CA Grenoble, ch. soc., 6 septembre 2000, n° 9901216
GRENOBLE
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Bertoux
Défendeur :
Leblanc (ès qual.), CGEA (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Brenneur
Conseillers :
MM. Cattin, Huyette
Avocats :
Mes Allagnat, Sardi, Chapuis, Griffault
FAITS, PROCEDURE, ET MOYENS DES PARTIES
Madame Bertoux a été embauchée le 2 avril 1997 comme VRP par la société Direct Menager France.
Elle a été licenciée le 2 mars 1998 pour cause de quotas non atteints.
Madame Bertoux a saisi le Conseil de prud'hommes de Bourgoin Jallieu afin d'obtenir :
- 27 190 F de rappel de salaire
- 2 150 F de congés payés
- 2 000 F d'indemnité de frais
- 2 000 F de dommages-intérêts
- la remise de la lettre de licenciement, du certificat de travail et de l'attestation Assedic.
Par jugement du 20 octobre 1998, le Conseil a rejeté toutes ses demandes.
Entre-temps la société Direct Menager France bénéficiait d'une procédure de redressement judiciaire le 22 septembre 1997.
Devant la Cour Madame Bertoux, modifiant certaines de ses demandes, sollicite :
- 30 280 F de rappel de salaires et congés payés
- 60 000 F de dommages-intérêts pour rupture abusive
- 2 000 F de remboursement de frais
- 10 000 F pour frais de procédure.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des demandes et des moyens des parties, la Cour se réfère à la décision attaquée et aux conclusions déposées et soutenues oralement et sans modification à l'audience.
SUR QUOI, LA COUR
Sur les rappels de salaires et congés payés
Le contrat de travail signé le 2 avril 1997 par Madame Bertoux et la société Direct Menager France comporte les mentions suivantes :
" Les rapports entre les parties sont régies par les articles L. 751-1 et suivants du Code du travail (...)
Le représentant déclare vouloir exercer pour raisons personnelles une activité à temps partiel.
(...)
Du fait du caractère partiel de son activité, le représentant reconnaît que les dispositions visées aux articles 5 et 5-1 de la convention collective nationale interprofessionnelle du 3 octobre 1975 ne lui sont pas applicables et qu'il ne bénéficie pas, à ce titre, de la ressource minimale d'activité.
L'article 5 de la convention collective précitée prévoit une ressource minimale forfaitaire par trimestre d'activité exclusive et à temps plein, et il y est précisé que " l'expression à plein temps a pour objet non d'introduire une notion d'horaire de travail généralement inadaptée à la profession de représentant de commerce, mais d'exclure de la présente disposition les représentants de commerce qui, bien qu'engagés à titre exclusif, n'exercent qu'une activité réduite à temps partiel. "
Lorsqu'un représentant dispose d'une totale liberté pour organiser son travail, il est légitime que le contrat de travail le liant à son employeur ne comporte pas d'indication précise quant aux horaires de travail,
Toutefois, l'absence de précision quant au temps réel de travail ne doit pas être un moyen pour l'employeur, sous couvert d'une mention de travail à temps partiel ne correspondant pas à la réalité, d'exclure délibérément le salarié des dispositions conventionnelles l'assurant, en cas d'activité à plein temps, d'un salaire minimal forfaitaire.
Dès lors, seule l'analyse concrète de la prestation contractuellement imposée peut permettre d'apprécier l'ampleur du travail du représentant.
Mais c'est au représentant qui considère que les seuils d'activité imposés par son employeur sont irréalisables dans le cadre d'une activité à temps réduit d'en apporter la preuve, en présence d'une présomption contractuelle d'activité à temps partiel.
En l'espèce, l'avenant du 2 avril 1997 au contrat de travail de Madame Bertoux prévoit les quotas suivants :
" Nombre minimum de démonstrations par mois : 40
Nombre minimum de points à atteindre pour les 2 premiers mois : 45
Nombre minimum de points à atteindre ensuite par mois : 30. "
Or, si Madame Bertoux affirme péremptoirement que les quotas fixés au contrat requéraient une activité à plein temps, rien dans les pièces produites par elle ne vient justifier une telle affirmation.
