TPICE, 2e ch., 10 juillet 1991, n° T-70/89
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
British Broadcasting Corporation, BBC Enterprises Limited
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Saggio
Juges :
MM. Yeraris, Briët, Barrington, Biancarelli
Avocats :
Mes Lever, Bellamy, Anderson, Griffith, Forrester, Cooke
LE TRIBUNAL (deuxième chambre),
Faits et procédure
1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 10 mars 1989, la British Broadcasting Corporation (ci-après "BBC ") et la BBC Enterprises Limited ont demandé l'annulation de la décision de la Commission du 21 décembre 1988 (ci-après "décision "), constatant que les politiques et pratiques suivies par ces organismes, au moment des faits considérés, en ce qui concerne la publication de leurs programmes hebdomadaires d'émissions de télévision et de radio captables en Irlande et en Irlande du Nord, constituent des infractions à l'article 86 du traité CEE, dans la mesure où elles faisaient obstacle à l'édition et à la vente de guides de télévision généraux hebdomadaires sur ce territoire. Le présent recours s'inscrit parmi les recours en annulation introduits parallèlement, contre cette même décision, par ses deux autres destinataires, à savoir les sociétés Radio Telefis Eireann (ci-après "RTE ") et Independent Television Publications (ci-après "ITP "), affaires T-69-89 et T-76-89.
2 Le contexte général de la décision peut être résumé comme suit: la plupart des foyers en Irlande et 30 à 40 % des foyers en Irlande du Nord peuvent capter au moins six chaînes de télévision : RTE1 et RTE2, alimentées par RTE, qui jouit d'un monopole légal pour la fourniture d'un service national de radiotélédiffusion par voie hertzienne en Irlande, BBC1 et BBC2, alimentées par la BBC, ainsi que ITV et Channel 4, qui étaient alimentées, au moment des faits considérés, par les sociétés de télévision ayant obtenu une franchise de l'Independent Broadcasting Authority (ci-après "IBA ") en vue de fournir des émissions pour la télévision privée. Au Royaume-Uni, la BBC et l'IBA étaient en position de duopole pour la fourniture des services nationaux de télévision par voie hertzienne. En outre, de nombreux téléspectateurs de Grande-Bretagne et d'Irlande pouvaient capter, soit directement soit par l'intermédiaire de réseaux câblés, plusieurs chaînes distribuées par satellite. Il n'existe toutefois pas de télévision câblée en Irlande du Nord.
Au moment des faits, aucun guide général hebdomadaire de télévision n'était disponible sur le marché en Irlande et en Irlande du Nord, en raison de la politique suivie par les sociétés destinataires de la décision, en ce qui concerne la diffusion de l'information relative aux programmes des six chaînes évoquées précédemment. En effet, chacune de ces sociétés publiait un guide de télévision exclusivement consacré à ses propres programmes et revendiquait, au titre du United Kingdom Copyright Act de 1956 (loi britannique sur le droit d'auteur) et du Irish Copyright Act de 1963 (loi irlandaise sur le droit d'auteur), la protection du droit d'auteur sur ses grilles de programmes hebdomadaires, pour s'opposer à leur reproduction par des tiers.
Quant auxdites grilles, elles reflètent le contenu des programmes, en indiquant la chaîne ainsi que les date, heure et titre des émissions. Elles font l'objet de plusieurs projets successifs de plus en plus précis, jusqu'à la mise au point définitive de la grille hebdomadaire, environ deux semaines avant la diffusion. A ce stade, les grilles de programmes deviennent un produit commercialisable, comme l'indique la décision (point 7).
3 En ce qui concerne plus particulièrement la présente espèce, il est à noter que la BBC se réservait l'exclusivité de la publication des grilles de programmes hebdomadaires de BBC1 et BBC2, dans son propre magazine de télévision, le "Radio Times", spécialisé dans la présentation de ses programmes.
4 La BBC a été constituée au Royaume-Uni par charte royale et exerce ses activités en matière de radiotélédiffusion en vertu d'une autorisation accordée par le Secretary of State for Home Affairs (ministre de l'Intérieur). Elle a essentiellement pour objet de fournir, en tant que service public, des services de radiotélévision destinés au grand public du Royaume-Uni. Par résolution du 8 janvier 1981, annexée à son autorisation, la BBC a reconnu qu'elle a pour mission de maintenir un niveau général élevé en ce qui concerne la qualité de ses services et de présenter des programmes diversifiés. Elle a également pour objet, en vertu de sa charte, de réunir, imprimer, éditer, publier, diffuser et généralement distribuer, gratuitement ou non, toute documentation susceptible de contribuer à la réalisation de son objet social.
5 La BBC est financée par une redevance, qui constitue sa principale ressource, par des subventions et par ses propres activités commerciales, notamment de publication, exercées à travers la BBC Enterprises Ltd, sa filiale à 100 %. A titre d'illustration, et selon les informations figurant dans le dossier, le bénéfice avant impôt réalisé par la BBC au cours de l'exercice clôturé le 31 mars 1988, atteignait 1 198 millions de UKL, provenant de la redevance et des subventions. Le bénéfice avant impôt, réalisé pour la même période par la BBC Enterprises Ltd, s'élevait à 6,4 millions de UKL, dont 4,2 millions pour la revue "Radio Times ".
A cet égard, il est à noter que le magazine de télévision "Radio Times" est publié à des fins commerciales par la BBC Enterprises Ltd, sous le contrôle de sa société mère qui détermine également la politique générale suivie en matière de licences pour ses grilles de programmes radiotélévisuels. Dans ces conditions, la Commission a estimé que les deux sociétés requérantes (dénommées collectivement ci-après "BBC" ou "requérante ") devaient être considérées à cet égard comme une seule entreprise pour les besoins de l'application de l'article 86 dans la présente affaire (voir point 19 de la décision attaquée).
6 Au moment de l'adoption de la décision litigieuse, le "Radio Times" publiait uniquement les grilles de programmes télévisés de BBC1 et BBC2, complétées par des génériques et des synopsis, et les programmes de radio de la BBC. Il contenait également des varia et des informations diverses ainsi qu'un courrier des lecteurs, qui occupaient environ un tiers des pages du magazine, à l'exclusion de l'espace publicitaire. Compte tenu de la diversité des situations locales et régionales, seize éditions du "Radio Times" étaient publiées chaque semaine. Le prix de vente du magazine était de 0,37 UKL ou de 0,52 IRL. En Irlande, environ 15 000 exemplaires du "Radio Times" étaient vendus chaque semaine. En Irlande du Nord, les ventes hebdomadaires atteignaient l'ordre de 75 000 exemplaires, ce qui signifie, si l'on se réfère aux pièces du dossier, qu'environ 25 % des ménages achetaient la revue. Avec le guide de télévision publié par ITP, le "TV Times", le "Radio Times" était l'un des deux magazines hebdomadaires à plus grand tirage au Royaume-Uni, où étaient diffusés plus de 97 % de son tirage hebdomadaire total, qui dépassait en moyenne 3 millions d'exemplaires, selon les indications fournies par la requérante.
7 A l'égard des tiers, la BBC pratiquait, au moment des faits en cause, la politique suivante en matière d'information sur ses programmes : elle diffusait gratuitement, sur demande, auprès de la presse quotidienne ou périodique, les programmes de ses émissions, accompagnés d'une licence non assortie du paiement d'une redevance, qui fixait les conditions dans lesquelles ces informations pouvaient être reproduites. Les programmes quotidiens et, la veille des jours fériés, les programmes de deux jours pouvaient ainsi être publiés dans les journaux, sous réserve de certaines conditions relatives au format de cette publication. Les magazines hebdomadaires étaient en outre autorisés à publier les "points forts" des programmes télévisés de la semaine. La BBC veillait au strict respect des conditions énoncées dans la licence en engageant, le cas échéant, une action judiciaire contre les publications qui ne s'y conformaient pas.
8 La maison d'édition Magill TV Guide Ltd (ci-après "Magill "), société constituée selon le droit irlandais, est une filiale à 100 % de la société Magill Publications Holding Ltd. Elle a été créée pour éditer en Irlande et en Irlande du Nord un magazine hebdomadaire d'informations sur les émissions de télévision captables par les téléspectateurs de la région, le "Magill TV guide ". Selon les indications fournies par les parties, cette publication a commencé en mai 1985. A l'origine, la revue se serait limitée à donner des informations sur les programmes de fin de semaine de la BBC, de RTE, de ITV et de Channel 4, ainsi que sur les temps forts de leurs programmes hebdomadaires. C'est à la suite de la publication, le 28 mai 1986, d'un numéro du "Magill TV guide" reproduisant l'intégralité des grilles de programmes hebdomadaires de l'ensemble des chaînes de télévision captables en Irlande - y compris BBC1 et BBC2 - que le juge irlandais a enjoint à la société Magill, par voie d'ordonnances provisoires rendues à la demande de la BBC, de RTE et de ITP, de cesser la publication des grilles de programmes hebdomadaires de ces trois sociétés. Consécutivement à cette injonction, Magill a mis fin à ses activités d'édition. L'affaire a été partiellement examinée au fond par la High Court, qui s'est prononcée, dans un jugement rendu le 26 juillet 1989 par le juge M. Lardner, sur la portée, en droit irlandais, du droit d'auteur en ce qui concerne les grilles de programmes. A cet égard, le jugement est ainsi libellé : "Les éléments de preuve produits m'ont convaincu que les grilles de programmes télévisés hebdomadaires de la BBC, telles qu'elles sont publiées par 'Radio Times', constituent le produit final d'un long processus de planification, de préparation, d'aménagement et de révision, qui implique une grande activité, une vaste expérience et l'exercice d'un savoir-faire et de discernement. Elles sont la création de la BBC et, selon moi, elles constituent une œuvre littéraire originale au sens d' une 'compilation'visée par les articles 2 et 8 du Copyright Act de 1963, sur laquelle la BBC et BBC Enterprises Limited ont établi qu'elles étaient en droit de se prévaloir du droit d'auteur en République d'Irlande" (ILRM 1990, p. 534, 550).
9 Auparavant déjà, dans la perspective de publier les grilles hebdomadaires complètes, Magill avait déposé une plainte devant la Commission, le 4 avril 1986, au titre de l'article 3 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204 ; ci-après "règlement n° 17 "), en vue de faire constater que ITP, la BBC et RTE abusent de leur position dominante en refusant d'octroyer des licences pour la publication de leurs grilles de programmes hebdomadaires respectives. La Commission a décidé d'engager la procédure le 16 décembre 1987 et a adressé une communication des griefs à la BBC au mois de mars 1988. C'est à l'issue de cette procédure que la Commission a adopté, le 21 décembre 1988, la décision qui fait l'objet du présent recours.
