CA Paris, 5e ch. B, 9 mai 1996, n° 94-10806
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Gue (Epoux), Gue (SARL)
Défendeur :
Compagnie Générale de Garantie (SA), Compagnie de Raffinage et de Distribution Total France
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Leclercq
Conseillers :
M. Bouche, Mme Cabat
Avoués :
SCP Fisselier Chiloux Boulay, SCP Roblin Chaix De Lavarene, SCP Teytaud, SCP Woog Sari
Avocats :
Mes Sari, Brassier, Bayle
La société Cofincau CFC devenue depuis la Compagnie Générale de Garantie dite CGG s'est portée caution le 1er avril 1988 envers la Compagnie Total France dans la limite de 278 000 F des sommes susceptibles d'être dues par la société à responsabilité limitée Gue dans le cadre d'un contrat d'exploitation de la station-service "Le Relais du Bois Cormier " à Chambray les Tours conclu le 2 février 1988 avec la Compagnie Total France.
La société Gue a avisé la société Cofincau par lettre recommandée avec accusé de réception du 16 novembre 1989 qu'elle mettait fin le 27 décembre 1989 à l'exploitation de la station service. La société Cofincau a du payer à la Compagnie Total la somme de 167 496,24 F montant du solde débiteur du compte de gestion.
Subrogée par une quittance du 8 juin 1990 dans les droits de la Compagnie Total, la CGG a saisi le tribunal les 5 mars et 16 avril 1991 d'assignations en paiement tant de la société Gue que des époux Dominique et Martine Gue qui s'étaient eux-mêmes portés le 22 mars 1988 cautions solidaires de la société Gue à l'égard de la Cofincau. Par acte du 16 avril 1991 la société Gue et les époux Gue ont fait assigner la Compagnie Total dont ils se sont prétendus créanciers d'une somme de 62 670,56 F
Par jugement du 3 février 1992 le Tribunal de commerce de Paris a ordonné la jonction des diverses assignations et a confié à Monsieur Pierre Segond une mission d'expertise des comptes des parties. L'expert a déposé son rapport le 8 février 1993.
Par jugement du 2 février 1994 le Tribunal a adopté les conclusions de l'expert en ce qu'il a rectifié légèrement l'arrêté de compte de fin de gestion, réduisant la créance de la compagnie pétrolière à 152 604,68 F, mais a estimé que n'étaient pas indemnisables les pertes de la société Gue attribuables au mandat et chiffrées par l'expert à 117 096 F. Il a ainsi :
- condamné la Compagnie Total France à restituer à la CGG une somme indûment versée de 14 891,56 F avec intérêts au taux légal à compter du B septembre 1993,
- condamné solidairement la société à responsabilité limitée Gue et les époux Gue à payer à la CGG la somme de 139 784,68 F avec intérêts au taux légal majoré de 6 points à compter du 30 mai 1990,
- condamné la société à responsabilité limitée Gue et les époux Gue à payer à la Compagnie Total France la somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, et condamné solidairement la société à responsabilité limitée Gue et les époux Gue aux dépens, en ce compris les frais d'expertise ;
La société Gue et Dominique et Martine Gue ont interjeté appel de cette décision assortie de l'exécution provisoire.
Ils prétendent qu'ils n'ont pas renoncé à l'indemnisation par application de l'article 2 000 du Code civil des pertes qu'ils ont essuyées à l'occasion de la gestion du mandat et qu'après homologation des conclusions du rapport de l'expert concernant le solde du compte de gestion et après réduction à 1 F de la pénalité contractuelle prévue dans le contrat qui lie les époux Gue à la CGG, les appelants ne sont plus débiteurs de la compagnie de cautionnement que d'une somme de 7 708,68 F,
En outre au titre de l'indemnité de fermeture prévue par le protocole interprofessionnel du 6 mars 1989, les époux Gue demandent la condamnation de la société Total à leur payer 32 222 F auxquels ils ajoutent 60 000 F de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la carence de la société Total dans son devoir d'information, et une indemnité de 20 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Total France se prévaut tant des termes du contrat selon elle précis et sans équivoque que de l'absence de sincérité des bilans et des comptes d'exploitation qu'elle reproche à ses mandataires, pour écarter l'application de l'article 2 000 du Code civil.
