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Décisions

CA Reims, ch. civ. sect. 1, 15 novembre 2000, n° 98-00986

REIMS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Cugnard (SA)

Défendeur :

Cave (SA), Testard et Compagnie (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ruffier

Conseillers :

Mmes Rouvière, Simon Rossenthal

Avoués :

SCP Thoma, Le Runigo, Delaveau, Gaudeaux, SCP Delvincourt-Jacquemet

Avocats :

Mes Denoyez, Monegier du Sorbier.

T. com. Epernay, du 20 janv. 1998

20 janvier 1998

FAITS ET PROCÉDURE

Monsieur Pascal Cugnart et Monsieur Bruno Cugnart ont déposé un modèle français de guide-fils destiné à être fixé sur l'extrémité des piquets de vigne, enregistré à l'INPI sous le n° 95.6086 le 3 novembre 1995 et publié le 8 mars 1996 sous le n° 422-450. Les déposants ont cédé ce modèle selon acte sous seing privé du 16 janvier 1996 à la SA Cugnart qui l'exploitait déjà. L'acte de cession a été remis à l'INPI pour inscription au registre national des dessins et modèles le 23 janvier 1996. Son inscription est devenue effective le 12 mars 1996 sous le n° 001242.

La SA Cugnart prétendant avoir constaté que la société Cave, dont elle avait été le fournisseur de guide-fils de 1991 à 1993, commercialisait depuis 1994 une copie servile de ce modèle exclusif sans son agrément, lui a demandé de mettre un terme à la contrefaçon et à la concurrence déloyale dont elle se serait ainsi rendue coupable par lettre recommandée avec avis de réception du 7 juin 1994.

La société Cave n'ayant pas donné suite à cette demande, la SA Cugnart a déposé une requête aux fins de saisie contrefaçon auprès de Madame le Président du Tribunal de grande instance de Chalons en Champagne qui a autorisée la mesure par ordonnance du 20 septembre 1996 et a désigné Maître Vidal, huissier de Justice à Epernay aux fins de rechercher auprès de la société Cave les éléments de la contrefaçon.

L'huissier commis a établi procès-verbal de saisie-contrefaçon le 9 octobre 1996.

Faisant valoir que les investigations de cet huissier de Justice lui avaient permis de constater que les Etablissements Testard et Cie fournissaient les modèles contrefaits à la société Cave, la SA Cugnart a assigné la société Cave et les Etablissements Testard et Cie aux fins de faire constater la contrefaçon dont elle avait été la victime et, d'autre part, d'obtenir sur le plan de la responsabilité délictuelle, des dommages et intérêts pour concurrence déloyale et agissements parasitaires.

Par jugement prononcé le 20 janvier 1998, le Tribunal de commerce d'Epernay a :

- déclaré mal fondées les sociétés Cave et Testard dans leur demande reconventionnelle en nullité de l'acte de saisie-contrefaçon,

- prononcé la nullité du dépôt de modèle n° 956.086, publié le 8 mars 1996, sous le n° 422.450, pour défaut de nouveauté,

- déclaré mal fondée la société Cugnart en son action en contrefaçon,

- débouté la société Cugnart de sa demande en concurrence déloyale,

- débouté les sociétés Cave et Testard de leur demande en dommages et intérêts et publication,

- condamné la société Cugnart à verser aux sociétés Cave et Testard chacune la somme de 40 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

La société Cugnart a relevé appel de cette décision le 3 avril 1998.

MOYENS DES PARTIES

En l'état de ses dernières conclusions signifiées le 6 juin 2000, auxquelles il est expressément renvoyé pour plus ample exposé de son argumentation conformément aux dispositions de l'article 455, alinéa 1, du nouveau Code de procédure civile, la société Cugnart conclut à l'infirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et demande à la Cour de :

- vu les dispositions de la loi du 14 juillet 1909 et du 11 mars 1957 insérées par la loi n° 92-597 du 1er juillet 1992 dans le code de la propriété intellectuelle, notamment en ses articles L. 511-1 et suivants et L. 112-1 et suivants,

- vu la saisie-contrefaçon,

- vu l'article 1382 du Code civil,

- dire et juger, d'une part, que les sociétés Cave et Testard se sont rendues coupables de la contrefaçon du modèle français de guide-fil destiné à être fixé aux extrémités des piquets de vigne ;

