CA Bordeaux, ch. soc. B, 26 octobre 2000, n° 97-02543
BORDEAUX
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Labrunie
Défendeur :
Henri Maire (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Castagnede
Avocats :
Mes Grolée, Kohn, SCP Moreuil, Michel
Vu l'appel formé le 17 mars 1997 par Richard Labrunie à l'encontre du jugement du conseil de prud'hommes de Périgueux en date du 24 février 1997 et l'appel incident formé le 25 mars 1997 par la SA Henri Maire ;
Vu le jugement qui a jugé la démission de Richard Labrunie comme ayant un caractère illicite, qui a dit que la clause de non-concurrence était valable mais qui l'a limitée dans l'espace au secteur 747 comme défini à son contrat de travail et à la foire de Périgueux, qui a condamné Richard Labrunie à payer à la SA Henri Maire à titre de dommages et intérêts pour démission illicite et non observation de la clause de non-concurrence la somme de 10 000 F, qui a ordonné à Richard Labrunie de cesser, à compter de la notification du jugement, toute activité concurrentielle à la SA Henri Maire sur le secteur considéré (secteur 747 et foire de Périgueux) sous peine, par la société de l'y astreindre et ce jusqu'au 10 août 1997, qui a débouté la société du surplus de ses demandes, qui a jugé que la SA Henri Maire devrait s'exécuter de ses obligations et qui l'a condamné à verser à Richard Labrunie en solde de salaires la somme de 20 619 F et ce avec exécution provisoire, qui a constaté que Richard Labrunie conservait ses droits acquis au titre de la participation 1993 et 1994 et dit qu'il pourrait en réclamer le paiement le jour venu, qui l'a débouté de ses autres demandes et qui a dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et qui a partagé par moitié les dépens ;
Vu les conclusions de Richard Labrunie et de la SA Henri Maire reçues par le greffe de la cour respectivement les 1er février 2000 et 9 mars 2000 auxquelles, appelant et intimée se sont expressément référés à l'audience, en présentant leurs observations orales, et auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties ;
Attendu qu'il résulte des pièces du dossier et des explications des parties que Richard Labrunie a été engagé par la société Tradivin, filiale de la SA Henri Maire le 27 mai 1997, en qualité de représentant exclusif pour la vente de vins et spiritueux, modifié par avenant du 22 janvier 1988 ;
Que les parties ont signé, le 4 juillet 1989, un contrat de VRP multicartes remplaçant et annulant le contrat antérieur pour la vente des vins Henri Maire dans le même secteur géographique non exclusif ;
Que la SA Henri Maire a reçu, le 9 mai 1995, une lettre de démission de Richard Labrunie ;
Que le 15 mai 1995, la SA Henri Maire a demandé à Richard Labrunie de respecter la clause de non-concurrence stipulée au contrat de travail et l'a à nouveau mis en demeure d'exécuter son préavis de trois mois ;
Sur la rupture
Attendu que Richard Labrunie a donné sa démission, par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 9 mai 1995, en respectant un délai de préavis de trois mois ;
Que la SA Henri Maire soutient que si le salarié est toujours en droit de reprendre sa liberté sans avoir à motiver sa décision, cette possibilité qui lui est offerte est limitée par l'article L. 122-13 du Code du travail qui précise que " La résiliation d'un contrat de travail à durée indéterminée à l'initiative du salarié ouvre droit, si elle est abusive, à des dommages et intérêts " ;
