CA Versailles, 12e ch. sect. 1, 20 avril 2000, n° 97-05729
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Dominique Fornage
Défendeur :
BMW France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Jean-Louis Gallet
Conseillers :
MM. Alain Raffejeaud, Jacques Dragne
Avoués :
SCP Bommart Minault, SCP Keime Guttin
Avocats :
Mes Gautier, Hutin.
La société Dominique Fornage, que dirigeait Monsieur Fornage. a été le concessionnaire BMW à Laon (Aisne) du 13 décembre 1985 au 13 juillet 1987, date à laquelle la société BMW France a résilié le contrat.
La société Dominique Fornage, qui avait pris le 8 décembre 1987 la concession des marques Lancia et Autobianchi, a été mise en liquidation judiciaire le 13 septembre 1988.
Une procédure initiée le 21 août 1987 par la société Dominique Fornage à l'encontre de la société BMW France pour rupture abusive du contrat a abouti à un arrêt de la Cour d'appel de Paris rendu le 17 novembre 1993 sur renvoi après cassation, aux termes duquel la société BMW France a été condamnée à payer au liquidateur de la société Dominique Fornage la somme de 850 000 F à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de concession, outre 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Arguant d'un préjudice qu'il aurait personnellement subi du fait de cette résiliation abusive, Monsieur Fornage a assigné la société BMW France le 16 janvier 1996 devant le tribunal de commerce de Versailles, lequel, par jugement en date du 28 mai 1997, l'a débouté de sa demande et condamné à payer à la société BMW France la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code procédure civile, déboutant par ailleurs celle-ci de sa demande en dommages et intérêts.
Pour statuer ainsi, les premiers juges ont considéré que les salaires impayés de Monsieur Fornage et les sommes qu'il avait payées en sa qualité de caution solidaire de la société Dominique Fornage constituaient des dettes de cette société qui avaient été indemnisées par l'arrêt précité de la Cour d'appel de Paris que les honoraires d'avocat que Monsieur Fornage avait personnellement payés avaient également été indemnisés par l'arrêt de la Cour d'appel de Paris au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, que les actions de Monsieur Fornage dans la société n'avaient plus de valeur dès lors que trois mois avant la résiliation du contrat les capitaux propres n'étaient plus que de 54 470 F et que la liquidation judiciaire avait été prononcée, que le triomphe de Monsieur Fornage dans le litige opposant sa société à la société BMW France réparait son préjudice moral et qu'enfin, sa demande de publication de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris était tardive.
Monsieur Fornage a régulièrement interjeté appel de ce jugement le 9 juillet 1997.
Il a soutenu que la liquidation judiciaire de la société Dominique Fornage était la conséquence directe et immédiate de la rupture abusive du contrat.
Il a fait grief aux premiers juges d'avoir confondu son préjudice personnel avec celui de la société liquidée.
Il a sollicité le paiement d'une somme de 1 160 923 F se décomposant comme suit:
- perte de remuneration: 239 200 F
- remboursement des cautions: 402 731 F
- perte de valeur des actions: 418 992 F
- préjudice moral: 100 000 F
Il a demandé, en outre, les intérêts légaux à compter de la demande, la condamnation de la société BMW France à assumer la charge de la publication dans deux revues professionnelles de son choix à lui d'un extrait de l'arrêt du 17 novembre 1993 n'excédant pas trente lignes, et enfin une somme de 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société BMW France a insisté sur l'absence de tout lien de causalité exclusif entre la rupture du contrat de concession et la mise en liquidation judiciaire de la société Dominique Fornage, sur l'absence de tout lien de causalité entre cette rupture et les chefs de préjudice invoqués par Monsieur Fornage et, à tout le moins, sur le caractère mal fondé de ces chefs de préjudice.
Elle a conclu à la confirmation du jugement entrepris, sauf en ce qu'il l'avait déboutée de sa demande en dommages et intérêts.
