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Décisions

CA Versailles, 15e ch. soc., 3 octobre 2000, n° 97-22384

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Laulergue

Défendeur :

Soudure et Applications Electriques (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Barthe (faisant fonction)

Conseillers :

Mmes Dalloz, Perrin

Avocats :

Me Valot-Forest, Sarramon

Cons. prud'h. Boulogne-Billancourt, du 2…

22 janvier 1997

Monsieur Robert Laulergue est appelant d'un jugement du 22 janvier 1997 du Conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt, qui a condamné la société Soudure et Applications Electriques - SEAE - à lui payer la somme de 427 096 F à titre de rappel de commissions mais qui l'a débouté de ses autres demandes.

Monsieur Laulergue expose qu'il était entré au service de la société SEAE le 24 juillet 1971, en qualité de VRP Multicartes, chargé de vendre du matériel d'éclairage et travaillait presque uniquement pour cette entreprise dans un secteur comprenant plusieurs arrondissements de Paris et communes de banlieue,

Qu'en 1993 il avait obtenu de GTME, département électrique des Grands Travaux de Marseille et de son co-traitant Amica une commande de 13 814 914 F destinée à la construction de la Bibliothèque de France,

Que les travaux ayant été exécutés et réglés la SEAE ne lui avait payé ses commissions qu'au taux de 1 % au lieu des 6 % contractuellement prévus,

Que dans ces conditions, par courrier de 12 mai 1995, il avait pris acte de la rupture de son contrat de travail, aux torts exclusifs de son employeur pour réduction unilatérale de son taux de commissions.

Il soutient que, contrairement à ce que soutient l'employeur l'alinéa 5 de l'article 5 de son contrat qui prévoit, dans certains cas, un taux de commissionnement différent n'était pas applicable en l'espèce et que la juridiction prud'homale ne pouvait de ce fait fixer arbitrairement un taux de 4 %,

Qu'en effet les luminaires fournis par la SEAE n'étaient pas des articles standard et qu'il n'existait donc pas de tarif normal sur ces produits.

Il observe qu'en tout état de cause, si cette clause avait dû s'appliquer le taux de commissionnement aurait dû être déterminé d'un commun accord entre les parties, ce qui n'avait pas été le cas, la SEAE ayant appliqué autoritairement un taux de 10,6 qu'il ne pouvait accepter.

Il demande en outre payement de différentes commissions qui n'ont pas été réglées sur différentes commandes, ainsi que les commissions de retour d'un échantillonnage, une expertise étant ordonnée afin de déterminer le montant des sommes qui lui sont dues à ce titre.

Faisant valoir que lors de son embauche, la clientèle était inexistante et qu'actuellement elle est à l'origine d'une chiffre d'affaire important, il demande payement d'une indemnité de clientèle.

Il soutient enfin que la rupture du contrat de travail était abusive et lui ouvre droit à dommages-intérêts, et, en définitive, il demande payement des sommes suivantes :

- 757 290 F à titre de commissions pour la Bibliothèque Nationale,

- 75 729 F à titre de congés payés sur cette commission,

- 6 035,16 F au titre des autres commissions,

- 18 000 F au titre de la commission pour la société Phibor,

- 1 800 F au titre des congés payés sur cette commission,

- 1 000 000 F à titre d'indemnité de clientèle,

- 500 000 F à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive,

- 200 000 F à titre de commission sur échantillonnages.

Il sollicite en outre l'allocation de la somme de 25 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

La société SEAE déclare que le contrat de travail s'était exécuté depuis l'année 1971, sans aucunes difficultés et elle observe qu'il avait été admis en cours de contrat, que pour les ventes normales, le taux de commissions de 10 % concernant les ventes "électriciens" avait été ramené de 10 à 6 96, et que la pratique d'un taux de 2 % avait été courante et constante ainsi qu'elle le démontre.

