Cass. crim., 22 janvier 2003, n° 01-87.961
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cotte
Rapporteur :
M. Dublin
Avocats :
SCP Celice, Bancpain, Soltner, Me Ricard
LA COUR : - Statuent sur les pourvois formés par : la société Française des Ascenceurs Kone, 1°) contre l'ordonnance du président du Tribunal de grande instance de Paris, en date du 19 juin 2001, qui a autorisé la Direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, à effectuer des opérations de visite et de saisie en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles et a donné commission rogatoire, aux mêmes fins, à d'autres présidents de tribunaux de grande instance ; 2°) contre l'ordonnance du président du Tribunal de grande instance de Nanterre, en date du 25 juin 2001 qui, en exécution de cette commission rogatoire, a désigné des officiers de police judiciaire pour assister aux opérations de visite et saisie ; - Sur le pourvoi contre l'ordonnance du 19 juin 2001 : - Vu les mémoires produits ; - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation de l'article L. 450-4 du Code de commerce ;
"en ce que l'ordonnance attaquée a autorisé (TGI Paris, le 19 juin 2001), le 19 juin 2001, Jean Maisonhaute, directeur régional, chef de la brigade interrégionale d'enquêtes en Ile-de-France, Haute et Basse Normandie, avec le concours de divers agents de la Direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, à effectuer des visites et saisies domiciliaires dans les locaux de différentes sociétés dont la société Française des Ascenseurs Kone ;
"aux motifs que "vu la demande d'enquête n° 01-DE-01 du Conseil de la concurrence, en date du 8 février 2001, prise lors de sa délibération en commission permanente et relative à des pratiques constatées à l'occasion de la passation de marchés de maintenance préventive et curative d'ascenseurs et monte-charges en Ile-de-France, demandant au directeur général de la Direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, de faire procéder à une enquête et mentionnant expressément dans ses visas, l'article L. 450-4 du Code de commerce ; vu la lettre de la présidente du Conseil de la concurrence adressée au directeur général de la Direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, le 21 février 2001, faisant état de la demande d'enquête précitée et à laquelle est jointe une note d'orientation de l'enquête émanant du rapporteur du 6 février 2001 ; - Vu la note du 18 juin 2001, signée par Jérôme Gallot, directeur général de la Direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, adressée à Jean Maisonhaute, directeur régional à Paris, chef de la brigade interrégionale d'enquêtes d'Ile-de-France, Haute et Basse Normandie ; vu la requête de Jean Maisonhaute, directeur régional, chef de la brigade interrégionale d'enquêtes en Ile-de-France, Haute et Basse Normandie, en date du 18 juin 2001 et les documents joints ; que par sa requête du 18 juin 2001, Jean Maisonhaute nous demande l'autorisation de visiter les locaux de plusieurs entreprises et de saisir les documents de nature à apporter la preuve de pratiques prohibées par les points 2 et 4 de l'article L. 420-1 du Code de commerce ; que cette requête nous est présentée à l'occasion d'une enquête, demandée par le Conseil de la concurrence en commission permanente, relative à des pratiques constatées à l'occasion de la passation de marchés de maintenance préventive et curative d'ascenseurs et monte-charges en Ile-de-France ; que, dans sa demande d'enquête du 8 février 2001, relative à des pratiques constatées à l'occasion de la passation de marchés de maintenance préventive et curative d'ascenseurs et monte-charges en Ile-de-France, le Conseil de la concurrence faisant expressément mention, dans ses visas de l'article L. 450-4 du Code de commerce, prescrit au directeur général de la Direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, de faire procéder à une enquête ; que le directeur général de la Direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a demandé, par note du 18 juin 2001 à Jean Maisonhaute, directeur régional à Paris, chef de la brigade interrégionale d'enquêtes Ile-de-France, Haute et Basse Normandie, qu'il procède aux investigations demandées par le Conseil de la concurrence relatives aux pratiques constatées à l'occasion de la passation de marchés de maintenance préventive et curative d'ascenseurs et monte-charges en Ile-de-France" ; - "alors, en premier lieu, qu'il résulte des termes de l'article L. 450-4 du Code de commerce, tels que modifiés par l'article 77-1 de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 applicable à compter