- dire et juger, d'autre part, que les sociétés défenderesses se sont rendues coupables de concurrence déloyale et d'agissements parasitaires ;

- les condamner solidairement au titre de la contrefaçon et de la concurrence déloyale à lui verser une provision de 500 000 F ;

- ordonner une mesure d'expertise aux fins de déterminer le chiffre d'affaires et les bénéfices que les sociétés intimées ont réalisés par la commercialisation des modèles contrefaits et de chiffrer, compte tenu de ces éléments et de tous autres que les travaux d'expertise auront permis de découvrir, le préjudice qu'elle a subi du fait de la contrefaçon, de la concurrence déloyale et des agissements parasitaires dont les sociétés intimées se sont rendues coupables ;

- ordonner aux sociétés intimées d'avoir à cesser la fabrication et la commercialisation sous quelque forme que ce soit, directement ou indirectement, par toutes personnes physiques ou morales interposées, des modèles de guide-fil critiqués et ce, sous astreinte définitive de 10 000 F à chaque infraction à compter de la signification de l'arrêt à intervenir ;

- ordonner la confiscation des recettes perçues par chacune des sociétés intimées au titre de la fabrication et de la commercialisation des objets contrefaisants ;

- ordonner la destruction ou la confiscation pour lui être remis des objets reconnus contrefaits, ainsi que des dispositifs et moyens destinés à leur réalisation, sous astreinte définitive de 10 000 F à compter de l'arrêt à intervenir ;

- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans trois quotidiens régionaux de son choix paraissant dans la Marne et dans l'Aube, le tout dans la limite de 20 000 F HT soit 60 000 F HT ;

- ordonner l'affichage de l'arrêt à intervenir aux frais des sociétés intimées sur la porte de leur principal établissement 8, rue du Pré Bréda à 51530 Mareuil et route d'Echemines à 10 280 Fontaine Les Gres ;

- les condamner solidairement au payement d'une somme de 80 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

En l'état de leurs dernières écritures signifiées le 28 août 2000, auxquelles il est expressément renvoyé pour plus ample exposé de leur argumentation conformément aux dispositions de l'article 455, alinéa 1, du nouveau Code de procédure civile, la société Cave et la société Testard & Cie sollicitent la confirmation du jugement entrepris du chef de la nullité du dépôt de modèle n° 956.086 et en ce qu'il a déclaré la société Cugnart mal fondée en ses actions en contrefaçon de modèle artistique et en concurrence déloyale.

Formant appel incident pour le surplus, elles demandent à la Cour de prononcer la nullité de la saisie-contrefaçon du 9 octobre 1996, de déclarer la société Cugnart irrecevable à agir en contrefaçon et de la condamner à leur verser la somme de 250 000 F chacune à titre de dommages et intérêts pour procédure résistance abusive et vexatoire. Elles réclament en outre la publication de l'arrêt à intervenir dans 3 journaux ou revues de leur choix aux frais de la société Cugnart, le coût de chaque insertion étant limité à la somme de 25 000 F hors taxes, ainsi que la condamnation de la société Cugnart à leur verser à chacune la somme de 80 000 F, par application de I' article 700 du nouveau Code de procédure Civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 août 2000.

DISCUSSION

1°) Sur la régularité de la saisie-contrefaçon

La société Cave et la société Testard & Cie, qui ont formé appel incident sur ce point, sollicitent l'annulation du procès-verbal de signification de l'ordonnance sur requête du 20 septembre 1996 autorisant la saisie-contrefaçon et de la procédure subséquente. Ils font valoir que l'exploit de signification du 9 octobre 1996 ne comporte aucune indication relative à une quelconque voie de recours en violation des dispositions de l'article 680 du nouveau Code de procédure civile et soutiennent qu'il s'agit d'une irrégularité de fond, de sorte qu'il n'est pas besoin selon elles de rapporter la preuve d'un grief.

Il échet de considérer que les dispositions de l'article 680 du nouveau Code de procédure civile, qui ont une portée générale, sont applicables en l'absence de toute disposition contraire du Code de la propriété intellectuelle à la notification de l'ordonnance autorisant la saisie-contrefaçon rendue par le Président du tribunal de grande instance sur le fondement de l'article L. 521-1 du dit Code, de sorte que l'acte de notification de cette ordonnance doit préciser que tout intéressé peut en référer au juge qui l'a rendue conformément aux dispositions de l'article 496, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile et que le juge a en outre la faculté de modifier ou de rétracter son ordonnance, même si le juge du fond est saisi de l'affaire, conformément aux dispositions de l'article 497 du même Code.