Elle soutient que le marché de la Grande Bibliothèque présentait un caractère exceptionnel et donc hors normes, du fait de son montant et de l'importance des charges imposées, marché qui avait d'ailleurs été d'abord négocié avec la SDE, sa filiale, au taux de 5 %, ce qui justifiait don un taux de commission réduit, et elle fait état d'une proposition de 1 % qu'elle aurait adressée le 24 mai 1993 à Monsieur Laulergue et à laquelle il n'avait pas répondu négativement,

Que par la suite, un accord semblait s'être dessiné à la suite d'un entretien qui avait eu lieu le 8 février 1995, mais qu'après échange de correspondances, Monsieur Laulergue avait crû devoir saisir la juridiction prud'homale et elle reproche au salarié qui avait fait valoir ses droits à la retraite d'avoir voulu réaliser une opération spéculative et qu'en décidant de se faire justice à lui-même alors qu'une difficulté l'opposait à son employeur, il est seul responsable de la rupture du contrat de travail.

Elle soutient que le taux de 1 % qu'elle a offert à Monsieur Laulergue est satisfactoire du fait que l'affaire que était exceptionnelle n'avait pu être réalisée qu'avec l'intervention de la Direction Générale de la société, en dehors du secteur contractuel dévolu à Monsieur Laulergue et négociée sous le couvert de la filiale SDE étrangère à la relation contractuelle de travail.

Subsidiairement, elle rappelle qu'elle avait offert à Monsieur Laulergue un taux de 3 %.

Elle conclut au rejet des demandes de commissions non réglées qui correspondaient à des défaillances des clients concernés ainsi qu'à celle tendant au payement de commissions de retours sur échantillonnages, faute de preuve que Monsieur Laulergue serait en droit d'y prétendre et, s'agissant de sa demande d'indemnité de clientèle, elle observe qu'étant multicartes et ayant été dégagé de la clause de non concurrence qui le liait à elle, rien ne lui interdisait de continuer à l'exploiter pour le compte de tout autre employeur.

Elle demande à la Cour, en conséquence, à titre principal, de débouter Monsieur Laulergue de ses demandes, et, réformant le jugement, de déclarer satisfacteur le taux de commissions qui lui avait été alloué pour le marché de la Grande Bibliothèque.

Subsidiairement, faisant appel incident, de limiter le taux de commission de 3 %.

Elle demande d'autre part que la rupture du contrat de travail soit déclarée imputable à Monsieur Laulergue qui doit être débouté de toutes ses demandes et condamné à lui payer la somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

Considérant que Monsieur Laulergue a été employé par la société SEAE, en qualité de représentant multicartes, en vertu d'un contrat de travail du 6 juillet 1991 qui définissait les règles de cette collaboration;

Qu'au cours de l'année 1993 les travaux et démarches effectués par Monsieur Laulergue ont permis la signature d'un contrat avec la société GTME pour la fourniture de matériel d'éclairage destiné à la Grande Bibliothèque, le montant du marché étant de 1 3 814 914 F HT;

Considérant que par lettre du 24 décembre 1994 Monsieur Laulergue indiquait à son employeur que, s'étant enquis des raisons pour lesquelles il n'avait encore reçu aucune commission au titre de cette opération alors que partie des travaux avait été exécutée et réglée, il avait reçu un relevé faisant apparaître la comptabilisation d'un montant de travaux de 4 637 840 F assortis d'un taux de commission de 1 %, sans rapport avec sa commission contractuelle et sans aucun accord de sa part sur ce pourcentage ;

Qu'il déclarait qu'il ne pouvait accepter ce pourcentage en contradiction flagrante avec les termes du contrat de 6 juillet 1971 ;

Considérant qu'après échange de différentes correspondances la société SEAE proposait, par courrier du 6 avril 1995, un taux de 3 % mentionnant que ce taux avait été demandé par Monsieur Laulergue lui-même par courrier non produit ;

Que, par lettre du 26 avril suivant, Monsieur Laulergue, sans évoquer la correspondance précédente ni l'offre qu'elle contenait, mettait la société SEAE en demeure de lui régler, sous quinze jours, sa rémunération au taux contractuel de 6 % ;