10 Dans la décision, les produits en cause sont définis de la manière suivante à l'égard des trois entreprises visées. Il s'agit des grilles de programmes hebdomadaires publiées par ITP, la BBC et RTE, ainsi que des guides de télévision dans lesquels ces programmes sont publiés (point 20, premier alinéa, de la décision). Une grille de programmes comporte, selon la définition de la Commission, "une liste des émissions qui seront diffusées par ou pour le compte d'un organisme de radio ou télédiffusion au cours d'une période donnée et comprenant les informations suivantes : titre de chaque émission à diffuser, chaîne, date et heure de la diffusion" (point 7 de la décision).
La Commission constate qu'en raison du monopole de fait des organismes de radiotélédiffusion sur leurs grilles de programmes hebdomadaires respectives, les tiers intéressés par la publication d'un guide hebdomadaire de télévision "se trouvent dans une situation de dépendance économique caractéristique de l'existence d'une position dominante ". De surcroît, poursuit la Commission, ce monopole est renforcé par un monopole légal dans la mesure où lesdits organismes revendiquent la protection du droit d'auteur sur leurs grilles respectives. Dans ces conditions, la Commission observe qu'"il ne peut exister sur les marchés en cause aucune concurrence de la part des tiers ". La Commission en déduit que "ITP, la BBC et RTE occupent chacune une position dominante au sens de l'article 86" (point 22 de la décision).
11 Pour établir l'existence d'un abus, la décision se fonde plus spécialement sur les dispositions de l'article 86, deuxième alinéa, sous b), du traité, en vertu desquelles un abus est commis si une entreprise qui occupe une position dominante limite la production ou les débouchés au préjudice des consommateurs (point 23, premier alinéa, de la décision). La Commission estime en particulier qu'il existe sur le marché une "demande potentielle substantielle de guides TV généraux" (ibidem, quatrième alinéa). Elle constate qu'en utilisant sa position dominante "pour empêcher l'introduction sur le marché d'un nouveau produit, à savoir un guide TV général hebdomadaire", la requérante abuse de cette position. Elle ajoute qu'un autre élément de l'abus est constitué par le fait que la requérante se réserve, grâce à la politique qui lui est reprochée en matière d'information sur ses programmes, le marché dérivé des guides hebdomadaires pour ces programmes (point 23 de la décision).
Dans ces conditions, la Commission récuse l'idée selon laquelle les faits incriminés seraient justifiés par la protection du droit d'auteur, en déclarant qu'en l'espèce ITP, la BBC et RTE "utilisent le droit d'auteur comme un instrument de l'abus, d'une manière telle qu'il sort du champ de l'objet spécifique de ce droit de propriété intellectuelle" (point 23, avant-dernier alinéa).
12 Quant aux mesures destinées à faire cesser l'infraction, l'article 2 du dispositif de la décision est libellé comme suit : "ITP, la BBC et RTE sont tenues de mettre fin immédiatement à l'infraction mentionnée à l'article 1er en se fournissant mutuellement et en fournissant aux tiers sur demande et sur une base non discriminatoire leurs programmes d'émissions hebdomadaires établis à l'avance et en permettant la reproduction de ces programmes par ces parties. Cette exigence ne s'étend pas aux renseignements fournis en plus des programmes eux-mêmes, tels que définis dans la présente décision. Si elles choisissent de fournir et de permettre la reproduction de ces programmes au moyen de licences, les éventuelles redevances demandées par ITP, la BBC, et RTE doivent être d'un montant raisonnable. En outre, ITP, la BBC et RTE peuvent inclure dans les éventuelles licences accordées à des tiers des conditions qui seraient considérées comme nécessaires pour assurer une couverture complète et de grande qualité de toutes leurs émissions, y compris celles à destination de minorités et/ou à vocation régionale, et celles d'intérêt culturel, historique et éducatif. En conséquence, il est exigé des parties que, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, elles soumettent à la Commission des propositions pour approbation sur les conditions auxquelles elles considèrent que les tiers devraient être autorisés à publier les programmes hebdomadaires d'émissions établis à l'avance qui font l'objet de la présente décision."
13 Parallèlement au présent recours en annulation de la décision, la requérante a demandé, dans un recours formé le même jour, c'est-à-dire le 10 mars 1989, le sursis à l'exécution des articles 1er et 2 de ladite décision. Par ordonnance du 11 mai 1989, le président de la Cour a ordonné "le sursis à l'exécution de l'article 2 de la décision contestée, dans la mesure où cette disposition oblige les requérantes à mettre fin immédiatement à l'infraction constatée par la Commission en se fournissant mutuellement et en fournissant aux tiers sur demande et sur une base non discriminatoire leurs programmes d'émissions hebdomadaires établis à l'avance et en permettant la reproduction de ces programmes par ces parties ". La demande en référé a été rejetée pour le surplus (76-89, 77-89 et 91-89 R, point 20, Rec. p. 1141).
Dans le cadre du présent recours en annulation de la décision, la Cour a admis, par ordonnance du 6 juillet 1989, l'intervention de la société Magill à l'appui des conclusions de la Commission. La procédure écrite s'est partiellement déroulée devant la Cour, qui a renvoyé cette affaire devant le Tribunal, par ordonnance du 15 novembre 1989, en application des dispositions de l'article 3, paragraphe 1, et de l'article 14, de la décision du Conseil, du 24 octobre 1988, instituant un Tribunal de première instance des Communautés européennes. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé, à la fin de la procédure écrite, d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables.
Conclusions des parties
14 La BBC, partie requérante, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :
- déclarer la décision nulle et non avenue dans la mesure où elle s'applique à la BBC ;
- subsidiairement, déclarer que la Commission n'a pas, en droit communautaire, le pouvoir d'ordonner à la BBC de fournir à des tiers, quels qu'ils soient, ses programmes d'émissions hebdomadaires établis à l'avance et de lui ordonner d'en autoriser la reproduction ni sous des conditions approuvées par la Commission ni sous aucune autre condition, notamment sous forme d'octroi de licence ;
- condamner la Commission aux dépens.
La Commission, partie défenderesse, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :
- rejeter le recours ;
- condamner la requérante à payer les frais exposés par la Commission.
Sur la demande en annulation de la décision dans son ensemble
15 La requérante invoque la violation de l'article 86 du traité et l'insuffisance de motivation à l'appui de sa demande en annulation de la décision, en ce qu'elle constate l'existence d'une infraction audit article.
Sur la violation de l'article 86 du traité et l'insuffisance de motivation
Arguments des parties
16 En ce qui concerne la condition d'application de l'article 86 relative à la détention d'une position dominante, la requérante conteste la définition du marché en cause retenue dans la décision. A la différence de la Commission, elle estime que les produits à prendre en considération pour apprécier sa position sur le marché, au titre de l'article 86, ne sont pas les grilles de ses programmes hebdomadaires et les guides de télévision dans lesquels ces grilles sont publiées, mais les services de radiotélédiffusion. En effet, la requérante considère que sa mission de service public de radiotélédiffusion ne consiste pas seulement à élaborer les grilles de programmes lors de la planification des émissions, mais également à diffuser aussi largement que possible des informations sur ses programmes. La publication du magazine "Radio Times" répondait ainsi aux exigences de la mission de service public de la BBC, en assurant une présentation exhaustive de ses émissions, en servant les intérêts des régions et des minorités et en étant disponible sur le marché à un prix raisonnable.
A cet égard, la requérante fait valoir qu'elle ne détient pas de position dominante sur le marché de la fourniture des services radiotélévisés. Elle rappelle que le principal organisme de télédiffusion en Irlande est RTE et que la réception des programmes de la BBC y est fortuite. Quant à l'Irlande du Nord, la BBC y serait confrontée à une vive concurrence de la part des sociétés de télévision privée.
17 La requérante ajoute toutefois, à titre subsidiaire, que, dans l'hypothèse où, contrairement à sa thèse, le marché des services de radiotélédiffusion ne serait pas tenu pour le marché en cause, ce dernier devrait être défini comme le marché de l'information sur les programmes télévisés en général. La requérante considère, en effet, que de multiples sources d'informations sur les programmes télévisés, telles que la presse quotidienne ou hebdomadaire, les bandes de lancement, les services de télétexte et la connaissance préalable des horaires des programmes, peuvent se substituer aux guides de télévision, comme en attesterait notamment le fait qu'un nombre relativement faible d'Irlandais achètent "Radio Times ". Les magazines de télévision ne constitueraient donc pas un marché distinct de celui de l'information sur les programmes en général.
Sous cet aspect, la requérante observe qu'elle ne détient pas de position dominante sur le marché de l'information sur les programmes télévisés en général, dans la mesure où seule une faible proportion de téléspectateurs achète des guides hebdomadaires tels que "Radio Times ". Elle explique que, pour la majorité des téléspectateurs, les informations sur les programmes, diffusées notamment dans la presse quotidienne ou hebdomadaire, sont à même de suppléer largement les magazines hebdomadaires de télévision.
En outre, après avoir présenté sa thèse, la requérante récuse l'argumentation de la Commission, relative à l'existence d'un marché constitué par les grilles de ses programmes. Elle fait tout d'abord valoir que son monopole de fait ou de droit sur ses propres grilles de programmes, qui n'est, précise-t-elle, que la conséquence de son droit d'auteur et de l'exercice de ce droit par son titulaire, ne donne pas naissance par lui-même à une position dominante au sens de l'article 86. Elle invoque à cet égard l'arrêt rendu par la Cour le 8 juin 1971, Deutsche Grammophon, point 16 (78-70, Rec. p. 487). Après cette mise au point préliminaire, la requérante affirme en particulier qu'il n'a jamais existé de magazine hebdomadaire général de télévision sur le marché géographique en cause. Cela signifierait qu'aucun tiers ne se trouve effectivement, pour ce qui est des grilles hebdomadaires des programmes de la BBC, dans une situation de dépendance économique caractéristique de l'existence d'une position dominante. La requérante en conclut que la seule présence d'"éditeurs potentiels" sur un marché des magazines généraux hebdomadaires de télévision, qu'elle estime purement hypothétique, ne permet pas d'établir l'existence d'une position dominante au sens de l'article 86.
18 La requérante conteste également l'analyse ayant conduit la Commission à constater le caractère abusif, au sens de l'article 86, de sa politique en matière d'information sur ses programmes. Elle fait valoir à titre principal, qu'en se réservant l'exclusivité de la reproduction et de la première commercialisation de ses grilles de programmes, elle a agi dans les limites de l'objet spécifique de son droit d'auteur, ce qui ne saurait en aucun cas constituer un abus au sens de l'article 86.
Subsidiairement, elle prétend que, même si les actes incriminés étaient susceptibles de constituer un abus, il n'est pas établi qu'ils puissent être qualifiés de tels dans la présente espèce. Le raisonnement de la requérante s'articule en quatre points.