Force est en l'occurrence de constater que les dispositions susdites ne sont pas reproduites par l'acte de notification du 9 octobre 1996 de l'ordonnance rendue sur requête le 20 septembre 1996 par Madame le Président du Tribunal de grande instance de Châlons-en-Champagne et que la possibilité de saisir cette dernière en référé en cas de difficultés d'exécution ou aux fins de rétractation n'est pas mentionnée par cette décision.

Toutefois, contrairement à ce que soutiennent les intimés, l'absence dans l'acte de notification de l'indication des modalités de recours, en violation des dispositions de l'article 680 précité, ne constitue qu'une irrégularité de forme qui est régie par les articles 114 et suivants du nouveau Code de procédure pénale et non une irrégularité de fond relevant de l'article 117 du même Code, de sorte qu'il leur incombe de rapporter la preuve d'un grief.

Les appelantes prétendent qu'en tout état de cause, l'absence des indications prescrites, à peine de nullité, par l'article 680 du nouveau Code de procédure civile a causé à la société Cave un grief en la privant de la possibilité d'exercer un recours, à savoir le référé-rétractation, à l'encontre de l'ordonnance qui a été exécutée contre elle. Elles prétendent qu'un tel recours aurait évité que la société Cugnart n'appréhende et ne conserve par-devers elle des informations comptables et commerciales de la société Cave, qui relèvent du secret des affaires. Elles observent que, de surcroît, la présente procédure n'a pas pu être empêchée.

Il convient cependant de relever que les intimées, qui ont formé devant les premiers juges une demande reconventionnelle tendant à l'annulation des opérations de saisie-contrefaçon fondée sur l'absence d'indication dans la notification de l'ordonnance de la voie de rétractation prévue par l'article 497 du nouveau Code de procédure civile, ce qui indique qu'elles avaient parfaitement connaissance de l'existence d'un tel recours, se sont cependant abstenues de l'engager alors que la voie de la rétractation reste ouverte, même si le juge du fond est comme en l'espèce saisi de l'affaire. Il s'ensuit que la société Cave et la société Testard & Cie ne justifient d'aucun grief comme l'ont retenu à bon droit les premiers juges et que leur exception de nullité doit être rejetée.

2°) Sur l'action en contrefaçon

La société Cugnart invoque au soutien de ses prétentions les dispositions de la loi du 4 juillet 1909 et du 11 mars 1957 insérées par la loi n° 92-597 du 1er juillet 1992 dans le Code de la propriété intellectuelle, notamment en ses articles L. 511-1 et suivants et L. 112-1 et suivants. Elle se prévaut d'un modèle de guide-fils, déposé à l'INPI le 3 novembre 1995, sous le n° 956.086 par Messieurs Cugnart, sur lequel elle aurait acquis les droits par un acte sous seing privé du 16janvier 1996, inscrit à l'INPI les 23 janvier et 12 mars 1996, et dont le modèle commercialisé par les intimées est selon elle la copie servile.

Il convient de relever en premier lieu que la similitude entre le modèle de guide-fils ayant fait l'objet du dépôt n° 95.6086 le 3 novembre 1995 par Monsieur Pascal Cugnart et Monsieur Bruno Cugnart et le modèle commercialisé par les intimées ne fait l'objet d'aucune contestation sérieuse.

La société Cave et la société Testard & Cie invoquent l'article L. 521-2 du Code de la propriété intellectuelle qui dispose : " Les faits antérieurs au dépôt ne donnent lieu à aucune action dérivant du présent titre " et font valoir que le guide-fils incriminé est antérieur au dépôt du 3 novembre 1995, puisqu'il a été réalisé par la société Testard en 1993. Elles soutiennent en conséquence que la société Cugnart ne dispose d'aucun droit sur le guide-fils antérieurement aux 23 janvier et 12 mars 1996 et qu'elle est en conséquence irrecevable à leur opposer le modèle déposé le 3 novembre 1995 et, par conséquent, à se prévaloir des dispositions de l'article L. 521-1 du Code de la propriété intellectuelle pour agir en contrefaçon de modèle.