Que la société SEAE ayant par lettre du 11 mai 1995, présentée le 12 mai et distribuée le 15 mai, en réponse à cette correspondance, renouvelé son offre de lui verser 3 %, Monsieur Laulergue, sans attendre la réponse à son courrier comminatoire, lui adressait le 12 mai 1995 une nouvelle lettre par laquelle il l'informait qu'en raison de son silence il en déduisait qu'elle n'entendait pas donner une suite favorable à sa demande, et qu'il la maintenait au taux contractuel, ajoutant qu'il était contraint de constater "ce jour " la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur et précisant que, sauf avis contraire, il poursuivrait son travail pendant la période de préavis ;

Considérant que le contrat de travail du 6 juillet 1971 prévoyait en son article 5 que dans le cas de vente à des grossistes le taux de commission serait de 4 ou de 6 % suivant la nature des produits ;

Que dans le cas de vente à un électricien le taux serait de 10 % sur les conditions normales électricité, taux dont il n'est pas contesté qu'il avait été réduit à 6 % ;

Que ce texte précisait que, dans le cas où des conditions différentes au tarif normal seraient faites, un taux de commissions spécial serait étudié ;

Que dans le cas présent, les prix avaient été fixés d'un commun accord entre entrepreneurs, maîtres-d'œuvre et maître d'ouvrage et que cette situation appelait donc l'application de ces dernière dispositions ;

Que la société SEAE et Monsieur Laulergue auraient donc dû convenir d'un taux de rémunération propre à cette opération étant observé que rien n'établit que Monsieur Laulergue aurait effectivement eu connaissance de la note du 24 mai 1993 que l'employeur prétend lui avoir adressée;

Considérant que la société SEAE produit un relevé des opérations effectuées précédemment par Monsieur Laulergue dont il ne conteste pas les éléments, qui fait apparaître que le taux de 2 % qui n'était pas prévu par le contrat était régulièrement appliqué, celui de 1 % n'ayant été retenu que pour le seul chantier de la Grande Bibliothèque;

Que Monsieur Laulergue qui admet avoir eu connaissance des offres de payement des commissions au taux de 3 % présentées par la société SEAE les 12 avril et 11 mai 1995 n'a jamais discuté ces propositions, se bornant à se référer aux tarif du contrat de travail qui ne peuvent être appliqués au marché de la Grande Bibliothèque ;

Que tenant compte de l'importance particulière de cette commande mais aussi des contraintes financières qu'impose aux entreprise leur collaboration à l'exécution d'ouvrages publics le taux de 3 % finalement admis par la société SEAE, dont Monsieur Laulergue n'a jamais exposé pour quelles raisons il serait inacceptable ni n'a fourni d'éléments de comparaison avec d'autres opérations importantes faisant l'objet de marchés publics, sera admis ;

Que, dans ces conditions, la commission de Monsieur Laulergue au titre du marché litigieux sera fixée à la somme de 414 447 F, sous déduction de la somme de 125 604 F déjà versée, de sorte que la somme de 288843 F lui reste due avec en outre celle de 28 884 F au titre des congés payés correspondants ;

Considérant que Monsieur Laulergue est en droit d'obtenir payement de la somme de 6 035,16 F montant de commissions afférentes à des commandes obtenues auprès de la Bibliothèque Nationale, ladite somme avec intérêts légaux à compter du 9 janvier 1997, date de la demande devant la première juridiction ;

Considérant qu'en application de l'article 6 du contrat qui dispose qu'aucune commission n'est due sur les demandes non livrées ou non encaissées, Monsieur Laulergue ne peut prétendre au payement de commissions relatives à la facture Phibor, les garanties contractées par la société SEAE lui étant étrangères ;

Considérant que Monsieur Laulergue a déclaré à son employeur, dans sa lettre du 12 mai 1995, qu'il constatait à ce jour la rupture du contrat de travail aux torts exclusifs de la société SEAE du fait que celle-ci aurait apporté au contrat de travail une modification substantielle en n'appliquant pas au marché de la Grande Bibliothèque le taux de commissionnement contractuel;

Considérant qu'il résultait des clauses du contrat que du fait des caractéristiques particulières du marché Grande Bibliothèque le taux de commissionnement n'était pas déterminé mais devait être fixé d'un commun accord entre les parties

