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Décisions

Cass. crim., 9 novembre 1995, n° 94-84.204

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Gunehec

Rapporteur :

M. Culié

Avocat général :

M. Galand

Avocats :

SCP Monod, SCP Guiguet, Bachellier, Potier de la Varde, SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, SCP Waquet, Farge, Hazan, M. Bouthors, SCP Piwnica, Molinié

Cass. crim. n° 94-84.204

8 novembre 1995

LA COUR : - Statuant sur les pourvois formés par 1°) Y François, contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la Cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, en date du 28 décembre 1993, qui, dans l'information suivie contre lui du chef de complicité de corruption active, a rejeté sa requête en annulation de pièces de la procédure; 2°) W Eric, Z Samuel, V Louis, U Bernard, Y François, N Jacques, X Fernand, contre l'arrêt de ladite Cour d'appel, chambre correctionnelle, en date du 29 juillet 1994, qui les a condamnés : W Eric, du chef de corruption passive, à 4 ans d'emprisonnement dont 3 ans avec sursis et mise à l'épreuve, 500 000 francs d'amende et 5 ans d'interdiction des droits prévus à l'article 131-26 du Code pénal al. 1°, 2° et 3°; Z Samuel et V Louis, pour ingérence et corruption passive en état de récidive, chacun à 30 mois d'emprisonnement dont 18 mois avec sursis et mise à l'épreuve, 500 000 francs d'amende et 5 ans d'interdiction des droits précités; U Bernard, pour organisation d'entente anti-concurrentielle et corruption active, à 2 ans d'emprisonnement dont 14 mois avec sursis et mise à l'épreuve et 300 000 francs d'amende; Y François, pour complicité de corruption active, à 8 mois d'emprisonnement avec sursis et 100 000 francs d'amende; N Jacques, pour complicité de corruption passive, à 3 ans d'emprisonnement dont 2 ans avec sursis et mise à l'épreuve et 50 000 francs d'amende; et qui a prononcé sur les réparations civiles, tant à l'égard des susnommés que de Fernand X, condamné pénalement à titre définitif;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;- Vu les mémoires produits en demande et en défense ; Sur le pourvoi de X ; - Attendu que X s'est pourvu le 12 août 1994 contre l'arrêt qui l'a condamné contradictoirement sur intérêts civils le 29 juillet 1994 ; que, dès lors, ce pourvoi, formé après expiration du délai de cinq jours francs fixé par l'article 568 du Code de procédure pénale, est irrecevable comme tardif ;

Sur le pourvoi de Y contre l'arrêt de la chambre d'accusation du 28 décembre 1993 ; - Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 114, 137, 145, 172, 591 et 593 du Code de procédure pénale pris dans la rédaction issue de la loi du 1er janvier 1993 applicable aux faits, 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, manque de base légale ;

"en ce que la chambre d'accusation (arrêt du 29 décembre 1993) a refusé de prononcer la nullité de l'interrogatoire de première comparution du 1er avril 1993 et du débat contradictoire relatif à la mise en détention du prévenu du 2 avril 1993 et de la procédure subséquente ;

"aux motifs que, d'une part, aucune disposition n'interdit que l'information se poursuivant, les pièces établies entre la date de la communication de la procédure et celle de l'interrogatoire de la personne mise en examen soient versées immédiatement au dossier dès lors que, s'il en est fait usage, le magistrat instructeur en donne connaissance à la personne concernée et à son conseil avant de procéder à l'interogatoire ; qu'en l'espèce, le prévenu, lors de son interrogatoire du 1er avril 1993, expliquant qu'il pourrait être amené à violer le secret professionnel attaché à ses fonctions d'avocat, s'il devait répondre aux questions du juge d'instruction, s'est borné à prendre acte de sa mise en examen ; qu'en conséquence, le juge d'instruction n'a fait aucun usage des actes de procédure et des pièces établis le 29 mars 1993 à l'occasion de son transport qui constituaient la poursuite normale de l'information ;

"aux motifs que, d'autre part, il est constant que les actes de procédure établis au cours de son transport par le juge d'instruction et les scellés les accompagnant, ont été acheminés à la Réunion en même temps que Y et X en vue de leur présentation au juge délégué ; que le procès-verbal de l'audience tenue par le juge délégué indique que l aprocédure a été mise à la disposition du conseil de Y dans l'état où il se trouvait lors du débat contradictoire et que le magistrat pouvait donc légalement motiver sa décision de placement en détention provisoire en se fondant sur les éléments de l'information recueillis jusqu'au jour des débats ;

"aux motifs que, enfin, et en tout état de cause l'omission des formalités de communication de la procédure prévues aux articles 114 alinéas 2 et 3 et 145 alinéa 2 du Code de procédure pénale n'entraîne la nullité des actes subséquents que si elle a eu pour effet de porter atteinte aux intérêts de la personne mise en examen ; que Y entendu en présence du bâtonnier Lafarge du barreau de Paris, lequel n'a élevé aucune protestation quant à la régularité des actes inciminés ; que les perquisitions opérées au sein du cabinet professionnel de Y l'ont été en présence d'un membre du Conseil de l'ordre des avocats du barreau de Paris, spécialement désigné à cet effet par le bâtonnier en exercice, de sorte que le conseil du prévenu n'ignorait pas, lors de l'interrogatoire et du débat contradictoire, l'existence des actes accomplis depuis la convocation de la personne mise en examen et de ses conseils, de sorte que Y n'établit pas que le défaut de communication de ces pièces avant l'accomplissement des actes critiqués a porté atteinte à ses intérêts ;

"1°) alors que, si des actes d'instruction ont eu lieu pendant les quatre jours ouvrables au cours desquels le dossier est communiqué au conseil avant l'interrogatoire de première comparution ou le débat contradictoire antérieur au placement en détention, les pièces constatant lesdits actes doivent être communiquées au conseil de la personne mise en examen avant qu'il ne soit procédé à cet interrogatoire ou à ce débat ; que cette formalité est essentielle aux droits de la défense et s'applique en toute hypothèse, y compris si le juge d'instruction ou le juge délégué ne fait pas usage desdits documents, ceux-ci pouvant receler des éléments indispensables pour que le conseil exerce normalement ses droits et dont il est seul à même d'apprécier la valeur ; qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué, que les 29, 30 et 31 mars 1993, le juge d'instruction a effectué des perquisitions, des saisies et une audition au domicile et au cabinet professionnel de Y ainsi que chez d'autres prévenus, puis le 1er avril 1993, a procédé à l'interrogatoire de première comparution de l'intéressé, que le 2 avril 1993, le juge délégué l'a placé en détention à l'issue d'un débat contradictoire sans que Me Lafarge ait eu communication des pièces constatant les divers actes susrappelés, de sorte qu'il n'a eu à sa disposition qu'un dossier incomplet ; qu'en refusant de constater la nullité de l'interrogatoire de première comparution et celle du débat contradictoire précédant le placement en détention ainsi que celle de la procédure subséquente, la chambre d'accusation a méconnu les textes susvisé ;