La société Cugnart fait valoir en réponse qu'elle a fondé son action à la fois sur les dispositions de la loi du 11 mars 1957, insérées aux articles L. 111-1 et suivants Code de la propriété intellectuelle, et sur celles de la loi du 14 juillet 1909 que vise l'article L. 521-2 du même Code.

Si elle reconnaît que les dispositions se rapportant aux dépôts de modèles n'ont d'effet que pour l'avenir en assurant au déposant le bénéfice de la présomption de création et qu'elles ne sauraient effectivement rétroagir en ce qui concerne la date de divulgation, qui reste soumise pour la période antérieure à la présomption édictée par l'article L. 113-1 du Code de la propriété intellectuelle et elle invoque le bénéfice de la protection organisée par les dispositions du Livre 1er du même Code.

La société Cugnart indique fabriquer et commercialiser le guide-fils litigieux depuis 1989. Il convient de rappeler que conformément aux dispositions de l'article L. 511-2 du Code de la propriété intellectuelle, le premier déposant d'un modèle est présumé jusqu'à preuve contraire en être le propriétaire. En outre, selon les dispositions de l'article L. 113-1 du Code de la propriété intellectuelle, la qualité d'auteur appartient à celui sous le nom de qui l'œuvre est divulguée.

En l'occurrence, la société Cugnart, en sa qualité de cessionnaire des droits sur le modèle de guide-fils litigieux en vertu de l'acte de cession publié que le 12 mars 1996, peut se prévaloir de la qualité d'ayant droit du créateur pour agir en contrefaçon.

Les premiers juges ont prononcé la nullité du dépôt de modèle litigieux du 8 mars 1996 en retenant que son caractère de nouveauté était infirmé par l'antériorité de la société Cave et la société Testard & Cie, qui ont commercialisé plus de 69 000 guide-fils similaires avant la date de ce dépôt, antériorité que démontrerait en outre la lettre recommandée avec avis de réception que leur a adressée la société Cugnart le 7 juin 1994.

La société Cugnart soutient en réponse que le moyen est inopérant dans la mesure où la société Cave, pour la période antérieure au dépôt de modèle le 3 novembre 1995, était au courant de la date de divulgation du modèle, qu'elle fait remonter elle-même dans ses conclusions à 1990, reconnaissant ainsi l'existence de ce modèle à cette date, La société Cugnart ajoute qu'à titre surabondant, elle apporte la preuve que le modèle de guide-fils déposé le 3 novembre 1995 à l'INPI existait depuis 1991.

Il s'évince en effet de la recension des propres écritures des intimés que c'est bien la société Cugnart qui a mis le guide-fils litigieux sur le marché dans les années 1990 et qu'elle a eu notamment pour cliente la société Cave jusqu'à la rupture de leurs relations commerciales au printemps 1993, événement qui a conduit cette dernière à faire fabriquer le guide-fils par la société Testard & Cie à partir du mois de décembre 1993.

En outre, la société Cugnart établit la commercialisation par ses soins de ce guide-fils antérieurement au mois de décembre 1993 par la production de diverses factures adressées à la société Copac, à la société Carb Services, à la société Champagne Céréales, à la société Limare, à la société Champagne Bouche Père & Fils, à la société Appro-Champagne et de la société Compas, ainsi que par les attestations de Messieurs Jean-Claude Chatelain, Thierry David, José Bouche et de Madame Marie-Thérèse Compas. Il figure en outre dans le guide " phyto et patissage Pointe Verte " du mois d'avril 1991 édité par la société Appro Champagne.

Il s'ensuit que contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, la société Cave et la société Testard & Cie ne peuvent se prévaloir de l'antériorité de la commercialisation du guide-fils litigieux, de sorte que c'est à tort qu'ils ont également prononcé sur ce critère la nullité du dépôt publié le 8 mars 1996.

En revanche, il n'en reste pas moins que pour bénéficier de dispositions protectrices du Livre I du Code de la propriété intellectuelle, il incombe à la société Cugnart de démontrer que le guide-fils litigieux constitue une création originale et nouvelle présentant des caractéristiques ornementales nonobstant son caractère utilitaire.