du 17 mai 2001, que les enquêteurs ne peuvent procéder aux visites et saisies que dans le cadre d'enquêtes demandées par le ministre chargé de l'Economie ou le rapporteur général du Conseil de la concurrence sur proposition du rapporteur ; qu'en l'espèce, il ressort des termes mêmes de l'ordonnance attaquée que la requête aux fins d'autorisation de visite et saisie a été déposée dans le cadre d'une demande d'enquête émanant non du rapporteur général du Conseil de la concurrence, mais du Conseil de la concurrence lui-même ; qu'il en résulte que les enquêteurs on été autorisés à procéder aux visites et saisies non dans le cadre d'une enquête demandée par le ministre chargé de l'Economie ou par le rapporteur général du Conseil de la concurrence sur proposition du rapporteur, mais dans le cadre d'une enquête demandée par le Conseil de la concurrence ; qu'en autorisant ces visites alors même que la demande d'enquête n'émanait pas de l'autorité compétente, le juge délégué par le président du tribunal de grande instance, a violé ensemble les articles 77 de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 et L. 450-4 du Code de commerce" ; " alors, en toute hypothèse, que si le Conseil de la concurrence avait eu à l'époque, effectivement compétence pour demander une enquête, dans le cadre de laquelle des perquisitions pouvaient être éventuellement sollicitées par les enquêteurs, il ne lui appartenait pas, en revanche, d'imposer les formes que devait prendre une telle enquête, et notamment de décider de l'opportunité d'une mesure de perquisition, de sorte qu'en rendant sa décision d'autorisation sur la base de la décision du Conseil, en date du 20 juillet 2000, prescrivant incompétemment la forme de l'enquête, le président du tribunal a violé l'article L. 450-4 du Code de commerce" ; - Attendu qu'il résulte de l'ordonnance attaquée que la requête a été présentée au président du tribunal de grande instance dans le cadre d'une enquête demandée par le Conseil de la concurrence, le 8 février 2001, conformément aux dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce alors en vigueur ; D'où il suit que le moyen, inopérant en sa seconde branche en ce qu'il tend à contester les termes de cette demande d'enquête, doit être écarté ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 450-4 du Code de commerce et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme ; "en ce que l'ordonnance attaquée a autorisé, le 19 juin 2001, Jean Maisonhaute, directeur régional, chef de la brigade interrégionale d'enquête en Ile-de-France, Haute et Basse Normandie, avec le concours de divers agents de la Direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, à effectuer des visites et saisies domiciliaires dans les locaux de différentes sociétés dont la société Française des Ascenseurs Kone ; "aux motifs que les faits qui viennent d'être relevés à la suite de l'examen de la requête et de ses annexes susvisées, nous permettent de présumer des pratiques prohibées en application du livre IV du Code de commerce, mais que la portée de ces présomptions doit être précisée au regard des qualifications prévues à l'article L. 420-1 du Code de commerce (...) ; que les faits qui viennent d'être relevés à la suite de l'examen de la requête et de ses annexes précitées à l'occasion des appels d'offres examinés, nous permettent de présumer des comportements ayant pour objet et/ou effet, d'une part, de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse, d'autre part, de répartir les marchés lors de la passation de marchés de maintenance préventive et curative d'ascenseurs et monte-charges en Ile-de-France ; qu'ainsi, la portée de nos (sic) présomptions est suffisante au regard des qualifications prévues à l'article L. 420-1, points 2 et 4 du Code de commerce précité ; que la recherche de la preuve des pratiques qui ont pu être exercées par ces entreprises nous paraît justifiée ; que l'ensemble des entreprises qui ont participé aux appels d'offres ou marchés négociés sus-décrits, sont susceptibles d'être impliquées dans les pratiques présumées ; que, toutefois, les opérations de visite et saisie dans les locaux de l'ensemble des entreprises ne nous apparaissent pas nécessaires à l'apport de la preuve des pratiques présumées ; qu'il convient, en conséquence, de rechercher les lieux où se trouvent vraisemblablement les documents utiles à l'apport de la preuve ; que certaines entreprises apparaissent avoir pris une part prépondérante dans la mise en place de ces pratiques mentionnées ci-dessus ; qu'en outre, existent des informations concordantes sur leur comportement ; que, par