"2°) alors qu'il résulte des pièces de la procédure que le bâtonnier Lafarge, conseil de Y, était absent lors de la perquisition effectuée au cabinet de celui-ci, Me Algazi, membre du Conseil de l'ordre ayant été désigné ès-qualités par le bâtonnier en exercice pour assister à la perquisition de sorte que l'arrêt attaqué n'a pu, sans se contredire, affirmer que Me Lafarge n'ignorait pas, lors de l'interrogatoire et du débat contradictoire, l'existence des actes accomplis depuis la convocation des conseil ;

"3°) alors qu'enfin le défaut de communication des pièces constatant les actes de prodécure réalisée dans les trois jours précédant l'interrogatoire de première comparution et le débat contradictoire, n'assure pas au prévenu l'égalité des armes entre la défense nécessaire avant tout débat et le prive d'un procès équitables au sens de l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, de sorte qu'en statuant ainsi, l'arrêt attaqué a violé les textes susvisés, l'irrégularité ayant nécessairement nui aux intérêts de la défense" ;

Attendu que, pour rejeter la requête de Y, qui faisait grief, d'une part, au juge d'instruction de Saint-Denis de la Réunion, en transport dans la région parisisenne et, d'autre part, au juge délégué de ce tribunal, d'avoir successivement procédé, le 1er avril 1993, à son interrogatoire de première comparution et, le 2 avril, au débat contradictoire préalable à sa mise en détention, sans avoir communiqué à son avocat les actes d'instruction réalisés depuis sa convocation, l'arrêt attaqué relève que l'intéressé s'est borné, lors de cet interrogatoire de première comparution, à prendre acte de sa mise en examen et à solliciter un délai pour consulter le bâtonnier du barreau de Paris ; qu'il a été entendu en présence de Me Lafarge, du même barreau, lequel n'a élevé ancune protectation quant à la régularité des actes incriminés ; que les pièces de procédure établies au cours du transport du juge d'instruction, ainsi que les scellés les accompagnant, ont été acheminés à la Réunion en même temps que Y et qu'avant de confirmer le placement en détention de ce dernier, le juge délégué a mis l'entier dossier à la disposition de son avocat ;

Attendu qu'en cet état, en énonçant que la procédure suivie n'a pas eu pour effet de porter atteinte aux intérêts du demandeur et qu'aucune nullité n'est dès lors encourue, la chambre d'accusation a donné une base légale à sa décision ; D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Sur les autres pourvois, formés contre l'arrêt de la Cour d'appel du 24 juillet 1994 ; - Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme qu'en 1990, le conseil général de la Réunion, présidé par W, a décidé de promouvoir une réorganisation des transports collectifs de voyageurs au moyen d'un regroupement des transporteurs et d'un système de billetterie unique pour l'ensemble du département ; qu'ainsi ont été créés deux organismes subventionnés par le conseil général, d'une part, le GS, ayant pour administrateurs Z et N-V, entrepreneurs de transports et conseillers généraux, d'autre part, l'association S, dont les deux susnommés étaient également membres et qui a reçu mission de gérer la future billetterie ; que la procédure d'attribution du marché public pour la mise en place de cette billetterie, lancée en 1991 par W à un coût estimé de 10 000 000 de francs, et diligentée avec de nombreuses irrégularités par N, directeur général adjoint des services du conseil général, a abouti le 21 mai 1991, sur les interventions de Z et N-V, membres de la commission des transports, à l'engagement de la société I', entreprise locale associée à T ; que U, dirigeant de la première, s'était entendu, moyennant commission, avec S, autre candidate admise à participer à l'appel d'offres restreint, pour être le moins-disant à 16 690 300 francs ;

Attendu que, par l'intermédiaire de X, directeur financier du groupe S, dont dépend T, et de Y, avocat fiscaliste dudit groupe, une société S a été constituée à Jersey pour recueillir la commission occulte de 2 000 000 de francs qui lui a été versée en octobre 1991 par T, sous le couvert d'une étude fictive, et qui a été ensuite transférée à Z et N-V à raison de 1 000 000 de francs chacun ; que, conformément à leurs accords antérieurs et en contrepartie, ceux-ci ont fait mettre gratuitement par le GS à la disposition de W, pour des manifestations de nature électorale tenues en novembre et décembre 1991, 120 autobus dont le prix de location était d'environ 360 000 francs ;

Attendu, par ailleurs, que le 5 août 1992 la commission permanente du conseil général de la Réunion a décidé d'assurer l'organisation des transports scolaires de la commune de Saint-Leu, représentant un marché de l'ordre de 10 000 000 de francs ; que W a donné instruction à N de faire en sorte que l'opération fût proposée en un lot unique, afin de favoriser l'entreprise D, qui avait seule la surface suffisante pour répondre à l'appel d'offres et qui, effectivement, fut la seule à soumissionner ; que la commission d'ouverture des plis, réunie le 20 août 1992 sous la présidence de W, a retenu, pour un montant de 12 831 692 francs, l'offre de la société D qui devait, en compensation, fournir gracieusement des autocars au président du conseil général et participer au financement des campagnes électorales du maire de Saint-Leu ainsi que du club de football et de diverses associations de cette commune, mais n'a réalisé que partiellement ces objectifs ;

En cet état ; - I- Sur les pourvois de Z et V; - Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles 177-1° du Code pénal, 432-11-1° du nouveau Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Z et V coupables de corruption passive;