Aux termes de l'article L. 511-3-1° du Code de la propriété intellectuelle : " Les dispositions du présent livre sont applicables à tout dessin nouveau ; à toute forme plastique nouvelle, à tout objet industriel qui se différencie de ses similaires, soit par une configuration distincte et reconnaissable lui conférant un caractère de nouveauté, soit par un ou plusieurs effets extérieurs lui donnant une physionomie propre et nouvelle ".

La société Cave et la société Testard & Cie soutiennent que le guide-fils, objet du modèle n° 956.086, ne présente aucune caractéristique qui serait indépendante de sa fonction et que chaque partie de ce guide-fils, ou la forme de chacune de ses parties répond à des impératifs utilitaires dépourvus de toute préoccupation d'ordre esthétique et observent que les guide-fils sont de couleur verte, afin de s'intégrer dans les vignobles, et sont fabriqués avec une matière biodégradable. Ils ajoutent que le critère de la multiplicité des formes auquel l'appelante fait référence, s'il a été admis jadis par la jurisprudence, n'est plus retenu depuis longtemps par les tribunaux.

L'appelante fait valoir en réponse que le guide-fils créé par Monsieur Pascal Gugnart a fait l'objet d'une recherche d'ordre purement esthétique.

Sur ce point, il appert de l'examen du modèle de guide-fils litigieux et de sa comparaison avec d'autres modèles de porte-fils versés aux débats que ses formes spécifiques n'ont pas été imposées à leur concepteur par des contraintes purement fonctionnelles ou utilitaires mais traduisent au contraire une recherche esthétique originale de la part de celui-ci. La société Cugnart observe d'ailleurs avec pertinence que sur le plan technique, ses formes sont parfaitement inutiles et, qu'elles peuvent même être préjudiciables à la résistance du modèle. Elle ajoute à juste titre que ses dimensions sont sensiblement supérieures aux autres modèles de guide-fils uniquement pour pouvoir inscrire ces courbes et lui donner son allure générale, ce qui nécessite l'emploi de plus de matière entraînant un coût supérieur de production.

C'est par ailleurs vainement que les intimés invoquent les dispositions de l'article L. 511-3, alinéa 2, du Code de la propriété intellectuelle aux termes desquelles : " Mais si le même objet peut être considéré à la fois comme un dessin et modèle nouveau et comme une invention brevetable et si les éléments constitutifs de la nouveauté du dessin ou du modèle sont inséparables de ceux de l'invention, ledit objet ne peut être protégé que conformément aux dispositions du Livre VI " sur les brevets d'inventions en prétendant que la société Cugnart a déposé le 23 février 1981 un brevet portant sur un porte-fils ayant la même forme que celui invoqué par l'appelante au titre des dessins et modèles.

Il ressort en effet de la comparaison entre le modèle de porte-fils " Le Rapide " qui a donné lieu, le 23 février 1981, à un dépôt de brevets par les consorts Cugnart qui a été enregistré sous le numéro 81.03707 et le modèle litigieux qu'ils ne présentent pas d'autres similitudes que l'usage auquel ils sont tous les deux destinés.

Il s'ensuit que le modèle de guide-fils faisant l'objet du litige constitue une œuvre de l'esprit qui peut à bon droit bénéficier de la protection des dispositions du Livre I du Code de la propriété intellectuelle au titre du droit d'auteur et du livre V après la publication du dépôt, étant rappelé qu'elles peuvent être invoquées cumulativement, de sorte que c'est à tort que les premiers juges ont prononcé la nullité du dépôt n°956.086. Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé.

La Cour observe qu'alors qu'il n'est aucunement prétendu que le modèle de guide-fils litigieux aurait une efficacité fonctionnelle supérieure aux autres modèles de guide-fils disponibles sur le marché, c'est pourtant ce dernier que la société Cave a décidé de faire fabriquer par la société Testard & Cie après que la société Cugnart ait refusé de continuer à l'approvisionner, ce dont il y a lieu de déduire, d'une part, que sa clientèle avait été séduite par l'indéniable élégance esthétique de ce modèle et, d'autre part, que la mauvaise foi des intimés est caractérisée.

La Cour retiendra donc que la société Cave et la société Testard & Cie, en fabriquant et en commercialisant sciemment un modèle de guide-fils qui se révèle à l'examen une copie servile du modèle commercialisé par la société Cugnart depuis 1991 et dont la société Cave était jusque là la cliente, ont porté atteinte aux droits de cette dernière sur le modèle considéré et commis une contrefaçon.

