Livv
Décisions

CJCE, 23 octobre 1974, n° 17-74

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Transocean Marine Paint Association

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lecourt

Présidents de chambre :

MM. Odalaigh, Mackenzie, Stuart

Avocat général :

M. Warner

Juges :

MM. Donner, Monaco, Mertens de Wilmars (rapporteur), Pescatore, Kutscher, Sørensen

Avocats :

Mes Salomonson, Vogelzang

Comm. CE, du 21 déc. 1973

21 décembre 1973

LA COUR :

1. Attendu que, par décision du 21 décembre 1973, la Commission a, en vertu de l'article 85, paragraphe 3, du traité CEE, renouvelé, tout en la soumettant à des conditions nouvelles, l'exemption de l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, dont avait bénéficié, par décision du 27 juin 1967, un accord restrictif de la concurrence sur le marché des peintures marines, conclu entre les entreprises constituant la Transocean Marine Paint Association (ci-après l'Association) ;

2. Qu'entre autres, la lettre d du paragraphe 1 de l'article 3 de la décision oblige les membres de l'association à communiquer sans délai a la Commission : " toutes les participations financières et tous les liens personnels, résultant de la nomination de membres de leurs organes de gestion respectifs, entre un membre de l'Association et toute autre entreprise appartenant au secteur des peintures, ainsi que toutes les modifications des participations ou des liens personnels déjà existants " ;

3. Que le recours tend à l'annulation de cette seule disposition ;

4. Que les requérants invoquent, en premier lieu, que l'obligation litigieuse n'avait été mentionnée ni dans la " communication des griefs " du 27 juillet 1973, ni lors de l'audition du 27 septembre 1973, et qu'en outre, elle ne figurait dans aucune lettre ou mémoire de la Commission, antérieurs à la décision, de sorte qu'à aucun moment ils n'auraient eu l'occasion de faire connaître leur point de vue à cet égard ;

Qu'ainsi, la Commission aurait, en ce qui concerne la clause litigieuse, violé des règles de procédure, prescrites par le règlement n° 99-63 de la Commission du 25 juillet 1963 (JO n° 127 du 20.8.1963), relatif aux auditions prevues à l'article 19 du règlement n° 17 du conseil du 6 février 1962 (JO n° 13 du 21.2.1962) et en particulier les articles 2 et 4 dudit règlement n° 99-63 ;

5. Qu'ils invoquent, en second lieu, la violation de l'article 85 du traité et de l'article 8, paragraphe 1, du règlement n° 17 en ce que l'obligation mise à charge des entreprises dépasserait, par sa généralité, ce que l'article 85 permet de leur imposer ;

6. Attendu que, dans une communication du 27 juillet 1973 portant la mention " communication des griefs " et rédigée en néerlandais, la Commission faisait savoir qu'un renouvellement pur et simple de l'exemption ne pouvait être envisagé, la position des membres de l'Association sur le marché des peintures marines s'étant modifiée par suite de l'augmentation du nombre d'entreprises qui en faisait partie, de l'importance accrue de certaines d'entre elles et des liens que deux des membres, Astral et Urruzola, avaient noués avec des groupes importants de l'industrie chimique ;

7. Qu'elle ajoutait qu'elle était néanmoins disposée à renouveler l'exemption pour un délai de cinq ans, mais en l'assortissant de conditions et charges nouvelles dont l'une était formulée comme comportant, pour les membres de l'Association, outre les obligations énoncées a l'article 4 de la décision du 27 juin 1967, celle de notifier sans délai à la Commission " Iedere wijziging in de deelnemingsverhoudingen van de leden " (littéralement : toute modification dans les rapports de participation des membres) ;

8. Que les requérants font valoir qu'ils n'ont à aucun moment pu déduire de cette mention que la Commission envisageait de leur imposer une condition telle qu'elle a été exprimée dans la disposition attaquée, à laquelle ils ne seraient d'ailleurs pas en mesure, en raison de sa généralité, de se conformer, et qui le serait, sans motifs, leurs intérêts ;