19 La requérante invoque, en premier lieu, son droit d'auteur sur ses propres grilles de programmes en Irlande et en Irlande du Nord. Se référant aux arrêts de la Cour du 5 octobre 1988, Volvo (238-87, Rec. p. 6211), et du 14 septembre 1982, Keurkoop (144-81, Rec. p. 2853), elle rappelle qu'en l'état actuel du droit communautaire et en l'absence d'une unification dans le cadre de la Communauté ou d'un rapprochement des législations nationales, il appartient au législateur national de fixer les conditions et les modalités de protection du droit d'auteur et, notamment, de déterminer les produits bénéficiant de cette protection. La requérante fait état de ce que les grilles de programmes, telles que les a définies la Commission au point 7 de la décision, sont couvertes par le droit d'auteur sur les deux territoires concernés. Elle se réfère à cet égard aux jugements rendus par la High Court d'Angleterre et du pays de Galles, dans l'affaire BBC et ITP/Time Out Limited (1984, FSR, p. 64), et par la High Court d'Irlande, dans l'affaire RTE, BBC et ITP/Magill, précitée. Elle souligne que, selon les législations britannique et irlandaise, le droit d'auteur comporte notamment, pour son titulaire, le droit de s'opposer à la reproduction et à la publication de l'œuvre.
20 Dans cette perspective, la requérante relève, en second lieu, que, selon une jurisprudence constante de la Cour, le seul fait pour une entreprise de se prévaloir, en vertu du droit national, de la protection de l'objet spécifique d'un droit de propriété intellectuelle ne peut pas constituer une "exploitation abusive" au sens de l'article 86. A cet égard, elle se réfère en particulier à l'arrêt Volvo, précité, point 8. Le traité, explique-t-elle en invoquant l'arrêt rendu par la Cour le 6 octobre 1982, Coditel (262-81, Rec. p. 3381) et les conclusions de l'avocat général M. Reischl, ne porte pas atteinte à l'objet spécifique des droits de propriété intellectuelle conférés par les législations des Etats membres. En ce qui concerne l'objet spécifique du droit d'auteur, en cause dans la présente affaire, la requérante précise qu'il comporte nécessairement le droit exclusif de reproduire et de publier l'œuvre protégée, ainsi que l'exercice des voies de recours judiciaires correspondantes (arrêt de la Cour du 17 mai 1988, Warner Brothers, point 13, 158-86, Rec. p. 2605).
21 Compte tenu des considérations qui précèdent, la requérante affirme, en troisième lieu, qu'en refusant d'autoriser la publication de ses grilles de programmes hebdomadaires et en engageant une procédure contre la société Magill, elle s'est limitée à protéger l'objet spécifique de son droit d'auteur sur ses propres grilles de programmes. L'appréciation de la Commission, selon laquelle les pratiques susvisées sortiraient "du champ de l'objet spécifique (du droit d'auteur)", serait donc manifestement erronée.
22 En outre, l'institution défenderesse aurait manqué à son obligation de motiver sa décision, en violation de l'article 190 du traité tel qu'il a été interprété par la Cour dans son arrêt du 26 novembre 1975, Papiers peints/Commission (73-74, Rec. p. 1491). La requérante fait grief à la Commission, d'une part, de ne pas avoir précisé, dans la décision, ce qu'elle entend par le "champ de l'objet spécifique (du droit d'auteur)" et, d'autre part, de ne pas avoir indiqué les motifs pour lesquels elle a estimé, contrairement - selon elle - à une jurisprudence bien établie, consacrée dans l'arrêt Volvo, précité, que le comportement incriminé allait au-delà de l'objet spécifique du droit d'auteur. Sous cet aspect, la requérante relève en particulier que la décision ne se réfère à aucune circonstance exceptionnelle appartenant à la catégorie dont il est fait état au point 9 (reproduit ci-après, au point 33) de l'arrêt Volvo, précité, et permettant d'établir, le cas échéant, le caractère abusif de l'exercice d'un droit intellectuel par son titulaire. De l'avis de la requérante, le caractère irrégulier de ce défaut de motivation résulterait en particulier du fait que, dans la décision, la Commission aurait, pour la première fois, mis en question le droit exclusif de reproduction et de commercialisation initiale de l'objet protégé par le droit d'auteur.
23 Enfin, en quatrième lieu, la requérante soutient à titre subsidiaire que, même si, contrairement à sa thèse exposée ci-avant, les actes incriminés étaient néanmoins susceptibles de constituer une exploitation abusive de position dominante, la Commission n'a pas établi l'existence d'un tel abus. En effet, la Commission n'aurait pas apporté la preuve que l'ensemble des consommateurs subit effectivement un préjudice, au sens de l'article 86, sous b), deuxième alinéa, du fait de l'absence de guide hebdomadaire général de télévision, consécutivement à la politique d'octroi de licences suivie par la requérante. La requérante note que le simple refus de la part du titulaire d'un droit d'auteur de participer à la création d'un nouveau produit, à savoir en l'espèce un magazine général de télévision, ne saurait constituer un abus du seul fait que la Commission considère qu'il répond à une certaine demande. Elle allègue, à cet égard, sur la base de l'arrêt de la Cour du 29 juin 1978, BP/Commission (77-77, Rec. p. 1513), qu'à défaut de preuve d'un préjudice subi par les consommateurs, il n'appartient pas à la Commission de faire prévaloir ses vues sur la politique légitimement suivie par la requérante.
24 En ce qui concerne la condition d'application de l'article 86 relative à l'affectation du commerce entre les Etats membres, la requérante se limite à relever que, dans son jugement du 26 juillet 1989, précité, la High Court a constaté que Magill n'a pas établi l'existence d'un effet important ou sensible de la politique de la BBC, en matière d'informations relatives à ses programmes, sur les échanges entre les Etats membres.
25 La Commission rejette l'ensemble de l'argumentation de la requérante en ce qui concerne le moyen pris de la violation de l'article 86 et de l'insuffisance de motivation.
26 En vue d'établir l'existence d'une position dominante, la Commission reprend les arguments à la base de la motivation de la décision. Elle affirme en substance que chacune des requérantes détient une position dominante sur deux marchés étroits. Le premier concerne ses propres grilles de programmes pour la semaine suivante, dont elle détient le monopole. Le second est le marché des magazines hebdomadaires de télévision, qui constitue, selon la Commission, un sous-marché distinct du marché général des publications quotidiennes et hebdomadaires, car il est le seul à offrir un produit - en l'occurrence des informations complètes sur les programmes hebdomadaires de la BBC - pour lequel existerait une demande spécifique de la part des téléspectateurs. La Commission souligne à cet égard qu'au moment des faits, l'Irlande et le Royaume-Uni étaient les seuls Etats membres dans lesquels il n'existait aucun guide hebdomadaire général de télévision, susceptible de concurrencer la revue "Radio Times", qui se trouvait ainsi en situation de monopole.
27 Pour démontrer le caractère abusif du comportement incriminé, la Commission développe son raisonnement en partant de la prémisse - qu'elle a expressément admise durant la procédure orale - selon laquelle les grilles de programmes bénéficient, en droit interne, de la protection du droit d'auteur. Elle soutient, en premier lieu, que, même dans ces conditions, les politiques et pratiques litigieuses suivies par la requérante ne sont pas couvertes par la protection du droit d'auteur telle qu'elle est reconnue en droit communautaire.
28 Dans cette perspective, la Commission met tout d'abord en relief, de manière générale, l'incompatibilité, avec les règles communautaires, d'un droit national consacrant l'existence d'un droit d'auteur sur les grilles de programmes. Elle rappelle au préalable que, selon une jurisprudence bien établie, l'industrie de la télévision est soumise aux règles communautaires (voir notamment l'arrêt de la Cour du 6 octobre 1982, Coditel, 262-81, précité). Elle souligne qu'une réglementation nationale instituant un droit d'auteur sur les grilles de programmes permettrait aux sociétés de radiotélédiffusion d'utiliser un monopole légal légitime en matière de diffusion des programmes radiotélévisuels sur une fréquence particulière, pour conserver un monopole illégitime sur le marché annexe, situé en aval, des publications de ces programmes hebdomadaires, et s'opposer ainsi à l'apparition d'un produit concurrent d'un type nouveau, sous la forme d'un guide général de télévision. La couverture des grilles de programmes par le droit d'auteur ferait en outre obstacle à la réalisation du marché unique des services de radiotélédiffusion, fondé sur l'article 59 du traité. En effet, à défaut d'un marché unique de l'information sur les programmes, le droit des consommateurs à bénéficier d'une "télévision sans frontières" serait compromis, car les téléspectateurs, peu enclins à acheter une multitude de magazines présentant respectivement les programmes d'une seule chaîne, seraient également moins tentés de regarder des émissions notamment en langue étrangère, sur lesquelles ils possèdent peu d'informations.
29 La Commission rappelle que, pour résoudre le conflit évoqué au point précédent entre, d'une part, le droit d'auteur et, d'autre part, les règles relatives notamment à la libre concurrence, la démarche à suivre consiste, selon une jurisprudence bien établie, à dégager, dans chaque cas particulier, l'"objet spécifique" du droit intellectuel, qui seul mérite une protection spéciale dans l'ordre juridique communautaire et justifie de ce fait certaines atteintes aux règles communautaires. A cette fin, la Commission invite, d'abord, à s'interroger sur la légitimité et les raisons sous-jacentes au maintien, qu'elle qualifie d'inhabituel, d'un droit d'auteur sur les grilles de programmes. Selon l'institution défenderesse, il convient en effet de contrôler, en l'espèce, la "valeur" ou le "bien-fondé" du droit d'auteur sur les grilles hebdomadaires, par rapport aux objectifs normalement assignés à ce droit. Dans cette optique, précise-t-elle, il faut notamment prendre en considération la nature du bien protégé, sous ses aspects technologique, culturel ou novateur, ainsi que les objectifs et la justification, en droit interne, du droit d'auteur sur les grilles (voir notamment les arrêts de la Cour du 8 juin 1982, Nungesser / Commission, 258-78, Rec. p. 2015 ; du 6 octobre 1982, Coditel, 262-81, précité ; du 30 juin 1988, Thetford, points 17 à 21, 35-87, Rec. p. 3585, et du 17 mai 1988, Warner Brothers, 158-86, précité, points 10 à 16).
30 Faisant application des critères qui viennent d'être énoncés, la Commission fait valoir que, dans la présente espèce, les grilles de programmes ne présentent en elles-mêmes aucun caractère secret, novateur ou lié à la recherche. Elles constitueraient, au contraire, de simples informations factuelles et ne pourraient, dès lors, être couvertes par le droit d'auteur. L'effort créatif nécessaire pour leur établissement serait en effet directement récompensé par l'importance de l'audience des émissions. Et l'atteinte portée par la décision au droit d'auteur sur les grilles de programmes n'affecterait en aucun cas l'activité de radiotélédiffusion, qui est distincte de la publication. Évoquant les conclusions de l'avocat général M. Mischo dans l'affaire Thetford, précitée, la Commission observe que le maintien du droit d'auteur sur les grilles de programmes peut uniquement s'expliquer par le désir de "réserver un monopole" à son titulaire.