Que la SA Henri Maire soutient qu'en l'espèce, l'abus est caractérisé par les circonstances du départ, à savoir, la quasi absence d'activité pendant le préavis, la participation du salarié à la campagne de débauchage organisée par la société Louis Max et les conditions de son recrutement chez celle-ci, la désorganisation subie par la société à l'instar d'une autre victime de ces pratiques, la société La Grande Cave ;
Attendu qu'il n'est pas contesté par le salarié qu'il a réalisé un chiffre d'affaires nettement moindre pendant la durée de son préavis, mais il soutient que c'est dû au fait que l'employeur lui a supprimé une partie de son activité, notamment la participation aux foires et que par ailleurs, l'employeur ne lui ayant pas payé son salaire, il n'avait plus de moyens financiers suffisants pour se déplacer ;
Attendu qu'il résulte des pièces du dossier que les relations entre les parties ont été tendues pendant la durée du préavis et que si le salarié n'a pas donné toute son énergie habituelle au service de la SA Henri Maire, cette dernière n'a pas non plus donné à Richard Labrunie tous les moyens habituels pour exercer son activité ;
Attendu par ailleurs que s'il est exact que Richard Labrunie a été engagé dès le lendemain de son préavis par une société concurrente, le simple fait d'être engagé par une société concurrente ne peut être considéré comme fautif ;
Attendu enfin que si un litige existe entre la société Louis Max et la SA Henri Maire et si il est constant que des salariés ont démissionné, et notamment cinq VRP entre le mois de novembre 1994 et le mois de juin 1995 et ont été embauchés par une tierce société, il ne résulte pas, des éléments produits par la SA Henri Maire, que Richard Labrunie a exercé une action concertée avec ces autres salariés ou a participé activement à leur débauchage ;
Attendu par ailleurs que dans la mesure oit il n'est pas retenu à l'encontre de Richard Labrunie une action concertée avec les autres salariés pour nuire à son employeur, la désorganisation invoquée par la SA Henri Maire ne peut provenir de sa seule démission ;
Attendu par conséquent que l'abus du droit de démissionner invoqué par la SA Henri Maire n'étant pas caractérisé à l'encontre de Richard Labrunie, il convient de débouter la société de sa demande de dommages et intérêts et de réformer la décision déférée sur ce point ;
Sur la validité de la clause de non-concurrence
Attendu que les parties s'opposent tout d'abord sur la clause applicable, celle du contrat signé entre la société Tradivin, filiale de la SA Henri Maire le 27 mai 1977 modifié par avenant du 22 janvier 1988 ou celle du contrat signé entre les parties le 4 juillet 1989 ;
Attendu que le contrat du 4 juillet 1989 porte la mention claire et signée par les deux parties, ainsi rédigée :
" Ce contrat annule, remplace et fait suite à celui du 22 janvier 1988 " ;
Attendu, par conséquent, qu'il ne convient de prendre en considération que la clause de non-concurrence mentionnée dans le contrat du 4 juillet 1989 ;
Attendu que ce contrat comporte une clause de non-concurrence ainsi rédigée :
" à l'expiration du contrat de travail "
En cas de rupture du contrat pour faute grave ou lourde, de licenciement ou de démission du fait du représentant, ce dernier s'interdit, pendant une durée égale à celle de son contrat, sans qu'elle puisse, toutefois, être supérieure à deux ans, de vendre directement ou indirectement, pour son compte personnel, ou celui de son employeur, à toute personne ayant passé commande par son intermédiaire dont il a ou non bénéficié de l'exclusivité lors de son activité au sein de la société, ainsi qu'à toute personne demeurant à l'intérieur du secteur défini à l'article III des présentes, des produits concurrents ou similaires à ceux qu'il avait mandat de vendre au moment de la dénonciation du contrat.
