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Décisions

Ministre de l’Économie, 23 octobre 2002, n° ECOC0200266Y

MINISTRE DE L’ÉCONOMIE

Lettre

PARTIES

Demandeur :

MINISTRE DE L'ECONOMIE

Défendeur :

Présidents-directeurs généraux de la société Ducatel et de la société financière ALH

Ministre de l’Économie n° ECOC0200266Y

23 octobre 2002

MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE

Messieurs,

Par dépôt d'un dossier déclaré complet à la date du 18 septembre 2002, vous avez notifié le projet d'acquisition de la société Financière ALH par la société Groupe Ducatel (ci-après Ducatel). Cette acquisition a été formalisée par un protocole de cession d'actions signé le ler août 2002.

I. - Les parties et l'opération

Ducatel est détenu à 80 % par la famille Ducatel et à 19,5 % par l'Institut des industries agricoles et agroalimentaires (IDIA). Ducatel, dont le siège est à Quimper (Finistère), est un holding qui contrôle des entreprises de fabrication de fenêtres PVC ainsi que huit entreprises de fabrication industrielle de charcuterie-salaison : Salaisons du Pays d'Oc, Fransal, Tallec, Gillet, TLC, Salaison française, Aven, Salaisons de Bezing Ustari. Le groupe a réalisé en 2001 un chiffre d'affaires consolidé de 97,6 millions d'euro, dont 96 millions en France et 69 millions avec les produits de charcuterie.

La société Financière ALH détient 99,9 % de la société ALH-Argoat Le Hir ; son capital est réparti entre la société Electropar France, fonds d'investissement créé par les groupes EDF et Caisse des dépôts et consignations (46,4 %), la société Mercour Investissements (19,9 %), Monsieur Patrick Roux (11,2 %), la société Fleury-Michon (10 %).

La société ALH-Argoat Le Hir, dont le siège est à Loudéac (Côtes d'Armor), a pour activité la production industrielle de charcuterie-salaison ; elle a réalisé en 2001 un chiffre d'affaires de 97,9 millions d'euro, dont 95,9 millions d'euro en France.

L'opération consiste en l'acquisition par Ducatel de la totalité des actions composant le capital de la société holding Financière ALH. L'opération constitue ainsi une opération de concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce, en ce qu'elle entraîne le changement de contrôle du groupe ALH au profit exclusif de Ducatel.

Compte tenu des chiffres d'affaires précités, cette opération n'est pas de dimension communautaire et est soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatives à la concentration économique.

II. - La définition des marchés

Marchés de produits

La présente opération porte sur le secteur de la fabrication de charcuterie industrielle, dont les marchés peuvent être appréhendés suivant plusieurs critères : celui des produits, celui du mode de distribution, celui de la position commerciale des produits.

D'une façon générale, les ventes hors taxes de produits de charcuterie industrielle réalisées en France (non compris les plats cuisinés et la charcuterie-pâtissière, produits que ne fabriquent pas les parties), se sont élevées au total pour l'année 2001 à 5,2 milliards d'euro correspondant à un volume de 960 000 tonnes. Les ventes au détail sont estimées pour la même année à 14,8 milliards d'euro par l'institut d'études XERFI.

Segmentation suivant les produits

Le secteur français de la fabrication de charcuterie industrielle recouvre une assez grande diversité de produits, que l'on peut regrouper en familles plus ou moins larges suivant différents critères.

Les parties ont retenu une segmentation du marché selon la nomenclature utilisée par l'INSEE, le ministère de l'agriculture, la Fédération des industriels charcutiers, traiteurs, transformateurs de viandes (FICT), notamment pour la publication des résultats des enquêtes de branche dans le secteur. Cette nomenclature distingue 23 familles de produits, qu'elle regroupe suivant leur mode de préparation (produits crus ou cuits), la technologie employée (salage, séchage, fumage, cuisson, conserves, surgelés) et la nature de la viande employée (porc, volaille, bouf, gibier).