"aux motifs qu'il est fait grief à V, Z, W, N et Y d'avoir participé, les trois premiers comme auteurs, les deux derniers comme complices, à l'opération de corruption liée à l'attribution du marché de la billetterie unique ; que le département ayant décidé de l'installation d'un tel système sur les autocars du réseau interurbain, V et Z auraient, en leur double qualité de représentants des transporteurs et de conseillers généraux, favorisé l'attribution du marché à la société I' associée à T, conformément à l'entente conclue, par ailleurs, entre U, dirigeant d'I', et I, dirigeant de la S, désignés à l'avance comme seuls soumissionnaires ; qu'à cette fin, V et Z, avec laide de Y, responsable administratif de la S, association para-départementale chargée de la gestion des gares routières, et de N directeur général adjoint des services du conseil général, seraient intervenus dans le montage destiné à lattribution frauduleuse du marché; que c'est ainsi, qu'ayant eu connaissance de la prochaine passation du marché, qui faisait suite à des études précédemment conduites par Y et par les services compétents du conseil général, V et Z auraient soumis leur approbation du choix de l'entreprise au versement dun pot de vin de deux millions de francs, leur double qualité de conseillers généraux membres de la commission des transports du conseil général et d'administreurs du GIE, qui regroupaient la quasi-totalité des transporteurs privés intéressés à lopération, leur conférant un rôle prééminant dans la décision d'attribution à prendre par lassemblée départementale; que le président du conseil général avait toutefois le pouvoir dentraver ce projet en refusant de signer le marché au profit de l'attributaire choisi sous la pression de V et de Z ; qu'en échange de son aval pour les arrangements envisagés par V et Z, W leur aurait demandé que les transporteurs locaux, dont ils étaient les représentants au sein du GS mettent gratuitement à sa disposition des autocars pour ses activités de propagande politique ; qu'une fois la décision de principe de passation du marché prise par lassemblée départementale, Y et N auraient conduit la procédure administrative d'appel d'offres de manière telle que l'entreprise T, dont les responsables, A et Fernand Ejnes, avaient admis le versement du pot de vin sollicité par V et Z moyennant une augmentation du prix du marché équivalente au coût du pot de vin, soit effectivement désignée comme attributaire du marché ; qu'à cette fin N relayant les instructions de W, aurait, dans un premier temps, écarté la direction des transports du conseil général qui avait vocation fonctionnelle à suivre lopération ; puis il aurait, en liaison avec Y, fait adopter par la commission d'appel d'offres, dont il préparait les délibérations et à laquelle il assistait en qualité de responsable administratif, une procédure et un calendrier de décision tels que les entreprises autres que I', T et S, qui auraient pu soumissionner, soit en fait écartées de la compétition, de sorte que la commission d'appel doffres soit amenée, comme elle la fait, à retenir l'entreprise I' associée à T ; qu'après la passation du marché, V et Z ont effectivement reçu chacun une somme totale denviron un million de francs, versée par T par l'entremise de son avocat-conseil, Y, lequel avait, préalablement à lappel doffres, effectué les démarches nécessaires à la constitution à Jersey dune société dite "off shore" constituée par V et Z, laquelle facturait à T une étude fictive dun montant exactement équivalent au montant du pot de vin, augmenté des taxes et frais; que W aurait, peu après la perception du pot de vin par V et Z, fait organiser deux réunions de ses partisans politiques, aux cours desquelles ont été utilisés des autocars mis gratuitement à sa disposition par les transporteurs locaux par l'intermédiaire de V et de Z (arrêt p. 40 et 41) ; que cest à tort que les prévenus prétendent, dans leurs conclusions, que le "marché" qu'ils ont passé avec W doit s'analyser, éventuellement, en linfraction prévue et réprimée, lors des faits, par larticle 177 alinéa 2 du Code pénal, au motif quils nauraient agi quen qualité de transporteurs ; que cette affirmation ne résiste pas à lexamen des faits qui révèle que cest en leur qualité de conseillers généraux qu ils sont intervenus à différentes reprises pour préparer l'accomplissement de lacte par lequel le conseil général a attribué le marché de la billetterie unique à l'entreprise T ; quà cet égard, l'accord passé entre eux et W ne constitue pas le pacte de corruption visé par la prévention, mais une entente visant à se répartir des avantages directs et indirects consentis par le corrupteur; que c'est en tant que conseillers généraux, membres de la commission des transports quils sont intervenus à plusieurs reprises auprès de N pour quil favorise T (cf. déclarations de N du 12 février 1993 "au retour de métropole, les transporteurs élus, Z et V, nous ont fait savoir verbalement que le meilleur matériel, sur un plan technique était celui de T. Ils ont gardé cette position tout au long du marché en insistant à plusieurs reprises sur ce point (...) les deux élus ont fait part de leur choix non seulement devant moi mais aussi au cours de réunions auxquelles assistait le président B (...) la sollicitation des élus était claire, ils mont clairement dit que si le matériel de T nétait pas retenu, le GIE G n'accepterait pas d'autre matériel et ne le ferait pas monter dans les bus" (D. 150) ; qu'ils ont assisté à la commission douverture des plis du 28 mars 1991 en indiquant quils souhaitaient que les entreprises qui allaient participer à l'appel doffres aient un partenaire local; qu'il convient, en conséquence, de confirmer le jugement déféré en ce qu'a déclaré N-V, V et Z coupables de corruption passive, sauf à préciser, le tribunal ayant, par ailleurs, justement retenu que le pacte de corruption date de fin 1990, lorsque I a sollicité A et obtenu son accord pour obtenir le versement de deux millions de francs "pour les politiques" (D. 352), que cest à compter de décembre 1990 - date du marché de service puni par larticle 177 du Code pénal - que l'infraction est caractérisée (p. 42);

"alors que, en premier lieu, l'infraction de corruption suppose l'existence dune convention passée entre le corrupteur et le corrompu, précédant lacte ou l'abstention qu'elle avait pour objet de rémunérer; que la Cour d'appel qui a déclaré coupable de corruption active U et A, n'a pas cependant constaté la conclusion dun accord conclu entre Z et V dune part, et U et A d'autre part; que les constatations des juges du fond n'indiquent ni la date ni l'objet dune telle convention ; qu'en déclarant cependant les premiers coupables de corruption passive, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale et violé les textes précités;

"alors que, en deuxième lieu, les interventions des prévenus auprès de N afin qu'il favorise T ne constituent pas des actes de leurs mandats de conseillers généraux; quelles ne pouvaient, tout au plus, avoir comme effet que dinfluencer N; et que sils disposaient effectivement dune influence sur lintéressé, ce n était pas en qualité d'élus, mais en qualité de transporteurs ; quen effet, cest bien au regard de cette qualité professionnelle que W leur avait demandé de lui prêter des autobus pour ses campagnes électorales en échange de quoi il donnerait pour instruction à N de suivre leurs recommandations quant à lattribution du marché, afin qu'ils puissent percevoir une commission ; que, de même, c'est bien en qualité de transporteurs qu'ils pouvaient menacer N de ne pas accepter le matériel de billetterie automatique si ce n'était pas celui de T qui était commandé ; qu'en regardant les interventions des deux premiers auprès de N pour qu'il favorise T comme des actes de leurs mandats de conseillers généraux, la Cour d'appel a violé les textes susvisés;