La présente clause ne sera applicable que si l'employeur en fait expressément la demande par lettre recommandée avec accusé de réception dans les 15 jours suivant la notification par l'une ou l'autre des parties de la rupture"
Attendu que Richard Labrunie demande l'annulation de la clause de non-concurrence en faisant valoir d'une part qu'elle est contraire à l'article 17 de la Convention collective, d'autre part en ce qu'elle contient, dans sa dernière phrase, une condition potestative en ce qu'elle ne dépend que de la seule manifestation de la volonté de l'employeur ;
Attendu qu'à cela la SA Henri Maire réplique que cette clause n'est pas purement potestative dans la mesure où elle prévoit également un délai de quinze jours ;
Qu'en réalité, cette clause place en fait le salarié dans une situation strictement comparable à celle instaurée par l'article 17 de la Convention collective qui prévoit " Sous condition de prévenir par lettre recommandée avec accusé de réception dans les quinze jours suivant la notification par l'une ou l'autre des parties, de la rupture ou de la date d'expiration du contrat à durée déterminé non renouvelable, l'employeur pourra dispenser l'intéressé de l'exécution de la clause de non-concurrence ou en réduire la durée ; "
Mais attendu que la Convention collective, en permettant à l'employeur de dispenser le salarié de la clause de non-concurrence se contente de poser le principe de ce que la clause prévue au contrat s'applique dans tous les cas, ce qui ne place pas le salarié en situation d'incertitude quant à ses droits et ses devoirs, tout en permettant à l'employeur de renoncer à se prévaloir de ce droit, ce qui est une disposition favorable au salarié;
Que toute autre est la situation créée par l'application de la clause litigieuse car, si elle paraît n'être que le miroir de la clause contenue dans la Convention collective, elle met, au contraire, le salarié dans un situation d'incertitude quant à l'application ou non de la clause de non-concurrence par l'employeur;
Que même si le délai de quinze jours est bref, il n'en demeure pas moins que la clause de non-concurrence est soumise, durant cette période à l'issue du contrat de travail, non pas à l'application pure et simple du contrat, sous réserve que la partie au profit de laquelle l'obligation est faite en délie l'autre, mais bien à la seule volonté unilatérale de l'employeur;
Attendu par conséquentque la clause de non-concurrence litigieuse étant soumise à une condition potestative, elle doit être déclarée nulle et de nul effet par application de l'article 1174 du Code civil;
Qu'il s'ensuit que la SA Henri Maire doit être déboutée de toutes ses demandes dérivant de l'application de cette clause ;
Que de même, cette clause étant déclarée nulle, Richard Labrunie doit être débouté de sa demande tendant au paiement d'une contrepartie pécuniaire à la clause de non-concurrence ;
Qu'il convient de réformer la décision déférée sur ces points ;
Sur la validité de la clause pénale
Attendu que le contrat de travail prévoit en son article XII a) que :
" pendant le travail
Si pour quelque raison que ce soit le représentant, sans l'accord de la société, comme indiqué ci-dessus à l'article I, acceptait de prendre d'autres représentations, la société pourrait licencier le représentant sans indemnité pour faute grave.
Si, au surplus, cette représentation porte sur des produits ou articles susceptibles de concurrencer ceux de la société, le représentant devra verser, à titre de clause pénale, une indemnité égale au salaire perçu depuis son embauche, sans que cette somme puisse être supérieure aux six derniers mois de salaire, ni inférieure à trois fois le SMIC, la présente clause pénale étant appliquée sans préjudice de la demande de réparation de l'entier préjudice qui serait subi par la société. "
Attendu que la SA Henri Maire demande l'application de cette clause en faisant valoir que le chiffre d'affaires du salarié, à partir du mois de mars 1995 et jusqu'a la fin de son préavis, n'a cessé de diminuer ;
Que Richard Labrunie, soutient quant à lui, que cette clause est nulle en ce qu'elle s'analyse comme une sanction pécuniaire au sens de l'article L. 122-42 du Code du travail qui prohibe les amendes ou sanctions pécuniaires ;
Que même si le salarié a une obligation de loyauté envers son employeur, cela n'autorise nullement l'employeur à prévoir une sanction pécuniaire automatique en cas de violation de cette obligation ;
Mais attendu que sans qu'il soit besoin de caractériser la nature de cette clause, il convient de remarquer que son application est subordonnée à l'existence d'actes concurrentiels pendant la durée du travail, ce qui n'est pas démontré en l'espèce, la SA Henri Maire se contentant, pour faire valoir sa thèse, de mettre en évidence, que le chiffre d'affaires de Richard Labrunie a diminué pendant les quelques mois qui précédaient la rupture, ce qui n'est pas contesté mais qui n'établit pas, en soi, l'agissement concurrentiel fautif du salarié ;