Cette nomenclature opère un premier regroupement des produits en distinguant les produits cuits, les produits crus et les autres produits (comprenant les saucisses, saucissons et pâtés). Toutefois, cette dernière catégorie pourrait être affinée, pour les besoins de l'analyse, en considérant les quatre grandes familles de produits suivants :

les produits crus : viandes salées, saumurées, séchées ou fumées (150 000 tonnes commercialisées en France, correspondant à un chiffre d'affaires de plus de 900 millions d'euro) ;

les produits cuits : jambons, épaules et autres pièces cuites (292 000 tonnes et environ 1,7 milliard d'euro) ;

les saucisses et saucissons (330 000 tonnes et environ 1,6 milliard d'euro) ;

les pâtés et préparations diverses de viandes (181 500 tonnes et plus de 900 millions d'euro).

Puis, chacune des grandes catégories précédentes est subdivisée suivant la préparation et la nature de la viande employée. Cette démarche est proche de celle suivie par la Commission européenne dans sa décision BSN/Euralim (cf. note 1) concernant le secteur des plats préparés ; la Commission avait en effet retenu des critères semblables pour la définition des marchés pertinents, notamment la technologie de fabrication employée et l'ingrédient ou le caractère culinaire prédominant dans le plat.

Il n'est cependant pas nécessaire de délimiter précisément les marchés de la charcuterie industrielle selon le mode de préparation, la technologie et la nature des produits, puisque même en retenant la définition la plus étroite l'analyse des effets de la concentration ne s'en trouve pas modifiée.

Segmentation selon le mode de distribution (libre-service ou coupe)

Les produits de charcuterie-salaisons sont vendus au détail, soit en libre-service (produits prétranchés), soit à la coupe, ce qui implique notamment des conditionnements différents.

Les ventes en libre-service représentent 54,5 % de la production française en volume et les ventes à la coupe 44,2 %, les autres produits étant des surgelés. On peut s'interroger sur l'existence de marchés distincts dans la mesure où les ventes en libre-service et les ventes à la coupe évoluent de façon divergente, le rayon coupe régressant de 3 % à 4 % par an depuis plusieurs années et où, par ailleurs, certains grands opérateurs se sont retirés de ce rayon (Herta, Fleury-Michon).

Il n'est pas nécessaire toutefois de s'interroger sur l'existence de marchés distincts libre-service et coupe dans la mesure où l'analyse concurrentielle ne s'en trouverait pas modifiée.

Segmentation suivant le positionnement des produits

Une segmentation pourrait être envisagée, notamment pour la vente en libre-service où le consommateur repère aisément la marque commerciale et le prix de vente, selon le positionnement commercial du produit : produits de marque, MDD, premiers prix. Les panels de consommateurs établis en avril 2002 par AC Nielsen à partir des rayons libre-service des distributeurs donnent la répartition suivante des ventes en volume de l'ensemble des produits de charcuterie industrielle : 39 % pour les MDD, 33,9 % pour les premiers prix et 26,4 % pour les sept premières marques de fabricants.

Certains opérateurs sont plus ou moins spécialisés par positionnement : ainsi, le groupe Herta ne vend que sous sa marque, la société Fleury-Michon essentiellement sous sa marque, ainsi que la cible Argoat Le Hir ; à l'inverse, l'ensemble constitué par les entreprises du groupe Ducatel vend plus de 60 % de sa production en volume en premiers prix.

La Commission, dans la décision BSN/Euralim précitée, s'était interrogée sur l'existence de segments de marché des plats préparés appertisés correspondant à des catégories d'opérateurs : les fabricants de marques notoires, les distributeurs vendant sous leur propre marque et les autres, comprenant notamment les fabricants de produits régionaux ou gastronomiques. Elle avait toutefois laissé la question ouverte.

Enfin, une segmentation plus fine pourrait consister à isoler les produits fabriqués dans le cadre de filières qualité. En effet, les producteurs ont développé des filières qualité pour contrer le recul de leurs marques sur le marché et pour répondre au souci d'une plus grande sécurité alimentaire des consommateurs, à la suite des crises de la dioxine, de l'ESB bovine et de la peste porcine.