Qu'alors que le délai de quinze jours qu'il avait imparti à SOfl employeur pour exécuter ses obligations au taux de 6 % n'était pas écoulé Monsieur Laulergue a pris l'initiative de la rupture du contrat de travail ;

Que si le salarié avait déjà évoqué l'opportunité de saisir la juridiction compétente la société SEAE ne refusait pas cette solution tout en précisant que celle-ci ne remettait nullement en cause la poursuite normale des relations contractuelles ;

Que la société SEAE ayant pris note par lettre du 18 mai 1995 qui s'analyse en une lettre de licenciement, de sa décision et lui ayant précisé qu'elle ne refuserait pas de le réemployer, on doit constater que la rupture du contrat de travail est imputable à l'attitude fautive de Monsieur Laulergue, qui exigeait l'application d'un taux de commission, qui n'avait pas été fixé d'un commun accord qui a refusé de répondre à la proposition de son employeur et qui par sa décision précipitée a empêché toute possibilité d'arbitrage par le tribunal compétent ainsi que la société SEAE le suggérait;

Qu'il ne peut donc prétendre à dommages intérêts du fait de la rupture du contrat de travail ;

Considérant que la dite rupture n'ayant pas eu lieu du fait de l'employeur Monsieur Laulergue ne peut, en application des dispositions de l'article L. 751-9 du code du travail, et de l'article 11 du contrat de travail, prétendre au payement d'une indemnité de clientèle;

Considérant que Monsieur Laulergue est en droit, conformément aux dispositions de l'article 13 du contrat et de l'article L. 751-8, d'obtenir payement des commissions relatives aux commandes et marchés passés avant la date de son départ de l'établissement;

Qu'une mesure d'instruction doit être ordonnée pour la détermination des sommes dues à Monsieur Laulergue au titre de ces dispositions ;

Considérant que les dépens devant être réservés il n'y a pas lieu de statuer, en l'état, sur l'application des dispositions de l'article 700 du NCPC ;

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, reformant le jugement : fixe à la somme de 288 843 F (deux cent quatre vingt huit mille huit cent quarante trois francs) le montant des commissions dont la société SEAE est redevable envers monsieur Laulergue au titre des commandes concernant la Grande Bibliothèque, infirme le jugement en ses autres dispositions, condamne la société SEAE à payer à Monsieur Laulergue, avec intérêts au taux légal à compter du 9 janvier 1997, la somme de 6 035,16 F (six mille trente cinq francs et seize centimes) montant des commissions afférentes aux commandes Bibliothèque Nationale, déboute monsieur Laulergue de ses demandes de payement de commissions non réglées au titre des commandes société Phibor, le déboute de sa demande de payement d'une indemnité de clientèle, le déclare en revanche bien fondé en sa demande de payement des commissions sur retours d'échantillonnages, ordonne de ce chef une expertise afin de fixer le montant des sommes qui lui seraient dues à ce titre et désigne Monsieur Paumier en qualité d'expert pour y procéder, avec mission : - se faire communiquer et examiner tous documents qu'il estimera nécessaires pour l'accomplissement de sa mission, - entendre les parties ainsi que toutes personnes utiles, - calculer le montant des commissions qui sont dues à monsieur Laulergue au titre des commandes obtenues par lui avant le jour de son départ de la société SEAE, fixe à la somme de 8 000 F (huit mille francs) le montant de la provision à valoir sur la rémunération de l'expert que monsieur Laulergue versera au secrétariat greffe de la cour d'appel dans le mois de la notification qui lui sera faite de la présente décision, fixe à quatre mois à compter du jour de la notification de la consignation de la provision le délai imparti à l'expert pour déposer son rapport au dit secrétariat greffe, renvoie cause et parties à l'audience de la cour du mardi 2 octobre 2001 à 9 h 00, dit que la notification du présent arrêt vaudra convocation à ladite audience, sursoit à statuer sur les demandes formées au titre de l'article 700 du NCPC, réserve les dépens.