conséquent, il est vraisemblable que les documents utiles à l'apport de la preuve des pratiques présumées, se trouvent dans les locaux des entreprises, soit qui étaient titulaires des précédents contrats d'entretien ou de maintenance, soit qui ont été désignées attributaires (à l'exception de la société Schindler), soit qui bien que s'étant déclarées intéressées, n'ont pas présenté d'offres ; qu'il s'agit des entreprises suivantes : AMH, Kone, Ascenseurs Soulier, Thyssen Ascenseurs, Otis, CG2A, Somap, Somatem et Afem ; que s'agissant plus particulièrement de la société Sacamas, il apparaît au regard des documents décrits ci-dessus, que c'est seulement parce que celle-ci a été sollicitée par la SNI qu'elle a participé au deuxième appel d'offre ; qu'elle n'a répondu que sur le lot de Viry-Châtillon, que son niveau de prix laisse supposer qu'elle n'était pas intéressée par le marché ; que pour ces raisons, il ne paraît pas nécessaire de procéder à des visites et saisies dans cette société ; que s'agissant de la société Schindler, celle-ci, lors de la procédure négociée, a fait une offre de prix compétitive qui a de toute évidence surpris la société Otis qui, par ailleurs, était titulaire du marché d'entretien depuis de nombreuses années ; que pour cette raison, il ne paraît pas nécessaire de procéder à des visites et des saisies dans cette entreprise ; que la visite des locaux de ces entreprises se réalisera aux adresses figurant dans les documents sus-décrits ; "alors que le juge qui autorise la perquisition est, dès lors, tenu de vérifier le caractère nécessaire des pouvoirs d'enquête demandés ; qu'en l'espèce, l'ordonnance attaquée se borne pour justifier la perquisition à énoncer qu'existent des présomptions que les entreprises dont elle autorise la visite, aient été impliquées dans les pratiques prohibées et qu'il est vraisemblable que les documents utiles à l'apport de la preuve des pratiques litigieuses, se trouvent dans les locaux de ces entreprises ; qu'en statuant ainsi, sans constater que les pièces déjà en possession de l'Administration étaient insuffisantes ou incomplètes pour engager des poursuites et, d'autre part, que l'Administration ne disposait d'aucun autre moyen que les visites domiciliaires coercitives pour obtenir les informations complémentaires qu'elle recherchait autrement, le président du tribunal de grande instance a violé ensemble les articles L. 450-4 du Code de commerce et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme" ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation de l'article L. 450-4 du Code de commerce ; "en ce que l'ordonnance attaquée a autorisé, le 19 juin 2001, Jean Maisonhaute, directeur régional, chef de la brigade interrégionale d'enquête d'Ile-de-France, Haute et Basse Normandie, avec le concours de divers agents de la Direction de la Concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, à effectuer des visites et saisies domiciliaires dans les locaux de différentes sociétés dont la société Française des Ascenseurs Kone ; "aux motifs que "la Semmaris qui a lancé, le 11 mars 1998, un appel d'offres restreint afin de renouveler le marché pour la maintenance préventive et curative de tous les ascenseurs et monte-charges du MIN de Rungis (Val-de-Marne), a reçu la candidature de cinq entreprises : AMH, Ascenseurs Soulier, Thyssen Ascenseurs, Kone et Otis ; qu'elle a adressé, à ces cinq entreprises, un dossier de consultation et qu'elle n'a reçu en réponse qu'une seule offre, celle de la société Otis ; que les sociétés AMH, Ascenseurs Soulier et Thyssen Ascenseurs, ont adressé une lettre d'excuses ; que la société Kone n'a pas répondu ; que la société Otis qui est titulaire du marché d'installation et d'entretien des ascenseurs et monte-charges du MIN depuis 1966, soit depuis plus de 30 ans, a déposé une offre de prix relative aux travaux de modernisation de 21 431 522 francs, très largement supérieure à l'estimation de la Semmaris (12 000 000 francs), soit + 78,6 % ; que la société Nationale Immobilière chargée de la gestion et l'entretien de patrimoines immobiliers locatifs qui a lancé, en septembre 2000, un appel d'offres restreint concernant le marché de réhabilitation de 29 ascenseurs, en un lot unique constitué de deux secteurs géographiques : 16 unités à Bagneux (Hauts-de-Seine) et 13 unités à Viry-Châtillon (Essonne), a reçu la candidature de six entreprises : les sociétés Soulier, CG2A, Somap, Somatem, Kone et Otis, dont cinq ont été admises et une écartée (société Otis), compte tenu de la qualité de ses prestations ; qu'une seule offre, celle de la société Somap a été reçue