La filière qualité Label Rouge et dans une moindre mesure la filière IGP (Indication géographique protégée) sont les plus reconnues. Elles représentaient en juin 2002, d'après les données recueillies sur le site Internet franceagricole.fr (chiffres publiés par le Xerfi), un chiffre d'affaires total de 282 millions d'euro, soit 5,4 % des ventes de charcuterie industrielle réalisées en 2001 (il s'agit essentiellement de ventes de produits sous label rouge). Les produits sous Label Rouge sont fabriqués suivant un cahier des charges précis, ils doivent être notamment produits à partir de porcs certifiés et les coûts de production et de vente sont supérieurs à ceux des autres produits. Leurs ventes ont presque doublé en 2001 par rapport à l'année précédente. Cependant, les opérateurs interrogés ont été unanimes pour dire qu'il s'agit d'un segment d'activité encore marginal.

Il n'est pas nécessaire toutefois de s'interroger sur l'existence de marchés distincts suivant le positionnement commercial des produits dans la mesure où l'analyse concurrentielle ne s'en trouverait pas modifiée.

Marché géographique

La Commission européenne (cf. note 2) et les autorités françaises de la concurrence (cf. note 3) ont constaté à diverses reprises la dimension nationale des marchés de référence dans le domaine des produits alimentaires, en raison notamment des préférences, des goûts et des habitudes alimentaires des consommateurs, des différences de prix, des variations des parts de marché détenues par les principaux opérateurs selon les Etats membres et de la présence de marques de fabricants ou de distributeurs commercialisées uniquement au plan national. S'agissant de la charcuterie industrielle, la même conclusion s'impose. Le commerce extérieur de ces produits est d'ailleurs limité : les importations représentent seulement 8,3 % de la consommation française en volume et les exportations 12 % de la production.

III. - Analyse concurrentielle

Tout d'abord, si l'on retient l'existence d'un marché global de la charcuterie industrielle (non compris les plats cuisinés et la charcuterie-pâtissière), la part de marché du groupe Ducatel sur la base des résultats de l'année 2001 passerait de 1,48 % à 3,35 % en volume et de 1,96 % à 4 % en valeur, à la suite de l'opération.

Si, comme le font les parties, l'on considère que les 23 familles de produits de la nomenclature INSEE et FICT constituent des marchés distincts, la présente opération conduit à des chevauchements minimes dans la mesure où l'acquisition de ALH permet à Ducatel d'augmenter ses parts de marché de plus de 5 points pour trois types de produits :

les rôtis cuits (+ 12 points), ce qui porte la part de marché de la nouvelle entité à 13,2 % ;

les pâtés et préparations diverses à base de volaille (+ 6,2 points), ce qui porte la part de la nouvelle entité à 9,1 % ;

les pâtés et préparations à base de foie (+ 5,1 points), ce qui porte la part de la nouvelle entité à 6,8 %.

Si l'on considère des marchés distincts selon le mode de distribution, il apparaît que les parties vendent, toutes deux, majoritairement des produits à la coupe (28 416 tonnes vendues à la coupe au total et 3 487 tonnes vendues en libre-service en 2001). A la suite de l'acquisition de ALH, la part de marché de Ducatel passerait de 2,9 % à 6,5 % pour ce qui est de la coupe (tous types de produits confondus) et reste inférieure à 1 % pour le libre-service. Les parts de marché les plus élevées sont atteintes pour les mêmes produits que précédemment (rôtis cuits, pâtés et préparations diverses à base de volaille, pâtés et préparations à base de foie), la plus forte part étant atteinte pour les rôtis cuits à la coupe (15,6 %).

