CA Bastia, ch. soc., 12 septembre 2000, n° 95-00160
BASTIA
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Altrad Equipement
Défendeur :
Pineau
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Jeannoutot
Conseillers :
MM. Rousseau, Weber
Avocats :
Mes Khan, Bolelli, Mariaggi
Le 23 juillet 1979, Monsieur Pascal Pineau était embauché en qualité d'agent technico-commercial par la SA Somefran.
Par contrat du 1er janvier 1984 il était engagé en qualité de VRP sur le secteur de Bordeaux.
Par lettre du 10 juillet 1986, il était affecté à la région Corse, ses conditions de rémunérations étaient fixées par ledit courrier.
Une première action était engagée par voie d'assignation le 4 mai 1992 par Monsieur Pineau à l'encontre de la SA Altrad successeur de la SA Somefran, aux fins d'obtenir paiement de la somme de 114 543 F correspondant aux commissions dues pour la période du 1er novembre 1986 au 30 septembre 1991, outre les intérêts de droit à compter de l'assignation. Il sollicitait également paiement de la somme de 50 000 F à titre de dommages et intérêts, et de celle de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
En cours de procédure il devait compléter sa demande ainsi :
- 35 784 F au titre de primes " Mercure Or ", de novembre 1987 à mai 1993, et le complément pour la période de janvier 1991 à mai 1993,
- 4 141 F au titre de retenue sur salaire fixe,
- 4 254 F au titre de commissions sur les téléventes,
- 1 08 313 F correspondant au commissionnement prévu par l'avenant du 10 juillet 1986 pour la période de juillet 1991 à mars 1993,
- 3 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Il sollicitait également la condamnation de la SA Altrad à lui adresser l'intégralité des téléventes, fiches d'appel clients et un certain nombre de factures sous astreinte de 500 F par jour de retard.
Le 26 novembre 1993, le Conseil de Prud'hommes d'Ajaccio désignait Monsieur Romeï en qualité d'expert pour déterminer le montant des commissions dues à Pascal Pineau.
N'ayant pas donné suite à la demande de l'expert tendant à obtenir un délai supplémentaire pour accomplir sa mission ainsi que le versement d'une consignation complémentaire, le Conseil de prud'hommes d'Ajaccio, par jugement du 16 décembre 1994, condamnait la SA Altrad à payer à Monsieur Pineau les sommes suivantes :
- 167 717 F au titre des commissions pour la période du 1er novembre 1986 au 31 mars 1993,
- 35 784 F au titre de rappel de prime " Mercure Or " pour la période du 1/11/1987 au 31/05/1993,
- 4 141 F au titre de rappel de salaires pour la période du 1/12/1991 au 31/01/1992,
- 624 F au titre de commissions " télécartes ",
- 25 000 F à titre de dommages et intérêts,
- 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Le 9 février 1995 la SA Altrad relevait appel de ce jugement.
Par arrêt mixte du 25 juin 1996, la demande de sursis à statuer en l'attente d'une décision pénale, présentée par la société Altrad était rejetée en l'état, faute de justificatif suffisant. Le jugement déféré était annulé pour violation des dispositions des articles 16 et 455 du nouveau Code de procédure civile. Evoquant l'affaire au fond, la Cour déclarait prescrites les demandes de Monsieur Pineau relatives aux créances salariales antérieures au 4 mai 1987 et ordonnait une nouvelle expertise.
L'expert déposait son rapport le 28 octobre 1999.
L'affaire était appelée à l'audience du 9 mai 2000.