sur le secteur de Bagneux et une seule offre, celle de la société CG2A a été reçu sur le secteur de Viry-Châtillon ; que cette dernière était prestataire de maintenance en place ; que, dans les deux cas, le montant des offres était supérieur à l'estimation du marché ; que ce marché a été déclaré infructueux ; " alors que, l'ordonnance par laquelle un juge saisi d'une demande d'autorisation de visites et de saisies par l'Administration autorise la visite, doit faire par elle-même la preuve de sa régularité ; qu'elle doit ainsi énoncer précisément les faits qui permettent au juge de retenir l'existence de présomptions justifiant la visite ; qu'il résulte de l'article L. 420-1 du Code de commerce que ne sont prohibées, sous certaines conditions, que les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites, ou coalitions ; que l'existence de pratiques prohibées au regard de l'article L. 420-1 du Code de commerce, implique donc un concours de volonté présumé des personnes soupçonnées de telles pratiques ; que le juge qui retient qu'existent des présomptions d'ententes prohibées ne peut, en conséquence, s'abstenir d'énoncer des éléments caractérisant la possibilité d'un accord des personnes soupçonnées des pratiques ; " qu'en l'espèce, le tribunal s'est contenté, pour justifier de l'existence de présomptions de pratiques prohibées de relever, d'une part, le niveau élevé des prix proposés par les entreprises soumissionnaires dans les procédures d'attribution des marchés en cause, d'autre part, le fait que plusieurs des candidats qui s'étaient déclarés intéressés par les marchés, n'avaient finalement pas soumis d'offres ; qu'il ne justifie ce faisant, nullement l'existence de présomptions selon lesquelles la société Kone aurait participé à des ententes prohibées au sens de l'article L. 420-1 du Code de commerce ; que l'ordonnance viole, en conséquence, l'article L. 450-4 du Code de commerce ; "alors qu'il en est d'autant plus ainsi, que le tribunal se contente de relever, pour décider qu'il existe des présomptions, que la société Française des Ascenseurs Kone ait participé à des ententes prohibées, qu'elle s'est portée candidate en réponse à l'appel d'offres lancé par la Semmaris pour le renouvellement du matériel du MIN de Rungis et en réponse à l'appel d'offres lancé par la SNI pour le renouvellement d'unité à Bagneux et Viry-Châtillon et n'a remis d'offre pour aucun de ces marchés et n'a pas visité le site de la Semmaris ; qu'il ne justifie nullement l'existence de présomptions selon lesquelles la société Ascenseurs Kone aurait participé à des ententes prohibées au sens de l'article L. 420-1 du Code de commerce ; que l'ordonnance viole, en conséquence l'article L. 450-4 du Code de commerce" ;
Les moyens étant réunis ; - Attendu que le juge, s'étant référé, en les analysant, aux éléments d'information fournis par l'Administration, a souverainement apprécié l'existence des présomptions d'agissements visés par la loi justifiant la mesure autorisée, toute autre contestation quant à la valeur des éléments retenus, relevant du contentieux dont peuvent être saisies les juridictions éventuellement appelées à statuer sur les résultats de la mesure autorisée;
D'où il suit que les moyens doivent être écartés ;
Et attendu que l'ordonnance attaquée est régulière en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
II - Sur le pourvoi formé contre l'ordonnance du 25 juin 2001 : - Vu les mémoires produits ;
Sur le moyen unique de cassation, proposé contre l'ordonnance du 25 juin 2001 ; "en ce que l'ordonnance attaquée encourt la cassation ; "en ce qu'elle a constaté que Jean Maisonhaute et Jean- François Coz ont été autorisés à désigner les enquêteurs placés sous leur autorité et dans les limites de leur compétence territoriale, pour procéder aux perquisitions dans les locaux de la société Française des Ascenseurs Kone et d'avoir désigné des officiers de police judiciaire pour assister aux opérations de perquisition ; "alors que la cassation à intervenir de l'ordonnance du 19 juin 2001 par laquelle le président du Tribunal de grande instance de Paris a donné commission rogatoire au président du Tribunal de grande instance de Nanterre entraînera, par voie de conséquence et par application de l'article 625 du nouveau Code de procédure civile, l'annulation de l'ordonnance du 25 juin 2001 qui est la suite de la précédente ordonnance" ; - Attendu que le rejet du pourvoi formé contre l'ordonnance du 19 juin 2001 rend sans objet le présent moyen ;
Et attendu que l'ordonnance attaquée est régulière en la forme ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi ;