CA Paris, 4e ch. B, 12 mai 1995, n° 92-9866
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Ocean Pacific Sunwear Ltd (Sté), Mercure International Of Monaco (Sté)
Défendeur :
Eximin Europe (SA), Carrefour France (SNC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guerrini
Conseillers :
M. Ancel, Mme Regniez
Avoués :
SCP Lagourgue, SCP Bommart-Forster, SCP Barrier Monin
Avocats :
Mes Daniloff, Lecomte, Daniloff, Lenoir
La société Ocean Pacific Sunwear Ltd est propriétaire de la marque dénominative Ocean Pacific enregistrée en dernier lieu sous le n° 1 580 942 à l'INPI le 10 mars 1990 et des marques figuratives n° 1438434 du 3 décembre 1987 et n° 1580943 du 10 mars 1990 ; ces trois marques ont fait l'objet en France d'un contrat de licence exclusive à la société Mercure International 0f Monaco le 15 septembre 1989, contrat inscrit au registre national des marques le 17 mai 1991 ;
Ces marques ont également fait l'objet d'un contrat de licence exclusif sur le territoire d'Israël et des territoires occupés par ce pays à une société LSI; cette société a vendu en Israël un stock de 33 045 tee-shirts et de 16 727 shorts revêtus de ces trois marques à la société Duty Free Agencies qui a revendu tout ce stock à une société belge la société Eximin Europe ; cette dernière société a vendu en France tout le lot à la société Carrefour France ;
Soutenant que ces vêtements certes authentiques avaient été importés et vendus en France sans leur autorisation et après avoir fait pratiquer saisie contrefaçon le 13 juin 1991, Ocean et Mercure qui est intervenue aux côtés du titulaire des marques ont cité devant le Tribunal de grande instance d'Evry, Eximin et Carrefour pour obtenir paiement de dommages-intérêts et des mesures d'interdiction en raison des actes de contrefaçon et d'usage de marques sans autorisation; par jugement du 31 octobre 1991, elles ont été déboutées de leurs demandes et condamnées à payer à chacune des sociétés la somme de 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Ocean et Mercure ont interjeté appel de cette décision; elles font grief aux premiers juges de les avoir déboutées en se référant à tort à la théorie de l'épuisement des droits sur la marque; selon elles, en effet, les produits n'ont pas été mis en vente sur le marché français avec l'autorisation du titulaire et les produits ont été fabriqués dans un pays qui ne se trouve pas dans un des Etats de la CEE;
Elles sollicitent en conséquence l'infirmation de la décision en toutes ses dispositions et statuant de nouveau demandent de dire qu'en important sans l'autorisation de la titulaire des marques ci-dessus visées des produits reproduisant les dites marques, Carrefour France SNC et Eximin Europe se sont rendues coupables de contrefaçon de ces marques et que Carrefour France, en commercialisant les dits produits en France s'est rendue coupable d'usage de marques sans l'autorisation de l'intéressé et de détention, mise en vente et vente d'objets sous des marques contrefaisantes; elles sollicitent des mesures d'interdiction sous astreinte, de destruction et de publication et paiement à titre de dommages-intérêts provisionnels à compléter après expertise de la somme de 1 000 000 F à chacune d'elles et celle de 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi que le remboursement des frais de saisie contrefaçon engagés ;
Eximin sollicite la confirmation du jugement et formant appel incident demande l'allocation de la somme de 500 000 F à titre de dommages intérêts et de celle de 70 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Carrefour conclut également à la confirmation du jugement; à titre subsidiaire, elle demande à être garantie par Examin de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre et sollicite paiement de la somme de 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Dans des écritures du 12 janvier 1995, Eximin conclut à l'irrecevabilité de l'appel, Ocean Pacific n'étant plus titulaire des marques invoquées ;
Ocean Pacific conclut au rejet de cette exception d'irrecevabilité, la cession invoquée ayant eu lieu le 31 octobre 1993, soit postérieurement à la déclaration d'appel du 9 avril 1992 ;
Sur ce, LA COUR qui pour plus ample exposé se réfère à la décision critiquée et aux écritures d'appel des parties
- sur l'irrecevabilité de l'appel
Considérant que ce moyen sera rejeté dès lors qu'il est justifié par Ocean de ce que la déclaration d'appel a été enregistrée alors qu'elle était encore titulaire des marques; qu'en effet la cession à une société du groupe, la société Ocean Pacific Apparel n'est intervenue que le 31 octobre 1993;
- sur le fond
Considérant qu'il n'est pas discuté que les vêtements litigieux sont des vêtements authentiques sur lesquels les trois marques invoquées ont été apposées avec l'accord du titulaire des marques pour une exploitation sur le territoire d'Israël et les territoires occupés selon licence exclusive d'exploitation de ces marques à une société israélienne;
Considérant qu'il est fait grief aux premiers juges d'avoir estimé que l'autorisation ainsi donnée vaut épuisement des droits du titulaire sur sa marque qui ne peut plus s'opposer à la commercialisation de produits authentiques quelque soit le pays concerné ;
Considérant que ce motif retenu par les premiers juges ne saurait prospérer dès lors que le droit attaché au dépôt d'une marque est un droit de propriété exclusif sur le territoire du dépôt qui ne reçoit de limite que dans le cadre de la CEE dans lequel il est reconnu que la fabrication ou la commercialisation d'un produit revêtu de la marque autorisée par le titulaire de la marque dans un Etat de la CEE permet la libre circulation de ce produit dans un autre Etat de la communauté sous réserve de ce qu'il n'y ait pas eu cession dans l'Etat d'exportation de la marque à un tiers non lié économiquement au titulaire de la marque dans l'Etat d'importation; qu'en l'espèce, l'autorisation donnée par Ocean Pacific l'a été pour Israël, pays hors de la communauté européenne; qu'il s'ensuit que la théorie de l'épuisement du droit ne peut en l'espèce être invoqué; que d'ailleurs les intimées ne se prévalent nullement de ce moyen;