La société Cugnart est en conséquence fondée à réclamer qu'il soit mis fin aux actes de contrefaçon et, sur le fondement de l'article L. 335-6 du Code de la propriété intellectuelle, la confiscation des recettes perçues par chacune des sociétés intimées, ainsi que la destruction des objets contrefaits, la publication de l'arrêt et l'affichage de la décision dans les conditions précisées au dispositif.

Elle est en outre fondée à solliciter le préjudice qu'elle a subi du fait de la contrefaçon.

3°) Sur l'action en concurrence déloyale :

La société Cugnart fait valoir à juste titre que la fabrication par la société Testard & Cie et la distribution par la société Cave d'un modèle de guide-fils qui constitue la copie servile de celui qu'elle commercialise depuis 1991 constituent des actes de concurrence déloyale distincts de la contrefaçon dès lors que ces agissements parasitaires sont de nature à créer dans l'esprit de la clientèle un risque de confusion, qui s'avère au demeurant d'autant plus grand en l'espèce que les guide-fils incriminés n'ont pas d'autre signe distinctif que leur forme spécifique et que les deux produits sont parfaitement substituables.

Le comportement de la société Cave, qui a fait fabriquer par la société Testard & Cie des guide-fils parfaitement identiques à ceux qu'elle se procurait jusque là auprès de la société Cugnart à la suite du refus qui lui a été opposé par cette dernière de continuer à la fournir consécutivement à ses difficultés financières, est exclusif de la bonne foi et caractérise au contraire la volonté délibérée de conserver une clientèle attachée aux produits de l'appelante.

En l'occurrence, la Cour ne dispose pas d'éléments suffisants pour lui permettre de déterminer le quantum du préjudice causé à la société Cugnart par ces actes de concurrence déloyale. Il convient en conséquence de faire droit à la mesure d'expertise sollicitée par l'appelante.

Eu égard aux éléments d'appréciation dont dispose d'ores et déjà la Cour, il y a lieu de lui allouer une provision de 50 000 F à valoir sur la réparation de son préjudice.