Une deuxième action était introduite par Monsieur Pineau le 29 août 1995 devant le Conseil de Prud'hommes d'Ajaccio aux fins d'obtenir la résiliation judiciaire du contrat de travail, voir imputer la rupture à l'employeur, et réclamer le paiement des sommes suivantes :
- 7 000 F au titre du salaire fixe et des commissions de juin 1995,
- 1 192 F au titre de la prime Mercure,
- 38 218 F d'indemnité de congés payés,
- 85 266 F d'indemnité de préavis,
- 198 906 F d'indemnité de licenciement,
- 702 024 F d'indemnité de clientèle,
- 351 000 F d'indemnité de clause de non concurrence,
- 195 807 F d'indemnité spéciale de rupture,
- 1 000 000 F de dommages et intérêts,
- 20 000 F de commission de retour sur échantillonnage,
- 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
A l'appui de ses demandes Monsieur Pineau expliquait qu'à la suite de la condamnation de son employeur par jugement du 16 décembre 1994 du Conseil de Prud'hommes, la société Altrad a délibérément porté atteinte à la légitimité du contrat de travail, l'empêchant d'exécuter normalement son travail en modifiant unilatéralement le taux de commissions des commandes.
Par jugement du 7 octobre 1997, le Conseil de Prud'hommes d'Ajaccio rejetait la demande de sursis à statuer présentée par la société Altrad laquelle invoquait la plainte avec constitution de partie civile qu'elle avait déposée à l'encontre de Monsieur Pineau pour abus de confiance, vols et escroqueries. Par cette décision il était jugé que la rupture du contrat de travail était " au tort " de la SA Altrad.
Celle-ci était condamnée à payer à Monsieur Pineau les sommes suivantes :
- 500 000 F à titre de dommages et intérêts,
- 85 266 F d'indemnité de préavis,
- 38 218 F d'indemnité de congés payés,
- 6 797,40 F à titre de rappel de salaire pour juin 1995,
- 386 074 F d'indemnité de clientèle,
- 500 F au titre de la prime Mercure.
L'exécution provisoire de cette décision était ordonnée à hauteur de 263 250 F représentant 9 mois de salaires.
Le 20 octobre 1997, la société Altrad interjetait régulièrement appel de cette décision qui lui avait été notifiée le 17 octobre 1997.
A l'audience du 9 mai 2000 à laquelle les deux affaires étaient appelées, les deux instances étaient jointes.
A l'appui de son premier appel la société Altrad expose qu'elle est à présent en mesure de démontrer qu'elle a bien déposé une plainte avec constitution de partie civile entre les mains du Doyen des Juges d'Instruction du Tribunal de grande instance d'Ajaccio, que cette plainte concerne des faits d'escroquerie, abus de confiance et vol reprochés à Monsieur Pineau, lequel est supposé avoir détourné pour plus de 118 700 F de matériel au préjudice de son employeur. Faisant valoir que l'information pénale est en cours, elle demande qu'il soit sursis à statuer jusqu'à ce que l'affaire pénale soit jugée.
Subsidiairement elle conclut au rejet des demandes de Monsieur Pineau et à l'homologation partielle du rapport de l'expert Seffar.
Elle explique que la commande passée par l'Entreprise Vendasi, retenue par l'expert comme pouvant donner droit à une commission de 70 000 F, a été traitée directement par elle-même et qu'en conséquence Monsieur Pineau ne peut prétendre à aucune rémunération sur ce contrat. Elle indique que par souci d'encouragement elle a octroyé à Monsieur Pineau une somme de 15 000 F en mars 1991 pour cette commande bien qu'à aucun moment il n'ait participé à la réussite de l'opération. Elle précise qu'en tout état de cause, s'agissant de matériel de négoce, la commission ne peut s'élever qu'à 6 % du montant de la commande, et qu'il ne peut être alloué tout au plus à ce titre à Monsieur Pineau qu'une somme de 42 000 F, sous déduction des 15 000 F déjà versés.
Relevant que selon l'expert les commissions dues à Monsieur Pineau s'élèveraient à la somme de 44 095 F sans tenir compte du marché Vendasi, la société Altrad soutient qu'il lui serait dû, en retranchant le montant de la commission correspondant à la commande Vendasi, la somme de 25 905 F.
