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Décisions

CA Paris, 21e ch. A, 3 mai 2000, n° 96-31518

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Chabert

Défendeur :

Rucanor (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Tauveron

Conseillers :

Mme Phytilis, M. Leo

Avocat :

Me Dreyfus-Daboussy.

Cons. prud'h. Bobigny, du 14 déc. 1995

14 décembre 1995

M. Jacques Chabert a interjeté régulièrement appel d'un jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Bobigny le 14 décembre 1995 qui l'a débouté de toutes ses demandes ;

Par arrêt du 8 octobre 1997, la cour a confirmé le jugement en ce qu'il a débouté M. Chabert de ses demandes en paiement d'une indemnité de clientèle, d'une indemnité au titre de la clause de non-concurrence, de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, non-respect de la procédure convention collective de licenciement, non-respect de la procédure individuelle, non-respect des critères de licenciement ;

avant dire droit au fond, quant au complément de commissions demandées au titre du chiffre d'affaires indirect et également du fait des modifications non acceptées du contrat de travail, a ordonné une expertise comptable et commis M. Paumier avec mission :

1°) de calculer les commissions éventuellement dues sur le chiffre d'affaires des commandes indirectes à la suite des réductions de secteur intervenues en 1991 et 1992, à la suite de la modification du contrat de travail de 1989,

2°) d'apporter à la cour tous éléments lui permettant de déterminer si le salaire de M. Chabert aurait été plus élevé que celui perçu à partir de 1989 en appliquant l'ancien mode de rémunération.

Après expertise M. Chabert soutient :

- qu'il appartient à la société Rucanor de rapporter la preuve qu'elle l'a rempli de ses droits en lui réglant les commissions prises sur son secteur par l'entreprise ou tout autre personne, qu'elle ne fait pas cette preuve n'ayant pas produit l'ensemble des pièces nécessaires ;

- qu'il y a lieu pour la société Rucanor de fournir l'ensemble des pièces comptables qu'elle était tenue légalement de conserver.

- que c'est au mépris du contrat passé qu'elle conteste l'exclusivité de M. Chabert sur son secteur, qu'il n'y a pas lieu d'écarter les commissions sur les grands comptes de 1986 à 1992, que le calcul doit être fait sur les commandes parvenues à l'employeur et non uniquement sur les commandes menées à bonne fin ;

- qu'il y a lieu d'appliquer la prescription trentenaire dès lors qu'elle ne prouve pas qu'elle a informé son VRP sur la nature des commissions versées ;

Il réfute en conséquence les conclusions de l'expert et établit pour sa part un tableau au vu des pièces qui lui ont été communiquées en cours d'expertise.

La société Rucanor fait valoir qu'elle a fourni un dossier complet dans le cadre de l'expertise l'ensemble des états comptables totalisant par mois puis par années les chiffres d'affaires directs et indirects réalisés par chacun des représentants sur la totalité de leur secteur, reconnaissant toutefois qu'elle n'a pu répondre à la demande de communication d'un listing détaillé par client et par département du chiffre d'affaires réalisé avec la clientèle suivie par M. Chabert entre 1988 et 1992, de tels documents n'ayant pas été établis ;

Elle soutient :

- qu'il convient d'écarter les chiffres d'affaires retenus au titre des grands comptes qui ne peuvent donner lieu à commissions pour les VRP qui n'ont, selon elle, jamais effectué un travail auprès de ces clients spécifiques ;

- qu'aucune clause d'exclusivité de secteur ne figure au contrat de 1986 et qu'elle n'a donc commis aucune faute en partageant à compter de 1990 le secteur entre M. Chailloleau et M. Chabert ;

- qu'à supposer que la cour estime que M. Chabert a subi un préjudice, celui ci doit être apprécié par rapport à l'année 1989 ; que de même la société Rucanor considère qu'elle était en droit de retirer des secteurs à M. Chabert dès lors qu'une insuffisance de prospection était patente et qu'il est démontré que d'autres secteurs lui ont été attribués ;

Pour les demandes respectives des parties il convient de se référer à leurs dernières écritures visées par le greffier et soutenues à l'audience.