31 Dans un second temps, après avoir soutenu, comme cela vient d'être exposé, que la protection des grilles de programmes par le droit d'auteur ne répond pas à la fonction essentielle de ce droit, la Commission souligne le caractère abusif de la politique de la requérante en matière d'informations sur ses programmes hebdomadaires. Elle dénonce en particulier le caractère abusif du refus arbitraire, c'est-à-dire privé de justification liée aux exigences du secret, de la recherche et du développement ou à d'autres considérations objectivement vérifiables, d'autoriser Magill et d'autres "arrivants potentiels" sur le marché des magazines hebdomadaires de télévision à publier ces informations, dans le seul but d'empêcher l'apparition de tout produit concurrent.
32 A cet égard, la Commission soutient, dans ses observations, que la politique suivie par la requérante, en matière d'octroi de licences, établissait une discrimination "à l'encontre d'un nouveau produit apparu sous la forme d'un magazine général qui concurrencerait le magazine de chacune des (sociétés en cause)", ou, en d'autres termes, "à l'encontre de Magill et d'autres arrivants potentiels sur le marché qui offriraient des magazines hebdomadaires généraux ". La Commission précise également à cet égard que, "si les organismes de radiotélédiffusion choisissaient, pour quelque raison que ce soit, de ne distribuer à personne les informations sur les programmes prévus, l'analyse pourrait être différente ; mais ils les distribuaient à deux catégories d'opérateurs économiques : à leur propre périodique à lecteurs captifs et à des publications journalières qui ne font pas concurrence à ces périodiques. Ces facteurs indiquent que le refus d'autoriser la publication par d'autres entreprises était arbitraire et discriminatoire ". Ce caractère arbitraire serait corroboré par le fait que la BBC opérait une discrimination à l'égard des magazines généraux de télévision publiés dans certains Etats membres, mais ne s'opposait pas à de telles publications en Belgique et aux Pays-Bas.
33 De surcroît, la Commission invoque à l'appui de sa thèse les arrêts rendus par la Cour, le 5 octobre 1988, dans les affaires Volvo (238-87, précité, point 9) et CICRA (dit "Renault", point 16, 53-87, Rec. p. 6039). Elle cite en particulier le point 9 de l'arrêt Volvo, ainsi libellé : "l'exercice du droit exclusif par le titulaire d'un modèle relatif à des éléments de carrosserie de voitures automobiles peut être interdit par l'article 86 s'il donne lieu, de la part d'une entreprise en position dominante, à certains comportements abusifs tels que le refus arbitraire de livrer des pièces de rechange à des réparateurs indépendants, la fixation des prix des pièces de rechange à un niveau inéquitable ou la décision de ne plus produire de pièces de rechange pour un certain modèle alors que beaucoup de voitures de ce modèle circulent encore, à condition que ces comportements soient susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres ". Selon la Commission, le comportement reproché à la requérante s'apparente au refus arbitraire, visé par la Cour dans les arrêts précités, du titulaire du modèle, de livrer des pièces de rechange à des réparateurs indépendants, tributaires de cet approvisionnement pour la poursuite de leurs activités. En effet, en refusant d'autoriser notamment la société Magill à publier ses grilles hebdomadaires, la requérante aurait fait obstacle à son activité d'édition de magazines généraux de télévision.
Dans le même ordre d'idées, la Commission prétend également que le comportement reproché à la BBC se distingue de celui que la Cour a jugé licite dans l'arrêt Volvo, précité. Il ressort en effet de cet arrêt (point 11) que le fait pour un constructeur automobile, titulaire d'un droit de modèle, de se réserver la fabrication de l'ensemble des pièces de rechange pour ses voitures ne constitue pas en soi un abus. En l'occurrence, la Commission met en relief le fait que le marché des pièces de rechange relevait du principal secteur d'activité de la firme Volvo. A l'opposé, la BBC aurait exploité une position dominante sur un marché (le marché de l'information sur ses programmes), qui participe de son principal secteur d'activité, la radiotélédiffusion, afin d'obtenir des avantages sur le marché de l'édition qui représente un secteur économique distinct, situé en aval. De plus, le préjudice subi par les consommateurs, qui ne pouvaient disposer d'un nouveau produit, à savoir un magazine général de télévision, pour lequel existait une forte demande, constituerait un facteur aggravant qui transforme en abus la politique de la requérante en matière d'informations sur ses programmes hebdomadaires. En revanche, la Commission souligne que, dans l'affaire Volvo, les consommateurs pouvaient se procurer les pièces de rechange et qu'une concurrence était possible entre les réparateurs indépendants, voire entre les différents constructeurs eux-mêmes, dont la clientèle avait la possibilité de se réorienter vers d'autres marques si les pièces de rechange devenaient trop coûteuses ou peu disponibles sur le marché.
34 La Commission réfute par ailleurs l'argumentation de la requérante fondée sur ses obligations de service public. Elle considère en effet qu'il incombait à la BBC d'adapter le contenu et la présentation du "Radio Times", si elle l'estimait approprié.
35 La Commission fait état, en outre, de ce que son analyse, relative à l'utilisation abusive du droit d'auteur, s'applique également à des situations différentes de celle de la présente espèce, en matière, par exemple, de logiciels informatiques.
36 Pour établir que le comportement incriminé est susceptible d'affecter le commerce entre les Etats membres, la Commission allègue que l'effet sur les échanges entre l'Irlande et le Royaume-Uni doit être déterminé par référence, notamment, au volume commercial que représentent, potentiellement, les magazines généraux. Elle relève que l'existence d'un flux d'échanges potentiel de guides de télévision entre l'Irlande et l'Irlande du Nord est attestée par les affirmations d'un expert de la BBC, au cours de l'audition de la requérante. Celui-ci aurait en effet expliqué la réticence de la requérante, à l'égard de la publication de guides généraux, par la crainte que de tels guides, publiés en langue anglaise et contenant notamment les programmes de la BBC, soient importés au Royaume-Uni.
37 La partie intervenante, Magill, souligne qu'à ce stade de la procédure, la High Court a constaté que, en droit irlandais, les grilles de programmes bénéficient de la protection du droit d'auteur et que Magill y a porté atteinte. En conséquence, l'issue de la procédure l'opposant à la BBC, à ITP et à RTE, devant le juge irlandais, dépendra des réponses apportées par le juge communautaire à la question de la compatibilité avec le droit communautaire des pratiques incriminées dans la décision de la Commission. Magill rappelle que les effets attachés aux ordonnances provisoires de 1986 ainsi que les frais encourus du fait des procédures engagées devant le juge national l'ont mise hors d'état de poursuivre ses activités et de continuer à concurrencer sur le marché la BBC, ITP et RTE.
38 En outre, Magill apporte son appui à l'ensemble des observations de la Commission. Elle réfute l'interprétation avancée par la requérante, selon laquelle la décision imposerait la concession de licences obligatoires. A cet égard, elle met en relief l'importance du consentement du titulaire du droit d'auteur. Selon Magill, "si aucune licence n'était accordée à un tiers... (la) requérante pourrait véritablement soutenir qu'elle ne fait rien d'autre qu'exploiter à son avantage le droit exclusif dont elle est titulaire ". A l'inverse, à partir du moment où la requérante accepte d'octroyer des licences en vue de la reproduction des informations relatives à ses programmes quotidiens, elle ne peut, selon Magill, utiliser son droit d'auteur pour faire obstacle à la publication de ses grilles hebdomadaires par des tiers.
39 Magill prétend également que le comportement incriminé est abusif au sens de l'article 86, "précisément parce qu'il a été conçu de manière identique par les trois organismes nationaux de télévision, de manière à imposer à tous les moyens d'information en concurrence sur l'ensemble du territoire de deux Etats membres un régime uniforme dénué de justification objective, dans le but de protéger une part de marché qu'ils se sont appropriés au bénéfice de leurs trois publications personnelles ". Magill estime que ce régime commun serait fondé sur un accord tacite.
40 La requérante réplique que la Commission invoque, devant le Tribunal, des faits et arguments nouveaux qui ne figurent ni dans la communication des griefs, ni dans la décision. La Commission porterait ainsi atteinte aux droits de la défense, tant dans le cadre de la procédure administrative que devant le Tribunal (arrêts de la Cour du 4 juillet 1963, Allemagne/Commission, 24-62, Rec. p. 129, et du 15 mars 1967, Cimenteries CBR/Commission, 8-66 à 11-66, Rec. p. 93).
La requérante soutient, en particulier, que l'argumentation de la défenderesse, fondée sur la mise en cause de la compatibilité, avec le droit communautaire, de la législation nationale prévoyant la couverture des grilles de programmes par le droit d'auteur, est irrecevable au stade de la procédure judiciaire, en raison de sa nouveauté. Dans cette perspective, elle souligne l'irrecevabilité de l'argument selon lequel le droit d'auteur sur les grilles de programmes constitue un "droit d'auteur sur les faits et les idées ". Seraient de même irrecevables les allégations de la Commission relatives au caractère arbitraire et discriminatoire du comportement incriminé qui, elles aussi, ne figurent ni dans la communication des griefs ni dans la décision. Sous ce dernier aspect, la requérante observe que les motifs exposés au point 23 de la décision ne seraient pas infirmés, à supposer qu'ils soient fondés, si la BBC n'avait jamais accordé aucune licence à des tiers. Cela démontrerait que la décision n'est pas fondée sur la constatation d'une discrimination. Il en résulterait, selon la requérante, que l'existence d'une discrimination ne peut pas justifier la décision puisqu'elle ne constitue pas son fondement. En outre, la requérante conteste la recevabilité du moyen, uniquement invoqué par Magill, tiré de l'existence alléguée d'un accord tacite entre la BBC, ITP et RTE. Ledit moyen est pris, note la requérante, d'une violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité et s'avère dès lors irrecevable.
41 Quant au fond, la requérante observe que, en ce qui concerne le caractère prétendument abusif de sa politique en matière de licences, la Commission n'affronte pas la difficulté inhérente au fait que le refus d'autoriser la reproduction des grilles de programmes ne peut pas constituer un abus, car une telle solution impliquerait "la perte pour le propriétaire de la substance de son droit d'exclusivité ". A cet égard, la nature du bien protégé par le droit d'auteur et la valeur relative de celui-ci seraient dépourvues de pertinence, pour apprécier la portée de ce droit. La requérante note, en effet, que l'objet essentiel et la justification du droit d'auteur sont les mêmes que les produits protégés soient ou non inédits ou liés au "secret d'affaires" ou à une activité de recherche. Ainsi, la réglementation relative au droit d'auteur, en Irlande et au Royaume-Uni, ne prendrait-elle pas en considération le caractère, selon l'expression de la Commission, "banal" ou non de l'œuvre, qui relève d'ailleurs, estime la requérante, d'une appréciation purement subjective. De même, le fait que la BBC autorise gratuitement de nombreux tiers à diffuser quotidiennement des éléments d'information couverts par le droit d'auteur, non seulement ne signifie pas que ces informations présentent une faible valeur ou ne constituent pas un bien "précieux", mais est également dénué de toute pertinence en ce qui concerne l'appréciation de la portée du droit d'auteur qui les protège.