Elle réclame paiement de ce montant, ainsi que 50 000 F à titre de dommages et intérêts, outre 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
A l'appui de son second appel, la société Altrad reprend sa demande de sursis à statuer en invoquant les mêmes moyens que ceux précédemment mentionnés.
Subsidiairement elle demande qu'il soit jugé que la rupture du contrat de travail doit s'analyser en une démission et qu'en conséquence Monsieur Pineau soit débouté de l'ensemble de ses demandes.
Elle explique qu'après avoir mis en demeure Monsieur Pineau de justifier de son activité pour le mois de juillet 1995, et de poursuivre son activité, tout en lui confirmant que les termes de son contrat de travail était bien respectés, le salarié, en restant taisant avait ainsi fait connaître sa volonté manifeste, claire et non équivoque de démissionner.
A titre très subsidiaire elle fait valoir que les demandes d'indemnités et de rappels de rémunération ne sont pas fondées, et qu'en conséquence le jugement doit être infirmé sur chacun de ces chefs de demandes.
Elle explique qu'au contraire Monsieur Pineau doit être condamné à lui payer la somme de 85 266 F pour non respect du délai de préavis.
Elle sollicite en outre paiement de la somme de 50 000 F à titre dommages et intérêts pour procédure abusive, ainsi que celle de 10 000 F HT au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Monsieur Pineau conclut au rejet de la demande de sursis à statuer, ainsi qu'à l'homologation partielle du rapport de l'expert Seffar.
Il sollicite paiement des sommes suivantes :
- 1 07 934 F au titre des commissions qui lui sont dues en sa qualité de VRP pour la période prise compte par l'expert,
- 3 228 F au titre des commissions sur opérations téléventes,
- 13 000 F au titre des primes objectifs,
soit 124 161 F au titre de sa créance salariale pour la période de mai 1987 à décembre 1992.
Il demande que la société Altrad soit condamnée à produire sous astreinte un certain nombre de factures.
Il réclame enfin paiement des sommes suivantes :
- 33 837 F au titre des commissions impayées pour la période de janvier 1993 à juin 1995,
- 50 588 F au titre de la prime Mercure-Or pour la période de novembre 1987 à juin 1995,
- 9 357 F au titre du remboursement des retenues injustifiées,
- 500 000 F pour procédure abusive,
- 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Il entend voir rejeter les demandes de la société Altrad, notamment celles tendant à obtenir remboursement de commissions infondées et prescrites.
En ce qui concerne la rupture du contrat de travail il conclut à la confirmation du jugement du 7 octobre 1997 en ce qu'il dit que cette rupture était aux torts de la SA Altrad et condamné cette société à lui verser une somme au titre de dommages et intérêts pour rupture abusive. Il entend néanmoins voir porter le montant de cette somme à 1 000 000 F.
Il demande également paiement des sommes suivantes :
- 85 266 F à titre d'indemnité de préavis,
- 6 797,40 F au titre du rappel de salaire du mois de juin 1995,
- 38 218 F au titre de l'indemnité de congés payés 93/94,
- 702 024 F à titre d'indemnité de clientèle,
- 351 000 F au titre de l'indemnité de clause de non concurrence,
- 198 806 F au titre de l'indemnité de licenciement,
- 50 000 F pour procédure abusive,
- 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Attendu qu'il y a lieu pour une bonne administration de la justice, conformément à l'article 367 du nouveau Code de procédure civile d'ordonner la jonction des deux procédures enregistrées sous les N° RG 95-160 et RG 97-257
1°) Sur la demande de sursis à statuer
La société Altrad verse aux débats une lettre en date du 27 décembre 1995 comportant plainte avec constitution de partie civile auprès du Doyen des Juges d'Instruction d'Ajaccio, ainsi qu'un avis de versement en date du 1/02/1996 du montant de la consignation fixée par ordonnance du 16/01/1996.
