comme suit : Fabbrica Pisana = 28 %, SIV = 13 %, Fabbrica Sciarra = 11 %, le reste provenant d'un autre producteur italien (Vernante - Pennitalia = 11 %) ou d'importations.

5. Les exportations de verre coulé représentent une partie importante de la production des sociétés concernées : ainsi, pendant les dernières années, Fabbrica Sciarra a exporté, en moyenne, 18 % environ de sa production et SIV entre un tiers et un quart, dont plus de la moitié vers les pays de la CEE. Fabbrica Pisana a également effectué d'importantes exportations de verre coulé vers les Etats membres de la CEE.

6. La clientèle des producteurs de verre coulé comprend essentiellement des transformateurs et des grossistes. Parmi les grossistes, certains, relativement peu nombreux, se limitent à revendre le verre tel qu'ils l'ont acheté, d'autres disposent en outre d'installations pour le découpage et pour d'autres opérations.

C. Les accords

1. Les accords, objets de la présente procédure, n'ont pas été notifiés à la Commission par les sociétés concernées et il y a eu quelques difficultés pour que les services de la Commission en soient informés. Encore en date du 8 juin 1978, les responsables de FIDES ont refusé de se soumettre aux vérifications demandées par la Commission, et ce n'est qu'à la suite de la décision de la Commission du 31 janvier 1979 (4) qu'ils les ont acceptées, après avoir demandé et obtenu l'autorisation des trois producteurs.

Les accords dont il s'agit présentent trois volets concernant:

- la répartition quantitative des différentes variétés de verre coulé,

- la communication de toutes les données relatives à la production et à la commercialisation des produits en cause,

- le contrôle de l'application régulière des dispositions des accords par les parties en cause.

2. Le "protocole de contrôle des quantités produites et vendues de verre imprimé et armé" concrétise l'aspect formel d'un accord conclu le 30 mars 1976 par les trois sociétés Fabbrica Pisana, SIV et Fabbrica Sciarra.

Ce protocole fixe les quotas de livraison sur le marché italien pour chacune des trois sociétés concernées, ainsi que les qualités de verre coulé qui peuvent y être vendues par chaque entreprise dans les limites de son quota. Les quantités et qualités suivantes ont été fixées pour l'année 1976, mais n'ont pas subi de modification par la suite:

a)Pour Fabrica Pisana :

- quota : 30 100 tonnes par année

- produits : verres imprimés et armés (clairs et colorés), verres profilés (sauf dessins "cc", 8 à 10 cm) ;

b) Pour SIV :

- quota : 14 260 tonnes par année,

- produits : verres imprimés et armés clairs ;

c) Pour Fabrica Sciarra

- quota : 14260 tonnes par année,

- produits : verres imprimés et armés clairs (sauf dessins "cc", largeur 150 cm).

Le protocole prévoit, en outre, que les livraisons mensuelles d'une société excédant la moyenne mensuelle doivent être compensées trimestriellement par des livraisons supérieures des autres sociétés, proportionnellement aux retards de livraison par rapport à leur propre moyenne mensuelle.

Les parties ont voulu concevoir le protocole en cause comme étant un accord de spécialisation, car SIV et Fabbrica Sciarra renoncent à fabriquer des verres profilés ainsi que ceux armés colorés au profit de Fabbrica Pisana ; Fabbrica Sciarra renonce à la fabrication des verres imprimés sur les deux faces (cc) en largeur de 150 centimètres, et Fabbrica Pisana aux verres profilés en épaisseur de 8 à 10 millimètres ; toutes les trois entreprises renoncent, en outre, à la fabrication du verre jardinier.

3. Au texte du protocole susmentionné sont joints trois documents:

a) une déclaration de SIV, par laquelle cette société affirme que la crise conjoncturelle qui a affecté le marché italien en 1975 justifie la conclusion de l'accord, et annonce vouloir lier son adhésion au maintien des conditions exceptionnelles qui l'ont provoquée;

b) le tableau des produits et des coefficients de transformation;

c) la description des modalités de contrôle de l'application du protocole.

