CA Amiens, ch. com., 13 juin 2000, n° 99-00563
AMIENS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Pierre Boinet (SA)
Défendeur :
Boinet TP (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chapuis de Montaunet
Conseillers :
M. Roche, Mme Rohart-Messager, M. Lourdelle
Avoués :
SCP Million Plateau Crépin, SCP Le Roy
Avocats :
Mes Firmin, Barbier.
Vu le jugement du 8 juillet 1999 par lequel le Tribunal de commerce d'Abbeville a débouté la société Pierre Boinet de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée à payer à la société M. Boinet TP les sommes de :
- 10 000 F de dommages-intérêts pour procédure abusive et dilatoire,
- 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Vu l'appel interjeté par la société Pierre Boinet et ses conclusions enregistrées le 14 mai 1999 et tendant à :
- infirmer le jugement,
- dire et juger que, dans un délai de huit jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, la société M. Boinet TP devra transférer son siège social de telle sorte qu'aucune confusion ne puisse exister et ce sous astreinte de 10 000 F par jour de retard,
- dire et juger qu'elle devra, dans le même délai, modifier sa raison sociale,
- dire et juger qu'il lui sera fait interdiction de peindre ses véhicules en utilisant des couleurs imitant celles utilisées par elle (société Pierre Boinet),
- la condamner à lui verser les sommes de 250 000 F de dommages-intérêts en réparation de son préjudice commercial de 20 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de la SCP Millon Plateau et Crépin, avoué en application des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.
Vu, enregistrées le 29 novembre 1999, les conclusions présentées par la société M. Boinet TP et tendant à :
- dire et juger la société Pierre Boinet irrecevable et en tout cas mal fondée en son appel,
en conséquence,
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Pierre Boinet de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
reconventionnellement,
- l'infirmer en ce qu'il ne lui a alloué que la somme de 10 000 F de dommages-intérêts et, condamner la SA Pierre Boinet à lui payer la somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure manifestement abusive et vexatoire,
- la condamner encore à lui payer la somme de 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction est requise au profit de la SCP Le Roy, avoué aux offres de droit sur le fondement des dispositions des articles 695, 696 et 699 du nouveau Code de procédure civile.
Sur ce
Attendu qu'il résulte de l'instruction que, se fondant sur les dispositions de l'article 1382 du Code civil, la société Pierre Boinet, immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 30 décembre 1974 et dont le siège social est sis Route Nationale à Miannay, reproche à la société M. Boinet TP, elle-même créée le 23 janvier 1998 et dont le siège social est fixé 25, rue de Canteraine à Miannay, de se livrer à son encontre à des faits de concurrence déloyale ; que c'est pourquoi elle l'a, par acte du 15 octobre 1998, assignée devant le Tribunal de commerce d'Abbeville afin de lui enjoindre de transférer son siège social, de modifier sa raison sociale ainsi que la disposition des couleurs de ses véhicules ; que l'intéressée sollicitait également l'octroi d'une somme de 250 000 F à titre de dommages-intérêts ; que c'est dans ces conditions qu'est intervenu le jugement.
Attendu que si l'appelante fait, tout d'abord, grief à la société M. Boinet TP, spécialisée comme elle-même en matière de travaux publics, d'avoir fixé son siège social à Miannay " dans le but de créer une confusion entre les deux entreprises dans l'esprit même du public ", il ressort de l'examen des pièces du dossier que ledit siège n'est nullement fictif mais est, en réalité, situé à l'adresse du domicile de son gérant ; que, par ailleurs, et ainsi que les premiers juges l'ont pertinemment relevé, dans la mesure où l'intimée loue son matériel auprès de la société André Boinet, il n'est pas anormal qu'aucun matériel ne soit entreposé à son siège social et ce, sans qu'une artificialité ou fictivité de celui-ci ne puisse en être inférée ; que, de même, une personne ne peut se voir interdire de faire un commerce sous son nom même si un tiers, portant aussi ce nom, exerçait une activité identique ; qu'ainsi, l'appelante, ne jouissant d'aucune exclusivité quant à l'usage du patronyme Boinet, ne saurait en empêcher son utilisation par la société M. Boinet TP;
Attendu, que si la société Pierre Boinet impute, en deuxième lieu, à l'intimée l'utilisation de véhicules dont les couleurs et la disposition rappellent les siens propres, il sera observé que le signe distinctif relatif à la présentation des véhicules de la société M. Boinet TP est désormais protégé pour avoir fait l'objet d'un dépôt le 31 juillet 1998 à l'INPI de Lille ; que, surtout, et au-delà des similitudes d'apparence, les couleurs des véhicules utilisées par les parties au litige restent distinctes et ne sauraient générer de véritable confusion entre les seules intéressées alors que d'autres entreprises de travaux publics ont également adopté pour leurs engins des couleurs vives de même teinte, choisies pour attirer le regard et souligner la spécificité de la profession considérée.
Attendu, enfin et en tout état de cause, que c'est à la société Pierre Boinet d'apporter la preuve positive d'agissements anticoncurrentiels déloyaux et non à l'intimée d'apporter la preuve négative de l'absence de telles pratiques ; qu'en l'espèce, aucune pièce produite ne permet de démontrer que les manœuvres alléguées aient pu effectivement tromper un quelconque client et, par la confusion engendrée, fait perdre un éventuel marché à l'appelante ; que, bien au contraire, cette dernière souligne, dans ses écritures, l'excellence de la croissance de son chiffre d'affaires ainsi que de sa " rentabilité " ; que, dans ces conditions, il convient de débouter la société Pierre Boinet, dont aucun des moyens n'est fondé, de l'ensemble de ses prétentions ; que l'intimée ne saurait davantage, par voie incidente, solliciter une allocation de dommages-intérêts supérieure à celle retenue par les premiers juges dès lors qu'elle ne justifie en rien de la réalité d'un préjudice distinct ou plus important que celui déjà indemnisé ; qu'il y a lieu, en conséquence, de confirmer le jugement en toutes ses dispositions.
Sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
Attendu que l'appelante, condamnée aux dépens d'appel, versera à la société M. Boinet TP, la somme de 5 000 F sur le fondement de l'article susvisé.
Par ces motifs : LA COUR ; Statuant publiquement et contradictoirement ; Reçoit les appels principal et incident jugés réguliers en la forme ; Au fond, les rejetant, confirme le jugement ; Déboute la société Pierre Boinet de l'ensemble de ses demandes ; La condamne aux dépens d'appel avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Le Roy, avoué ; La condamne aussi à verser à l'intimée la somme de 5 000 F au titre des frais hors dépens.