Dans cette plainte il est reproché à Monsieur Pineau d'avoir refusé de restituer le véhicule de fonction et le matériel qu'il détenait, l'intéressé ayant déclaré n'avoir jamais eu en sa possession le matériel réclamé.
Il convient de rappeler que l'objet du litige prud'homal porte d'une part sur des rappels de rémunérations et d'autre part sur la rupture du contrat de travail et ses conséquences financières. A aucun moment il n'a été allégué que la rupture du contrat de travail ait été motivée par des actes délictueux de la part du salarié.
Force est de constater que l'action pénale mise en œuvre a un objet différent de l'action prud'homale engagée par Monsieur Pineau.
En conséquence il n'y a pas lieu de surseoir à statuer.
2°) Sur le rappel de rémunération :
a) commissions et primes d'objectifs dues pour la période 1987 à 1992 :
Selon les dispositions de l'article 7 du contrat de travail, le calcul des commissions s'effectue sur les commandes acceptées et enregistrées par le siège, le service commercial ayant toute faculté pour refuser la commande.
Or l'expert a relevé des annulations de commandes dans le listing établi par le service commercial. Aucune véritable explication n'a été donnée sur les motifs de ces annulations. Il a été avancé par l'employeur que Monsieur Pineau n'avait pas voulu tenir compte des recommandations lui prescrivant de ne plus prendre de commandes de la part de mauvais clients. Or il ressort des courriers d'avril et de juin 1995 adressés par l'employeur à Monsieur Pineau que les recommandations données à ce dernier consistaient essentiellement à exiger des clients des paiements, non pas par effets de commerce mais par chèques post-datés, ce qui constitue un procédé illicite. Par ailleurs il n'est pas démontré que les commandes annulées émanaient de " mauvais clients ".
En tout état de cause il n'est pas rapporté la preuve que les commandes annulées aient été inacceptables en raison d'une faute de l'employé.
Les annulations de commandes apparaissant en l'espèce relever du pouvoir discrétionnaire de l'employeur, la non acceptation de ces commandes ne peut faire obstacle au versement des commissions correspondantes.
Pour déterminer les droits à commission de Monsieur Pineau, l'expert a analysé les divers produits commandés en fonction des indications contenues dans les tarifs de l'entreprise. Il a ainsi pu déterminer la famille à laquelle chacun de ces produits appartenait, et en conséquence fixer le taux de commission applicable pour chacun d'eux, étant rappelé que l'avenant du 10 juillet 1986 confirmé par courrier du 23 septembre 1991, prévoyait un taux de commissionnement de 10 % pour les échafaudages toutes gammes confondues, et un taux de 6 % pour la diffusion des produits achetés et revendus.
Cette analyse détaillée fait ressortir, pour la période de mai 1987 à décembre 1992, des droits à commissions restés impayés à hauteur de 107 933 F en réintégrant les commissions des commandes annulées sans justification.
Ce montant comprend notamment les droits à commission de Monsieur Pineau sur une commande passée en 1991 par l'entreprise Vendasi.
Contrairement à ce que soutient l'employeur, Monsieur Pineau a bien un droit à commissionnement sur cette commande. En effet cette entreprise n'est pas visée par l'article 2 du contrat excluant de la clientèle du représentant les municipalités, les associations municipales, les administrations, les entreprises ayant plus de 500 salariés ainsi que les négociants en matériels et matériaux de construction, pour lesquels il est prévu que l'approche et la négociation sont faites par la direction sans que le représentant ait droit à une quelconque rémunération.
Il ressort de l'attestation établie par Monsieur Jean Georges Casamatta, représentant la SNC Vendasi à Ajaccio, que Monsieur Pineau a pris contact avec Monsieur Jean Jacques Vendasi pour le vente de matériel d'étaiement destiné au chantier de la maison d'arrêt de Borgo réalisé par l'entreprise Vendasi.