Que la demande de la SA Henri Maire étant par conséquent, insuffisamment établie, il convient de l'en débouter ;
Sur les demandes
Sur les dommages et intérêts
Attendu que Richard Labrunie demande que lui soit allouée une somme de 65 078,40 F à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par lui du fait de l'insertion dans son contrat de travail par l'employeur d'une clause de non-concurrence illicite qui l'a maintenu dans l'incertitude quant à sa liberté d'emploi ;
Que le préjudice est d'autant plus important que l'employeur est intervenu auprès de la société Louis Max qui a engagé le salarié par la suite, pour faire respecter une clause de non-concurrence qui était illicite ;
Attendu que ce dernier point n'étant pas établi, il convient d'allouer à Richard Labrunie, pour le préjudice qu'il a subi en restant pendant quinze jours dans l'incertitude quant à sa liberté de travail, une somme de 20 000 F à titre de dommages et intérêts ;
Sur le montant des commissions
Attendu que Richard Labrunie soutient qu'il lui est dû par la SA Henri Maire une somme de 22 215,33 F au titre des commissions et une somme de 11 983,85 F au titre des congés payés et que ces sommes ne lui ont pas été payées ;
Mais attendu qu'il n'apporte aucun élément à l'appui de ses demandes alors que le tribunal, en appuyant sur les pièces du dossier avait justement apprécié sa créance à l'égard de son employeur sur ce point ;
Que de plus les écritures comptables auxquelles se réfère Richard Labrunie font apparaître que les sommes dues par la SA Henri Maire ont été réglées à Richard Labrunie à la suite du prononcé du jugement ;
Attendu que Richard Labrunie a donc été rempli de ses droits et qu'il convient par conséquent de rejeter sa demande incidente comme injustifiée ;
Sur le préjudice subi par Richard Labrunie résultant du retard dans le paiement de ses salaires et congés payés :
Attendu que Richard Labrunie soutient que le retard apporté dans le paiement de ses salaires lui a occasionné un préjudice car cela a créé de graves troubles de trésorerie, son compte bancaire étant à découvert et qu'il a dû faire appel à des membres de sa famille qui lui ont prêté de l'argent ;
Mais attendu que ce préjudice est couvert par les intérêts moratoires lesquels ont été versés à Richard Labrunie par la SA Henri Maire ;
Qu'il convient de le débouter de sa demande ;
Sur le caractère abusif de la procédure
Attendu que Richard Labrunie demande que lui soit allouée une somme de 50 000 F. à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Mais attendu qu'en engageant la procédure, la SA Henri Maire n'a fait qu'utiliser les moyens de droit qui étaient mis à sa disposition et qu'il n'est pas démontré que cette action ait eu un caractère abusif ;
Qu'il convient de rejeter la demande de Richard Labrunie sur ce point ;
Sur les dépens
Attendu que la SA Henri Maire succombant en ses demandes, il convient de lui laisser la charge des dépens ;
Sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
Attendu que la procédure d'appel a contraint Richard Labrunie à exposer des frais qui ne seront pas compris dans les dépens et qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge ;
Qu'à ce titre, et par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, la SA Henri Maire, qui ne justifie d'aucun motif d'en être exonérée, devra lui payer la somme de 10 000 F ;
Par ces motifs : LA COUR, Statuant en matière prud'homale, publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ; En la forme, reçoit l'appel de Richard Labrunie ; Au fond, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné la SA Henri Maire à payer à Richard Labrunie la somme de 2 619 F à titre de solde de salaires, et en ce qu'il a constaté que Richard Labrunie conservait ses droits acquis au titre de la participation 1993 et 1994 ; Réforme pour le surplus ; Jugeant à nouveau, Dit que la démission de Richard Labrunie n'avait aucun caractère abusif et déboute la SA Henri Maire de sa demande de dommages et intérêts ; Dit que la clause de non-concurrence insérée dans le contrat du 4 juillet 1989 est nulle et de nul effet ; Déboute en conséquence la SA Henri Maire de sa demande de dommages et intérêts pour violation de la clause de non-concurrence et Richard Labrunie de sa demande d'indemnité pécuniaire en contrepartie de cette clause ; Dit valable la clause pénale insérée au contrat mais déboute la SA Henri Maire de sa demande d'application de cette clause, comme insuffisamment fondée ; Condamne la SA Henri Maire à payer à Richard Labrunie la somme de 20 000 F (vingt mille francs) à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par lui du fait de l'insertion dans son contrat de travail par l'employeur d'une clause de non-concurrence illicite ; Déboute les parties de leurs autres demandes comme non fondées ; Condamne la SA Henri Maire à payer à Richard Labrunie la somme de 10 000 F (dix mille francs) en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne, enfin, la SA Henri Maire aux dépens de première instance et d'appel.