Au vu des éléments de la cause, il échet de fixer à la somme de 20 000 F l'indemnité qui sera allouée à la société Cugnart au titre des frais irrépétibles exposés en la cause, ce en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement ; Dit recevable et fondé l'appel formé par la société Cugnart ; Dit recevables et mal fondés les appels incidents formés par la société Coopérative d'Approvisionnement Viticole d'Epernay et la société Testard & Cie ; Confirme le jugement rendu le 20 janvier 1998 par le Tribunal de commerce d'Epernay en ce qu'il a débouté les intimées de leur demande d'annulation de l'acte de notification de l'ordonnance sur requête du 9 octobre 1996 et du procès-verbal de saisie-contrefaçon en date du même jour ; Infirme en toutes ses autres dispositions le jugement entrepris ; et, Statuant à nouveau ; Dit que les sociétés Cave et Testard & Cie se sont rendues coupables de la contrefaçon du modèle français de guide-fils destiné à être fixé aux extrémités des piquets de vigne enregistré à l'INPI sous le n° 95-6086 le 3 novembre 1995 et publié le 8 mars 1996 sous le n° 422-450, dont les droits exclusifs appartiennent à ta société Cugnart ; Dit que les sociétés Cave et Testard & Cie ont commis en outre des actes de concurrence déloyale et d'agissements parasitaires au préjudice de ta société Cugnart ; Avant dire droit sur le préjudice de la société Cugnart et sur la confiscation des recettes, désigne en qualité d'expert Monsieur Luc Pierquin, expert inscrit sur la liste établie par la Cour d'appel de céans, avec pour mission : de prendre connaissance, en présence des parties et de leurs conseils ou après les avoir régulièrement convoqués, de l'ensemble des documents comptables, commerciaux, des livres, registres, lettres, fabrication contrats et, en général, de tous documents ayant trait à la fabrication et à la diffusion du guide-fils litigieux ; de donner son avis argumenté sur le montant des recettes réalisées respectivement par la société Cave et la société Testard & Cie du fait de la reproduction et de la diffusion du modèle de guide-fils contrefait ; de fournir à la cour tous les éléments propres à lui permettre de déterminer le profit que les sociétés intimées ont réalisées par la fabrication et la commercialisation des modèles contrefaits ; compte tenu de ces éléments et de tous autres que les travaux d'expertise lui auront permis de découvrir, de fournir à la cour tous les éléments propres à lui permettre de déterminer le préjudice subi par la société Cugnart du fait de la contrefaçon, de la concurrence déloyale et des agissements parasitaires dont les sociétés intimées se sont rendues coupables ; Dit que l'expert accomplira sa mission en se conformant aux dispositions des articles 232 et suivants du nouveau Code de procédure civile ; qu'en particulier, il pourra recueillir les déclarations de toutes personnes informées, sauf à préciser leur nom, demeure et profession, ainsi que, s'il y a lieu, leur lien de parenté ou de communauté d'intérêts avec elles ; qu'il aura la faculté de s'adjoindre tout technicien d'une autre discipline que la sienne pris sur la liste des experts agréés ; Dit que les parties devront remettre sans délai à l'expert tous les documents que celui-ci estimera nécessaires à l'accomplissement de sa mission ; Dit que l'expert déposera son rapport au secrétariat-greffe avant l'expiration d'un délai de six mois courant à compter de la notification de l'avis de consignation ; Fixe le montant de la provision à valoir sur la rémunération de l'expert à la somme de vingt mille francs (20 000 F), soit 3.048,98 euro, et dit qu'elle sera versée par la société Cugnart avant le 6 janvier 2001 ; Dit que l'expert devra commencer ses opérations dès qu'il aura été avisé de la consignation de la provision ci-dessus ordonnée ; Dit que faute par le consignataire d'avoir effectué le versement de la provision entre les mains du régisseur d'avances et de recettes de la juridiction, dans ce délai impératif, et sauf prorogation du délai accordé éventuellement par le magistrat sur un motif légitime, la désignation de l'expert sera caduque et privée de tout effet ; Dit qu'en cas d'empêchement ou de refus de l'expert, il sera pourvu à son remplacement par ordonnance du Juge de la Mise en Etat ; Condamne la société Coopérative d'Approvisionnement Viticole d'Epernay et la société Testard & Cie in solidum à payer à la société Cugnart une provision de cinquante mille francs (50 000 F, soit 7.622,45 euro, à valoir sur l'indemnisation de son préjudice ; Ordonne à la société Coopérative d'Approvisionnement Viticole d'Epernay et à la société Testard & Cie de cesser la fabrication et la commercialisation sous quelque forme que ce soit, directement ou indirectement, par toutes personnes physiques ou morales interposées, du modèle de guide-fils litigieux et ce sous astreinte de cinq mille francs (5 000 F), soit 762,25 euro, à chaque infraction constatée à compter de la signification du présent arrêt ; Ordonne la destruction ou la confiscation pour être remis à la société Cugnart des guide-fils reconnus contrefaits, ainsi que des dispositifs et moyens destinés à leur réalisation, ce dans un délai de quinze jours à compter de la signification du présent arrêt à intervenir, et sous astreinte de cinq mille francs (5 000 F) soit 762,25 euro par jour de retard pendant trois mois, passé lequel délai il sera à nouveau fait droit ; Ordonne la publication de l'arrêt à intervenir dans deux quotidiens régionaux paraissant dans la Marne et dans l'Aube au choix de la société Cugnart, le tout dans la limite d'un coût d'insertion de vingt mille francs (20 000 F HT), soit 3.048,98 euro ; Ordonne l'affichage de l'arrêt à intervenir aux frais des sociétés intimées sur la porte de leur principal établissement, ce hors période de fermeture, è savoir 8, rue du Pré Bréda à 51530 Mareuil pour la société Coopérative d'Approvisionnement Viticole d'Epernay et route d'Echemines à 10280 Fontaine Les Gres pour la société Testard & Cie ; Condamne la société Coopérative d'Approvisionnement Viticole d'Epernay et la société Testard & Cie in solidum à payer à la société Cugnart une indemnité de vingt mille francs (20 000 F), soit 3.048,98 euro, en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la société Coopérative d'Approvisionnement Viticole d'Epernay et la société Testard & Cie in solidum aux dépens de première instance et d'appel et autorise la société civile professionnelle Thoma, Le Runigo, Delaveau, Gaudeaux, avoués, à procéder au recouvrement direct des dépens de l'instance d'appel dans les conditions fixées par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.