Le fait que Monsieur Mateo, inspecteur commercial de la société Altrad, ait pu, comme il l'atteste lui-même, rencontré plusieurs fois l'Entreprise Vendasi afin de recueillir ses besoins en matériel pour le chantier de la maison d'arrêt de Borgo, n'est pas incompatible avec le fait que Monsieur Pineau soit à l'origine du démarchage de la société Vendasi et ait suscité les commandes de celle-ci.
D'ailleurs il est significatif que Monsieur Pineau se soit vu alloué à ce titre par son employeur une commission de 15 000 F.
L'intervention de l'inspecteur commercial, dans la mesure où une mise au point technique était nécessaire, ne peut avoir pour effet de diminuer ou de réduire à néant le droit à commission du VRP.
Il y a lieu de rappeler qu'en vertu de l'article 7-2° du contrat de travail, le droit à commission porte sur les ordres directs ou indirects en provenance du secteur concédé au VRP.
A la somme de 107 933 F représentant le montant des commissions restant dues à Monsieur Pineau, s'ajoute celle de 3 228 F correspondant à la rémunération non payée sur les Téléventes, ainsi que celle de 13 000 F relatives aux primes d'objectifs.
L'expert explique dans son rapport que pour déterminer le montant des commissions relatives aux téléventes non commissionnées il a tenu compte de l'ensemble des commandes provenant de Corse et pouvant donc être imputées à Monsieur Pineau, même si le numéro de VRP ne correspondait pas à celui attribué à Monsieur Pineau, faisant ainsi application des dispositions contractuelles selon lesquelles les commissions sont dues sur les ordres directs et indirects en provenance du secteur concédé au VRP.
Dès lors la demande de production de factures formée par Monsieur Pineau pour déterminer le montant des commissions sur téléventes n'est pas fondée. Elle doit être rejetée.
b) Les primes " Mercure Or " :
Selon courrier du 16 octobre 1985, intitulé " Mercure Or ", le directeur commercial de l'entreprise fait savoir à Monsieur Pineau qu'une participation mensuelle de 500 F lui est accordée sur ses frais de prospection.
Si cette prime a pu figurer sur les bulletins de salaires jusqu'en octobre 1987, elle a cessé d'être réglée en novembre 1987. Il s'agit de la part de l'employeur d'un engagement unilatéral, lequel n'a fait l'objet d'aucune dénonciation.
Pour la période novembre 1987 à juin 1995 il est donc dû à Monsieur Pineau la somme suivante :
500 F x 92 = 46 000 F
Il ne résulte pas de l'examen des pièces produites que l'employeur se soit engagé au titre de la prime " Mercure Or " à verser d'autres sommes, en particulier le règlement périodique de cartes téléphoniques comme le revendique Monsieur Pineau.
c) demande de commissions restées impayées pour la période de janvier 1992 à juin 1995 :
Dans ses conclusions communiquées le 4 mai 2000, Monsieur Pineau sollicite paiement de la somme de 33 837 F au titre des commissions impayées pour la période de janvier 1993 à juin 1995. A l'appui de cette demande récente il a versé aux débats un nombre important de pièces, plus de quatre cents.
Or l'article 16 du nouveau Code de procédure civile édicte que le juge ne peut retenir dans sa décision les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.
Alors que les récentes demandes de Monsieur Pineau auraient pu être exposées dès la première audience des débats du 9 avril1996, et être soumises à l'expert désigné par arrêt du 25 juin 1996, l'intimé a attendu 5 jours avant l'audience du 9 mai 2000, pour adresser à la partie adverse ses prétentions nouvelles et a mis cette dernière dans l'impossibilité de discuter utilement les très nombreuses pièces déposées à l'audience du 9 mai 2000.
