CA Lyon, 8e ch. soc., 30 janvier 1992, n° 3792-90
LYON
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Plissage Rhône Alpes (Sté)
Défendeur :
Catoire
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Margaillan
Conseillers :
MM. Fayol-Noireterre, Chauvet
Avocats :
Mes Chantelot, Lucchiari.
Monsieur Catoire a été employé en qualité de voyageur-représentant-placier (VRP) par la société Plissage Rhône Alpes (PRA) à compter de 1981.
Le 13 juin 1988, la société PRA envisageant sa mise à la retraite a convoqué Monsieur Catoire et par lettre du 21 juin 1988, elle lui signifiait sa retraite étant donné l'âge de son salarié et la situation financière de la société ; outre un préavis de 3 mois, la société PRA lui indiquait qu'il percevait l'indemnité spéciale de mise à la retraite prévue par la convention collective.
Contestant cette mise à la retraite, Monsieur Catoire a saisi le Conseil de prud'hommes de Roanne qui par jugement du 7 mars 1990 après l'organisation d'une mesure d'expertise, a déclaré que l'imputabilité de la rupture incombait à la société PRA et l'a condamnée au paiement de commissions, de commissions sur échantillonnages et d'une indemnité de clientèle outre des dommages-intérêts pour dissimulation de factures.
Le 9 mars 1990 la société PRA a relevé appel de cette décision notifiée le 13 mars 1990.
Elle fait valoir que dès 1985 Monsieur Catoire a manifesté son désir de cesser son activité en demandant que les commissions lui revenant soient versées directement à son épouse ; elle n'a fait que prendre acte du départ à la retraite qui ne peut s'analyser en un licenciement alors d'une part qu'à son insu Monsieur Catoire avait modifié sa situation juridique de VRP cartes multiples en VRP carte unique, ce qui a entraîné la mise à la charge de la société d'un complément de charges sociales de 29 414 F dont elle demande reconventionnellement l'allocation et d'autre part qu'il pouvait bénéficier d'une pension de vieillesse à taux plein et remplissait les conditions d'âge minimum.
Dès lors soutient-elle, par application de l'article L. 122-14-3 du Code du travail, la mise à la retraite ne peut s'analyser en un licenciement et Monsieur Catoire ne peut prétendre à une indemnité de clientèle, dont il n'établit nullement le bien fondé.
Elle conteste devoir un solde de commissions qui n'avait jamais été réclamé et qui ne ressort pas à l'évidence du rapport d'expertise, conclut au rejet de la demande relative aux retours sur échantillonnage - la société PRA ne vendant aucune collection - et s'oppose enfin à l'allocation de dommages-intérêts pour de prétendus dissimulations de factures.
La société PRA conclut à l'infirmation du jugement et à la restitution de la somme de 34 552,49 F versée au titre de l'exécution provisoire.
Elle sollicite enfin la somme de 10 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Monsieur Catoire a répliqué qu'il n'a jamais donné son accord pour partir à la retraite et qu'il a été convoqué à un entretien préalable en vue d'un licenciement pour mise à la retraite.
Il indique que les modifications apportées à son contrat de travail, connues de son employeur, n'ont jamais été évoquées avant ou après la rupture.
Il conclut à la confirmation du jugement en ses dispositions relatives aux commissions sur retour d'échantillonnages alors qu'il demandait la clientèle avec les modèles de " plissés " proposés par la société PRA, au rappel de commissions auxquelles il n'a jamais renoncé, ainsi qu'aux dommages-intérêts alloués suite à l'attitude déloyal de l'employeur qui a volontairement dissimulé des factures.
Monsieur Catoire soutient enfin que les dispositions de l'article L. 122-14-13 du Code du travail n'ont pas pour effet de priver le salarié du bénéfice des dispositions de l'article L. 751-9 relatif à l'indemnité de clientèle puisqu'elles lui sont moins favorables.
Il forme un appel incident pour voir fixer cette indemnité à la somme de 255 872 F dont il sollicite l'allocation.
Il s'oppose enfin à la demande reconventionnelle de la société PRA qui n'a fait qu'acquitter pour le compte de son salarié des charges sociales dans le cadre de ses obligations d'employeur, alors de plus qu'il l'avait informée qu'elle devait désormais cotiser non plus à la caisse VRP mais à l'URSSAF.
MOTIFS ET DECISION
Attendu que l'appel est recevable comme régulier en la forme ;
Attendu que les motifs de la rupture résultant de la lettre de la société PRA en date du 21 juin 1988 aux termes de laquelle elle a signifié à Monsieur Catoire sa mise à la retraite avec préavis et versement de l'indemnité spéciale de départ à la retraite ;
Que seules les conséquences de cette mise à la retraite doivent être recherchées sans avoir à envisager d'autres motifs allégués par la société PRA et qui ne figurent aucunement dans la lettre de rupture ;
Sur la demande de rappel de commissions.
Attendu que l'expert Guiramand a examiné l'ensemble des factures non communiquées à Monsieur Catoire et entendu chacune des parties sur le principe de l'attribution d'une commission à Monsieur Catoire ; qu'il conclut à l'existence de commissions dues par la société PRA d'un montant de 16 345,60 F bruts congés payés compris ;
Attendu que dans sa note du 15 janvier 1990, la société PRA récapitule à 15 681,33 F le montant des commissions dont elle est redevable à Monsieur Catoire ;
Que la société PRA ne démontre pas que les clients énumérés par l'expert (P 7 et 8 du rapport) soient ses clients personnels alors que Monsieur Catoire a été commissionné pour eux dans les années précédentes ;
Attendu qu'il convient de retenir les conclusions du rapport et d'écarter les contestations émises par la société PRA postérieurement à son dépôt et non soumises en temps utile à l'expert, alors de plus qu'elle a toujours refusé de montrer lesdites factures à Monsieur Catoire ; que c'est à bon droit que les premiers juges ont alloué à Monsieur Catoire la somme de 16 345,60 F ;
Attendu que les parties se sont par contre opposées sur des factures relatives à cinq clients ;
Attendu que l'expert a relevé que le client Dubouis figurait sur la liste de prospect de Monsieur Catoire depuis 1982 et que le montant des commissions arrêté par le rapport est dû à l'intimé la société PRA ne justifiait pas de plus de l'erreur sur le montant de la facture n° 622 alléguée dans la note du 15 janvier 1990 ;
Attendu par contre que Monsieur Catoire n'établi pas qu'il ait été à l'origine du client Goutaland, du client Tricot Mulsant contacté par l'intimé en octobre 1984 et figurant sur le livre des ventes en mars 1984, ni du client Union Lainière revendiqué comme client personnel par la société PRA ; que les demandes de Monsieur Catoire de ce chef sont écartées ;
Attendu enfin que la société PRA ne démontre pas la réalité de sa contestation sur la facture du client Millet et qu'il est dû la somme de 114,36 F à Monsieur Catoire à titre de complément de commissions ;
Qu'ainsi la somme totale due à Monsieur Catoire au titre des commissions s'élève à la somme de 20 934,78 F outre intérêt au taux légal à compter de la demande et qu'il convient de réformer le jugement ;
Attendu sur la demande de dommages-intérêts que Monsieur Catoire a subi un préjudice du fait de la non communication par la société PRA de toutes les factures relatives aux commandes passées par ses clients ;
Que les premiers juges ont à juste titre retenu le principe de la demande mais qu'il convient de ramener à 4 000 F le montant des dommages-intérêts alloués ;
Sur la demande d'indemnité de retour de collection
Attendu qu'aux termes de l'article L. 751-8 du Code du travail que l'employé a toujours droit, à titre de salaire, aux commissions et remises sur les ordres non encore transmis à la date de son départ de l'établissement mais qui sont la suite directe des échantillonnages et des prix faits antérieurs à l'expiration du contrat que sauf clause plus favorable au VRP, ce droit à commission sera apprécié en fonction de la durée normale consacrée par les usages ;
Attendu qu'en règlementant le retour sur échantillonnage le législateur a entendu conserver au représentant pendant un certain temps le bénéfice du travail personnel auquel il s'est astreint, peu important l'existence de collection dans la profession considérée;
Attendu que la société PRA ne justifie pas de l'embauche d'un autre représentant immédiatement après le départ de Monsieur Catoireque dès lors compte tenu du chiffre d'affaires réalisé par la société PRA dans le trimestre suivant le départ de Monsieur Catoire et la part sur ce chiffre d'affaires réalisé l'année précédente par l'intimée. Il convient de retenir contrairement aux premiers juges la somme de 17 346,45 F fixée par l'expert qui portera intérêt au taux légal à compter de la demande;
Sur l'indemnité de clientèle
