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Décisions

CA Paris, 15e ch. B, 14 mars 1991, n° 88-15684

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Esso (SA)

Défendeur :

Station-service du Stade (SARL), Dupont (Epoux)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gourlet

Conseillers :

Mme Jaubert, M. Betch

Avoués :

SCP Taze Bernard, SCP Roblin Chaix de Lavarene

Avocats :

Mes Danerval, Bazetoux

T. com. Paris, 8e Ch., du 25 mai 1988

25 mai 1988

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

La société Esso et la société Station-service du Stade SARL ont passé les 16 et 23 novembre 1981 un "contrat de mandat et de gérance par lequel" Esso a confié à la SARL la gestion d'un fonds de commerce de station-service assurée

- pour la distribution au détail des produits énergétiques, dans le cadre d'un mandat,

- pour la distribution des autres produits et les activités dites de diversification (lavage, graissage, réparations courantes ventes, etc...) dans le cadre d'une location-gérance.

Michel Dupont, gérant de la SARL, et son épouse Edwige Venon se sont, par acte du 23 septembre 1982, portés en faveur d'Esso cautions solidaires à hauteur de 100 000 F des sommes que la SARL pourrait devoir au créancier.

Esso a résilié le contrat de mandat et de gérance le 29 mai 1985 avec effet au 30 novembre 1985 et a établi le 11 juillet 1986 un compte faisant apparaître è son profit un solde de 170 735,74 F ; elle a le 4 août 1986 mis vainement les époux Dupont en demeure de lui payer le montant de leur engagement de caution.

La SARL Station-service du Stade, agissant par son liquidateur Michel Dupont a le 20 janvier 1987 assigné Esso en indemnisation de ses pertes (sur le fondement de l'article 2 000 du Code civil), avec compensation de sa dette estimée à 33 763,58 F.

Esso s'est opposée à ces demandes et s'est portée reconventionnellement demanderesse d'une somme de 170 735,74 F elle a assigné les époux Dupont en leur qualité de cautions et a sollicité la jonction des procédures.

Par jugement du 25 mai 1988, le Tribunal de commerce de Paris a reconnu la SARL Station-service du Stade bien fondée à se prévaloir des dispositions de l'article 2 000 du Code civil et a, "avant dire droit sur les autres demandes des parties", désigné un expert aux fins de dire si Esso avait la possibilité de calculer et de facturer la partie mobile de la redevance à partir des pièces comptables qui lui étaient remises périodiquement, de chiffrer le montant des redevances auxquelles elle peut prétendre et de déterminer le quantum des pertes imputables au mandat en utilisant la clé de répartition la plus juste possible des frais généraux indivis.

Esso a relevé de cette décision un appel au soutien duqu elle fait valoir que l'article 2000 du Code civil n'est pas d'ordre public et que les parties peuvent y déroger par convention, cette renonciation pouvant se déduire d'une rémunération forfaitaire comme tel est le cas en l'espèce puisque :

- la rémunération forfaitaire emporte nécessairement dérogation aux articles 1999 et 2 000 du Code civil ; en effet les pertes du mandataire ne dépendent pas exclusivement des commissions versées par le mandat mais aussi de dépenses dont il fixe librement le montant (rémunérations du personnel) sans que le mandant puisse intervenir,

- l'accord interprofessionnel de 1983 que la SARL met également en avant ne fait obligation aux sociétés pétrolières que d'examiner la situation de toute SARL qui ne dégagerait pas un résultat d'exploitation positif.

Esso prie la cour, à titre principal d'infirmer le jugement entrepris et de débouter la SARL de sa demande, à titre subsidiaire d'ordonner la mesure d'expertise prévue par le tribunal qui n'a pas été diligentée faute de consignation, étant indiqué que la juridiction consulaire qui avait réexaminé l'affaire a sursis à statuer le 7 décembre 1988 dans l'attente de l'arrêt de la cour.

Elle sollicite par ailleurs l'évocation sur ses propres demandes et la condamnation :

- de la SARL Station-service du Stade à lui payer 170 735,74 F, somme qui n'est pas sérieusement contestée,

- des époux Dupont à lui payer, solidairement et en présence du liquidateur de la débitrice principale 100 000 F,

- des intimés à lui verser 20 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

La SARL Station-service du Stade et les époux Dupont ont répondu :

a) que la provision a été consignée, bien que tardivement, mais que l'expert désigné Monsieur Breval a demandé à être déchargé de sa mission,

b) que le mandant est tenu d'indemniser le mandataire de ses pertes de gestion ; que s'il peut être renoncé à ce droit, la renonciation ne se présume pas et doit être expresse et non équivoque ; que la clause dont se prévaut Esso prévoit que "la société perçoit une commission couvrant forfaitairement la rémunération et l'ensemble des frais exposés par elle (suit une énumération non limitative)", ne fait que reprendre l'obligation mise à la charge du mandant par l'article 1999 du Code civil et ne peut être considérée comme une renonciation à être indemnisé des pertes d' exploitation,

- que d'ailleurs le contrat se réfère aux articles 1984 et suivants du Code civil qui ont été réitérés par le protocole interprofessionnel du 1er mars 1983 destiné à "rééquilibrer au profit des mandataires les errements contractuels antérieurs" comme le soulignent les premiers juges,

- qu'il n'est pas démontré ni soutenu que la perte a eu pour cause l'imprudence du mandataire,

c) sur la demande reconventionnelle d'Esso, qu'elle est essentiellement composée d'un rappel de loyers sur les exercices 1983 à 1985 dont seule la partie fixe a été réclamée et acquittée, la partie valorisée è hauteur de 4,5 % du chiffre d'affaires n'ayant jamais été facturée alors qu'Esso avait les moyens de la valoriser à l'aide des redditions de compte mensuelles et des relevés de ses contrôleurs de gestion ; que cela aurait eu pour conséquence d'augmenter le déficit d'exploitation ; qu'ainsi la demande est formellement contestée à hauteur de 136 982,66 F et reconnue pour le surplus (33 763,58 F) qui doit venir en compensation avec l'indemnisation recherchée.

Les intimés concluent à la confirmation du jugement déféré, et prient la cour de dire que la SARL ne doit que 33 763,58 F, d'ordonner la compensation et de leur allouer, 10 000 F en dégrèvement de leurs frais irrépétibles.

Cela exposé :

Considérant que les articles 1999 alinéa 1er et 2000 du Code civil mettent à la charge du mandant, le premier le remboursement au mandataire des avances et frais faits par lui pour l'exécution du mandat et le paiement des salaires promis, le second, "aussi", l'indemnisation du mandataire des pertes qu'il a essuyées à l'occasion de sa gestion sans imprudence qui lui soit imputable ;

Considérant que ces dispositions ne sont pas d'ordre public et que le mandataire peut renoncer à ces droits ou à l'un d'entre eux mais que, la renonciation ne se présumant pas, elle ne peut résulter que d'une manifestation de volonté claire et non equivoque ;

Considérant, en l'espèce, qu'Esso soutient que la rémunération du mandataire par une commission qui "couvre forfaitairement la rémunération de la société et l'ensemble des frais exposés par elle (notamment livraison à la pompe, encaissement, risque ducroire, frais administratifs, pertes de produits - y compris celles par évaporation et contraction) emporte dérogation conventionnelle tant à l'article 1999 qu'à l'article 2000 du Code civil,

Mais considérant que cette disposition contractuelle qui mentionne expressément le salaire et les frais (des exemples étant donnés de frais couverts) ne peut en rien être regardée comme une renonciation sans équivoque du mandataire à se prévaloir du bénéfice de l'article 2000 du Code civil alors qu'elle n'intéresse que l'application de l'article 1999;

Que, pour répondre à l'argument d'Esso selon lequel les pertes dépendent de dépenses dont elle n'a pas la maîtrise, il sera relevé que, fixant à raison de sa politique économique propre le prix è la pompe des carburants dont dépendent les quantités vendues, elle intervient directement dans le volume des recettes du mandataire, donc dans son exploitation et que, dans le système de distribution qu'elle a choisi, qu'au demeurant elle contrôle rigoureusement, la société pétrolière doit supporter les risques du mandant, sauf à établir l'imprudence du mandataire, ce qu'elle n'allègue pas

Qu'en conséquence le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a dit la SARL Station-service du Stade bien fondée à se prévaloir des dispositions de l'article 2000 du Code civil;

Considérant que c'est encore par une juste appréciation des faits de la cause que les premiers juges ont ordonné une expertise afin de déterminer les pertes de gestion dues à l'exécution du mandat, à l'exclusion de celles entrainées par la location-gérance,

Que la SARL justifie du versement de la provision au greffe du tribunal de commerce par un reçu du 28 mai 1990 et que, le juge ne s'étant pas prononcé sur le défaut de consignation dans le délai prescrit, il n'y a pas lieu d'ordonner une nouvelle expertise mais seulement de renvoyer les parties devant le tribunal toujours saisi,

Considérant, sur les demandes d'Esso et les défenses :

Qu'en premier lieu et contrairement à ce qu'avance Esso sa demande en paiement du solde débiteur du compte est sérieusement contestée et qu'une partie de la mission de l'expert est justement de dire si elle avait la possibilité de calculer la partie mobile de la redevance litigieuse et de chiffrer ce à quoi elle peut prétendre de ce chef,

Qu'ainsi l'affaire n'est pas en état d'être jugée et qu'il n'y a pas lieu à évocation,

Qu'en second lieu le tribunal n'a pas vidé sa saisine sur la demande dirigée contre les cautions dont l'examen a été réservé,

Qu'en définitive les parties doivent sur ces demandes et défenses être également renvoyées devant les premiers juges,

Considérant qu'il est équitable de dégrever à hauteur de 5 000 F les intimés des frais irrépétibles qu'ils ont exposés à l'occasion de la présente instance et de débouter l'appelante de la demande formée au même titre.

Par ces motifs : LA COUR : Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a dit la SARL Station-service du Stade représentée par son liquidateur Michel Dupont bien fondée à se prévaloir des dispositions de l'article 2000 du Code civil, Renvoie les parties à reprendre l'instance pendante devant les premiers juges, Condamne Esso SA à payer aux intimés la somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Met à sa charge les dépens de la présente instance et admet la SCP d'avoués Roblin-Chaix De Lavarene au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.