Cette manœuvre déloyale qui a empêché la société Altrad de prendre connaissance en temps utile des ultimes prétentions de son adversaire ainsi que des pièces nouvellement produites, doit être sanctionnée, en application de l'article 16 suscité, par le rejet des documents produits et par conséquent des prétentions y afférentes, lesquelles se révèlent sans justification.
d) sur la demande de paiement de la somme de 9 357 F au titre du remboursement des retenues injustifiées :
Monsieur Pineau entend réclamer remboursement de sommes qui auraient été abusivement retenues en septembre 1994, décembre 1994 et mars 1995 pour un total de 9 357 F.
Or si l'examen des bulletins de salaires correspondant à ces périodes, montre qu'en septembre 1994 il a bien été déduit la somme de 1 806 F pour annulation de commandes, il apparaît que les déductions opérées en décembre 1994 et mars 1995 correspondent à des congés, ces déductions étant compensées par l'octroi d'une indemnité de congés payés.
En définitive seule la somme de 1 806 F peut être allouée à Monsieur Pineau, puisque ce montant correspond à une annulation de commandes dont il n'est pas démontré qu'elle soit imputable au VRP.
e) Demande de paiement de la somme de 6 797,40 F au titre du rappel de salaire du mois de juin 1995 :
Une somme de 6 797,40 F a été prélevée sur le salaire de juin 1995 de Monsieur Pineau. La société Altrad justifie cette retenue en expliquant que son salarié lui doit la somme de 67 974 F correspondant à des commissions versées sur des commandes qui ont été ultérieurement annulées ou qui n'ont pas été payées par les clients. L'employeur entendait prélever chaque mois un dixième du montant de sa créance sur le salaire de Monsieur Pineau.
On a vu précédemment que dans la mesure où l'annulation de commandes n'est pas justifiée par une faute du salarié, celui-ci a droit aux commissions afférentes aux dites commandes.
Par ailleurs dans le cas de commandes qui resteraient non payées par le client, le contrat de travail prévoit dans son article 7-4° que le VRP doit recevoir tous les 15 du mois un bordereau portant inventaire des commandes dont une créance ou plusieurs créances seraient impayées, le montant des créances à recouvrer, et le montant de la commission qui lui a été avancée pour ces commandes. Il est également prévu que jusqu'à la fin du mois suivant l'expédition de ce bordereau le VRP a la faculté de recouvrer les impayés qui y figurent, une retenue étant automatiquement pratiquée à la fin de cette période pour les commissions versées par anticipation sur les commandes restées impayées.
Bien qu'il s'agisse de créances anciennes remontant pour certaines à 1992 et qui devaient entraîner une retenue à l'issue du délai d'un mois, la société Altrad ne justifie pas de l'établissement de ces bordereaux, ni des difficultés rencontrées pour recouvrer les créances qu'elle prétend restées impayées, Monsieur Pineau expliquant que certains de ces impayés sont justifiés par des litiges relatif au matériel livré, et que d'autres ont finalement été réglés.
En conséquence l'employeur n'établit pas le bien fondé de sa réclamation au titre des retenues de commissions.
Dès lors Monsieur Pineau a droit au paiement de la somme de 6 797 F injustement retenues sur son salaire de juin 1995.
3°) sur l'imputabilité de la rupture du contrat de travail :
Il ressort des constatations qui précèdent que la société Altrad a abusivement privé Monsieur Pineau d'une partie des commissions auxquelles il avait droit. Cette attitude a persisté malgré l'action engagée le 4 mai 1992 par le salarié.
De plus en juin 1995 la société Altrad a retenu sur le salaire de Monsieur Pineau une somme de 6 797,40 F correspondant au dixième du montant de la créance que l'employeur entendait recouvrer au titre de commissions sur commandes impayées ou annulées. Or cette créance n'a nullement été justifiée.