Considérant que les intimées soutiennent, reprenant en celà le second motif des premiers juges, que dès lors que l'apposition de la marque a été effectuée avec l'accord du titulaire de la marque, le produit qui en est revêtu peut être librement commercialisé sous réserve de la protection particulière accordée aux Réseaux de distribution sélective licite; qu'en l'espèce, il n'est nullement démontré l'existence d'un réseau de distribution sélective; qu'il ne peut donc leur être reproché d'avoir importé des produits authentiques en France;
Considérant toutefois qu'il est constant que lorsque la commercialisation d'un produit a eu lieu dans un pays étranger à la CEE, ce qui est le cas en l'espèce puisque l'importation en France trouve son origine en Israël par l'intermédiaire de la Belgique, l'usage de la marque sans autorisation est interdit et le droit de suite et de contrôle du fabricant titulaire des marques sur le territoire français peut s'exercer jusqu'à l'acquéreur final; qu'il importe peu de savoir s'il existe ou non un réseau de distribution sélective, le titulaire étant libre de son choix de distribution de ses produits sur le territoire du dépôt de sa marque; qu'il s'ensuit qu'Eximin qui ne justifie pas avoir importé en Belgique les lots litigieux avec l'autorisation du titulaire des marques ne peut invoquer une introduction licite en France; que la décision sera donc infirmée et Ocean Pacific déclarée bien fondée dans son action en contrefaçon à l'encontre des deux intimées par usage sans autorisation des marques tant lors de l'importation sur le territoire français des produits litigieux que par la diffusion par Carrefour de ces produits revêtus des marques litigieuses sur ce territoire;
Considérant que Mercure n'est que licenciée exclusive des marques susvisées; qu'elle n'est donc pas fondée à agir en contrefaçon par usage des marques qui selon les dispositions de l'article 27 de la loi du 31 décembre 1964 révisée alors applicable n'est ouverte qu'au titulaire de la marque; que dans la mesure où elle ne forme aucune demande sur le fondement de la concurrence déloyale, elle sera déboutée de ses demandes;
Considérant qu'en conséquence, seul doit être réparé le préjudice causé au titulaire des marques; qu'en l'état des pièces versées aux débats, Ocean Pacific ne justifie pas d'une exploitation de sa marque en France antérieurement à la licence donnée à Mercure; qu'en outre le contrat de licence mis aux débats ne permet pas de déterminer si des redevances devaient être versées par sa licenciée; qu'il s'ensuit que ne peut être réparé que le préjudice résultant de l'atteinte portée aux marques; que la cour a des éléments d'appréciation suffisants, compte tenu de l'importance du lot de vêtements commercialisés en France au mépris des droits du titulaire de la marque et sans qu'il soit nécessaire de recourir à une mesure d'instruction, pour condamner in solidum les intimées au paiement de la somme de 200 000 F à titre de dommages-intérêts ;
Considérant qu'il sera fait droit aux mesures d'interdiction, de destruction et de publication dans les termes du dispositif ci-dessous énoncé ;
Considérant que les demandes des intimées qui succombent seront rejetées;
Considérant qu'en équité,il convient d'allouer la somme de 10 000 F à Ocean;
- sur l'appel en garantie
Considérant que Carrefour ne peut se garantir, à défaut de clauses contractuelles le précisant, de ses fautes personnelles; que sa demande sera en conséquence rejetée;
Par ces motifs : La COUR : Déclare recevable l'appel formé par la société Ocean Pacific Ltd Réforme la décision critiquée en toutes ses dispositions, Statuant de nouveau, Dit bien fondée la société Ocean Pacific Sunwear LTD en ses demandes en contrefaçon par usage sans autorisation des marques n° 1 580 942, 1 438 434 et 1580943 ; Rejette les demandes formées sur ce fondement par la société Mercure International Of Monaco ; Condamne in solidum les sociétés Eximin Europe et la société Carrefour à payer à la société Ocean Pacific la somme de 200 000 F à titre de dommages intérêts ; Interdit aux intimées de poursuivre l'usage incriminé sous quelque forme que ce soit des marques susvisées seules ou en combinaison, ainsi que de tout signe pouvant prêter à confusion avec ces marques, ce sous astreinte de 300 F par usage constaté passé le délai d'un mois à compter de la signification du présent arrêt ; Ordonne la destruction, sous le contrôle d'un huissier choisi par Ocean Pacific Sunwear des stocks de produits et d'emballages ou de manière plus générale de tous documents reproduisant les marques détenus par Carrefour, et ce aux frais de cette société ; Autorise Ocean Pacific à faire publier le dispositif du présent arrêt dans trois journaux ou périodiques au choix de l'appelante et aux frais in solidum des intimées dans la limite globale de 30 000 F ; Condamne in solidum les intimées au paiement de la somme de 10 000 F à la société Ocean Pacific Sunwear au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Rejette toutes autres demandes ; Les condamne in solidum aux entiers dépens de première instance et d'appel qui comprendront les frais de saisie contrefaçon ; Autorise la SCP Bomart-Forster, avoué, à recouvrer les dépens d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.