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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 22 décembre 2000, n° 1998-15945

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Stic International (SA)

Défendeur :

Interville Distribution (SA), Schmitt (ès qual.), Jeanne (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boval

Conseillers :

Mmes Mandel, Regniez

Avoués :

SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Menard-Scelle-Millet, Avocats : Mes Le Tarniec, Denieul.

T. com. Bobigny, 1e ch., du 14 mai 1998

14 mai 1998

Faits et procédure

IVD, société exerçant une activité de transports internationaux et déménagements et ayant son siège social à Villemonble estimant qu'une société concurrente Stic International avait désorganisé ses services en embauchant simultanément trois de ses salariées et détourné plusieurs de ses clients, l'a par exploit en date du 4 février 1997 assignée en concurrence déloyale devant le Tribunal de commerce de Bobigny et en paiement de la somme de 3 497 669 F à titre de dommages et intérêts et de celle de 25 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Stic International contestant avoir commis la moindre faute et soutenant qu'IVD ne justifiait d'aucun préjudice, concluait eu rejet de ses prétentions et sollicitait le paiement d'une somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Le tribunal retenant que Stic avait désorganisé IVD en embauchant quatre de ses collaborateurs et que celle ci avait subi de ce fait un préjudice a condamné Stic au paiement de la somme de 250 000 F à titre de dommages et intérêts à compter du 4 février 1997 et de celle de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

IVD a été déclarée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Bobigny en date du 1er septembre 1998 et Maîtres Schmitt et Jeanne désignés respectivement en qualité d'administrateur judiciaire et de représentant des créanciers.

Stic a interjeté appel du jugement du 14 mai 1998, le 3 juillet 1998.

Maîtres Schmitt et Jeanne sont intervenus volontairement à la procédure le 8 décembre 1998.

Stic dans le dernier état de ses conclusions signifiées le 20 octobre 2000 demande à la Cour d'infirmer le jugement, de débouter IVD de ses prétentions et de la condamner ainsi que Maîtres Jeanne et Schmitt au paiement de la somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

IVD, Maîtres Schmitt et Jeanne es qualités poursuivent la confirmation du jugement sauf sur le montant des dommages et intérêts. Formant appel incident sur ce point, ils sollicitent le versement d'une somme de 1 285 267 F ainsi que d'une indemnité de 25 000 F au titre de leurs frais hors dépens.

Sur ce, LA COUR

I. SUR LA CONCURRENCE DELOYALE

Considérant que Stic fait valoir à l'appui de son appel que :

- elle n'a jamais débauché Mesdames Thomas, Gouveia et Galopin qui n'étaient liées par aucune clause de non concurrence, qui ne présentaient aucun potentiel dans la mesure où Madame Thomas avait été récemment embauchée chez IVD et où Mesdames Gouveia et Galopin étaient sans qualification, et auxquelles aucun avantage particulier n'a été offert,

- Madame Thomas avait été embauchée par FVE qui n'est pas dans la cause,

- ces salariés n'ont pas accompli de travail effectif avant la fin de leur préavis,

- aucun détournement de clientèle n'a été commis,

Considérant que les intimés répliquent que Stic a eu un comportement déloyal en embauchant simultanément plusieurs de ses salariées pour remplir les mêmes fonctions que celles qu'elles avaient auparavant après leur avoir offert des conditions de rémunération plus favorables ; qu'ils ajoutent que Madame Thomas, qui était effectivement employée par IVD, a été engagée par Stic pour rentabiliser en trois mois une nouvelle agence ce qui ne peut se faire qu'en détournant la clientèle de son ancien employeur, détournement qui, selon les intimés se trouvent établi par les constats d'huissier ;

Considérant ceci exposé qu'il résulte des pièces communiquées que :

- Madame Thomas a été engagée par FVE à compter du 15 juillet 1995 en qualité de chef du service commercial international et chargée de " créer un service en vue d'étendre l'activité nationale vers une activité internationale " mais payée par IVD qui lui versait un salaire mensuel brut de 25 000 F sur treize mois.

- elle a adressé le 31 janvier 1996 sa démission à IVD et a été embauchée par Stic le 13 février 1996 avec effet au 2 mai 1996 en qualité de directeur d'agence avec mission de " créer une agence dans la région parisienne avec comme objectif de la rentabiliser sous un délai de trois mois par l'apport de trafics nouveaux et de correspondants étrangers (Italie, Espagne, Portugal. Maroc) " et moyennant un salaire mensuel brut de 25 000 F sur treize mois,

- Madame Galopin qui percevait chez IVD un salaire brut mensuel de 9 500 F a été embauchée le 13 février 1996 par Stic avec effet au 25 mars 1996 en qualité d'agent de transit qualifiée pour un salaire de 11 000 F brut mensuel,

- Madame Gouveia qui percevait chez IVD un salaire brut mensuel de 7 500 F a été embauchée par Stic le 13 février 1996 avec prise d'effet au 9 avril 1996 en qualité d'employé de transit pour un salaire de 8 500 F brut mensuel,

- Monsieur Mejias n'était pas salarié d'IVD mais avait le statut d'agent commercial (et il n'est pas justifié de son embauche par Stic),

Considérant par ailleurs qu'il est établi par les lettres et la brochure de présentation de la société Stic mises aux débats d'une part, qu'IVD avait ouvert une agence de transport à Casablanca au Maroc en partenariat avec une société IVD Maroc, d'autre part que Madame Thomas qui s'occupait chez IVD plus particulièrement du trafic pour le Portugal, l'Italie et le Maroc, était responsable chez Stic du groupage sur le Sud de l'Europe à savoir l'Italie, l'Espagne, le Portugal et le Maroc au sein de l'agence ouverte au Blanc-Mesnil au moment de son recrutement ;