Monsieur Pineau ayant refusé à partir de juillet 1995 de continuer à travailler en supportant les conditions de rémunération que lui imposait son employeur, la rupture du contrat de travail est imputable à ce dernier, cette rupture s'analysant en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
4°) Sur les conséquences pécuniaires de la rupture du contrat de travail
a) sur l'indemnité de préavis :
La rupture du contrat de travail s'analysant en un licenciement, il y a lieu de constater que l'employeur n'a pas pris l'initiative de cette rupture et qu'aucune procédure de licenciement n'a été mise en œuvre. Le salarié a ainsi été mis, du fait de l'employeur, dans l'impossibilité d'exécuter un préavis.
En conséquence il sera alloué à Monsieur Pineau une indemnité compensatrice de préavis. En vertu des dispositions de l'article 27 de la convention collective nationale des Ingénieurs et Cadres de la Métallurgie dont l'application n'est pas contestée, cette indemnité sera fixée à un montant égal à trois mois de salaires, soit la somme de 64 137 F.
b) sur l'indemnité de clientèle :
Monsieur Pineau entend obtenir paiement d'une indemnité de clientèle d'un montant de 702 024 F au seul motif que la jurisprudence chiffre à deux années de commissions le montant de l'indemnisation due au titre d'une telle indemnité.
Or cette indemnité n'est accordée, selon l'article L. 751-9 du Code du travail, que pour la part qui revient personnellement à l'employé dans l'importance en nombre et en valeur de la clientèle apportée, créée ou développée par lui.
Monsieur Pineau s'est abstenu de verser au débat la liste des clients fournis par son employeur lors de son entrée en fonction alors que les articles 5 et 12 du contrat de travail font état d'une telle liste et que les dispositions contractuelles lui faisaient obligation d'établir une nouvelle fiche pour tout nouveau client.
Il n'établit nullement l'importance ni même l'existence de la clientèle et du chiffre d'affaires qu'il aurait apportés à l'entreprise. Il ne peut donc prétendre à l'octroi d'une indemnité sur la base de l'article L. 751-9 sus rappelé.
Par contre il a droit à une indemnité de licenciement qui, selon les dispositions de l'article 29 de la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie, est égale à 1/5ème de mois par année d'ancienneté pour la tranche de un à sept ans d'ancienneté, et à 3/5ème de mois par année au-delà de sept années d'ancienneté. En prenant pour base une moyenne mensuelle de salaire brut de 21 379,15 F selon les douze derniers bulletins de paie produits, l'indemnité de licenciement doit être fixée à 145 378,22 F.
c) sur l'indemnité de congés payés :
Compte tenu d'une rémunération de 256 549 F perçue sur la période de référence (1994/1995), Monsieur Pineau a droit une indemnité compensatrice de congés payés de 25 655 F.
Sur le bulletin de salaire d'août 1995 figure la somme de 17 405,34 F allouée à titre de congés payés, mais il a été déduit du montant de la rémunération, d'une part une retenue de 6 797,40 F injustifiée, d'autre part une retenue pour absence, alors que le contrat de travail était rompu dès juillet 1995, si bien qu'il n'a en réalité été versé que la somme de 10 499,92 F en montant brut à valoir sur les congés payés.
Il reste donc dû à ce titre à Monsieur Pineau la somme de :
25 655 F - 10 499,92 F = 15 155,08 F
d) sur l'indemnité relative à la clause de non concurrence :
L'article 28 de la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie prévoit en contre partie de la clause de non concurrence qui ne peut excéder une année, le versement d'une indemnité mensuelle égale à 5/10 de la moyenne mensuelle des appointements ainsi que des avantages et gratifications contractuels dont le cadre a bénéficié au cours de ses douze derniers mois. En application de ce texte il doit être versé à Monsieur Pineau la somme de 128 274,50 F.
e) sur les commissions de retour sur échantillonnage :
Selon les dispositions de l'article L. 751-8 du Code du travail, quel que soit la cause et la date de la cessation des services de l'employé, celui-ci a toujours droit, à titre de salaire, aux commissions et remises sur les ordres non encore transmis à la date de son départ de l'établissement, mais qui sont la suite directe des échantillonnages et des prix faits antérieurs à l'expiration du contrat.