Elle conteste également le droit des exploitants à une indemnité de fermeture et soutient qu'elle n'a commis aucune défaillance dans l'information donnée aux époux Gue en début de contrat. Elle conclut à la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions et à la condamnation des appelants à lui verser 20 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La compagnie Générale de Garantie conclut également à la confirmation du jugement critiqué sans réduction de la clause pénale et à la condamnation de la société Gue et des époux Gue à lui payer 4 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Subsidiairement, dans l'hypothèse où la Compagnie Total serait appelée à supporter des pertes d'exploitation imputables au mandat, la société de cautionnement demande que la Compagnie Total lui restitue la somme de 131 987,58 F qu'elle aurait indûment reçue, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 30 mai 1990.
MOTIFS DE LA COUR
Considérant que la société Total et la société à responsabilité limitée Gue ont signé le 2 février 1988 un contrat d'exploitation de station-service associant un mandat de vente des carburants à la location-gérance du fonds pour la vente des autres produits tels que les lubrifiants et le fioul domestique et pour la fourniture des services ;
Que la société Gue a poursuivi l'exploitation de la station jusqu'en novembre 1989, époque à laquelle elle a pris l'initiative de résilier le contrat à effet du 27 décembre suivant ;
Que l'arrêté de comptes accorde à la société Total qui l'a établi une créance de 167 496,24 F qui a été payée par la CGG en exécution de son engagement de caution, que ce solde a été légèrement réduit par l'expert et fixé à la somme de 152 604,68 F sur laquelle toutes les parties s'accordent ; que la société Total a offert en conséquence à la Compagnie financière la restitution du trop-perçu;
Considérant que la société Gue et les époux Gue au titre de la contre-caution consentie à la CGG doivent en conséquence 152 604,68 F; que pour réduire leur dette ils demandent à la société Total de les indemniser des pertes que la société Gue a subies dans l'exécution du mandat; qu'ils se déclarent créanciers à ce titre d'une somme de 117 096 F telle qu'elle a été calculée par l'expert Monsieur Segond et sollicite la compensation de cette créance avec le solde débiteur du compte de gestion; qu'ils prétendent pour ce faire bénéficier des dispositions de l'article 2 000 du Code civil à l'application desquelles ils n'auraient pas expressément renoncé ; que la Compagnie CGG se rallie mais à titre seulement subsidiaire à leur analyse;
Considérant que l'article 6 du titre 2 du contrat signé le 2 février 1988 stipule expressément que "la commission versée par Total sur les ventes d'hydrocarbures constitue forfaitairement la rémunération de la société et l'ensemble des frais exposés par elle (notamment encaissement, risque ducroire, frais administratifs etc ...) ainsi que les pertes d'exploitation"; que cet articles termine ainsi :
-"En conséquence, le versement de cette commission exclut la possibilité pour la société de demander une quelconque indemnité supplémentaire au titre de l'application des dispositions des articles 2000 et suivants du Code civil":
Que la renonciation sus-énoncée est sans équivoque et répond au formalisme exigé par la Cour de Cassation; que l'expert a par ailleurs vérifié que les époux Gue ont perçu les commissions convenues;
Considérant en outre qu'à supposer que les époux Gue, en raison de leur jeunesse et de leur absence complète d'expérience professionnelle, n'aient pas été suffisamment informés par la compagnie pétrolière de la portée de cette stipulation, il résulte des constatations mêmes de l'expert que la comptabilité de la société Gue n'était ni probante ni fiable et que les recettes et les dépenses relatives à l'activité d'achat et de revente de véhicules d'occasion que les époux Gue avaient largement développée, n'ont pas été entièrement comptabilisées au point que Monsieur Segond a été conduit à renoncer à chiffrer le temps passé par les exploitants à cette activité;
Que cette carence du mandataire peut être assimilée à l'imprudence de gestion dont l'article 2 000 tient compte pour exonérer le mandant de son devoir d'indemnisation; qu'elle suffit à elle seule pour débouter la société Gue et les époux Gue de leur demande;
Considérant que le reproche d'absence d'information concernant les conditions et la rentabilité de l'exploitation de la station-service n'est pas fondé; qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'impose une telle obligation au mandant à l'occasion de la signature d'un contrat d'exploitation de station-service que les époux Gue ne prétendent pas avoir été en situation économique de dépendance telle qu' ils auraient été empêchés de se rapprocher de leur prédécesseur pour connaître les avantages et les handicaps de la station qu'ils envisageaient de reprendre; qu'ils n'allèguent pas que son exploitation aurait été durablement déficitaire pendant plusieurs exercices et qu'ils auraient été victimes d'un dol ou d'un montage mensonger de la part de la société pétrolière;