Elle a sollicité de ce chef une somme de 100 000 F pour procédure abusive, outre 100 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sur ce, lA COUR:
Considérant que la société Dominique Fornage, créée en 1985, n'a jamais généré autre chose que des pertes jusqu'à sa liquidation judiciaire trois ans plus tard;
Que les résultats des deux premiers exercices, juillet 85 - mars 86 et avril 86 - mars 87, font ressortir des pertes nettes respectivement de 109 399 F et de 86 130 F;
Que les résultats du troisième exercice, avril 87-mars 88, font apparaître une perte nette de 1 028 252 F;
Que le contre-coup de la résiliation abusive du contrat intervenue en juillet 1987, suivie d'une période de cinq mois pendant laquelle la société Dominique Fornage n'a pas pu vendre de véhicules neufs, ressort très clairement de ce chiffre qui marque une très nette détérioration de la situation de la société;
Que la prise d'une concession des marques Lancia et Autobianchi en décembre 1987 n'a pas permis de redresser une situation déjà gravement obérée, au point que dix mois plus tard la société a déposé son bilan avec un passif supérieur à cinq millions de francs;
Considérant, d'autre part, que les capitaux propres de la société Dominique Fornage n'étaient plus que de 54 470 F au 31 mars 1987, soit trois mois avant la résiliation du contrat, et que la société Dominique Fornage a elle-même reconnu qu'elle avait des difficultés dès la fin de l'année 1986 pour maintenir l'équilibre de son exploitation;
Considérant qu'il apparaît ainsi de ces quelques éléments que la résiliation du contrat de concession n'a certainement pas été la seule cause, ni même la cause principale de la déconfiture de la société Dominique Fornage, mais qu'elle y a néanmoins contribué en portant un coup très rude à une société déjà fragile;
Considérant qu'en conséquence, le préjudice qui en est résulté doit s'envisager sous l'angle d'une perte de chance de survie que la rupture abusive du contrat a fait subir à la société Dominique Fornage et, par ricochet, à son dirigeant, Monsieur Fornage;
Que toutefois, compte tenu de ce qui vient d'être dit, cette chance dc survie de l'entreprise apparaissait extrêmement faible et sera estimée à une sur dix;
Considérant que Monsieur Fornage a subi du fait de la liquidation judiciaire de sa société un préjudice distinct qui, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, ne s'est pas trouvé indemnisé par les sommes allouées à la société Dominique Fornage par la Cour d'appel de Paris;
Considérant que ce préjudice est constitué par une perte de rémunération, soit 207 000 F jusqu'à la date prévue de fin de concession, le remboursement des cautions, soit 402 731 F, et la perte des actions de la société que la cour, eu égard à la situation de la société avant même la rupture de la concession, évalue à 200 000 F;
Que les premiers juges ont en revanche rejeté à juste titre l'indemnisation d'un préjudice moral;
Considérant qu'en définitive, le préjudice de Monsieur Fornage s'établit à: 207 000 F + 402 731 F + 200 000 F = 809 731 F, dont 10% à la charge de la société BMW France, soit 80 973,10 F;
Considérant que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du jour du présent arrêt, conformément aux dispositions de l'article 1153-l du Code civil;
Considérant qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de publication de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 17 novembre 1993;
Considérant que l'équité commande d'allouer à Monsieur Fornage une somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Par ces motifs: LA COUR: Infirme le jugement entrepris, Statuant à nouveau, Condamne la société BMW France à payer à Monsieur Dominique Fornage une somme de 80 973,10 F (quatre vingt mille neuf cent soixante treize francs dix centimes) à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter de ce jour. Y ajoutant, Condamne la société BMW France à payer à Monsieur Fornage une somme de 10 000 F (dix mille francs) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. La condamne aux dépens de première instance et d'appel, et accorde pour ceux d'appel à la SCP Bommart Minault le bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile. Rejette toutes autres demandes comme étant non fondées ou sans objet.