CJCE, 15 juillet 1970, n° 45-69
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Boehringer Mannheim GmbH
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M.Lecourt
Présidents de chambre :
MM. Monaco, Pescatore
Rapporteurs :
MM. Donner, Traburcchi
Avocat général :
M. Gand
Juges :
MM. Strauss, Mertens de Wilmars
Avocats :
Mes Deringer, Tessin, Herrmann, Sedemund
LA COUR :
1. Attendu que, la requérante a conclu en 1958 avec la firme NV Nederlandse combinatie voor Chemische Industrie, Amsterdam (appelée ci-après " Nedchem "), agissant conjointement avec cinq autres entreprises neerlandaises, représentées ensuite par elle, et avec la firme Buchler et Co, Braunschweig, un accord par lequel ces entreprises se sont réservées leurs marchés nationaux respectifs et ont prévu la fixation de prix et de quotas pour l'exportation de quinine et de quinidine à destination des autres pays ;
Que, Buchler s'est retiré de cet accord le 28 février 1959 ;
Qu'en juillet 1959, à la suite de l'intervention de Bundeskartellamt, à qui l'accord avait été notifié, Boehringer et Nedchem ont modifié cet accord de façon à en exclure les livraisons à destination des Etats membres de la CEE.
2. Qu'en 1960, une nouvelle entente a été constituée entre Boehringer et les deux autres entreprises précitées et étendue peu après à des entreprises françaises et anglaises ;
Que, cette entente a été fondée tout d'abord sur une convention concernant le commerce avec les pays tiers (appelée ci-après " convention d'exportation ") et prévoyant, entre autres, la fixation concertée des prix et des remises applicables aux exportations de quinine et de quinidine et la répartition de quotas d'exportation garantie par un système de compensation pour le cas où les quotas d'exportation seraient dépassés ou ne seraient pas atteints ;
Qu'en outre, un " gentlemen's agreement " entre les mêmes parties a étendu les dispositions susvisées à toutes les ventes effectuées à l'intérieur du Marché commun ;
Que cet acte a établi également le principe de la protection des marchés nationaux en faveur de chacun des producteurs et a obligé les membres français de l'entente à ne pas fabriquer de la quinidine synthétique, ;
3. Que la Commission, par décision du 16 juillet 1969 (JO n° L 192, p. 5 et s. ), estimant que, les restrictions à la concurrence ainsi prévues étaient susceptibles d'affecter le commerce entre les Etats membres, a infligé à la requérante une amende de 190000 unités de compte ;
4. Que, par requête déposée au greffe de la Cour le 26 septembre 1969, l'entreprise Boehringer a introduit un recours contre cette décision ;
A - Quant au moyen relatif à la prescription
5. Attendu que, la requérante fait grief à la Commission de ne pas avoir tenu compte de ce que l'infraction alléguée serait couverte par la prescription eu égard au délai qui s'est écoulé entre la date des faits et l'ouverture de la procédure administrative par la Commission ;
6. Attendu que les textes régissant le pouvoir de la Commission d'infliger des amendes en cas d'infraction aux règles de concurrence ne prévoient aucune prescription ;
Que, pour remplir sa fonction d'assurer la sécurité juridique, un délai de prescription doit être fixé à l'avance ;
Que la fixation de sa durée et des modalités d'application relève de la compétence du législateur communautaire ;
7. Que, dès lors, le grief n'est pas fondé ;
B - Quant aux moyens de procédure et de forme
I - Sur les moyens concernant l'exposé des griefs
8. Attendu qu'il est reproché à la Commission d'avoir violé l'article 19, paragraphe 1, du règlement du Conseil n° 17-62, l'article 4 du règlement de la Commission n° 99-63 et l'article 190 du traité, la communication écrite des griefs, du 30 juillet 1968, n'ayant pas exposé en détail les faits auxquels la Commission s'était reférée et les preuves sur lesquelles elle s'appuyait ;
9. Attendu que l'article 19, paragraphe 1, du règlement n° 17 oblige la Commission à donner aux intéressés, avant de prendre une décision en matière d'amendes, l'occasion de faire connaître leur point de vue au sujet des griefs qu'elle a retenus à leur égard;
Que l'article 4 du règlement n° 99 prévoit que, dans ses décisions, la Commission ne retient contre les entreprises et associations d'entreprises destinataires que les griefs au sujet desquels ces dernières ont eu l'occasion de faire connaître leur point de vue;