42 En outre, la requérante rejette la thèse de la Commission, relative à sa prétendue "politique discriminatoire d'octroi de licences", qui consisterait à réserver l'autorisation de publier les éléments protégés à certaines catégories de tiers et à exclure, parmi ces derniers, ceux désirant publier un magazine général hebdomadaire de télévision. Après avoir précisé que la discrimination se définit essentiellement comme une différence de traitement de situations objectivement similaires, elle conteste le caractère discriminatoire de sa politique, en faisant valoir qu'elle est disposée à accorder des licences à tout journal, périodique ou magazine, dans les conditions appliquées jusqu'alors. Dans le même ordre d'idées, elle rejette l'argument avancé par la partie intervenante, selon lequel le comportement incriminé aurait dépassé l'objet spécifique du droit d'auteur, parce qu'après avoir consenti à la publication de ses grilles de programmes par des tiers, la BBC a restreint les conditions auxquelles ceux-ci pouvaient les publier. La requérante fait valoir à cet égard que, juridiquement, le titulaire d'un droit d'auteur poursuivant une politique libérale et accordant des licences sous certaines conditions, ne s'assujettit pas, de ce fait, à une obligation d'octroyer des licences sans restrictions.
43 La requérante conteste également le grief d'arbitraire. Elle observe que le droit d'auteur a pour objet essentiel de permettre à son titulaire de s'opposer à la reproduction, sans son consentement, par des tiers, des éléments protégés, sans avoir à justifier cette opposition par une "considération objectivement vérifiable ". Elle rappelle toutefois que sa politique est objectivement justifiée. En effet, la combinaison des diverses sources d'information sur les programmes, disponibles sur le marché, et de la publication du "Radio Times" dans le cadre de sa mission générale de service public (voir point 16, ci-avant), serait le mieux à même de répondre aux besoins et aux exigences du public. La requérante fait valoir à cet égard que la poursuite de la publication du "Radio Times" ne serait probablement plus rentable commercialement, sous sa forme actuelle de guide spécialisé dans les programmes de la BBC, si des guides généraux hebdomadaires étaient publiés en Irlande et au Royaume-Uni.
44 A l'inverse de la requérante, la Commission estime que les arguments de droit et de fait qu'elle avance dans le cadre de la présente procédure se limitent à amplifier, clarifier et renforcer les considérations sous-jacentes aux motifs de la décision, avec lesquels ils coïncideraient donc parfaitement. En serait-il autrement, la Commission considère que cela n'affecterait nullement, contrairement aux allégations de la requérante, les droits de la défense de la société requérante devant le Tribunal ou au cours de la procédure administrative, mais conduirait tout au plus à une insuffisance ou à une erreur de motivation de la décision, ce qui ne serait en l'occurrence pas le cas. L'institution défenderesse rappelle en effet que la Cour a jugé qu'il n'est pas nécessaire de "motiver d'une manière indépendante et exhaustive" chaque partie de la décision lorsqu'"une motivation suffisante peut être déduite du contexte de toutes les constatations invoquées à l'appui de l'ensemble de la décision" (arrêt du 20 mars 1957, Geitling/Haute Autorité, 2-56, Rec. p. 9, 36). En l'occurrence, les principaux points de fait et de droit à la base de la décision, même s'ils ont été exposés de manière succincte, auraient été clairement explicités.
45 La Commission observe, en particulier, que le fait de présumer, dans la décision, que les données en question restent couvertes par le droit d'auteur, est entièrement compatible avec le fait d'évoquer, au stade du contrôle juridictionnel, la possibilité qu'un tel droit d'auteur ne devrait pas exister en ce qui concerne des compilations de données banales. SUITE DES MOTIFS SOUS LE NUM.DOC : 689A0070.1
Quant à la constatation du caractère abusif du comportement de la requérante, la Commission soutient que les qualificatifs d'arbitraire et de discriminatoire, appliqués à ce comportement, ne révèlent aucun concept nouveau, même s'ils n'ont pas été utilisés au cours de la procédure administrative. Ils décriraient l'abus résultant de ce que la politique d'octroi de licences de la requérante établissait "une discrimination à l'encontre d'un nouveau produit, apparu sous forme d'un magazine général qui concurrencerait le magazine de (la requérante), tout en encourageant la publicité de ses émissions dans les quotidiens ".
46 Sur le fond, la Commission a relevé, lors de l'audience, que les inquiétudes exprimées par la requérante, à propos de la viabilité du magazine "Radio Times", au cas où il serait confronté à la concurrence de magazines généraux de télévision, ont été démenties, dans l'intervalle, à la suite de l'adoption, en 1990, du Broadcasting Act par le législateur britannique. Les modifications introduites par cette loi auraient en effet conduit la BBC et ITP à publier, dès le mois de mars 1991, leurs guides respectifs sous la forme de magazines multichaînes, informant les téléspectateurs sur les programmes de la BBC, de ITV, de Channel 4 et des chaînes distribuées par satellite.
Appréciation en droit
47 Au vu des arguments échangés par les parties, exposés ci-avant, le contrôle du Tribunal, en ce qui concerne le bien-fondé du moyen pris de la violation de l'article 86 et de l'insuffisance de motivation, doit porter sur quatre points. Il convient tout d'abord d'examiner la définition du marché des produits en cause, avant de déterminer, en second lieu, la position de la requérante sur ledit marché. Dans un troisième temps, le Tribunal doit vérifier si le comportement incriminé présente ou non un caractère abusif et si la décision est suffisamment motivée sur ce point. En quatrième lieu, il lui incombe de statuer sur les effets du comportement incriminé sur les échanges entre les États membres.
La définition des produits en cause
48 En ce qui concerne la délimitation du marché des produits en cause, constitués, aux termes de la décision, par les grilles de programmes hebdomadaires de la requérante ainsi que par les guides de télévision dans lesquels lesdites grilles sont publiées, le Tribunal constate que, contrairement aux allégations de la requérante, les produits ainsi définis représentent des marchés spécifiques, qui ne sauraient être assimilés ni au marché des services de radiotélédiffusion, ni au marché de l'information sur les programmes de télévision en général.
49 En effet, dans le cadre du présent litige, le marché des grilles hebdomadaires et celui des magazines de télévision dans lesquels elles sont publiées relèvent d'un domaine d'activités économiques, l'édition, entièrement distinct de celui de la radiotélédiffusion. A cet égard, il convient de souligner, d'une part, que les grilles sont uniquement utilisables en tant qu'informations sur les programmes, indispensables en l'occurrence à la réalisation des magazines de télévision. Elles se distinguent donc clairement des programmes eux-mêmes. D'autre part, la publication, par la requérante, de son propre magazine de télévision représente une activité de nature commerciale, totalement indépendante de son activité principale de radiotélédiffusion. Cette constatation n'est pas mise en cause par le fait que la requérante s'efforce, dans le cadre de sa mission de service public, d'assurer la promotion des émissions qu'elle diffuse, notamment en veillant à ce que l'information sur ses programmes, publiée dans la revue "Radio Times", réponde à certains critères qualitatifs et présente les programmes de manière exhaustive, dans les seize éditions régionales de la revue.
50 En réalité, le marché des grilles hebdomadaires et celui des magazines de télévision, dans lesquels elles sont publiées, constituent des sous-marchés du marché de l'information sur les programmes télévisés en général. Ils offrent un produit, l'information sur les programmes hebdomadaires, pour lequel existe une demande spécifique, tant de la part des tiers désireux de publier et de commercialiser un guide général de télévision que de la part des téléspectateurs. Les premiers se trouvent en effet dans l'impossibilité d'éditer un tel guide s'ils ne disposent pas de l'ensemble des grilles de programmes hebdomadaires qui peuvent être captés sur le marché géographique concerné. En ce qui concerne les seconds, il est à noter, comme l'a établi à juste titre la Commission dans la décision, que les informations sur les programmes disponibles sur le marché au moment de l'adoption de la décision, à savoir la liste complète des programmes pour une période de vingt-quatre heures, voire de quarante-huit heures en fin de semaine ou la veille des jours fériés, publiée dans certains quotidiens et journaux du dimanche, ainsi que les rubriques de télévision de certains magazines, renfermant, en outre, les "points forts" des programmes de la semaine, ne sont que dans une faible mesure susceptibles de se substituer à une information préalable des téléspectateurs sur l'ensemble des programmes hebdomadaires. En effet, seuls des guides hebdomadaires de télévision, contenant l'intégralité des grilles de programmes de la semaine à venir, permettent aux usagers de prévoir à l'avance les émissions qu'ils souhaitent suivre et, le cas échéant, de planifier en conséquence leurs activités de loisirs de la semaine.
Cette faible substituabilité des informations sur les programmes hebdomadaires est attestée en particulier par le succès remporté, à l'époque considérée, par les magazines spécialisés de télévision, qui étaient seuls présents sur le marché des guides hebdomadaires en Irlande et au Royaume-Uni et, dans le reste de la Communauté, par les guides généraux de télévision, disponibles sur le marché dans les autres Etats membres. Ceci démontre clairement l'existence d'une demande potentielle spécifique, constante et régulière de la part des téléspectateurs, en l'occurrence d'Irlande et d'Irlande du Nord, pour des magazines de télévision contenant l'ensemble des grilles de programmes télévisés de la semaine, quelles que soient par ailleurs les autres sources d'information sur les programmes disponibles sur le marché.
L'existence d'une position dominante
51 Quant à la position de la requérante sur le marché en cause, le Tribunal relève que la BBC disposait, grâce à son droit d'auteur sur ses grilles de programmes, du droit exclusif de reproduire et mettre sur le marché lesdites grilles. Cette circonstance lui a permis, au moment des faits incriminés, de s'assurer le monopole de la publication de ses grilles hebdomadaires dans un magazine spécialisé dans ses propres programmes, le "Radio Times ". Il en résulte que la requérante occupait manifestement, à l'époque considérée, une position dominante, tant sur le marché représenté par ses grilles hebdomadaires, que sur celui des magazines dans lesquels elles étaient publiées, en Irlande et en Irlande du Nord. En effet, les tiers, tels que la société Magill, désireux d'éditer un magazine général de télévision, se trouvaient dans une situation de dépendance économique à l'égard de la requérante, qui avait ainsi la possibilité de s'opposer à l'apparition de toute concurrence effective sur le marché de l'information sur ses programmes hebdomadaires(arrêt de la Cour du 9 novembre 1983, Michelin/Commission, point 30, 322-81, Rec. p. 3461).