Considérant enfin qu'il n'est pas contesté qu'alors que Mesdames Galopin et Gouveia étaient les collaboratrices de Madame Thomas chez IVD, elles ont travaillé sous sa responsabilité chez Stic (ainsi que l'atteste le tableau inséré dans la brochure de présentation de la société) Madame Galopin étant responsable de l'Italie, la Turquie et la Tunisie alors que Madame Gouveia prenait en charge le Portugal et l'Espagne ;

Considérant qu'il résulte de ces éléments que Stic qui souhaitait développer ses activités de transport international vers le Sud de l'Europe a manifestement embauché Madame Thomas en raison précisément du travail qu'elle avait accompli sur ce secteur géographique alors qu'elle était salariée d'IVD, dans le but de tirer profit des connaissances par elle acquises et de rentabiliser le plus rapidement possible ses nouvelles activités; que même si aucun avantage financier particulier n'a été consenti à Madame Thomas, un tel comportement révèle la volonté de désorganiser les activités d'un concurrent et de le déstabiliser; que la désorganisation d'IVD a été d'autant plus conséquente que les deux collaboratrices de Madame Thomas ont été embauchées simultanément par Stic pour exercer les mêmes fonctions que précédemment et que l'intimée ne disposait que d'un personnel très limité (effectif total d'environ 10 personnes);

Que c'est donc à juste titre que les premiers juges ont retenu qu'un tel comportement était constitutif de concurrence déloyale et engageait la responsabilité de Stic;

Considérant en revanche qu'aucune pièce n'établit de manière certaine que Madame Thomas ait commencé à travailler pour le compte de Stic avant la fin de son préavis ;

Considérant par ailleurs que les factures émises par Stic et annexées au procès verbal de constat d'huissier du 17 décembre 1996 étant pour l'essentiel relatives à des clients marocains et IVD ayant, selon le rapport dressé par Maître Schmitt administrateur judiciaire, revendu ses parts dans la société IVD Maroc et manifestement renoncé à ses activités de transport avec ce pays, il ne saurait être fait grief à l'appelante d'avoir détourné des clients d'IVD ;

II. SUR LES MESURES REPARATRICES

Considérant que Stic soutient que les intimés ne justifient d'aucun préjudice et que de plus il n'existe aucun lien de causalité entre les pertes financières accusées par IVD et les faits reprochés à STIC ;

Considérant que les intimés qui évaluent leur perte de bénéfices à la somme de 750 000 F et les surcharges d'exploitation à celle de 535 267 F répliquent qu'il existe une exacte concomitance entre le débauchage de Madame Thomas et de son équipe par Stic et la soudaine perte de clientèle d'IVD dont le chiffre d'affaires a diminué de 50 % en trois mois ; qu'ils critiquent les premiers juges en ce qu'ils n'ont évalué la perte de bénéfices que pour une année, prétendent qu'il faut l'indemniser sur trois années et tenir également compte des surcharges d'exploitation ;

Considérant ceci exposé que Madame Thomas ayant quitté IVD en mai 1996, il convient de se reporter aux bilans des exercices des années 1996 et 1997 pour déterminer les conséquences financières de son départ et de l'équipe qu'elle animait ; que si leur examen révèle qu'entre l'exercice clos au 31 mars1996 et l'exercice clos le 31 mars 1997 le chiffre d'affaires d'IVD à l'exportation est passé de 4 052 320 F à 506 475 F, il demeure que Maître Schmitt administrateur judiciaire précise dans son rapport sur la situation économique et sociale de cette société qu'en 1996 l'équipe constituée par Monsieur Piveux, président du conseil d'administration d'IVD, pour développer les activités de cette société à l'international est entrée en conflit avec lui ce qui a conduit notamment l'entreprise à recentrer son activité sur l'Ile-de-France et à revendre ses parts dans la société IVD Maroc, ce qui explique manifestement la baisse du chiffre d'affaires réalisé à l'international ;

Considérant en outre qu'il est établi par les pièces versées aux débats que Stic a dès avril 1997 fermé l'agence dont Madame Thomas était responsable compte tenu des mauvais résultats enregistrés et licencié pour motifs économiques Mesdames Thomas, Galopin et Gouveia ;

Qu'eu égard à ces éléments, il apparaît que si les actes de concurrence déloyale commis par Stic ont généré un trouble commercial et perturbé pendant quelque temps ses activités à l'international, la perte de son chiffre d'affaires est essentiellement due à d'autres facteurs ; qu'en conséquence les premiers juges ont fait une exacte appréciation de son préjudice en le fixant à la somme de 250 000 F ;

III. SUR L'ARTICLE 700 DU NOUVEAU CODE DE PROCEDURE CIVILE

Considérant que Stic qui succombe sera déboutée de sa demande de ce chef ;

Considérant en revanche que l'équité commande d'allouer aux intimés pour les frais hors dépens par eux engagés en appel une somme supplémentaire de 10 000 F ;

Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris, Y ajoutant, Condamne la société Stic International à payer à la société Interville Distribution et à Maîtres Schmitt et Jeanine es qualités une somme globale supplémentaire de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la société Stic International aux dépens d'appel, Admet la SCP Menard et Scelle Millet au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.