Sur quoi, LA COUR

Sur le rappel de commissions :

Considérant que M. Chabert a été engagé en qualité de représentant multicartes par la SARL Rucanor sise à Montreuil, le 1er mai 1985 pour les Alpes de Provence, Alpes-Maritimes, Bouches-du-Rhône, Corse, Var, Vaucluse, Gard ;

Que le 12 juin 1986 les parties ont signé une nouveau contrat aux termes duquel, M. Chabert devenait représentant monocarte et les départements de la Drôme, l'Isère, la Savoie, les Hautes-Alpes, le Rhône, l'Ardèche, la Haute-Savoie étaient ajoutés à ses autres secteurs et des nouvelles conditions de rémunération stipulées soit un fixe de 5 000 F, une commission de 2 % sur les commandes directes et indirectes ;

Que par suite d'une modification de la situation juridique de l'employeur, la SA Rucanor a poursuivi le contrat de M. Chabert à compter du 11 mai 1987 avec maintien de son ancienneté ;

Que par courrier du 12 janvier 1989 l'employeur lui a imposé un nouveau mode de rémunération qui a été appliqué sans qu'il ait donné son accord, rémunération consistant en un bonus annuel de 36 000 F se substituant au système de commissionnement et un fixe de 7 000 F au lieu de 5 000 F ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que le mode de rémunération du salarié a été modifié ; que dès lors cette modification nécessitait l'accord du salarié ; qu'en l'absence d'accord de celui ci, le contrat du 12 juin 1986 reste applicable ;

Considérant qu'à partir de janvier 1990, la vente de chaussures et du matériel à M. Chabert a été retirée pour être confiée à Chailloleau, M. Chabert conservant le placement des vêtements de sport ;

Considérant qu'en janvier 1989, quatre départements ont été soustraits au secteur de M. Chabert et placés dans le champ d'intervention de M. Lombardi ;

Considérant que ces deux dernières modifications unilatérales du contrat de travail ne pouvaient être opérées sans l'accord de M. Chabert ; qu'il convient de relever qu'aucune réserve n'a été faite à M. Chabert concernant une prétendue absence de visite des secteurs retirés et que le retrait n'est pas justifié ;

Considérant que c'est à tort que la société Rucanor soutient que M. Chabert n'avait pas l'exclusivité sur ses secteurs, alors que :

- l'article 3 de son contrat initial passé avec la SARL Rucanor stipule qu'il exercera son activité comme seul représentant de la société Rucanor dans le département arrêté d'un commun accord,

- qu'il n'est pas mentionné dans le contrat de 1986 qui modifie la rémunération et les secteurs du salarié qui devient en outre monocarte que cette clause est supprimée,

- qu'une somme transactionnelle lui avait été proposée le 28 mars 1994 à titre d'indemnité,

- que par lettre du 11 mai 1987 la SA Rucanor l'engageait à compter du 1er juin 1987 suivant les modalités de son contrat et ses annexes signés le 1er mai 1985 avec Rucanor SARL ainsi que les modifications s'y rapportant ;

Considérant que sous le contrôle de l'expert, les parties ont déposé des pièces qui ont fait l'objet d'une communication régulière entre elles ;

Considérant qu'il ressort du rapport de l'expert que ni l'une ni l'autre des parties n'a été en mesure de communiquer les décomptes de chiffre d'affaires de M. Chabert pour la période de 1989 à 1993;

Considérant cependant que l'expert précise que la société Rucanor a produit des états statistiques communs à l'ensemble des commerciaux, que sur ces documents, chaque opération est attribuée à un commercial représenté par un code, qu'à l'examen de ces pièces qui ont été communiquées à M. Chabert et des bulletins de salaire il a constaté une perte de salaire pour M. Chabert de 11 642 F du fait de la modification du mode de rémunération ;