En conséquence, la demande de rappel de salaire au titre d'un travail à temps plein, non justifiée, doit être rejetée.
Sur le licenciement
La lettre de licenciement du 2 mars 1998 reproche à Madame Bertoux une insuffisance professionnelle, à travers un nombre de ventes insuffisant, et par suite les quotas contractuels non atteints, ainsi que la non production de rapports d'activité écrits hebdomadaires.
- la remise de rapports d'activité
Si l'article 2 du contrat de travail de Madame Bertoux lui impose de justifier son activité par la remise de rapports d'activité hebdomadaires, la Cour relève qu'à aucun moment avant le licenciement il ne lui a été reproché une quelconque défaillance à ce sujet.
De plus, à supposer même que Madame Bertoux n'ait pas fourni tous les rapports prévus, cela pouvait justifier un avertissement mais non, directement et sans autre sanction préalable, constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement.
- les quotas non atteints
La Cour relève d'une part que la comparaison entre l'activité de Madame Bertoux et des deux autres salariées mentionnées sur le tableau de l'employeur n'est pas probante puisque si l'activité de la première est réellement inférieure à celle des deux autres, encore faudrait-il pour que cette juxtaposition de résultats ait un sens que les trois salariées aient travaillé à temps partiel.
Cela n'étant ni démontré ni même allégué par l'employeur, et donc les deux autres contrats devant être supposés à plein temps, il est logique que les résultats de Madame Bertoux aient été moindres.
De plus, il résulte incontestablement des pièces produites par Madame Bertoux que sur sa période d'emploi, alors qu'elle était chargée de commercialiser des fours au prix de 5 040 F ou 4 790 F, un four identique dénommé " omnicuiseur " tant sur les publicités de la société Direct Menager que sur la brochure de télé-shopping et dont la représentation photographique est exactement semblable, était vendu dans cette brochure au prix de 2 250 F ou à la télévision au prix de 1 995 F.
Rien dans le dossier de l'employeur ne démontre une quelconque différence technique entre les deux produits.
De ce fait, ainsi que cela ressort des attestations de nombreux clients très mécontents de s'être engagés auprès de Madame Bertoux pour un prix beaucoup plus élevé que le prix proposé en télé-achat, bien des commandes potentielles ont été annulées à cause de cette double pratique commerciale très défavorable pour les représentants.
Enfin, rien ne démontre que Madame Bertoux ait délibérément réduit son activité pour continuer à bénéficier d'un droit à pension.
La Cour considère en conséquence que l'absence d'atteinte des quotas contractuellement fixés est, au moins en partie, le résultat d'une pratique commerciale de la société Direct Menager France ne permettant pas à Madame Bertoux d'assurer ses obligations de ventes; et donc ne peut pas être reprochée à cette dernière.
Dès lors son licenciement pour ce motif doit être jugé dépourvu de cause réelle et sérieuse.
A titre de dédommagement Madame Bertoux recevra 20 000 F.
Sur les frais professionnels
Selon les termes de l'article 4 de la convention collective précitée, " la rémunération allouée au représentant dans les articles précédents comprend le remboursement de la totalité des frais professionnels exposés par ledit représentant. "
Dès lors, le remboursement des frais étant inclus dans les commissions versées, la demande de Madame Bertoux est injustifiée.
Sur les frais de procédure
Pour ses frais de première instance et d'appel Madame Bertoux recevra 10 000 F.
Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi ; Confirme le jugement en ce qui concerne le rappel de salaire ; L'infirme pour le surplus ; et Statuant à nouveau ; Fixe les créances de Madame Bertoux au passif de la procédure collective de la société Direct Menager France à vingt mille francs (20 000) de dommages-intérêts au titre du licenciement ; dix mille francs (10 000) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Dit que l'AGS doit sa garantie dans les conditions définies par l'article L. 143-11-1 du Code du travail dans la limite des plafonds légaux sur la base d'indemnités salariales nettes, que les intérêts de droit sur les créances dont l'origine est antérieure au jugement d'ouverture de la procédure collective sont arrêtés au jour du jugement déclaratif, et que la garantie ne s'applique pas aux indemnités prononcées au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Dit que les dépens seront payés en frais de liquidation judiciaire.