CA Lyon, 1re ch., 16 novembre 2000, n° 1998-0237
LYON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Eon
Défendeur :
Beurrot
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Présidents :
MM. Chauvire, Loriferne
Conseiller :
M. Roux
Avoués :
SCP Junillon-Wicky, Me Barriquand
Avocats :
Mes Kelkel, Robert
EXPOSÉ DU LITIGE
Par acte sous seing privé en date du 15 juillet 1987, Madame Claudette Beurrot qui, employée en qualité de voyageur, représentant, placier (VRP) par la société anonyme Sarfati et Cie, était sur le point de quitter l'entreprise pour prendre sa retraite, a cédé son secteur à Monsieur Joël Eon pour la somme de 180 000 F.
Monsieur Eon a ensuite été engagé par la société Sarfati en qualité de représentant exclusif suivant contrat de travail du 24 août 1987.
Il a été licencié pour motif économique le 12 janvier 1996 et a perçu une indemnité de clientèle de 30 000 F.
Contestant la validité de la convention du 15 juillet 1987, il a, suivant acte d'huissier du 11 avril 1996, fait assigner Madame Beurrot devant le Tribunal de grande instance de Roanne qui, par jugement du 18 mars 1998, l'a débouté de ses demandes en annulation de la convention du 15 juillet 1987, en restitution du prix de cession de la clientèle ainsi qu'en paiement de dommages-intérêts et d'une indemnité au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et l'a condamné à payer à Madame Beurrot la somme de 3 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Ayant interjeté appel de cette sentence, Monsieur Eon l'ait valoir au soutien de son recours qu'est nulle d'une nullité absolue pour défaut d'objet et de cause la convention par laquelle Madame Beurrot s'est engagée, non pas à le présenter aux clients du secteur confié, mais à lui céder une clientèle sur laquelle elle n' avait aucun droit propre puisque appartenant à l'employeur, en sorte qu'il est fondé à réclamer la restitution du prix de cession, ainsi que de justes dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant du comportement malicieux de Madame Beurrot qui, d'une part, pouvait d'autant moins ignorer que la clientèle était la propriété de la société Sarfati que celle-ci a pour habitude de préciser dans les contrats de travail de VRP que la clientèle lui appartient et qui, d'autre pari, a menti sur la valeur réelle dela clientèle cédée.
Il demande en conséquence que le jugement déféré soit réformé, que soit prononcée la nullité de la convention du 15 juillet 1987 et que Madame Beurrot soit condamnée à lui payer la somme de 180 000 F représentant le prix decession de la clientèle, outre intérêts au taux légal à compter du 10janvier 1996, date à laquelle elle a été mise en demeure de la restituer, ainsi que la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts.
Il sollicite en outre la condamnation de Madame Beurrot à lui payer la somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Madame Beurrot réplique que si la clientèle avec laquelle travaille un VRP ne peut être cédée par l'intéressé, le droit de présenter son successeur à la clientèle constitue un droit patrimonial qui peut faire l'objet d'une convention ; que, précisément la convention qu'elle a passée avec Monsieur Eon portait sur un droit de présentation ; qu'elle a d'ailleurs exécuté l'obligation qu'elle avait contractée puisque non seulement elle a remis à Monsieur Eon tous les dossiers concernant les clients du secteur, mais encore qu'elle l'a accompagné chez les clients auxquels elle l'a présenté ; qu'ainsi, c'est à tort que Monsieur Eon affirme que la convention du 15 juillet 1987 est dépourvue de cause.
Elle estime, dans ces conditions, que Monsieur Eon est mal fondé à demander la restitution du prix de cession du droit de présentation, ainsi que des dommages-intérêts, alors de surcroît, s'agissant de ces derniers, qu'il ne justifie d'aucun préjudice.
Elle conclut en conséquence à la confirmation du jugement.