Considérant que si il est exact que le contrat de travail de M. Chabert prévoit une commission de 2 % sur les commandes et que la bonne fin n'est pas exigée, M. Chabert ne rapporte pas de preuve objective permettant de dire que la société Rucanor n'a tenu compte dans ses documents que des commandes menées à bonne fin dans les pièces versées aux débats et retenues par l'expert ;

Considérant qu'il est précisé que le salaire ainsi reconstitué par l'expertise porte sur les commandes directes et indirectes mais qu'il n'a pas été tenu compte des ventes aux clients grands comptes ni des ventes aux centrales d'achat qui n'ont pas été enregistrées dans les listings sous les codes 80 ou 83, codes de M. Chabert et de M. Chailloleau;

Considérant qu'aucune clause contractuelle ne stipule que les grands comptes sont réservés mais que M. Chabert ne donne aucun élément permettant de dire que des livraisons ont été faites sur son secteur;

Considérant que selon l'expert le manque à gagner de M. Chabert du fait que la vente de chaussures et de matériel lui a été retirée et a été confiée à M. Chailloleau s'élève à la somme de 18 421 F étant observé que la cour estime que le préjudice subi doit être apprécié par rapport au chiffre atteint en 1989 par M. Chabert et non par rapport à celui résultant du travail de son collègue ;

Qu'en conséquence qu'il y a lieu de condamner la société Rucanor à payer à M. Chabert la somme de 18 421 F ;

Considérant enfin que le manque à gagner de M. Chabert concernant les départements qui lui ont été retirés pour les confier à M. Lomibardi est selon l'expert de 3 452 F étant observé qu'il y a lieu également de tenir compte comme référence du dernier chiffre d'affaires obtenu par M. Chabert et non de celui obtenu postérieurement grâce à la prospection opérée par son collègue ;

Considérant en conséquence que la société Rucanor sera condamnée à payer à M. Chabert cette somme ;

Considérant qu'il y a lieu de faire droit au principe de la demande au titre des congés payés sur les sommes précitées et de condamner la société Rucanor à payer à ce titre la somme de 3 351,50 F ;

Sur la demande nouvelle au titre de retour sur échantillonnage :

Considérant que M. Chabert demande des commissions de retour sur échantillonnage sur les 3 années précédant son licenciement ;

Considérant que c'est à juste titre que la société Rucanor rappelle que les commissions sur échantillonnage ne sont dues au VRP que sur des commandes transmises après son départ mais résultant de démarches antérieures telles que remises d'échantillons et que la preuve du lien entre ces commandes et l'activité du VRP que M. Chabert reconnaît lui même aux termes de ces écritures ; qu'aucun document ne permet de calculer ces commissions, il sera débouté de sa demande de ce chef ;

Sur la demande au titre de l'indemnité de clientèle :

Considérant que la cour a statué de ce chef par arrêt du 8 octobre 1997, M. Chabert est irrecevable en sa demande ;

Sur les dépens :

Partie perdante, la société Rucanor sera condamnée aux dépens dans lesquels seront compris les frais d'expertise ;

Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. Chabert de ses demandes au titre de rappel de commissions ; Statuant à nouveau de ce chef, Condamne la société Rucanor à payer à M. Chabert les sommes suivantes : 11 642 F (onze mille six cent quarante deux francs) à titre de perte de salaire entre le 1er janvier 1989 et le 8 mars 1993 ; 18 421,22 F (dix huit mille quatre cent vingt et un francs et vingt deux centimes) à titre de dommages-intérêts pour le retrait unilatéral de la commercialisation des chaussures et du matériel au profit de M. Chailloleau ; 3 452,47 F (trois mille quatre cent cinquante deux francs et quarante sept centimes) au titre de dommages-intérêts pour le retrait unilatéral de secteurs au profit de M. Lombardi ; 3 351,50 F (trois mille trois cent cinquante et un francs et cinquante centimes) à titre de congés payés afférents ; Déboute M. Chabert du surplus de ses demandes ; Condamne la société Rucanor aux dépens dans lesquels seront compris les frais d'expertise.