Que, s'ils avaient pu se rendre compte des intentions de la Commission, ils n'auraient pas manqué de faire valoir leurs objections à cet égard, de façon à attirer son attention sur les inconvénients résultant de l'obligation litigieuse et sur l'illégalité qui l'entacherait ;

Que cette possibilité leur ayant manqué, la décision devrait, en ce qui concerne l'obligation litigieuse, être annulée en raison du vice de procédure qui l'entacherait ;

9. Que la défenderesse répond, en premier lieu, que l'obligation prévue à l'article 2 du règlement n° 99-63, selon lequel : " la Commission communique, par écrit, aux entreprises et associations d'entreprises les griefs retenus contre elles, " ainsi que l'obligation qui lui est faite par l'article 4 du même règlement, de ne retenir que " des griefs au sujet desquels les entreprises ou associations d'entreprises destinataires ont eu l'occasion de faire connaître leur point de vue ", ne concernerait pas les conditions dont la Commission entend assortir une décision d'exemption ;

10. Qu'elle ajoute que la préoccupation qui est exprimée dans la clause litigieuse aurait été connue des requérants, notamment par l'importance attachée au cas des firmes Astral et Urruzola, tant dans la communication du 27 juillet 1973 qu'au cours de l'audition ;

11. Attendu qu'aux termes de l'article 19 du règlement n° 17 du Conseil, la Commission, avant de prendre les décisions prévues aux articles 2, 3, 6, 7, 8, 15 et 16 de ce règlement, donne aux entreprises intéressées l'occasion de faire connaître leur point de vue au sujet des griefs retenus par elle;

Que, par son renvoi à l'article 6, cette disposition vise les décisions consécutives à une demande d'application de l'article 85, paragraphe 3;

12. Que, selon l'article 24 du même règlement, la Commission est autorisée à arrêter des dispositions d'application à cet égard, ce qu'elle a fait par le règlement n° 99-63 ;

13. Qu'il ressort tant de l'intitulé que du premier considérant de ce règlement qu'il concerne

toutes les auditions prévues par l'article 19 du règlement n° 17 du Conseil et s'applique, dès lors, également aux procédures relatives à l'article 85, paragraphe 3 ;

Que, cependant, l'obligation faite à la Commission par les articles 2 et 4 du règlement n° 99-63 de communiquer, par écrit ou par voie de publication au journal officiel, les griefs qu'elle fait valoir contre une entreprise et de ne retenir dans sa décision que ces seuls griefs, concerne essentiellement l'indication des motifs qui l'amènent à appliquer le paragraphe 1 de l'article 85, soit qu'elle ordonne la cessation d'une infraction ou inflige une amende aux entreprises, soit qu'elle leur refuse une attestation négative ou le bénéfice du paragraphe 3 de cette même disposition ;

14. Que, par contre, la Commission ne saurait être tenue d'anticiper sur les conditions et charges auxquelles elle est en droit de subordonner l'exemption prévue a l'article 85, paragraphe 3 ;

Qu'en effet, l'instruction d'une demande d'exemption peut faire apparaître des modalités diverses d'exécution d'une entente ou de contrôle de cette exécution, de nature à amener la Commission à renoncer à des griefs qu'elle avait opposés à cette demande et justifiant l'octroi, éventuellement assorti de conditions, du bénéfice de l'article 85, paragraphe 3 ;

15. Attendu, cependant, qu'il ressort, tant de la nature de la procédure d'audition et de son objet, que des articles 5, 6 et 7 du règlement n° 99-63, que celui-ci fait, même en dehors des cas spécifiquement visés par les articles 2 et 4, application de la règle générale selon laquelle les destinataires de décisions des autorités publiques qui affectent de manière sensible leurs intérêts, doivent être mis en mesure de faire connaître utilement leur point de vue;