Elle sollicite par ailleurs la condamnation de Monsieur Eon à lui payer la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et celle de 12 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Attendu, aux termes de l'article 1131 du Code civil, que l'obligation sans cause ne peut avoir aucun effet;
Que, dans les contrats synallagmatiques, l'obligation de chaque contractant trouve sa cause dans l'obligation de l'autre contractant ; que la cause fait défaut quand l'engagement de l'une des parties est impossible à réaliser;
Attendu, en l'espèce, que, suivant convention du 15 juillet 1987, Madame Beurrot a cédé à Monsieur Eon moyennant le paiement de la somme de 180 000 F la clientèle du secteur, composé de neuf départements, que l'employeur lui avait attribué, et non pas, comme elle le soutient en dénaturant les termes du contrat, un droit de présentation à la clientèle ;
Or attendu que Madame Beurrot, qui ne prétend pas et encore moins justifie avoir en fait réalisé des opérations commerciales pour son propre compte, lesquelles auraient été exclusives du statut de VRP dont elle admet avoir bénéficié, n'avait, en sa qualité de représentant, aucun droit sur la clientèle dont la société Sarfati, qui en était le propriétaire, lui avait confié l'exploitation; que, par suite, il lui était impossible d'exécuter l'engagement de céder cette clientèle qu'elle avait contractée;
Attendu qu'il convient d'observer qu'il en serait allé de même si, comme soutenu par Madame Beurrot, la convention avait porté sur la cession du droit de présentation à la clientèle dès lors que, la clientèle appartenant à un tiers, elle était dépourvue de tout droit sur celle-ci et en particulier du droit de présentation revendiqué;
Attendu, ainsi, que la convention est nulle d'une nullité absolue pour défaut de cause de l'obligation do payer souscrite par Monsieur Eon;
Attendu que Madame Beurrot doit donc être condamnée à restituer à Monsieur Eon la somme de 180 000 F correspondant au prix de cession de la clientèle ainsi qu'à lui payer les intérêts au taux légalde cette à compter de la date de l'assignation, à défaut de justification d'un acte valant mise en demeure antérieur ;
Attendu qu'il n'est pas établi que Monsieur Eon a, du fait de Madame Beurrot, subi un préjudice dès lors que le prix indûment payé doit lui être restitué, qu'il a perçu de la société Sarfati une indemnité de clientèle pour la part lui revenant personnellement dans l'importance en nombre et en valeur de la clientèle développée par lui dont le montant a été déterminé en fonction de la valeur réelle de la clientèle lors de son embauche et de son départ et non de l'évaluation, selon l'appelant excessive, qu'en avait faite Madame Beurrot lors de la cession litigieuse, et que n'est caractérisé aucun préjudice moral ; qu'il convient ici de le débouter de sa demande en dommages-intérêts;
Attendu que Madame Beurrot doit également être déboutée de sa demande en dommages-intérêts pour procédure abusive dès lors que Monsieur Eon triomphe au moins partiellement en ses demandes
Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de Monsieur Eon l'intégralité des frais non compris dans les dépens par lui exposés pour les besoins du procès qu'il y a lieu de condamner Madame Beurrot à lui payer à ce titre la somme de 8 000 F.
Par ces motifs, La COUR, statuant contradictoirement, Confirme le jugement rendu le 18 mars 1998, entre les parties, par le Tribunal de grande instance de Roanne en ce qu'il a débouté Monsieur Eon de sa demande de dommages-intérêts, Le réformant, Prononce la nullité de la convention conclue le 15 juillet 1987 par Madame Beurrot et Monsieur Eon, Condamne Madame Beurrot à restituer à Monsieur Eon la somme de 180 000 F et à lui payer les intérêts au taux légal de cette somme à compter du 11 avril 1996, Déboute Madame Beurrot de sa demande eu dommages-intérêts pour procédure abusive, Condamne Madame Beurrot à payer à Monsieur Eon la somme de 8 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Déboute Madame Beurrot de sa demande fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne Madame Beurrot aux dépens de première instance et d'appel, Dit que la société civile professionnelle Junillon-Wicky, avoué, pourra recouvrer directement contre elle ceux des dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.