4. Pour ce qui concerne plus spécialement ce dernier document, il engage les sociétés à élaborer et à transmettre à la société FIDES les renseignements convenus aux dates fixées, et précisément:

a) le 20 avril 1976, - un tableau récapitulatif des stocks en magasin au 31 mars 1976 des produits repris au point 4 du protocole,

- la structure technique du tarif des prix au 2 avril 1976 par catégorie de produits;

b) avant le 10 de chaque mois, à partir du 10 mai 1976,

- un état détaillé des transactions pour chaque produit au cours du mois précédent (y compris les expéditions à l'exportation et les cessions entre producteurs) avec indication des mentions détaillées figurant sur les documents d'expédition et de facturation, en distinguant clairement les ventes en Italie, les exportations et les cessions entre producteurs (prospetto 1);

- un état détaillé pour chaque produit des livraisons du mois précédent des marchandises en dépôt auprès de clients ou de tiers avec mention des données précises des livraisons et l'enregistrement sur le registre des marchandises en dépôt (prospetto 2);

- un état récapitulatif des livraisons susmentionnées, mensuel et cumulatif, en quantité et valeur (prospetto 3);

- un état de conformité du mouvement récapitulatif de magasin faisant le contrôle du mois précédent pour chaque produit et le total des mêmes produits (prospetto 4).

5. Le même document prévoit également l'accomplissement des obligations suivantes de la part de FIDES:

a) l'établissement d'un résumé mensuel et cumulatif des livraisons pour chaque catégorie de produit (prospetto RS).

Ce résumé, qui contient aussi des indications sur les prix moyens par produit et par entreprise, doit être adressé aux entreprises dans les cinq jours ouvrables suivant la réception des renseignements décrits plus haut.

Aucune autre information ne doit être transmise aux entreprises sans leur autorisation expresse;

b) l'exécution, auprès de chaque entreprise, d'une vérification des informations fournies:

- contrôle des quantités expédiées, documents d'expédition et de facturation, concordance avec la comptabilité de magasin et la comptabilité générale;

- contrôle des quantités livrées en dépôt auprès de clients ou de tiers avec les documents d'expédition, comptabilité de magasin et registre des marchandises en dépôt.

Le contrôle doit couvrir au moins 10 % des quantités expédiées visées par la convention.

Si elle le juge opportun, la société FIDES peut demander des informations supplémentaires;

- contrôle de conformité des mouvements de magasin et des données de la comptabilité industrielle;

- contrôle par échantillons de la comptabilité de magasin avec la documentation de chargement et de déchargement et rapprochement avec les données intégrées dans la comptabilité générale;

- contrôle par échantillon des quantités physiques comparées aux quantités comptables indiquées ou ressortant à la comptabilité de magasin.

Les résultats de ces contrôles doivent, par la suite, être l'objet de réunions tenues en présence de toutes les parties intéressées.

6. Le protocole du 30 mars 1976 et ses documents annexes sont complétés par les contrats que les producteurs ont conclus avec FIDES et ressortant, d'une part, des lettres des producteurs donnant mandat (celle du 31 mars 1976 de SIV et celles du 8 avril 1976 de Fabbrica Pisana et Fabbrica Sciarra) et, d'autre part, des lettres de réponse de FIDES en date du 20 avril 1976.

Les trois premières lettres, rédigées en termes rigoureusement identiques, ont pour objet de confirmer le mandat donné à FIDES, à partir du 1er avril et pour toute la durée de l'accord du 30 mars 1976, de recueillir toute information et tout document, et de prendre copie de documents, afin d'exécuter les contrôles qui lui ont été confiés en vertu du protocole.

Ces lettres donnent également accès à tous les bureaux, établissements et magasins de stockage des entreprises et confirment leur accord pour communiquer à leurs partenaires les renseignements recueillis auprès de chacune d'entre elles par FIDES.

Elles précisent, enfin, la répartition à intervenir des coûts afférents à la rémunération de FIDES, à savoir 50 % pour Fabbrica Pisana, 25 % pour SIV et 25 % pour Fabbrica Sciarra.

Les trois lettres adressées par FIDES aux entreprises le 21 juin 1976 précisent les noms des personnes chargées par FIDES d'effectuer les contrôles.