"alors que, en troisième lieu, il est constant que c'est Y qui a modifié le cahier des charges, en y ajoutant lexigence dun partenariat local, et que le cahier des charges ainsi modifié a été soumis à la commission des transports le 18 février 1991, puis au bureau du conseil général qui la adopté le 13 mars 1991 (jugement p. 20) ; que la commission douverture des plis du 28 mars 1991 à laquelle les prévenus ont participé, est donc postérieure à ladoption, par le bureau, du cahier des charges modifié exigeant un partenariat local ; que le souhait quils auraient exprimé lors de cette commission du 28 mars 1991, tendant à ce que les entreprises participant à l'appel d'offres aient un partenaire local, na donc pu avoir aucune influence sur une décision qui avait dores et déjà été prise, ainsi qu'ils le soulignaient dans leurs conclusions d'appel ; qu'en considérant cette intervention manifestement inopérante comme un acte de nature à favoriser lattribution du marché à T, la Cour d'appel a tiré des conséquences erronées de ses propres constatations et a violé les textes susvisés ;

"alors, enfin, qu'en se bornant à relever que les deux intéressés ont assisté à la réunion de la commission douverture des plis du 28 mars 1991, sans préciser en quoi leur participation à cette séance aurait eu une incidence décisive dans lattribution du marché à T, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale et violé les textes précités";

Attendu que, pour déclarer Z et V coupables de corruption passive, larrêt attaqué relève, par motifs propres ou adoptés, que le pacte de corruption, convenu entre ces prévenus - auxquels W avait promis de faire "dégager une monnaie" sur le marché de la billetterie unique - et la société T, remonte à la fin de 1990, après la visite des élus réunionnais au siège de cette entreprise, lorsque son directeur, A, a souscrit à la proposition, faite par des intermédiaires, de verser 2 000 000 de francs "aux politiques" pour obtenir le marché ; que la Cour d'appel souligne que Z et V sont alors intervenus à plusieurs reprises auprès de N, en leur qualité de membres de la commission des transports du conseil général, pour quil favorise T et en précisant même que, si le matériel de celle-ci nétait pas retenu, le GIE n'en accepterait pas dautre ; qu'enfin, l'arrêt énonce que les deux conseillers généraux, qui assistaient à la commission d'ouverture des plis du 28 mars 1991, ont indiqué qu'ils souhaitaient que les entreprises participant à l'appel d'offres aient un partenaire local;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, procédant de leur appréciation souveraine des faits de la cause, les juges ont caractérisé en tous leurs éléments constitutifs, matériels et intentionnel, le délit dont ils ont déclaré les demandeurs coupables; D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

II- Sur le pourvoi de W ; - Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 6-3-d de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, 427, 435, 485, 512, 513, 591 et 593 du Code de procédure pénale, violation des droits de la défense, défaut de motifs et manque de base légale;

"en ce que l'arrêt attaqué a refusé d'ordonner l'audition de Madame O, M-J V, P et Q, témoins cités par W ;

"aux motifs que l'audition de M-J V n'est pas nécessaire dès lors que son époux, appelant, comparaît à laudience et peut s'expliquer, sans intermédiaire et contradictoirement, sur les prétendues pressions qu'il aurait subies pour mettre en cause W ; que Z est également en mesure de s expliquer publiquement et contradictoirement sur les pressions alléguées à son égard ; qu'il n'y a donc pas lieu de faire entendre P ; que par les motifs qui précèdent, l'audition de Q et de O n'est pas nécessaire dès lors que les principaux intéressés peuvent être interrogés au cours des débats sur les raisons du revirement dans leurs déclarations qui, jusqu'au 2 juillet 1993, ne mettaient pas en cause W (arrêt, p. 35 et 36);

"alors que le prévenu tenant de l'article 6-3-d de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales le droit de faire interroger les témoins à décharge, le juge qui s'y oppose doit indiquer concrètement en quoi l'audition sollicitée serait impossible ou inutile; qu'en l'espèce, la Cour d'appel s'est bornée à énoncer que les prévenus V et Z étaient à mêmes de s'expliquer personnellement sur les pressions les ayant conduits, aux termes dun revirement tardif, à accuser W, pour en déduire qu'il n était pas nécessaire dentendre les témoins cités par ce dernier; qu'en l'état de ces seules énonciations d'où il ne résulte pas que l'audition des témoins directs desdites pressions - qui ne pouvait être remplacée par linterrogatoire des prévenus y ayant finalement cédé - eut été impossible ou inutile, la Cour d'appel qui se détermine par un motif inopérant, n'a pas légalement justifié sa décision";

Attendu que, pour rejeter les conclusions de W tendant à l'audition en qualité de témoins de M-J V, O, P et Q, sur de prétendues pressions qu'auraient subies V et Z afin de mettre en cause le président du conseil général, à partir du 2 juillet 1993, l'arrêt attaqué relève que ces auditions ne sont pas nécessaires, les deux intéressés étant en mesure de s'expliquer eux-mêmes, publiquement et contradictoirement, sur les pressions alléguées à leur égard et sur les raisons de leur revirement;

Attendu qu'en prononçant ainsi, et dès lors que, faute d'avoir usé devant les premiers juges du droit qu'il tenait des articles 435 et 444, alinéa 3, du Code de procédure pénale, le prévenu ne saurait faire grief aux juges du second degré davoir refusé dentendre les témoins cités à sa requête, la Cour d'appel a justifié sa décision sans méconnaître aucun des textes visés au moyen; D'où il suit que ce dernier ne peut être admis ;

Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 177 du Code pénal, 432-11 du nouveau Code pénal, 388, 427, 485, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré W coupable de corruption passive dans le cadre de l'attribution, par le conseil général de la Réunion, du marché de la billetterie unique;

"aux motifs propres que W n'est pas mis en cause par les seules déclarations de Z et V ; que W a, par l'intermédiaire de N, qui sest servi de Y, qui lui-même a utilisé I, conclu un pacte avec T pour dégager un pot de vin de deux millions de francs destiné aux deux conseillers généraux Z et V, et a ainsi bénéficié, pour sa part, de fournitures gratuites dautobus pour ses campagnes électorales, se rendant coupable du délit prévu et réprimé par l'article 432-11-1° du Code pénal; quil nest pas fondé à prétendre que le marché ayant été signé par N, cet acte ne saurait être considéré comme un acte de sa fonction alors, d'une part, qu'en déléguant sa signature, W demeurait responsable de son délégataire, qu'il devait contrôler et, d'autre part, que la collusion frauduleuse entre eux est démontrée; qu'en résumé, selon N, "la décision de W décarter l'administration au profit de la SD, et donc de faire suivre le dossier par une seule personne, en l'espèce Y, a considérablement facilité les manœuvres ayant abouti à l'affaire", que si W soutient désormais qu'il n'avait aucun besoin de prêts de bus, il s'avère cependant que, d'une part, ces prêts de bus étaient directement liés à la perception de pots de vin par V et Z qui avaient le pouvoir et les moyens de faire pression sur les autres transporteurs pour qu'ils prêtent leurs véhicules et, dautre part, qu'ils correspondaient à l'avantage que W attendait du marché frauduleux passé avec T ; que les faits de corruption se situent entre décembre 1990 et le 21 mai 1991;

