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Décisions

CJCE, 18 mars 1970, n° 43-69

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Brauerei A. Bilger Söhne GmbH

Défendeur :

Jehle (Epoux)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lecourt

Présidents de chambre :

MM. Monaco, Pescatore

Avocat général :

M. Gand.

Juges :

MM. Donner, Trabucchi, Strauss (rapporteur), Mertens de Wilmars

CJCE n° 43-69

18 mars 1970

1. Attendu que, par ordonnance du 31 juillet 1969, parvenue au greffe de la Cour le 24 septembre 1969, l'Oberlandesgericht de Karlsruhe a posé, en vertu de l'article 177 du traité instituant la CEE, plusieurs questions tendant à l'interprétation de l'article 85 dudit traité ainsi que du règlement n° 17 du Conseil du 6 février 1962 (JO du 21 février 1962, p. 204), entré en vigueur le 13 mars 1962 ;

Sur le point 1 de la demande

2. Attendu que la Cour est d'abord invitée à dire si " un contrat de livraison de bière passé antérieurement au 13 mars 1962 entre deux entreprises d'un Etat membre concerne l'importation et l'exportation entre Etats membres, au sens de l'article 4, paragraphe 2, n° 1, du règlement n° 17, lorsque la clause d'exclusivité est ainsi rédigée : " le restaurateur s'engage à se procurer la bière dont il a besoin aux fins de gérer son restaurant, exclusivement auprès de la brasserie x (établie dans le même Etat membre) " ;

Qu'en outre, il est demandé à la Cour de se prononcer sur la question de savoir si " un tel accord doit être notifié (à la Commission), au sens des articles 5, paragraphes 1 et 2, 4, paragraphe 2, n° 1, du règlement n° 17 " ;

3. Que ces questions tendent ainsi uniquement à savoir si un contrat entre producteur et détaillant autonome, par lequel ce dernier s'engage à se fournir exclusivement chez ledit producteur, établi dans le même Etat membre, relève des catégories d'accords dispensés de notification par le règlement n° 17 et ce, indépendamment de la question de savoir si un tel contrat, seul ou en liaison avec d'autres, peut ou non tomber sous les dispositions de l'article 85, paragraphe 1 ;

4. Attendu que les articles 4 et 5 du règlement n° 17 dispensent de notification entre autres les accords - passés avant ou après le 13 mars 1962 - auxquels ne participent que des entreprises ressortissant à un seul Etat membre, à condition que ces accords " ne concernent ni l'importation ni l'exportation entre Etats membres " ;

Que la réponse demandée par la juridiction nationale dépend donc de la question de savoir si les accords par elle visés " ne concernent ni l'importation ni l'exportation entre Etats membres ", au sens de l'article 4, paragraphe 2, n° 1, du règlement n° 17 ;

5. Attendu que si un tel contrat, considéré dans un ensemble de contrats similaires liant à quelques producteurs nationaux un nombre important de détaillants du même Etat, peut, le cas échéant, être susceptible d'affecter le commerce entre Etats membres, il n'en demeure pas moins que ces pratiques elles-mêmes sont, aux termes de l'article 4, paragraphe 2, du règlement n° 17, dispensées de notification dès lors qu'elles ne concernent ni l'importation ni l'exportation entre Etats membres;

Qu'il apparaît dès lors possible qu'un même accord, tout en " ne concernant ni l'importation ni l'exportation entre Etats membres " au sens de cette disposition, " affecte le commerce entre Etats membres ", au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité;

Que l'expression " concerner l'importation ou l'exportation " a donc un sens plus étroit que l'expression " affecter le commerce entre Etats membres ";

6. Attendu que ne concernent certainement pas l'importation ou l'exportation les accords de fourniture exclusive dont l'exécution n'appelle pas le franchissement de frontières nationales par les marchandises en cause ;

Que, dans ces conditions, de tels accords relèvent de l'article 4, paragraphe 2, n° 1, du règlement n° 17, et sont donc dispensés de la notification prévue aux paragraphes premiers respectifs des articles 4 et 5 de ce règlement ;