L'existence d'un abus
52 Après avoir établi que la requérante occupait une position dominante au moment des faits incriminés, il y a lieu de vérifier si sa politique en matière de diffusion de l'information sur les programmes hebdomadaires de la BBC, fondée sur l'exploitation de son droit d'auteur sur les grilles de programmes, présentait ou non un caractère abusif au sens de l'article 86. A cette fin, il convient d'interpréter l'article 86 en liaison avec le droit d'auteur sur les grilles de programmes.
53 En l'absence d'harmonisation des règles nationales ou d'unification dans le cadre de la Communauté, la fixation des conditions et des modalités de la protection du droit d'auteur relève de la compétence nationale. Cette répartition des compétences en matière de droits de propriété intellectuelle a été expressément consacrée par la Cour dans l'arrêt du 14 septembre 1982, Keurkoop (144-81, précité, point 18) et confirmée notamment dans les arrêts du 5 octobre 1988, Renault(53-87, précité, point 10) et Volvo (238-87, précité, point 7).
54 Les rapports entre les droits nationaux de propriété intellectuelle et les règles générales de droit communautaire sont expressément régis par l'article 36 du traité, qui prévoit la possibilité de déroger aux règles relatives à la libre circulation des marchandises pour des raisons de protection de la propriété industrielle et commerciale. Toutefois, cette dérogation est explicitement assortie de certaines réserves. En effet, la protection des droits de propriété intellectuelle conférée par les législations nationales est uniquement reconnue, en droit communautaire, dans les conditions énoncées à l'article 36, deuxième phrase. Aux termes de cette disposition, les restrictions à la libre circulation résultant de la protection de la propriété intellectuelle "ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire, ni une restriction déguisée dans le commerce entre les Etats membres ". L'article 36 souligne ainsi que la conciliation entre les exigences de la libre circulation des marchandises et le respect dû aux droits de propriété intellectuelle doit être opérée de manière à protéger l'exercice légitime de ces droits, qui seul est justifié au sens de cet article, et à exclure tout exercice abusif, de nature à cloisonner artificiellement le marché ou à porter atteinte au régime de la concurrence dans la Communauté. L'exercice des droits de propriété intellectuelle conférés par la législation nationale doit, par conséquent, être limité dans la mesure nécessaire à cette conciliation (voir l'arrêt du 14 septembre 1982, Keurkoop, 144-81, précité, point 24).
55 En effet, dans le système du traité, l'article 36 doit être interprété "dans la perspective des objectifs et des actions de la Communauté, tels qu'ils sont définis par les articles 2 et 3 du traité", comme l'a rappelé la Cour dans son arrêt du 9 février 1982, Polydor, point 16 (270-80, Rec. p. 329). Il doit, en particulier, être apprécié compte tenu des exigences liées à l'établissement d'un régime de libre concurrence à l'intérieur de la Communauté, visé à ce même article 3, sous f), lesquelles s'expriment notamment à travers les interdictions énoncées aux articles 85 et 86 du traité.
56 A cet égard, il résulte de l'article 36, tel qu'il a été interprété par la Cour à la lumière des objectifs poursuivis par les articles 85 et 86 ainsi que par les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises ou des services, que seules les restrictions à la libre concurrence ou à la libre circulation des marchandises ou des services, inhérentes à la protection de la substance même du droit de propriété intellectuelle, sont admises en droit communautaire. La Cour a en effet jugé, dans son arrêt du 8 juin 1971, Deutsche Grammophon, 78-70, précité, point 11, relatif à un droit voisin du droit d'auteur, que, "s'il permet des interdictions ou restrictions à la libre circulation des produits justifiées par des raisons de protection de la propriété industrielle et commerciale, l'article 36 n'admet de dérogations à cette liberté que dans la mesure où elles sont justifiées par la sauvegarde des droits qui constituent l'objet spécifique de cette propriété" (voir également les arrêts du 18 mars 1980, Coditel, point 14, 62-79, Rec. p. 881 ; du 22 janvier 1981, Dansk Supermarked, point 11, 58-80, Rec. p. 181 ; du 6 octobre 1982, Coditel, 262-81, précité, point 12 ; en ce qui concerne les droits intellectuels autres que le droit d'auteur, voir les arrêts du 31 octobre 1974, Centrafarm, 16-74, Rec. p. 1183 ; du 23 mai 1978, Hoffmann-La Roche, point 8, 102-77, Rec. p. 1139 ; du 25 février 1986, Windsurfing International/Commission, point 45, 193-83, Rec. p. 611 ; du 5 octobre 1988, Renault, 53-87, point 11, et Volvo, 238-87, point 8, précités, et du 17 octobre 1990, Hag GF, point 12, C-10-89, Rec. p. I-3711).
57 Il est constant que la protection de l'objet spécifique du droit d'auteur confère, en principe, à son titulaire, le droit de se réserver l'exclusivité de la reproduction de l'œuvre protégée. La Cour l'a expressément admis dans son arrêt du 17 mai 1988, Warner Brothers, 158-86, précité, point 13, dans lequel elle a jugé que "les deux prérogatives essentielles de l'auteur, le droit exclusif de représentation et le droit exclusif de reproduction, ne sont pas mises en cause par les règles du traité"(voir également l'arrêt du 24 janvier 1989, EMI Electrola, points 7 et 14, 341-87, Rec. p. 79).
58 Néanmoins, s'il est certain que l'exercice du droit exclusif de reproduction de l'œuvre protégée ne présente pas, en soi, un caractère abusif, il en va différemment lorsqu'il apparaît au vu des circonstances propres à chaque cas d'espèce, que les conditions et modalités d'exercice du droit exclusif de reproduction de l'œuvre protégée poursuivent, en réalité, un but manifestement contraire aux objectifs de l'article 86. En effet, dans une telle hypothèse, l'exercice du droit d'auteur ne répond plus à la fonction essentielle de ce droit, au sens de l'article 36 du traité, qui est d'assurer la protection morale de l'œuvre et la rémunération de l'effort créateur, dans le respect des objectifs poursuivis en particulier par l'article 86(voir, en matière de brevets, les arrêts de la Cour du 14 juillet 1981, Merck, point 10, 187-80, Rec. p. 2063, et du 9 juillet 1985, Pharmon, point 26, 19-84, Rec. p. 2281, et, en matière de droit d'auteur, l'arrêt du 17 mai 1988, Warner Brothers, 158-86, précité, point 15). Dans ce cas, la primauté qui s'attache au droit communautaire, notamment pour des principes aussi fondamentaux que ceux de la libre circulation des marchandises et de la libre concurrence, l'emporte sur une utilisation, non conforme à ces principes, d'une règle nationale édictée en matière de propriété intellectuelle.
59 Cette analyse est confirmée par la jurisprudence de la Cour, qui a jugé, dans ses arrêts du 5 octobre 1988, Volvo, invoqué par la Commission, et Renault, précités, que l'exercice d'un droit exclusif, relevant, en principe, de la substance du droit intellectuel en cause, peut toutefois être interdit par l'article 86, s'il donne lieu, de la part de l'entreprise en position dominante, à certains comportements abusifs. Les questions posées à la Cour dans le cadre de ces deux recours préjudiciels portaient sur la régularité du comportement des deux constructeurs automobiles, qui se réservaient l'exclusivité de la fabrication et de la commercialisation des pièces de rechange pour les véhicules qu'ils produisaient, en faisant valoir leurs modèles déposés sur lesdites pièces. A cet égard, la Cour a cité, à titre d'exemples de comportements abusifs au sens de l'article 86, le refus arbitraire de livrer lesdites pièces à des réparateurs indépendants, la fixation des prix des pièces de rechange à un niveau inéquitable ou la décision de ne plus produire de pièces de rechange pour un certain modèle alors que beaucoup de voitures de ce modèle circulent encore (Volvo, 238-87, point 9, et Renault, 53-87, point 18, précités).
60 Dans la présente espèce, il y a lieu de noter que la société requérante, en se réservant l'exclusivité de la publication de ses grilles de programmes hebdomadaires de télévision, faisait obstacle à la venue sur le marché d'un produit nouveau, à savoir un magazine de télévision, susceptible de concurrencer son propre magazine, le "Radio Times ". La requérante exploitait de la sorte son droit d'auteur sur ses grilles de programmes, produites dans le cadre de l'activité de télédiffusion, pour s'assurer un monopole sur le marché dérivé des guides hebdomadaires de télévision. A cet égard, il apparaît significatif que, par ailleurs, la requérante autorisait gratuitement la publication de ses grilles quotidiennes et des points forts de ses programmes hebdomadaires dans la presse en Irlande et au Royaume-Uni. En outre, dans les autres Etats membres, elle autorisait également, sans exiger de redevance, la publication de ses grilles hebdomadaires.
Un comportement de ce type - qui se caractérise par l'obstacle mis à la production et à la commercialisation d'un produit nouveau, pour lequel existe une demande potentielle de la part des consommateurs, sur le marché annexe des magazines de télévision, et par l'exclusion corrélative de toute concurrence dudit marché, dans le seul but de maintenir le monopole de la requérante - va manifestement au-delà de ce qui est indispensable à la réalisation de la fonction essentielle du droit d'auteur, telle qu'elle est admise en droit communautaire. En effet, le refus de la requérante d'autoriser les tiers à publier ses grilles hebdomadaires présentait, en l'occurrence, un caractère arbitraire, dans la mesure où il n'était justifié ni par les nécessités particulières du secteur de la radiotélédiffusion, qui n'est pas concerné par la présente espèce, ni par les exigences propres à l'activité d'édition de magazines de télévision. La requérante avait donc la possibilité de s'adapter aux conditions d'un marché des magazines de télévision ouvert à la concurrence, pour assurer la viabilité commerciale de son hebdomadaire, "Radio Times ". Dans ces conditions, les faits incriminés ne peuvent pas être couverts, en droit communautaire, par la protection résultant du droit d'auteur sur les grilles de programmes.
61 A l'appui de cette constatation, il convient encore de souligner que, contrairement aux allégations de la requérante, son refus d'autoriser les tiers à publier ses grilles hebdomadaires des programmes se distingue du refus des sociétés Volvo et Renault, examiné dans les arrêts du 5 octobre 1988, précités, d'accorder à des tiers des licences pour la fabrication et la mise sur le marché de pièces de rechange. En effet, dans la présente espèce, la reproduction exclusive de ses grilles de programmes, par la requérante, avait pour objet et pour effet d'exclure toute concurrence potentielle sur le marché dérivé représenté par l'information relative aux programmes hebdomadaires diffusés sur les châines de la BBC, afin d'y maintenir le monopole détenu par la requérante, à travers la publication du magazine "Radio Times ". Du point de vue des entreprises tierces intéressées par la publication d'un magazine de télévision, le refus de la requérante d'autoriser, sur demande et de manière non discriminatoire, tout tiers à publier ses grilles de programmes s'apparentait donc, comme le souligne, à juste titre, la Commission, au refus arbitraire d'un constructeur automobile de livrer des pièces de rechange - produites dans le cadre de son activité principale de construction automobile - à un réparateur indépendant, exerçant son activité sur le marché dérivé de l'entretien et des réparations des véhicules automobiles. En outre, le comportement reproché à la requérante s'opposait radicalement à l'apparition sur le marché d'un certain type de produits, les magazines généraux de télévision. Par conséquent, dans la mesure où il se caractérisait plus particulièrement, sous cet aspect, par l'absence de prise en considération des besoins des consommateurs, le comportement incriminé présentait aussi une certaine similitude avec l'hypothèse - envisagée par la Cour dans les arrêts précités - de la décision éventuelle d'un constructeur automobile de ne plus fabriquer de pièces de rechange pour certains modèles, alors que subsiste encore une demande sur le marché (Volvo, 238-87, point 9, et Renault, 53-87, point 18, précités). Il ressort donc de cette comparaison que les faits reprochés à la requérante ne relèvent pas, selon les critères consacrés dans la jurisprudence invoquée par les parties, de la substance même du droit d'auteur.