"et aux motifs, adoptés des premiers juges, que W a donc rencontré Z et V dans le courant du mois de septembre 1990 ; il leur a promis de leur faire dégager une monnaie sur le marché de la billetterie unique en précisant qu'il arrangerait cela avec son administratif ; en contrepartie de cette monnaie, les transporteurs-conseillers généraux devaient mettre à sa disposition 25 à 30 cars tous les deux mois au cours des années 1991 à 1992 ; qu'en réalité, chacun s'accorde pour reconnaître que W a bénéficié d'un prêt de 120 autobus, organisé par l'intermédiaire du G contrôlé par V et Z, pour les manifestations qui se sont déroulées le 10 novembre 1991 à l'étang salé et le 15 décembre à la plaine des palmistes ; le gain en équivalent location est d'environ 360 000, 00 francs ; que W a soutenu tout au long de l'information et à l'audience ignorer jusqu'au moment où le scandale a éclaté que le marché de la billetterie unique était corrompu ; qu'il a déclaré n'avoir pas suivi de près son déroulement dont la responsabilité incombait aux commissions, à ses services et notamment à N ; que W s'est en réalité intéressé de très près à la mise en place et au déroulement du marché de la billetterie unique ; qu'il en a confié la surveillance à son administratif, N, à qui il a demandé d'exclure ses propres services de l'élaboration de ce marché, en l'occurrence la F ; que W savait que le marché était évalué aux environs de dix millions de francs ; qu'il n'a rien dit quand a été retenue la solution I, T pour dix-sept millions de francs parce qu'il savait qu'il fallait payer le prix de la corruption ; que W a donné des instructions à son administratif N pour que l'appel d'offres de la billetterie unique se déroule selon les voeux de V et Z ; il leur permettait ainsi de dégager une monnaie sur ce marché en échange de prêts d'autobus ;

1°) alors que le juge ne peut, sans l'accord du prévenu, statuer sur des faits non compris dans la prévention ; qu'en l'espèce, W a été renvoyé devant le tribunal correctionnel du chef de corruption passive, pour avoir, en sa qualité de président du conseil général de la Réunion, fait dépendre l'attribution dun marché passé par ledit conseil général, pour la mise en place d'une billetterie unique, du versement par la société T d'un pot de vin de deux millions de francs (jugement p. 15) ; que, dès lors, en estimant, pour condamner l'exposant sur le fondement de l'article 432-11 du nouveau Code pénal, que le prévenu aurait indûment bénéficié de prêts dautobus, de la part de V et Z, seuls bénéficiaires du pot de vin de deux millions de francs versés par la société T, la Cour d'appel a violé l'article 388 du Code de procédure pénale;

2°) alors que la corruption passive suppose que les dons versés ou promis par le corrupteur aient été personnellement destinés au corrompu ; qu'au cas particulier, si W est poursuivi pour avoir subordonné l'octroi du marché litigieux au versement d'un pot de vin de deux millions de francs à la société T, il est constant que cette somme, versée aux conseillers généraux V et Z, n'était pas destinée à l'exposant, et ne lui a pas été remise; que, dès lors, en se bornant à énoncer, pour retenir la culpabilité de W du chef de corruption passive, que le versement de la somme litigieuse à V et Z aurait permis à ces derniers, deffectuer un prêt gratuit dautobus au profit de l'exposant, la Cour d'appel qui s'est déterminée par un motif inopérant, a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 432-11 du nouveau Code pénal;

3°) alors qu'en estimant que le délit de corruption passive reproché à l'exposant aurait été caractérisé par la remise illicite de dons, par la mise à la disposition de W, de plusieurs autobus utilisés lors de réunions politiques aux mois de novembre et décembre 1991, tout en énonçant que les actes de corruption se situeraient entre décembre 1990 et le 21 mai 1991, date à laquelle le marché de la billetterie unique a été attribué à la société T, la Cour d'appel qui sest déterminée par des considérations contradictoires, a violé larticle 593 du Code de procédure pénale;

4°) alors que dans ses conclusions d'appel, W a expressément fait valoir (p. 37) que les rassemblements de novembre et décembre 1991, pour lesquels des autobus ont été mis à sa disposition, étaient de pure opportunité politique et ne tendaient qu'à réunir son électorat, dans un contexte politique devenu subitement difficile à la suite déchecs électoraux récents, de sorte que le recours à l'utilisation de ces moyens de transports ne pouvait avoir été orchestré, dès le mois de décembre 1990, en concertation avec V et Z, lors de la préparation de la mise en place de la billetterie unique ; que, dès lors, en se bornant à énoncer que la mise à disposition des autobus lors de ces réunions n'était pas contestable, sans répondre à ce chef péremptoire des conclusions du prévenu, qui tendaient à démentir l'existence du pacte préalable évoqué parles conseillers généraux susvisés, en vertu duquel lexposant aurait accepté, dans de telles conditions, deffectuer un acte de sa fonction au profit de la société T, la Cour d'appel a violé l'article 593 du Code de procédure pénale";

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'après avoir, en octobre 1990, assuré Z et V qu'il leur ferait obtenir, à l'occasion du marché de la billetterie unique, une commission occulte en échange de prêts d'autobus, W a, avec le concours de son homme de confiance N, écarté les services compétents du conseil général au profit de la S et de son directeur Y, ce qui a conduit au choix de la procédure d'appel doffres restreint puis au lancement de cet appel d'offres avant l'adoption du cahier des charges et à l'attribution du marché ; que les prêts d'autobus, dont W a ensuite bénéficié, étaient directement liés à la perception de "pots de vin" par Z et V;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, qui établissent la participation d'Eric Bayer au pacte de corruption conclu avec la société T, la Cour d'appel a caractérisé, sans excéder sa saisine, le délit de corruption passive, prévu tant par l'article 177,1° ancien que par l'article 432-11 nouveau du Code pénal, dont elle a déclaré le prévenu coupable; d'où il suit que le moyen ne peut qu'être écarté;

Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 177 du Code pénal, 432-11 du nouveau Code pénal, 388, 427, 485, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré W coupable de corruption passive dans le cadre de l'exploitation du réseau des transports scolaires de la commune de Saint-Leu;

"aux motifs, propres, qu'alors que W insiste sur l'absence de contrepartie réellement perçue par lui au titre des avantages que D aurait promis, il échet de rappeler que le délit de corruption est caractérisé en cas de simple sollicitation, directe ou indirecte, davantages quelconques (arrêt, p. 50);

"et aux motifs, adoptés des premiers juges, quil convient de retenir non seulement les déclarations de N qui prétend avoir agi sur instructions présidentielles pour constituer un lot unique permettant à D dobtenir le marché, mais également celles de M qui a affirmé être intervenu auprès du président du conseil général pour que soit constitué ce lot unique en échange de quoi W demandait à D, par l'intermédiaire de M, de mettre à sa disposition des autobus pour les campagnes électorales à venir (jugement p. 37);

"alors qu'en l'état de ces seules énonciations, d'où il résulte qu'aucun avantage n'a été obtenu par l'exposant dont la mise en cause découle des seules allégations invérifiables des prévenus N et M, la Cour d'appel, qui admet l'existence d'un pacte de corruption auquel W aurait été partie, a privé sa décision de motifs";

Attendu que, pour déclarer W coupable de corruption passive à l'occasion de l'organisation des transports scolaires de la commune de Saint-Leu, l'arrêt attaqué relève que M, maire de cette commune et conseiller général, reconnaît avoir sollicité l'entreprise D, en février ou mars 1992, pour obtenir qu'elle mette gratuitement à la disposition de W des autocars en vue de ses réunions politiques; qu'en contrepartie, M et W devaient user de leur influence pour favoriser l'attribution du marché à la société D en un lot unique, ce qui a été réalisé en août 1992 ; que les juges ajoutent qu'il nimporte que la contrepartie promise par D pour W n'ait pas été effectivement perçue, dès lors que le délit de corruption est caractérisé par la simple sollicitation, directe ou indirecte, davantages quelconques;

III- Sur le pourvoi de U ; - Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 7 et 17 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale;

"en ce que U a été déclaré coupable d'avoir, entre le mois d'août 1990 et le 2 mai 1991, commis le délit d'entente en prenant une part personnelle et déterminante à des actions tendant à limiter l'accès au libre marché et le libre exercice de la concurrence, ainsi qu'à répartir les marchés;

"aux motifs qu'il a été précisé, ci-avant, dans quelles conditions R, par lettre du 10 août 1990, avait proposé à U un accord entre la société S et une société du groupe U dans la perspective de l'attribution du marché de la billetterie unique à l'une ou à l'autre; que leur entente a eu pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur ce marché dès lors que chacune de ces sociétés a présenté son offre en fonction de celle préparée par l'autre, et que I et U s'étaient entendus pour remettre des offres calculées de telle sorte que l'entreprise I' apparaisse, lors de l'ouverture des soumissions, comme la moins disante ; qu'en effet, il résulte des propres déclarations de U qu'au-delà du marché de la billetterie unique, S était intéressée par celui de la gestion de la billetterie unique et que l'offre de couverture faite par S sur le premier marché résultait de l'accord passé avec I', qui acceptait de s'effacer ensuite au profit de S sur ce second marché, en en profitant également indirectement par la prise de participaption de U dans le capital de S fin 1990, ce à un moment où cette société connaissait des difficultés financières ; que U a eu une part personnelle et déterminante, au sens de l'article 17 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, dans la mise en œuvre de l'entente prohibée en chargeant P de préparer l'offre d'I'; en examinant, et en répartissant avec P le montant de la somme de 3 100 000 francs (figurant dans l'offre de T comme "frais de développement") entre différents postes de l'offre faite ensuite par I' au conseil général, de façon à ce que cette somme n'apparaisse pas de façon individualisée; en signant, le 12 avril 1991, un bon de commande à S concrétisant l'accord entre les deux sociétés;

"alors que, en ce qui concerne les faits, qui lui ont été imputés, d'avoir limité l'accès au marché, et le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises, U soulignait dans ses conclusions que le maître de l'ouvrage avait seul choisi les deux groupes d'entreprises devant participer à l'appel d'offres restreint; que la Cour d'appel qui, sans répondre à ces conclusions de nature à établir que le prévenu n'avait pas pris une part personnelle et déterminante aux pratiques qui lui ont été reprochées, n'a pas même caractérisé celles-ci, n'a pas donné de motifs suffisants à sa décision;

"et alors que, en ce qui concerne le fait d'avoir procédé à une répartition des marchés, qui lui a également été imputé, U a soutenu dans ses conclusions que la répartition des marchés procédait d'accords et de décisions préalablement fixés par les organes du conseil général, et divers intermédiaires, et il se référait pour en justifier aux déclarations de N, représentant du maître de l'ouvrage, suivant lesquelles, le pacte de corruption étant depuis longtemps mis en place, il aurait été proposé à la commission d'ouverture des plis de déclarer l'appel d'offres infructueux si l'offre de l'entreprise I' n'avait pas été la moins disante ; qu'en s'abstenant de s'expliquer sur ces conclusions de nature à établir, qu'à le supposer réel, l'accord conclu quant au montant des offres par les deux entreprises participant à rappel d'offres n'aurait pas déterminé l'attribution du marché, la Cour d'appel, qui a pourtant rapporté les termes desdites déclarations, n'a pas légalement justifié sa décision";

Attendu qu'il est reproché à U d'avoir pris une part personnelle et déterminante dans la conception, l'organisation et la mise en œuvres des actions concertées en vue de l'attribution du marché dit de la "billetterie unique" aux entreprises associées I' et T, notamment en faisant présenter par la S une offre de couverture surévaluée;