Enfin, si l'on considère des marchés distincts selon le positionnement commercial, les additions de parts de marché consécutives à la concentration sont très faibles. D'une part, les produits ALH sont vendus en grande partie sous marque du fabricant (produits Henri Le Hir, Pierre Bertrand, Les Bocades), le reste étant vendu sous MDD alors qu'à l'inverse Ducatel réalise (avec les sociétés Gillet et Aven/Salaison Française) ses plus gros volumes de vente en premiers prix. D'autre part, sur les filières qualité, Ducatel et ALH ont réalisé au total en 2001 un chiffre d'affaires de 7,9 millions d'euro avec des produits sous Label Rouge, ce qui représente 3 % des ventes totales de charcuterie industrielle réalisées sous ce label.

Il ressort de cette analyse que,quelle que soit la segmentation retenue des marchés de la fabrication de charcuterie industrielle, l'opération ne permet pas au nouveau groupe d'atteindre une part élevée sur un seul des marchés concernés. De plus, la complémentarité des produits fabriqués par les parties n'est que minime et n'est pas de nature à conduire à un effet de gamme, susceptible de porter atteinte à la concurrence.

Par ailleurs, ces marchés se caractérisent par la présence de nombreux opérateurs puissants:

quatre groupes français à capitaux familiaux (Fleury Michon et Madrange, tous deux présents sur tous les segments de charcuterie, LDC spécialisé dans la charcuterie de volaille avec sa filiale la Toque Angevine et Bongrain avec sa filiale Luissier Bordeau Chesnel, spécialisée dans la production de rillettes) ;

deux grands groupes de distribution aussi présents au niveau de la production (ITM Entreprises, qui a trois filiales dans le secteur de la charcuterie, qui ont réalisé en 2001 un chiffre d'affaires de plus de 160 millions d'euro, ainsi que les Centres Leclerc, dont la filiale Kermené assure entre 20 % et 30 % des approvisionnements des centres en viande de boucherie et en charcuterie) ;

plusieurs groupes internationaux diversifiés (Nestlé avec sa filiale Herta spécialisée en charcuterie qui a réalisé en 2000 un chiffre d'affaires de 359 millions d'euro, Sara Lee avec sa filiale Aoste spécialisée dans la charcuterie sèche, dont les ventes se sont élevées à 762 millions d'euro en 2000, Smithfield Foods, qui a racheté plusieurs entreprises de charcuterie industrielle depuis 1998 : Société bretonne de salaisons, Imperator, Jean d'Erguet, qui au total réalisent un chiffre d'affaires de plus de 200 millions d'euro) ;

trois groupes coopératifs (la CECAB, avec ses filiales de salaisonnerie et de négoce de viande de porc, Terrana, avec sa filiale de charcuterie Soparvol, Unicopa avec sa filiale de charcuterie Brocéliande).

De plus, Ducatel et ALH ne représentent pas pour leurs clients, GMS et grossistes, un volume important de leurs achats, qui leur permettrait de peser fortement dans la négociation commerciale. Ils ont réalisé ensemble en 2001 un chiffre d'affaires de 75,6 millions d'euro avec les GMS et 72,7 millions d'euro avec les grossistes (soit 5,3 % des tonnages de produits de charcuterie vendus à ces derniers).

Enfin, le secteur de la charcuterie industrielle est un secteur dynamique où la concurrence entre entreprises joue fortement par l'innovation; celle-ci leur permet en effet de renouveler le marché, d'entretenir la croissance et de maintenir le niveau des prix pour contrecarrer le succès des premiers prix et le déclin des ventes à la coupe. Les principales innovations récentes portent sur les filières qualité, le lancement de produits nouveaux (produits dits de snacking, produits présentés comme favorisant la santé et la forme, produits de terroir, produits frais emballés vendus au rayon coupe...).

En conclusion, l'opération notifiée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les différents marchés concernés. Je vous informe donc que j'autorise cette opération.

Je vous prie d'agréer, messieurs, l'expression de mes sentiments les meilleurs.

NOTE (S) :

(1) M 445 BSN/Euralim 07/06/1994.

(2) Décisions BSN/Euralim, Unilever/Amora-Maille, Unilever Bestfoods.

(3) Affaires Coca-Cola/Orangina, Granini/Joker, Panzani/Lustucru.