Il n'est apporté aucun élément sur l'existence et l'importance de commandes qui auraient été passées postérieurement au départ de Monsieur Pineau, par des clients contactés par ce dernier. Il ne peut donc être fait droit à la demande de paiement de la somme de 20 000 F au titre de commission sur retour d'échantillonnage.
f) Sur les dommages et intérêts réclamés par Monsieur Pineau :
La rupture du contrat de travail s'analysant en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, Monsieur Pineau a droit à une indemnité telle que prévue par l'article L. 122-14-4 du Code du travail.
Monsieur Pineau fournit peu d'éléments d'appréciation sur l'étendue de la période de chômage qu'il a subie et sur les difficultés qu'il a rencontrées pour retrouver un emploi. Néanmoins il a subi un préjudice certain dans la mesure où il avait 16 ans d'ancienneté au moment de la rupture du contrat de travail, ayant fourni un investissement personnel indiscutable en changeant de région et en se montrant performant puisqu'il a été classé deuxième pour la réalisation de chiffres d'affaires cumulés pour la période 1993/1994. Il pouvait ainsi espérer une évolution de carrière favorable.
Monsieur Pineau ne justifiant pas d'autres préjudices, il lui sera alloué la somme de 250 000 F en application de l'article L. 122-14-4 du Code du travail.
En vertu du même texte il sera ordonné le remboursement par l'employeur des indemnités de chômage payées au salarié licencié à compter de son licenciement, dans la limite de 6 mois d'indemnités de chômage.
Monsieur Pineau sera débouté de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, dans la mesure où l'appel interjeté par la société Altrad est partiellement fondé.
Par contre comme il paraît inéquitable de laisser à la charge de l'intimé, les frais irrépétibles qu'il a exposés tant en première instance qu'en appel, il lui sera alloué une indemnité de 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civil.
Par ces motifs : LA COUR : Après en avoir délibéré conformément à la loi ; Statuant publiquement, contradictoirement ; Ordonne la jonction des deux procédures enregistrées sous les numéros RG 95-160 et RG 97-257 ; Déboute la société Altrad de sa demande de sursis à statuer ; Réforme les jugements déférés en date des 16 décembre 1994 et 7 octobre 1997, et statuant à nouveau ; Dit que la rupture du contrat de travail s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; Condamne la société Altrad à payer à Monsieur Pineau les sommes suivantes : cent sept mille neuf cent trente trois francs (107 933 F) au titre des commissions impayées ; trois mille deux cent vingt huit francs (3 228 F) au titre des commissions sur opérations de téléventes ; treize mille francs (13 000 F) au titre des primes d'objectifs ; quarante six mille francs (46 000 F) au titre des primes " Mercure Or " ; mille huit cent six francs (1 806 F) au titre de la retenue injustifiée de septembre 1994 ; six mille sept cent quatre vingt dix sept francs (6 797 F) au titre de la retenue injustifiée de juin 1995 ; soixante quatre mille cent trente sept francs (64 137 F) au titre de l'indemnité de préavis ; cent quarante cinq mille trois cent soixante dix huit francs vingt deux centimes (145 378,22 F) au titre de l'indemnité de licenciement ; quinze mille cent cinquante cinq francs huit centimes (15 155,08 F) au titre du solde de l'indemnité compensatrice de congés payés ; cent vingt huit mille deux cent soixante quatorze francs cinquante centimes (128 274,50 F) au titre de l'indemnité relative à la clause de non concurrence ; deux cent cinquante mille francs (250 000 F) pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; trente mille francs (30 000 F) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Ordonne le versement à l'organisme concerné des indemnités de chômage payées à Monsieur Pineau dans la limite de 6 mois d'indemnités ; Dit que les entiers dépens, y compris le coût de l'expertise de Monsieur Seffar, sont à la charge de la société Altrad ; Déboute les parties de toutes conclusions plus amples ou contraires.