62 Au vu des considérations qui précèdent, le Tribunal constate que, bien que les grilles de programmes aient été couvertes, au moment des faits litigieux, par le droit d'auteur, tel qu'il est consacré par le droit national qui demeure compétent pour déterminer les modalités de cette protection, le comportement incriminé n'était pas susceptible de bénéficier de cette protection, dans le cadre de la nécessaire conciliation qui doit s'opérer entre les droits de propriété intellectuelle et les principes fondamentaux du traité relatifs à la libre circulation des marchandises et à la libre concurrence. En effet, ce comportement poursuivait des objectifs manifestement antinomiques avec ceux de l'article 86.
63 Sous cet aspect, la requérante fait toutefois valoir, à titre complémentaire, que la décision est insuffisamment motivée. Ce grief ne saurait être accueilli. En effet, la Commission a clairement indiqué, dans la décision, les raisons pour lesquelles elle a constaté qu'en utilisant son droit exclusif de reproduction des grilles comme l'instrument d'une politique contraire aux objectifs visés par l'article 86, la requérante est allée au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer la protection de la substance même du droit d'auteur et a commis un abus au sens de l'article 86. Contrairement aux allégations de la requérante, la motivation de la décision attaquée permet donc aux intéressés de connaître les principaux éléments de fait et de droit à la base des constatations effectuées par la Commission, et donne au Tribunal la possibilité d'exercer son contrôle juridictionnel. Elle remplit de ce fait les conditions liées au respect des droits de la défense, telles qu'elles sont définies de manière constante par la jurisprudence. La Cour a ainsi jugé, notamment dans son arrêt du 17 janvier 1984, VBVB et VBBB/Commission, point 22 (43-82 et 63-82, Rec. p. 19) que, "si, en vertu de l'article 190 du traité, la Commission est tenue de mentionner les éléments de fait dont dépend la justification de la décision et les considérations juridiques qui l'ont amenée à prendre celle-ci, cette disposition n'exige pas que la Commission discute tous les points de fait et de droit qui auraient été traités au cours de la procédure administrative" (voir également l'arrêt du 11 juillet 1989, Belasco e.a./Commission, points 55 et 56, 246-86, Rec. p. 2117). De même, les arguments de fait et de droit indispensables à l'établissement des griefs retenus contre la requérante, dans la décision, figuraient dans la communication des griefs. La thèse de la requérante relative à l'irrégularité de la procédure administrative doit donc également être rejetée (arrêt de la Cour du 25 octobre 1983, AEG/Commission, point 30, 107-82, Rec. p. 3151).
Les effets sur le commerce entre les Etats membres
64 En ce qui concerne la condition d'applicabilité de l'article 86 relative aux effets du comportement abusif sur le commerce entre les Etats membres, il convient de rappeler, à titre liminaire, qu'elle doit être interprétée et appliquée en prenant "comme point de départ le but de cette condition qui est de déterminer, en matière de réglementation de la concurrence, le domaine du droit communautaire par rapport à celui des États membres. C'est ainsi que relèvent du domaine du droit communautaire toute entente et toute pratique susceptibles de mettre en cause la liberté du commerce entre Etats membres dans un sens qui pourrait nuire à la réalisation des objectifs d'un marché unique entre les Etats membres, notamment en cloisonnant les marchés nationaux ou en modifiant la structure de la concurrence dans le marché commun" (arrêt de la Cour du 31 mai 1979, Hugin/Commission, point 17, 22-78, Rec. p. 1869 ; voir également les arrêts du 6 mars 1974, Commercial Solvents/Commission, point 32, 6-73 et 7-73, Rec. p. 223 ; du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, point 125, 85-76, Rec. p. 461 ; et du 14 février 1978, United Brands/Commission, point 201, 27-76, Rec. p. 207). En effet, pour que l'article 86 soit applicable, il suffit que le comportement abusif soit de nature à affecter les échanges entre les Etats membres. Il n'est donc pas nécessaire de constater l'existence d'un effet actuel et réel sur le commerce interétatique(voir notamment les arrêts de la Cour du 9 novembre 1983, Michelin, 322-81, précité, point 104, et du 23 avril 1991, Hoefner et Elser, point 32, C-41-90, Rec. p. I-1981).
65 Dans la présente espèce, le Tribunal constate que le comportement incriminé a modifié la structure de la concurrence sur le marché des guides de télévision, en Irlande et en Irlande du Nord, ce qui a affecté le flux d'échanges potentiels entre l'Irlande et le Royaume-Uni.
En effet, le refus de la requérante d'autoriser les tiers intéressés à publier ses grilles hebdomadaires s'est répercuté de manière déterminante sur la structure de la concurrence dans le secteur des magazines de télévision, sur le territoire représenté par l'Irlande et l'Irlande du Nord. En faisant obstacle, par sa politique en matière de licences, à l'édition, notamment par Magill, d'un magazine général de télévision destiné à être commercialisé tant en Irlande qu'en Irlande du Nord, la requérante a non seulement éliminé une entreprise concurrente du marché des guides de télévision, mais elle a exclu toute concurrence potentielle sur le marché en cause, ce qui a eu pour effet de maintenir le cloisonnement des marchés représentés respectivement par l'Irlande et l'Irlande du Nord. Dans ces conditions, il est indéniable que le comportement en cause était susceptible d'affecter le commerce entre les Etats membres.
De surcroît, il convient de relever que l'effet sensible de la politique incriminée sur les courants d'échanges potentiels entre l'Irlande et le Royaume-Uni est clairement attesté par l'existence d'une demande spécifique pour un magazine général de télévision du type du "Magill TV guide", comme en témoigne le succès des magazines de télévision spécialisés dans les programmes d'une seule chaîne de télévision en l'absence de guide général de télévision au moment des faits incriminés, sur le marché géographique en cause. A cet égard, il y a lieu de rappeler que la politique de la requérante, en matière d'informations sur les programmes hebdomadaires, faisait obstacle à la production et à la diffusion de magazines généraux de télévision, qui étaient destinés à l'ensemble des téléspectateurs d'Irlande et d'Irlande du Nord. En effet, le territoire géographique en cause, sur lequel un marché unique des services de télédiffusion est déjà réalisé, représente corrélativement un marché unique de l'information sur les programmes de télévision, compte tenu en particulier de la grande facilité des échanges du point de vue linguistique.
66 Pour l'ensemble de ces motifs, les moyens fondés sur la violation de l'article 86 et l'insuffisance de motivation de la décision doivent être rejetés comme non fondés.
67 Il s'ensuit que la demande en annulation de la décision dans son ensemble doit être rejetée.
Sur la demande subsidiaire en annulation de l'article 2 du dispositif de la décision
68 Au soutien de ses conclusions subsidiaires, la requérante invoque la violation de l'article 3, premier alinéa, du règlement n° 17, ainsi que la violation de la convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, de 1886, telle que modifiée par l'acte de Bruxelles de 1948 et l'acte de Paris de 1971 (ci-après "convention de Berne "), en vue d'obtenir l'annulation partielle de la décision, limitée à l'article 2 du dispositif en ce qu'il impose une licence obligatoire.
Sur la violation de l'article 3, premier alinéa, du règlement n° 17 du Conseil
Arguments des parties
69 La requérante conteste, à titre subsidiaire, l'obligation qui lui est faite, à l'article 2 du dispositif de la décision, d'autoriser des tiers à publier ses grilles de programmes hebdomadaires. Elle prétend que la Commission a enfreint l'article 3, premier alinéa, du règlement n° 17, aux termes duquel, "si la Commission constate, sur demande ou d'office, une infraction aux dispositions de l'article 85 ou de l'article 86 du traité, elle peut obliger par voie de décision les entreprises et associations d'entreprises intéressées à mettre fin à l'infraction constatée ". Cet article autoriserait uniquement la Commission à enjoindre aux entreprises de mettre fin à l'infraction. La requérante allègue que l'institution défenderesse ne s'est pas limitée à l'obliger à mettre fin à l'infraction constatée, mais a déterminé les modalités précises de la cessation de l'infraction, en prévoyant l'octroi de "licences obligatoires d'exploitation des œuvres protégées ". La requérante fait état, à cet égard, d'autres options permettant, selon elle, de mettre fin à l'infraction : la cessation de la publication du "Radio Times" au moins en Irlande, la vente de ce magazine en tant qu'entreprise, ou la vente publique au plus offrant des grilles hebdomadaires des programmes. Dans ces conditions, elle estime qu'il appartient aux seules parties de déterminer les modalités de la cessation de l'infraction ordonnée par la Commission.
70 La Commission soutient, à l'inverse, que l'article 2 de la décision n'excède pas les pouvoirs qui lui sont conférés par l'article 3 du règlement n° 17. Elle rappelle que l'article 2 propose deux moyens de mettre fin à l'infraction : la fourniture aux tiers, sur demande et sur une base non discriminatoire, des programmes litigieux, en vue de leur publication - qui a la préférence de la Commission -, ou l'octroi de licences à des conditions répondant aux préoccupations légitimes des parties. La décision n'imposerait donc pas, contrairement aux allégations de la requérante, une solution unique, mais proposerait, de manière souple, certains types de comportements destinés à mettre fin à l'infraction, conformément à une jurisprudence et à une pratique bien établies (voir l'arrêt de la Cour du 6 mars 1974, Commercial Solvents, 6-73 et 7-73, précité).