Sur le point 2 de la demande

7. Attendu que, pour le cas où les questions précédentes recevraient une réponse négative, la juridiction nationale invite la Cour à dire " comment il faut interpréter l'article 85, paragraphe 2, du traité CEE pour les accords qui ne doivent pas être notifiés, compte tenu de la retroactivité possible d'une décision d'exemption prise par la Commission en vertu de l'article 85, paragraphe 3, du traité CEE et de l'article 6 du règlement n° 17 " et, plus particulièrement, à se prononcer sur la question de savoir si " un accord qui ne doit pas être notifié est provisoirement valable " ;

8. Que ces questions, envisagées dans le cadre juridique du litige au principal, tendent à savoir si le juge national a compétence pour statuer sur la nullité, au regard du droit communautaire, d'un accord qui, tout en relevant de l'article 85, paragraphe 1, du traité, est dispensé de notification et n'a pas été notifié ;

9. Attendu qu'aux termes de l'article 9, paragraphe 3, du règlement n° 17 " aussi longtemps que la Commission n'a engagé aucune procédure en application des articles 2, 3 et 6 " du règlement, " les autorités des Etats membres restent compétentes pour appliquer les dispositions de l'article 85, paragraphe 1... conformément à l'article 88 du traité " ;

Que ledit article 88 renvoie aux règles de compétence et de procédure nationales, de sorte que la notion d'" autorités des Etats membres " englobe les juridictions nationales.

Que, d'autre part, la faculté d'appliquer l'article 85, paragraphe 1, implique nécessairement celle de faire application du deuxième paragraphe du même article, frappant de nullité " les accords interdits en vertu du présent article " ;

10. Attendu que, s'agissant de préciser la période pour laquelle les juridictions nationales peuvent admettre cette nullité, les articles 88 du traité et 9, paragraphe 3, du règlement n° 17 sont muets à cet égard ;

Que, cependant, on ne saurait considérer que des accords, conclus avant ou après le 13 mars 1962 et qui sont, par le règlement n° 17, dispensés de notification, puissent être, avec rétroactivité, frappés de nullité s'ils devaient être ultérieurement reconnus passibles des paragraphes 1 et 2 de l'article 85 ;

11. Que, si les institutions de la Communauté peuvent, sous les conditions prévues à l'article 85, paragraphe 3, exempter entièrement des accords de l'interdiction et de la nullité de l'article 85, il s'ensuit qu'elles ont pu, en dispensant certains accords de toute notification par le règlement n° 17, admettre que le risque de nullité auquel ces accords restaient soumis, n'aurait d'effet éventuel qu'à compter du jour de sa constatation ;

Que, d'autre part, une solution différente compromettrait gravement la sécurité juridique, et cela au détriment de parties qui, ayant passé un accord dispensé de notification parce que considéré comme peu susceptible d'affecter le commerce entre Etats membres, pouvaient raisonnablement s'attendre à ce que cet accord sorte, à cet égard, au moins le même effet que les accords notifiés, conclus antérieurement au 13 mars 1962 ;

12. Que, pour toutes ces raisons, il convient de répondre à la juridiction nationale qu'un accord dispensé de notification et n'ayant pas été notifié, sort son plein effet, aussi longtemps que sa nullité n'a pas été constatée ;

13. Attendu que les frais exposés par la Commission des CE, qui a soumis ses observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement ;

Que la procédure revêt, à l'égard des parties en cause, le caractère d'un incident soulevé au cours du litige pendant devant l'Oberlandesgericht de Karlsruhe et que la décision sur les dépens appartient dès lors à cette juridiction ;

Par ces motifs

LA COUR,

Statuant sur les questions à elle soumises par l'Oberlandesgericht de Karlsruhe, conformément à l'ordonnance rendue par cette juridiction le 31 juillet 1969, dit pour droit :

1) Sur le point 1 de la demande

Un contrat entre producteur et détaillant autonome, par lequel ce dernier s'engage à se fournir exclusivement chez ledit producteur, établi dans le même Etat membre, et dont l'exécution n'appelle pas le franchissement de frontières nationales par les marchandises en cause, ne concerne ni l'importation ni l'exportation entre Etats membres, au sens de l'article 4, paragraphe 2, n° 1, du règlement n° 17, et est, par conséquence, dispensé de notification ;

2) Sur le point 2 de la demande

Un accord dispensé de notification et n'ayant pas été notifié sort son plein effet aussi longtemps que sa nullité n'a pas été constatée.