Considérant que les appelants demandent encore que la société Total soit condamnée à leur payer une somme de 32 222 F au titre de l'indemnité de fermeture prévue par le protocole interprofessionnel du 6 mars 1986 signé par les organismes représentatifs de la profession, ; que l'article 2 des " Dispositions Propres aux Activités couvertes par le mandat du chapitre IV stipule en effet que la société (pétrolière) versera une indemnité de fermeture " en cas de fermeture définitive de la station service et à condition que l'exploitant n'ait pas repris l'exploitation d'une autre station-service de la société
Le montant de l'indemnité est fixé à 52 000 F après trois ans d'exploitation d'une station-service avec le même exploitant. Le décompte de l'indemnité se fera prorata temporis dans le cas d'une exploitation inférieure à trois ans"
Qu'une telle indemnisation n'est due cependant que lorsque la société pétrolière prend l'initiative de la rupture des relations contractuelles ou de la fermeture de la station; qu'en l'espèce c'est la société à responsabilité limitée Gue qui a procédé à la résiliation du contrat, qu'elle n'est donc pas fondée à revendiquer cette indemnisation;
Considérant qu'est également mal fondée la demande de réparation d'un préjudice né de la rupture du contrat ou de la mauvaise information des exploitants;
Qu'à l'exception de la distribution des carburants restés propriété de la société Total, la société Gue exerçait librement toutes les autres activités en qualité de locataire - gérant à ses risques, périls et profits exclusifs; qu'elle a pris l'initiative de la rupture et n'a qu'à s'en prendre à elle-même si l'exploitation ne lui a pas apporté les profits qu'elle en attendait ;
Considérant que les appelantes concluent enfin à la réduction symbolique de 1 F de la pénalité de 12 % du montant des sommes encaissés prévue par l'article 8 du contrat de cautionnement signé par la CGG et intégrée dans sa demande par la société Total; qu'ainsi leur dette de 152 604,68 F, diminuée de leur dépôt de garantie de 27 800 F, se limiterait à la somme de 124 804,68 F augmentée de 1 F; que cette demande de réduction, implicitement fondée sur l'article 1152 du Code civil, s'expliquerait selon les appelantes, par le caractère, erroné de l'arrêté de compte de la société Total et par le refus du mandant de prendre en charge le déficit d'exploitation;
Que la société Gue et les époux Gue succombent dans l'essentiel de leurs prétentions et ne peuvent pas soutenir légitimement que la réduction judiciaire de 14 891,56 F de la créance de la société Total suffit à légitimer une procédure engagée non pas à leur initiative mais à celle de la CGG ;
Que la pénalité contractuelle appliquée chiffrée à la somme de 14 976,48 F avait été intégrée dans la créance de la société Total; qu'elle avait pour but légitime de dissuader la société Gue de tout refus ou retard de paiement en fin de mandat et d'en indemniser la société Total; que la société pétrolière applique cependant des intérêts au taux légal augmenté de six points qui l'indemnisent déjà très largement du retard de paiement; que la pénalité de 12 % n'a donc qu'une fonction dissuasive ; qu'elle est manifestement excessive et ne saurait dépasser une somme de 5 000 F ;
Que la société Total a indûment perçu en conséquence la somme de 24 868,04 F qui doit être déduite de la dette des époux Gue au titre de leur engagement de caution à l'égard de la CGC;
Considérant que les circonstances économiques et l'équité permettent d'exclure toute indemnisation des sociétés Total et CGG par les époux Gue au titre des frais irrépétibles qu'ils ont exposés pour leur défense tant en première instance que devant la Cour;
Par ces motifs : LA COUR : Réformant le jugement du 2 février 1994 sur le montant des sommes dues par la société Compagnie Générale de Garantie à la société Total France et par la société Gue et les époux Gue à la société Compagnie Générale de Garantie, et statuant à nouveau sur l'ensemble des demandes, Déboute les appelantes de leurs demandes d'indemnisation au titre de l'article 2 000 du Code civil et au titre de la fermeture de la station-service ; Condamne la société Total France à restituer à la société Compagnie Générale de Garantie la somme de 24 868,04 F augmentée des intérêts au taux légal à compter du 8 septembre 1993, Condamne solidairement la société à responsabilité Gue et les époux Dominique et Martine Gue à payer à la société Compagnie Générale de Garantie la somme de 129 808,20 F augmentée des intérêts au taux légal majorés de six points à compter de la mise en demeure du 30 mai 1990 ; Déboute les compagnies Total et Compagnie Générale de Garantie de leurs demandes fondées sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la société Gue et les époux Gue aux dépens de première instance et d'appel, Admet les sociétés civiles processionnelles Fisselier Chiloux Boulay et Teytaud, avoués, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.