Appréciation en droit
71 Il convient d'interpréter l'article 3, premier alinéa, du règlement n° 17, afin de vérifier si la Commission est en droit d'enjoindre à la requérante d'autoriser la publication de ses grilles hebdomadaires par des tiers, le cas échéant au moyen de licences. A cet égard, le Tribunal relève que le pouvoir d'obliger les entreprises intéressées à faire cesser l'infraction constatée, conféré à la Commission audit article 3, implique, selon une jurisprudence bien établie, le droit d'adresser à ces entreprises certaines injonctions, de faire ou de ne pas faire, en vue de mettre fin à l'infraction. Dans cette perspective, les obligations mises à la charge des entreprises doivent être définies en fonction des exigences liées au rétablissement de la légalité, compte tenu des caractéristiques de l'espèce concernée. La Cour a, en effet, jugé, dans son arrêt du 6 mars 1974, Commercial Solvents, 6-73 et 7-73, précité, point 45, que "l'application de (l'article 3 du règlement n° 17) doit se faire en fonction de la nature de l'infraction constatée et peut aussi bien comporter l'ordre d'entreprendre certaines activités ou prestations, illégalement omises, que l'interdiction de continuer certaines activités, pratiques ou situations, contraires au traité ". Elle a précisé qu'"à cette fin, la Commission peut éventuellement obliger les entreprises intéressées à lui faire des propositions en vue de remettre la situation en conformité avec les exigences du traité ". En outre, la Cour a expressément reconnu, dans une ordonnance du 17 janvier 1980, Camera Care, point 17 (792-79 R, Rec.p. 119), que la Commission doit pouvoir exercer "de la manière la plus efficace et la mieux appropriée aux circonstances de chaque situation donnée" le droit de décision qui lui est conféré au premier alinéa de l'article 3.
72 Dans la présente espèce, le Tribunal constate que les éléments constitutifs de l'infraction, tels qu'ils ont été dégagés dans le cadre de l'examen du premier moyen, justifient les mesures imposées à l'article 2 du dispositif de la décision. En effet, l'obligation faite à la requérante de fournir, à ITP, à RTE ou aux tiers, sur demande et de manière non discriminatoire, ses grilles hebdomadaires en vue de leur publication, constitue, compte tenu des circonstances spécifiques de l'espèce - relevées par le Tribunal lors de l'examen des éléments constitutifs de l'infraction -, le seul moyen de mettre fin à ladite infraction, comme l'a établi la Commission dans la décision attaquée. Les diverses options évoquées par la requérante - qui prétend, sans toutefois paraître en envisager ou en suggérer la mise en œuvre concrète, qu'elles seraient susceptibles de mettre fin à l'abus, ce qui démontrerait que la Commission a excédé ses pouvoirs en imposant l'octroi de licences -, ne sont pas à même, compte tenu de la structure du marché des magazines de télévision, de supprimer l'effet d'exclusion de la concurrence, tel qu'il a été qualifié ci-avant et qui est constitutif d'un abus. Dans ces conditions, en lui enjoignant d'autoriser les tiers, sur demande et de manière non discriminatoire, à publier ses grilles hebdomadaires, la Commission n'a pas privé la requérante de son option entre les diverses mesures susceptibles de faire cesser l'infraction. A cet égard, il importe, en outre, de souligner que l'obligation faite à la requérante d'autoriser la publication de ses grilles par des tiers, le cas échéant, moyennant le versement d'une redevance raisonnable, est assortie de la faculté, reconnue à juste titre à la requérante à l'article 2 du dispositif, d'inclure dans les licences accordées les conditions nécessaires pour garantir "une couverture complète et de grande qualité de toutes (les) émissions, y compris celles à destination de minorités et/ou à vocation régionale et celles d'intérêt culturel, historique et éducatif ". C'est dans cette optique que la Commission a enjoint à la requérante, au même article 2, de lui soumettre pour approbation des propositions sur lesdites conditions. L'ensemble des obligations mises à la charge de la requérante, à l'article 2 du dispositif de la décision, est donc justifié au regard de leur finalité, telle qu'elle est définie à l'article 3 du règlement n° 17, premier alinéa, à savoir la cessation de l'infraction. Il en résulte que la Commission n'a pas dépassé les limites de son pouvoir d'appréciation dans le cadre de l'application de la décision précitée.
73 Pour l'ensemble de ces motifs, le moyen tiré de la violation de l'article 3, premier alinéa, du règlement n° 17, doit donc être rejeté comme non fondé.
Sur la violation de la convention de Berne
Arguments des parties
74 La requérante soutient, en outre, plus subsidiairement encore, que même si l'article 3 du règlement n° 17 permet à la Commission d'imposer, le cas échéant, l'octroi de licences obligatoires, une telle solution est incompatible avec la convention de Berne. Elle estime, en effet, que, dans la mesure où tous les Etats membres de la Communauté sont parties à la convention de Berne, ladite convention "doit être tenue pour un aspect du droit communautaire et une expression des principes pertinents de (ce) droit...", en vertu de l'article 234 du traité.
La requérante rappelle que l'article 9, paragraphe 1, de cette convention consacre, au profit de l'auteur d'une œuvre littéraire ou artistique, le droit exclusif de reproduction de l'œuvre protégée. Elle fait valoir que le paragraphe 2 de ce même article, introduit à la suite de la révision par l'acte de Paris de 1971, autorise un Etat signataire à permettre la reproduction d'œuvres littéraires et artistiques, dans certains cas spéciaux, à condition que cette reproduction ne soit pas incompatible avec l'exploitation normale de l'œuvre et ne cause pas un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur.
La requérante en déduit que l'article 2 de la décision est incompatible avec la convention de Berne, dans la mesure où il porte atteinte, selon elle, à l'exploitation normale de son droit d'auteur sur les grilles de programmes, et où il cause un préjudice grave à ses intérêts légitimes.
75 La Commission soutient en revanche que la convention de Berne ne s'applique pas à la présente espèce. En effet, explique la Commission, la Communauté n'est pas partie à la convention et il est de jurisprudence constante que "le traité CEE prime, dans les matières qu'il règle, les conventions conclues avant son entrée en vigueur entre les Etats membres" (arrêt de la Cour du 27 février 1962, Commission/Italie, 10-61, Rec. p. 1). En outre, la convention ne serait en tout état de cause pas applicable, parce que les grilles de programmes ne sont pas susceptibles, selon la Commission, d'être protégées par le droit d'auteur, au sens de ladite convention. Toutefois, en admettant même que la décision vise des données couvertes par le droit d'auteur, la Commission fait valoir subsidiairement que le fait que l'information soit fournie gratuitement à certains tiers, en vue de leur publication, démontre que l'obligation d'octroyer des licences contre une redevance raisonnable ne porterait pas préjudice aux intérêts légitimes de la requérante et, partant, serait conforme à la convention.
Appréciation en droit
76 Il convient logiquement d'examiner, en premier lieu, le problème de l'applicabilité, en l'espèce, de la convention de Berne, et l'argument de la Commission, selon lequel le droit communautaire prime sur les dispositions de ladite convention. A cet égard, le Tribunal constate, tout d'abord, que la Communauté - qui n'a pas, en l'état actuel du droit communautaire, bénéficié d'un transfert de compétence en matière de droits de la propriété intellectuelle et commerciale - n'est pas partie à la convention de Berne, ratifiée par tous ses États membres. En ce qui concerne les conventions conclues par les Etats membres, il est à noter que le traité règle, à l'article 234, les rapports entre ses dispositions et les conventions internationales conclues par les Etats membres avant son entrée en vigueur. Aux termes de cet article, "les droits et obligations résultant des conventions conclues antérieurement à l'entrée en vigueur du... traité, entre un ou plusieurs Etats membres d'une part, et un ou plusieurs États tiers d'autre part, ne sont pas affectés par les dispositions du... traité ". La Cour a interprété ledit article en ce sens qu'il vise uniquement les obligations contractées par les Etats membres envers des Etats tiers. Dans son arrêt du 11 mars 1986, Conegate, point 25 (121-85, Rec. p. 1007), elle a jugé que "l'article 234 a pour objet d'assurer que l'application du traité n'affecte ni le respect dû aux droits des pays tiers résultant d'une convention antérieurement conclue avec un Etat membre, ni l'observation des obligations résultant de cette convention pour cet État membre. Les conventions conclues antérieurement à l'entrée en vigueur du traité ne peuvent donc pas être invoquées dans les rapports entre Etats membres pour justifier des restrictions dans le commerce intracommunautaire" (voir également les arrêts du 27 février 1962, Commission/Italie, 10-61, précité, spécialement p. 27, et du 14 octobre 1980, Attorney General, point 8, 812-79, Rec. p. 2787).
77 Il y a lieu de relever que, dans la présente espèce qui concerne l'Irlande et le Royaume-Uni, l'article 234 du traité s'applique, en vertu de l'article 5 de l'acte d'adhésion, aux conventions conclues avant leur adhésion à la Communauté, le 1er janvier 1973. Il en résulte que, dans les rapports intracommunautaires, les dispositions de la convention de Berne, ratifiée par l'Irlande et par le Royaume-Uni avant le 1er janvier 1973, ne sauraient porter atteinte aux dispositions du traité. La requérante ne saurait donc s'en prévaloir pour justifier des restrictions au régime de la libre concurrence, tel qu'il a été instauré et mis en œuvre dans la Communauté, en application des dispositions du traité et, notamment, de son article 86. L'argument selon lequel l'article 2 du dispositif de la décision est contraire à l'article 9, paragraphe 1, de la convention de Berne, doit donc être rejeté, sans même qu'il soit nécessaire de l'examiner au fond.
On parvient à la même conclusion en ce qui concerne le paragraphe 2 dudit article 9. A cet égard, il suffit d'observer qu'il a été introduit par l'acte de Paris de 1971, auquel le Royaume-Uni est partie depuis le 2 janvier 1990, et que l'Irlande n'a pas ratifié. En ce qui concerne le Royaume-Uni, l'acte de Paris - et en particulier l'article 9, paragraphe 2, de la convention - a donc été ratifié postérieurement à l'adhésion à la Communauté et ne saurait par conséquent porter atteinte à une disposition du traité. En effet, les Etats membres ne peuvent pas écarter les règles découlant du traité, en concluant un accord ou une convention internationale. Ils sont tenus de recourir à cette fin à la procédure prévue à l'article 236 du traité. Il s'ensuit que l'article 9, paragraphe 2, de la convention de Berne ne peut pas être invoqué pour limiter la compétence conférée à la Communauté par le traité, dans la mise en œuvre des règles de la concurrence qu'il édicte, et notamment de l'article 86 et de ses règles d'application, telles que l'article 3 du règlement n° 17.
78 Le moyen pris de la violation de la convention de Berne doit donc, en tout état de cause, être rejeté comme non fondé.
79 Il s'ensuit que les conclusions subsidiaires tendant à l'annulation de l'article 2 du dispositif de la décision doivent être écartées et que l'ensemble du recours doit être rejeté.
Sur les dépens
80 Aux termes de l'article 59, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, applicable mutatis mutandis à la procédure devant le Tribunal en vertu de l'article 11, troisième alinéa, de la décision du Conseil du 24 octobre 1988, précitée, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La partie requérante ayant succombé en ses trois moyens, il convient de la condamner aux dépens, y compris à ceux exposés par la partie intervenante.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (deuxième chambre)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) La partie requérante est condamnée aux dépens, y compris à ceux exposés par la partie intervenante.