Attendu que, pour écarter les conclusions du prévenu, qui soutenait que l'accord des deux entreprises participant à l'appel d'offres n'avait pas été déterminant de l'attribution du marché préalablement décidée par le conseil général, et pour le déclarer coupable, la Cour d'appel se prononce par les motifs repris au moyen ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, déduites de leur appréciation souveraine des faits de la cause, les juges ont justifié leur décision ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles 179 du Code pénal en vigueur à la date des faits, 433-l du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs et manque de base légale;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré U coupable du délit de corruption active de fonctionnaire; "aux motifs qu'il résulte des procès-verbaux de confrontation avec P et O que U savait, pour le moins à compter du 12 février 1991, qu'il y avait un pot de vin à verser à des élus pour obtenir le marché de la billetterie unique; qu'il s'est associé avec T à cette fin, sachant que cette société avait donné son accord pour cela ; qu'il a, en conjuguant son action à celle de T, perpétré l'infraction de corruption; qu'en particulier il a masqué dans l'offre faite au conseil général, parmi plusieurs postes facturés, la somme de 310 0000 francs correspondant au montant de la corruption et a règlé à T les deux factures correspondant à cette somme, la première le 8 octobre 1991 pour deux millions de francs, la seconde du 29 octobre 1991 pour 1 100 000 francs; que, par ces motifs et ceux des premiers juges, que la cour adopte, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a déclaré U coupable de corruption active, sauf à préciser que seul l'article 433-1-1° du Code pénal réprime la corruption active, et qu'il a commis cette infraction entre le mois de février 1991 et le 21 mai 1991; "alors qu'en retenant essentiellement pour caractériser le délit de corruption active dont elle a déclaré U coupable d'avoir commis le règlement à T du montant de la corruption suivant deux factures des 8 et 29 octobre 1991, tout en décidant que l'infraction avait été commise parce prévenu entre le mois de février 1991 et le 21 mai 1991, la Cour d'appel s'est contredite, privant ainsi sa décision de motifs;

"et alors que le délit de corruption active n'est constitué que si le prévenu a, en tant que participant au pacte corruptif, personnellement usé de voies de fait ou menaces, de promesses, offres, dons ou présents, ou cédé à des sollicitations; que, dès lors, en se bornant à constater, pour déclaré U coupable de ce délit qu'il s'était associé avec la société T en sachant qu'elle était partie à un pacte corruptif, et qu'il aurait sciemment inclus dans le montant de son offre faite au conseil général la somme correspondant au montant de la corruption, ce qui n'établit pas qu'il ait, en tant que partie au pacte corruptif, personnellement accompli l'un des actes mentionnés ci-dessus, la Cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision";

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que U a participé, en connaissance de cause, au pacte de corruption négocié par P, son intermédiaire entre T, d'une part, Z et V, d'autre part, et qu'il a ensuite versé les fonds en règlant à la société T, courant octobre 1991, deux factures de pseudo "frais de développement" totalisant 3 100 000 francs;

Attendu qu'en cet état, la cour d'appel, qui ne s'est nullement contredite, a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués; D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli

IV. Sur le pourvoi de Y : - Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 510, 591 et suivants du Code de procédure pénale, 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, ensemble violation des droits de la défense :

"en ce que la cour d'appel, dans le cadre de l'instance ayant abouti à l'arrêt du 29 juillet 1994 comprenait dans sa composition M. le conseiller Beaufrere tandis que ce magistrat composait également la chambre d'accusation dans la procédure ayant abouti à l'arrêt du 28 décembre 1993 ;

"alors que ne peuvent faire partie de la chambre des appels correctionnels les magistrats qui, dans l'affaire soumise à cette juridiction, participaient à un arrêt de la chambre d'accusation saisie d'une requête à fin de nullité ; que la chambre d'accusation, dans son arrêt du 28 décembre 1993, statuant sur une requête à fin de nullité ayant examiné, nécessairement, la valeur des charges pesant sur le prévenu, la Cour d'appel a, par suite, violé le principe et les textes susvisés" ;

Attendu que Y ne saurait se faire un grief de ce que siégeait, à la chambre des appels correctionnels, un conseiller qui avait antérieurement concouru à l'arrêt de la chambre d'accusation ayant rejeté sa requête en annulation de pièces de l'information ; qu'en effet, aucune disposition légale ou conventionnelle n'interdit aux membres de la chambre d'accusation qui s'est prononcée sur une nullité de procédure de faire ensuite partie de la chambre des appels correctionnels saisie de l'affaire ; que les articles 49 du Code de procédure pénale et 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales s'opposent seulement à ce qu'un magistrat participe à la décision au fond, après avoir statué sur les faits et charges justifiant le renvoi devant la juridiction de jugement ; D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 59, 60 et 179 anciens du Code pénal, 112-1, 114-1 du Code pénal, 8 de la Déclaration des droits de l'Homme, 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, 591 et 593 du Code de procédure pénale, ensemble violation des droits de la défense, manque de base légale :

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Y coupable de complicité de corruption et l'a condamné de ce chef ;

"aux motifs que l'infraction principale de corruption commise par O a été accomplie à dater de décembre 1990 et exécutée lors de la signature du marché le 21 mai 1991 ; qu'avant la date du 21 mai 1991, Y a donné à O des instructions pour commettre l'action délictuelle et a ensuite aidé ou assisté l'auteur du délit postérieurement à celui-ci, en vertu d'un accord antérieur à la corruption ; qu'en donnant à O les renseignements lui permettant de réaliser un montage financier destiné à permettre le versement de la commission aux bénéficiaires par le biais d'une société étrangère de manière à faciliter la commission de l'infraction, le prévenu s'est rendu coupable des faits reprochés et qu'il a également dans les conditions susénoncées, apporté avec connaissance au corrupteur une aide et assistance postérieure au délit pour permettre le paiement des pots-de-vin ;

"1°) alors que, la loi nouvelle qui incrimine des faits jusqu'alors dépourvus de sanctions pénales est plus sévère et ne peut s'appliquer aux faits commis antérieurement à son entrée en vigueur ; qu'en disposant à l'article 433-1 du Code pénal que le tiers corrupteur commet le délit de corruption s'il cède aux sollicitations d'une personne dépositaire de l'autorité publique, faites soit directement, soit indirectement, le législateur a expressément visé l'acceptation d'une sollicitation faite par personne interposée, hypothèse qui n'était pas incriminée par l'ancien article 179 du Code pénal ; qu'en l'espèce l'offre de corruption prétendument acceptée par O en décembre 1990 a été effectuée par P, dirigeant de la société S qui n'avait ni la qualité d'agir ni celle de s'abstenir d'agir au sens de l'ancien article 177 du Code pénal ; que, dès lors, en déclarant le prévenu coupable de complicité d'un délit de corruption active qui ne pouvait être appréhendé à l'époque des faits, faute d'incrimination, l'arrêt attaqué a violé le principe susvisé ;