Attendu que l'article L. 122-14-13 du Code du travail dispose dans sa rédaction du 30 juillet 1987 applicable à l'espèce, que la mise à la retraite s'entend par la possibilité donnée à l'entreprise de rompre le contrat de travail d'un salarié qui peut bénéficier d'une pension de vieillesse à taux plein et qui remplit les conditions d'ouverture à la pension de vieillesse, ou, si elles existent,les conditions d'âge prévues par la convention collective ou le contrat de travail ;
Attendu qu'il n'est pas contesté en l'espèce que Monsieur Catoire remplissait les conditions de cet article à la date de la décision de la société PRA ;
Attendu que tout salarié dont la mise à la retraite résulte d'une décision de l'employeur a droit, sous réserve des dispositions plus favorables en matière d'indemnité de départ à la retraite contenues dans un accord collectif, au versement d'une indemnité de départ à la retraite définie par l'article L. 122-14-13 du Code du travail ;
Attendu que l'article L. 751-9 du Code du travail prévoit l'allocation d'une indemnité de clientèle au VRP, en cas de résiliation par le fait de l'employeur d'un contrat à durée indéterminée, sauf faute grave ; que lorsque l'employeur est assujetti à une convention collective, le VRP pourra prétendre, dans ces cas de cessation d'activité, à l'indemnité égale à celle qu'il aurait eue droit s'il avait été licencié ou mis à la retraite ;
Attendu que la loi du 31 juillet 1987 consacre le départ à la retraite comme motif autonome de rupture du contrat de travail etque lors du débat parlementaire a été repoussé l'amendement tenant à voir préciser que le texte s'appliquait à tout salarié " bénéficiant ou non d'un statut particulier " au motif qu'il faisait double emploi avec les termes " tout salarié "du projet de la loi - (JO Assemblée Nationale 9 juin 1987 P.2136) ;
Attendu qu'en instituant un mode spécifique de rupture du contrat de travail, distinct du licenciement, le législateur a entendu faire bénéficier tous les salariés y compris à statut spécial, des seules indemnités prévues à l'article L. 122-14-13 du Code du travail;
Que c'est à tort que Monsieur Catoire soutient que l'article L. 751-9 du Code du travail envisageait déjà, avant la loi du 30 juillet 1987, la mise à la retraite comme résiliation d'un contrat à durée indéterminée du fait de l'employeur, alors qu'avant ce texte sauf clause contractuelle ou conventionnelle automatique, le départ à la retraite s'analysait toujours en un licenciement;
Attendu que ce mode de rupture étant désormais étranger à la notion de licenciement, les dispositions de l'article L. 751-9 du Code du travail relatives à l'indemnité de clientèle n'ont plus lieu à être appliquées.
Qu'il convient dès lors d'infirmer le jugement de ce chef et de rejeter la demande d'indemnité de clientèle formée par Monsieur Catoire ;
Sur la demande reconventionnelle de la société PRA
Attendu que Monsieur Catoire, VRP cartes multiples, est devenu VRP carte unique à partir du 1 janvier 1986, ne devant plus ainsi être affilié à la Caisse Nationale de Compensation des Cotisations de Sécurité Sociale des VRP à cartes multiples (CCVRP) mais à l'URSSAF ;
Que du fait des cotisations respectives de ces organismes, la société PRA a été amenée à verser un complément de cotisations patronales à l'URSSAF d'un montant de 29 414 F ;
Mais attendu que la société PRA n'a nullement cotisé deux fois pour Monsieur Catoire, le CCVRP ayant remboursé à l'URSSAF la part de cotisation versée par l'employeur alors qu'il était radié de l'organisme des VRP ;
Que dès lors, la société PRA n'a fait qu'assurer ses obligations d'employeur en payant à l'URSSAF les cotisations légales, aucune obligation n'astreignant Monsieur Catoire à demeurer VRP cartes multiples ; que le jugement est confirmé de ce chef.
Par ces motifs : LA COUR, Reçoit l'appel comme régulier en la forme ; Confirme le jugement du Conseil de prud'hommes de Roanne en date du 7 mars 1990 en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle de la société Plissage Rhône Alpes ; Infirme pour le surplus ; Condamne la société Plissage Rhône Alpes à payer à Monsieur Catoire la somme de 20 934,78 F à titre de rappel de commission, celle de 17 346,45 F à titre d'indemnité de retour sur échantillonnage outre intérêt au taux légal à compter de la demande en justice, et celle de 4 000 F à titre de dommages-intérêts outre intérêt au taux légal à compter du jugement du 7 mars 1990 ; Rejette les autres chefs de demandes ; Condamne la société Plissage Rhône Alpes aux dépens tant de première instance que d'appel.