Que cette règle implique que les entreprises soient clairement informées, en temps utile, de l'essentiel des conditions auxquelles la Commission envisage de subordonner une exemption et aient l'occasion de lui présenter leurs observations;

Qu'il en est spécialement ainsi lorsqu'il s'agit de conditions qui, comme en l'espèce, imposent des charges non négligeables et d'une portée étendue;

16. Que l'article 85, paragraphe 3, constituant, au bénéfice des entreprises, une exception à l'interdiction générale du paragraphe 1 de l'article 85, la Commission doit être à même de contrôler à chaque moment si les conditions qui justifient l'exemption demeurent réunies ;

Qu'elle jouit, dès lors, en ce qui concerne les modalités dont elle assortit l'exemption, d'un large pouvoir d'appréciation tout en étant tenue de respecter les limites que l'article 85 met à sa compétence ;

Qu'en contrepartie, l'exercice de ce pouvoir d'appréciation est lié à une large information préalable des objections que les entreprises pourraient faire valoir ;

17. Attendu qu'il apparaît du dossier qu'il n'a pas été satisfait à cette exigence en ce qui concerne l'obligation litigieuse;

18. Que la mention contenue dans la communication du 17 juillet 1973 pouvait être diversement interprétée et, entre autres, comme visant à compléter les renseignements déjà exigés en vertu de l'article 4 de la décision du 27 juin 1967 par la notification des liens pouvant exister entre les entreprises membres de l'association ;

Que l'ambiguïté de cette mention est également mise en lumière par la circonstance que, au cours de la procédure devant la Cour, la Commission en a proposé des versions différentes tant en anglais, langue choisie par les requérants pour la procédure, que dans la traduction française du mémoire en défense et sa correction à l'audience ;

19. Que s'il apparaît des procès-verbaux de la procédure d'audition que les liens entre deux membres de l'association, les sociétés Astral et Urruzola, et deux groupes importants de l'industrie chimique ont fait l'objet d'un examen approfondi - amenant d'ailleurs la Commission à renoncer à son exigence de voir ces deux membres quitter l'Association - lesdits procès-verbaux démontrent qu'à aucun moment la condition générale énoncée par la suite dans la décision n'a fait l'objet d'un échange de vues ;

Que cette circonstance confirme l'assertion des requérants qu'ils étaient convaincus que l'obligation telle qu'elle avait été énoncée dans la " communication des griefs " ne concernait que les relations réciproques des membres de l'Association et non tout lien avec des entreprises tierces, même celle opérant en dehors du Marché commun et dans le domaine des peintures autres que marines ;

20. Qu'ainsi, la condition visée au paragraphe 1, lettre d, de l'article 3 de la décision a été impose dans des conditions de procédure irrégulières, et qu'il importe que la Commission puisse statuer à nouveau sur ce point après avoir entendu les observations ou propositions des membres de l'Association ;

21. Que, pour important que soit l'objet de cette partie de la décision, elle n'en est pas moins détachable, à titre provisoire, des autres dispositions, de sorte qu'une annulation partielle est possible et justifiée par la circonstance qu'il s'agit d'une décision favorable, dans son ensemble, aux intérêts des entreprises concernées ;

22. Qu'il y a des lors lieu d'annuler la disposition attaquée et de renvoyer l'affaire devant la Commission ;

Sur les dépens

23. Attendu qu'aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens ;

24. Qu'en l'espèce, la partie défenderesse a succombé en ses moyens ;

25. Qu'il convient donc, conformément aux conclusions de la partie requérante de condamner la partie défenderesse aux dépens,

LA COUR déclare et arrête :

1) L'article 3, paragraphe 1, lettre d, de la décision du 21 décembre 1973 est annulé ;

2) L'affaire est renvoyée à la Commission ;

3) La Commission des Communautés européennes est condamnée aux dépens.