"2°) alors que dans l'hypothèse d'un fait unique de corruption, l'accomplissement par la personne dépositaire de l'autorité publique de l'acte en vue duquel l'offre frauduleuse a été faite ou a été agréée, n'est pas un élément constitutif de l'infraction de corruption active reprochée au tiers ; qu'un tel délit n'est caractérisé que par un fait personnel imputable au tiers corrupteur qui, soit a pris l'initiative de la fraude en proposant ou en remettant à la personne investie de la qualité requise des dons, soit a cédé aux sollicitations faites par la personne corrompue, en acceptant le pacte frauduleux ; qu'en conséquence lorsque le tiers est le destinataire de l'offre illicite, le délit de corruption active qui est une infraction instantanée ne peut se consommer qu'au seul moment de l'acceptation du pacte, l'accomplissement de l'acte promis étant un élément étranger postérieur à l'infraction ; qu'en l'espèce en déclarant O coupable de corruption active pour avoir accepté le pacte frauduleux proposé par P en décembre 1990 d'une part et d'avoir obtenu, le 21 mai 1991, signature du marché, objet du pacte de corruption d'autre part et en en déduisant, pour apprécier les faits de complicité reprochés à Y, que l'infraction principale était consommée le 21 mai 1991, l'arrêt attaqué a violé les dispositions susvisées ;

"3°) alors que l'aide et l'assistance postérieure à la commission de l'infraction ne sont pénalement punissables que si elles résultent d'un accord antérieur passé entre l'auteur et le complice ; qu'en l'espèce, l'arrêt attaqué n'a aucunement constaté qu'avant le mois de décembre 1990, date de l' acceptation de l'offre faite par P à O, caractérisant le délit de corruption active, un tel accord soit intervenu entre O directeur de la société T et Y avocat fiscaliste du groupe S, lesquels ne s'étaient d'ailleurs jamais rencontrés ; qu'ainsi les instructions données par le prévenu pour établir le montage financier du dossier, la fourniture de la brochure sur la Chine et les voyages effectués à Jersey, tous postérieurs au mois de décembre 1990 faute d'accord préalable, ne remplissent pas les conditions des articles 59 et 60 anciens du Code pénal de sorte que l'arrêt ne pouvait, sans violer les textes susvisés, déclarer constitué le délit de complicité de corruption active " ;

Attendu qu'après avoir constaté l'existence d'un pacte de corruption entre A, directeur de la société T, et les intermédiaires des conseillers généraux, Z et V pacte qui tendait à faire verser à ces derniers, en contrepartie d'actes de leurs fonctions, des commissions occultes de 2 000 000 de francs les juges relèvent que Y, en élaborant, pour le compte du corrupteur, le montage financier qui devait masquer le versement de la somme convenue, a donné à A des instructions, au sens de l'article 60, alinéa 1er, du Code pénal, pour commettre l'action délictuelle et a ensuite aidé et assisté l'auteur du délit, afin de permettre le paiement des "pots-de-vin" ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations la cour d'appel a donné une base légale à sa décision ; qu'en effet, si le délit de corruption est consommé dès la conclusion du pacte entre le corrupteur et le corrompu, il se renouvelle à chaque acte d'exécution dudit pacte ; qu'il s'ensuit que l'aide ou l'assistance en connaissance de cause à ces actes d'exécution constitue la complicité du délit ; d'où il suit que le moyen doit être écarté ;

V. Sur le pourvoi de N ; - Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 59, 60, 177 et 179 du Code pénal, 121-6, 121-7, 432-11 et 433-1 du nouveau Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré N coupable des faits de complicité de corruption liés à l'attribution du marché de la billetterie unique ;

"alors, d'une part, que le délit de corruption est consommé dès qu'est conclue une convention entre le corrupteur et le corrompu ayant pour objet de rémunérer un acte ou une abstention ; que l'aide ou l'assistance, postérieure à l'infraction, ne constitue un acte de complicité que si elle résulte d'un accord antérieur à l'action commise par l'auteur principal ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel ne pouvait pas se borner à affirmer que N avait conduit la procédure d'appel d'offres de manière telle que l'entreprise T soit effectivement désignée comme attributaire du marché ; que la cour d'appel devait rechercher si N avait agi avant la conclusion du pacte de corruption ou, à tout le moins, si son intervention résultait d'un accord avec les auteurs principaux antérieur au pacte de corruption ;

"alors, d'autre part, que la complicité de corruption, par aide ou assistance, n'est punissable que si l'aide ou l'assistance a été prêtée avec connaissance du pacte de corruption ; qu'en l'espèce, les juges du fond, s'ils relèvent que N avait connaissance de l'accord passé entre W, Z et V, n'ont, à aucun moment, fût-ce implicitement, constaté que N avait eu connaissance du pacte conclu entre les corrompus (W, Zet V) et le corrupteur (la société T)" ;

Sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles 59, 60, 177 et 179 du Code pénal, 121-6, 121-7, 432-11 et 433-1 du nouveau Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré N coupable des faits de complicité de corruption liés à l'attribution du marché des transports scolaires de la commune de Saint-Leu ;

"alors, d'une part, que le délit de corruption est consommé dès qu'est conclue une convention entre le corrupteur et le corrompu, ayant pour objet de rémunérer un acte ou une abstention ; que l'aide ou l'assistance postérieure à l'infraction ne constitue un acte de complicité que si elle résulte d'un accord antérieur à l'action commise par l'auteur principal ; qu'en l'espèce, il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que le pacte de corruption a été conclu au mois de mars 1992 (jugement confirmé, page 35, alinéa 5), tandis que les faits d'aide et d'assistance reprochés à N et retenus à son encontre commencent au plus tôt au mois de juin 1992 (arrêt attaqué, page 51, alinéa 1er) ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si N avait agi en exécution d'un accord passé avec les auteurs principaux antérieurement au pacte de corruption, la Cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;

"alors, d'autre part, que la complicité de corruption par aide ou assistance n'est punissable que si l'aide ou l'assistance a été prêtée avec connaissance du pacte de corruption ; qu'en l'espèce, les juges du fond n'ont à aucun moment constaté que N avait eu connaissance du pacte de corruption conclu entre les corrompus (W et M) et le corrupteur (D)" ;

Les moyens étant réunis ; - Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la Cour d'appel a caractérisé, sans insuffisance ni contradiction au regard tant des articles 60, 177 et 179 anciens que des articles 121-7, 432-11 et 433-1 nouveaux du Code pénal les faits de complicité dont N s'est rendu coupable par l'aide ou l'assistance qu'il a apportée, en connaissance de cause, aux divers actes d'exécution des délits de corruption commis par ses coprévenus ; d'où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause contradictoirement débattus, ne sauraient être accueillis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

Par ces motifs : Sur le pourvoi de X : Le declare irrecevable ; Sur les autres pourvois : Les rejette.