7. Les vérifications effectuées auprès de FIDES ont permis de relever que les différents éléments des accords ont reçu une application effective:

a) en particulier, de nombreux documents en possession de la Commission montrent que FIDES s'est régulièrement acquittée des tâches auxquelles elle était tenue, et notamment:

- les bordereaux de transmission des données recueillies par FIDES auprès des entreprises et adressées à celles-ci entre le mois de mars 1976 et le mois de novembre 1977;

- les notes de transmission des factures, adressées par FIDES aux producteurs à la suite des prestations professionnelles liées aux accords en cause et qui font aussi référence à la répartition des coûts entre les sociétés;

b) en ce qui concerne les contrôles exécutés par FIDES, de nombreux documents prouvent l'application rigoureuse des accords prévus dans le protocole:

- le dossier des notes de révision de FIDES d'avril-mai 1976 comprenant notamment:

- le compte rendu général des contrôles de FIDES,

- les cessions aux clients,

- les dépôts,

- les prix et les conditions de vente,

- les données sur la production;

- le dossier des notes de révision de FIDES de novembre 1976 à juillet 1977 comprenant notamment les communications par Fabbrica Pisana et Fabbrica Sciarra sur:

- le détail des livraisons-client,

- le détail des livraisons-dépôt,

- le résumé des livraisons mensuelles et cumulées,

- l'état des documents de magasin;

- le dossier des notes de révision de FIDES pour 1978 comprenant: - le contrôle des prix par FIDES du 29 mai au 2 juin 1978 auprès de SIV et Fabbrica Pisana,

- les tarifs du verre coulé,

- les relevés (Fabbrica Pisana, SIV et Fabbrica Sciarra) des ventes par clients pour le mois d'avril 1978,

- les documents "Prospetto", concernant les états de conformité de magasin,

- les relevés des quantités vendues en Italie et à l'exportation en février et mars 1978, mensuels et cumulatifs et le détail de ces livraisons,

- les élaborations périodiques de FIDES (Prospetto RS) du 1er avril 1976 au 30 septembre 1977,

- les tarifs de Fabbrica Pisana et la liste des clients transformateurs-poseurs avec indication des ristournes individuelles de 0 à 10 %.

II. L'APPRECIATION

A. Applicabilité de l'article 85 paragraphe 1

Considérant que, conformément à l'article 85 paragraphe 1 du traité instituant la Communauté économique européenne, sont incompatibles avec le Marché commun et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'association d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre les Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun;

1. Considérant que le protocole du 30 mars 1976, ainsi que les documents annexés conclus par les producteurs de verre Fabbrica Pisana, SIV et Fabbrica Sciarra pour réglementer la production et la vente du verre coulé, constituent des accords entre entreprises au sens de l'article 85 paragraphe 1 ; qu'également les engagements conclus, par des échanges de lettres le 20 avril 1976, entre ces producteurs et FIDES, pour ce qui concerne le contrôle de l'application régulière des obligations contractées par les producteurs mêmes, constituent un accord au sens de l'article 85 paragraphe 1 ; que en effet, même s'ils ont été conclus séparément, ils ne sont cependant pas indépendants l'un de l'autre, poursuivant le même but, engageant les mêmes sociétés et prévoyant les mêmes moyens d'exécution, et constituent donc, en fait, un seul accord;

2. Considérant que les sociétés qui ont conclu les accords susmentionnés, à savoir Fabbrica Pisana, SIV et Fabbrica Sciarra, sont des entreprises au sens de l'article 85 paragraphe 1 précité ; qu'également FIDES est une entreprise au sens de ce même article, étant une société qui exerce une activité de caractère économique, s'intégrant à celle des sociétés signataires du protocole du 30 mars 1976, pour atteindre des objectifs relevant du domaine de la production et de la vente du verre coulé et ayant, à ce titre, effectivement participé à une entente restrictive de concurrence au sens dudit article 85 paragraphe 1;

3. Considérant que les accords en cause sont susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres ; que, en effet, chacun des producteurs concernés ne limite pas son activité au seul marché italien, mais opère également sur les marchés des autres pays membres de la CEE ; que, en particulier Fabbrica Pisana et SIV sont des entreprises très actives sur les marchés d'exportation ; que, pendant les années d'application des accords, les limites quantitatives et qualitatives imposées à leurs ventes sur le marché italien se sont nécessairement répercutées sur leurs capacités d'exportation sur les autres marchés, et notamment sur ceux de la CEE ; que, par conséquent, les courants des exportations ont été modifiées, de manière sensible, chaque entreprise n'étant plus en mesure de fixer de manière autonome sa propre politique de production et de vente tant sur le marché italien qu'à l'exportation;

Considérant que, en ce qui concerne les importations de verre coulé sur le marché italien pendant la période de validité des accords, il a pu être constaté qu'elles ont enregistré des augmentations importantes ; que, toutefois, ces augmentations ont concerné presque exclusivement les importations en provenance des pays tiers, tandis que celles en provenance de pays de la CEE sont restées quasiment stables ; que, compte tenu du fait qu'auparavant les importations de verre coulé en Italie provenaient seulement pour un peu plus de 20 % de l'extérieur, cette augmentation subite des importations des pays tiers lors de la conclusion de l'accord, accompagnée de la stabilité de celles en provenance des autres pays CEE ne peut s'expliquer que par l'appartenance de Fabbrica Pisana au groupe saint Gobain/Pont-à-Mousson ; que, en effet, étant donné qu'une très grande partie de la production de verre coulé dans les pays de la CEE provient d'usines appartenant à ce groupe, qui est par ailleurs lié par des accords technologiques à d'autres grands producteurs européens de verre, et que les accords conclus entre cette entreprise, SIV et Fabbrica Sciarra visaient à préserver pour chacune d'elles la part de marché déjà acquise, il en est découlé que la tendance à développer les importations en provenance des pays de la CEE ou Fabbrica Pisana en tant que membre du groupe Saint-Gobain/Pont-à-Mousson est associée à d'autres sociétés soeurs, s'en est trouvée fortement réduite, car elle aurait pu compromettre les buts que, non seulement Fabbrica Pisana, mais aussi SIV et Fabbrica Sciarra envisageaient d'atteindre par leurs accords;

Considérant que, par conséquent, les accords visés par la présente procédure ont amené les utilisateurs à chercher hors de la CEE d'autres possibilités de fourniture et que, en tout cas, même si tant les importations que les exportations ont augmenté, ce fait ne suffit pas à exclure que ces accords affectent le commerce entre Etats membres au sens de l'article 85 du traité CEE, comme il est clairement indiqué dans l'arrêt de la Cour de justice dans l'affaire Consten/Grundig (1).

Considérant que, en conclusion, les échanges de verre coulé entre l'Italie et les autres pays membres de la CEE ont été influencés de manière sensible par ces accords;

4. Considérant que les accords en cause ont pour objet et pour effet d'empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence entre les entreprises concernées sur le marché du verre coulé en Italie ; que, en préfixant une partie de la production des entreprises concernées (celle destinée au marché italien), ce qui est une restriction de la concurrence prévue explicitement à l'article 85 paragraphe 1 sous b), les accords en cause sont conçus dans le but de stabiliser la production de ces entreprises et de leur permettre de soustraire les prix de leurs produits, au moins en partie, à l'influence de la demande des utilisateurs ; que, en effet, chaque producteur, ayant des quotas fixés sur la base des parts de marché qu'il avait acquises au préalable, n'a plus intérêt à diminuer ses prix pour conquérir une plus grande part du marché, car, s'il le faisait, il perdrait l'opportunité de tirer de ses quotas de production le plus grand bénéfice possible ; qu'en effet, pendant la période de validité des accords, la Commission n'a pu constater aucune diminution ou stabilisation des prix des diverses variétés de verre coulé;

Considérant que, en essayant d'instaurer entre les entreprises parties à l'accord une soi-disant spécialisation dans la production des diverses variétés de verre coulé, les accords en question provoquent une restriction de la concurrence dans la mesure où la position sur le marché d'une entreprise est renforcée artificiellement par la disparition d'autres concurrents ; que, cependant, la répartition de production et de vente que les entreprises ont instaurée entre elles par le biais du protocole s'applique seulement à certaines variétés de verre coulé, de sorte qu'il en résulte qu'elle est trop partielle et basée sur des critères d'opportunité commerciale plutôt que sur des critères objectifs tenant compte des moyens de production nécessaires et de propriétés intrisèques des produits ; que, en outre, les accords s'étendent à tout le territoire italien et ne concernent que les ventes de verre coulé effectuées sur ce territoire ; que, par conséquent, d'une part, la quantité soustraite au jeu de la concurrence est très importante, car elle comprend toutes les ventes de verre coulé réalisées par les parties en Italie et, d'autre part, les produits destinés à l'exportation n'étant pas concernés par cette répartition, celle-ci ne peut être considérée comme une véritable spécialisation;

Considérant que, en ce qui concerne plus particulièrement les engagements conclus par FIDES avec Fabbrica Pisana, SIV et Fabbrica Sciarra, ils constituent un complément du protocole du 30 mars 1976, en assurant une application régulière des obligations prises par les producteurs ; que, en effet, les producteurs susmentionnés ont décidé de ne pas échanger directement les données statistiques et les autres informations relatives à leurs politiques de production et de commercialisation, mais que cet échange a été organisé par le biais d'un tiers, à savoir FIDES, garantissant un caractère d'objectivité aux données à fournir par les parties au protocole du 30 mars 1976 ; que, afin d'évaluer si les accords conclus entre Fabbrica Pisana, SIV et Fabbrica Sciarra, d'une part, et FIDES, d'autre part, sont susceptibles de restreindre le jeu de la concurrence sur le marché du verre coulé, malgré le fait que les trois premières sociétés soient des entreprises produisant et commercialisant du verre et FIDES une entreprise de services, il faut considérer que cette dernière a permis et aidé sciemment à la réalisation des restrictions de concurrence qui étaient le but même des accords et que, par conséquent, elle est coresponsable des effets restrictifs en découlant;

Considérant que l'accord basé sur les dits engagements comporte des restrictions de concurrence susceptibles d'influencer la politique commerciale de chacune d'elles, vis-à-vis des autres, dans la mesure où il oblige les entreprises concernées à échanger, par le biais de FIDES, des informations commerciales sur les quantités vendues et sur les prix pratiqués par type de produit, informations qui ne sont normalement pas mises en commun entre concurrents ; qu'également le contrôle du respect des quotas de verre coulé vendu sur le marché italien contribue à la réalisation d'une restriction de concurrence ; que, en conclusion, l'accord conclu par FIDES avec Fabbrica Pisana, SIV et Fabbrica Sciarra a lui aussi pour objet et pour effet de restreinde le jeu de la concurrence sur le marché du verre coulé en Italie;

B. Non-applicabilité de l'article 85 paragraphe 3

Considérant que, conformément à l'article 85 paragraphe 3, les dispositions du paragraphe 1 du même article peuvent être déclarées inapplicables à tout accord, à toute décision et à toute pratique concertée qui contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, et sans imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs, ni donner à ces entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d'éliminer la concurrence;

1. Considérant que, aux termes de l'article 4 paragraphe 1 du règlement nº 17, les accords en faveur desquels les intéressés désirent se prévaloir des dispositions de l'article 85 paragraphe 3 doivent être notifiés à la Commission ; que, aussi longtemps qu'ils ne l'ont pas été, une décision d'application de l'article 85 paragraphe 3 ne peut être rendue ; que, en l'espèce, cette notification n'a pas été faite ; qu'il n'est donc pas possible d'examiner si les conditions prévues par l'article 85 paragraphe 3 sont remplies par les accords en cause;

Considérant, de toute façon, qu'au moins une parmi les conditions prévues par l'article 85 paragraphe 3 précité n'est pas remplie, car, du fait des accords visés par la présente décision, plus de la moitié de la production italienne de verre coulé est soustraite à la concurrence, qui est ainsi éliminée pour une partie substantielle des produits en cause;

2. Considérant qu'il y a lieu d'examiner ensuite si les entreprises intéressées pouvaient croire, par la nature des accords, être dispensées de la notification, car ces accords seraient couverts par l'exemption par catégorie, prévue par le règlement (CEE) nº 2779/72 ; que, en effet, aux termes de l'article 1er de ce règlement (ensuite modifié par le règlement (CEE) nº 2903/77), l'article 85 paragraphe 1 du traité CEE a été déclaré inapplicable aux accords en vertu desquels des entreprises prennent, à des fins de spécialisation, l'engagement réciproque de renoncer, pendant la durée de l'accord, à fabriquer elles-mêmes, ou à faire fabriquer par d'autres entreprises, certains produits et de laisser à leurs cocontractants le soin de fabriquer ces produits ou d'en confier la fabrication à d'autres entreprises;

Considérant toutefois, comme il a été déjà démontré plus haut (point II A 4), que les accords en cause n'amènent pas à une réelle spécialisation de production entre les entreprises concernées ; qu'ils prévoient, de plus, une répartition quantitative des produits fabriqués et vendus et l'échange d'informations commerciales sur les quantités vendues et sur les prix pratiqués ; que ces clauses ne rentrent pas parmi celles prévues audit règlement ; que, en outre, l'exemption par catégorie relative aux accords de spécialisation ne peut être invoquée dans le cas présent, parce que le seuil de 10 % du volume d'affaires total réalisé avec les produits concernés par les accords dans un pays membre, seuil exigé par l'article 3 paragraphe 1 sous a) du même règlement, est largement dépassé;

Considérant, en conclusion, que le règlement (CEE) nº 2779/72 ne s'applique pas à la présente espèce;

3. Considérant, encore, que la référence à la situation de crise du secteur avancée par les parties signataires du protocole du 30 mars 1976 pour justifier la conclusion de leurs accords ne peut pas être prise en considération en tant que telle sur la base de l'article 85 paragraphe 3 ; qu'en effet, d'une part, aucune référence à une telle situation n'apparaît dans cette disposition et, d'autre part, aucune décision de réduction effective de la capacité de production des entreprises participantes à l'entente en cause n'a été prévue pour répondre à la situation structurelle de crise, mais qu'on a seulement fixé unilatéralement une répartition quantitative des ventes sur le marché italien du verre coulé, au profit exclusif des producteurs, sans aucun bénéfice pour les utilisateurs ; qu'il n'est donc pas possible d'accepter, sous la définition de cartel de crise, des restrictions non indispensables de la concurrence;

4. Considérant, finalement, que la Commission a pu constater que les accords en cause ont effectivement cessé d'être appliqués au plus tard à la date d'échéance prévue, c'est-à-dire le 30 mars 1978 ; qu'ils n'ont reçu, même durant leur période de validité, qu'une application limitée et partielle ; qu'il y a lieu de tenir compte de ces circonstances dans l'appréciation de ce cas;

Considérant que, en ce qui concerne plus particulièrement la société FIDES, celle-ci, tout en n'étant pas directement concernée par la production ou la commercialisation des produits en cause, a toutefois été coresponsable pour l'application des accords restrictifs de la concurrence ; que, en conséquence, si des amendes devaient être infligées aux entreprises qui ont conclu les accords en question, FIDES devrait aussi être prise en considération dans les limites de sa coresponsabilité ; que, dans ce cas, il faudrait tenir compte, dans l'appréciation de la gravité de l'infraction commise également du fait que, jusqu'à présent, aucune décision de la Commission d'application de l'article 85 paragraphe 1 n'a été adressée à des entreprises s'étant trouvées dans une telle situation de coresponsabilité;

Considérant que, en raison de tous ces éléments, il n'y a pas lieu d'imposer des amendes,

Considérant que, en raison de tous ces éléments, il n'y a pas lieu d'imposer des amendes,

A ARRÊTE LA PRESENTE DECISION:

Article premier

Les accords conclus par Fabbrica Pisana SpA, Società Italiana Vetro SpA (SIV) et Fabbrica Lastre di Vetro Sciarra SpA le 30 mars 1976 et en vigueur jusqu'au 30 mars 1978 ainsi que ceux que ces mêmes sociétés ont conclu avec la FIDES-Unione Fiduciaria SpA par échange de lettres le 20 avril 1976 constituent des infractions à l'article 85 paragraphe 1 du traité instituant la Communauté économique européenne, dans leurs clauses sur: a) en ce qui concerne le protocole du 30 mars 1976: - la répartition quantitative des diverses variétés de verre coulé,

- l'échange d'informations commerciales sur les quantités vendues et sur les prix pratiqués par type de produit;

b) en ce qui concerne les accords avec la société FIDES: - les mesures d'application des obligations relatives à la transmission des informations commerciales susmentionnées et le contrôle du respect de la répartition quantitative par entreprise.

Article 2

Les entreprises suivantes: 1. Fabbrica Pisana SpA, à Pise,

2. Società Italiana Vetro (SIV) SpA, à San Salvo (Chieti),

3. Fabbrica Lastre di Vetro Sciarra SpA, à Rome,

4. FIDES-Unione Fiduciaria SpA, à Milan.

sont destinataires de la présente décision.

Notes :

(1)JO nº 13 du 21.2.1962, p. 204/62.

(2)JO nº 127 du 20.8.1963, p. 2268/63.

(4)JO nº L 57 du 8.3.1979, p. 33.

(5)Affaires jointes nºs 56 et 58/64 du 13.7.1966, Recueil de la jurisprudence de la Cour de justice 1966, p. 495.