Que l'exposé des griefs répond à cette exigence, dès lors qu'il énonce, même sommairement, mais de manière claire, les faits essentiels sur lesquels se base la Commission ;
Que l'obligation imposée à celle-ci par l'article 19 est satisfaite dès lors qu'elle fournit au cours de la procédure administrative les éléments nécessaires à la défense ;
10. Attendu qu'en l'espèce la Commission a clairement exposé les faits essentiels sur lesquels elle fondait les griefs articulés, en se référant expressément à des déclarations contenues dans les procès-verbaux de certaines réunions des entreprises intéressés et à la correspondance relative à la protection des marchés nationaux échangée entre ces entreprises en octobre-novembre 1963 ;
Que, d'autre part, en soutenant, sur la base de ses vérifications, que les interessés ont continué à échanger des données relatives à leurs ventes en fonction de la compensation éventuelle des quantités et ont maintenu jusqu'à la fin de 1964, une politique de prix uniformes, elle en a déduit la continuation, après 1962, de l'application du gentlemen's agreement relatif à l'activité de production et de vente dans le Marché commun ;
11. Que, dès lors, les reproches soulevés à l'égard de l'exposé des griefs ne sont pas fondés ;
II- Sur le grief relatif à la consultation du dossier administratif
12. Attendu que, la requérante soutient que la Commission aurait violé les droits de la défense en lui refusant, au cours de la procédure administrative, la consultation des documents essentiels sur lesquels repose la décision attaquée ;
Que la défenderesse réplique qu'elle avait mis la requérante en mesure de consulter les documents qui revêtaient de l'importance pour l'appréciation des griefs ;
13. Attendu que l'exposé des griefs reproche à la requérante d'avoir suivi jusqu'en 1966, notamment pour ses ventes en Italie, Belgique, et Luxembourg, une politique, de prix communs avec d'autres producteurs de quinine ;
Que, selon cet exposé, ce comportement concerté résulterait notamment de l'uniformité des prix pratiqués par les entreprises pour leurs ventes dans lesdits pays ;
Qu'à l'appui de cette affirmation, l'exposé des griefs (paragraphe 11, dernier alinéa) se réfère aux résultats des vérifications effectuées par des agents de la commission dans ces pays ;
Que la requérante, au cours de la procédure administrative, a demandé expressément à la Commission de lui donner connaissance des résultats des vérifications susvisées ;
Que la Commission a opposé un refus à cette demande, en invoquant la nécessité de sauvegarder le secret d'affaires des autres entreprises ;
14. Attendu, cependant, que, la Commission a elle-même allègué que, ces entreprises se seraient réciproquement et régulièrement communiquées, les données relatives aux quantités vendues dans les Etats en question ;
Que, d'ailleurs, en cas de doute, la Commission aurait pu demander l'avis des autres entreprises intéressés sur la communication demandée par la requérante des documents les concernant ;
Qu'il n'apparaît pas que la Commission ait procèdé à cette consultation ;
15. Attendu, cependant, que, tout au long de la procédure administrative, la requérante n'a pas contesté avoir pratiqué une politique concertée en matière de prix jusqu'à fin 1964 ;
Qu'ainsi, le défaut de communication de pièces ne parait avoir été susceptible d'affecter les possibilités de défense de la requérante, dans le cadre de la procédure administrative, qu'en ce qui concerne janvier 1965 ;
Que, dès lors, il y a lieu de joindre cet élément au fond ;
III- Sur les griefs relatifs à la rédaction du procès-verbal de l'audition
16. Attendu que la requérante soutient que tant le Comité consultatif en matière d'ententes que la Commission se seraient basés sur un texte non définitif du procès-verbal de l'audition, qui ne tenait pas compte des modifications qu'elle avait proposées ;
Que cette circonstance serait incompatible avec les principes de l'état de droit relatifs à la garantie des droits fondamentaux de l'entreprise menacée de sanctions ;
17. Attendu que le caractère non définitif du procès-verbal de l'audition soumis aux deux organes susvisés ne pourrait constituer un vice de la procédure administrative susceptible d'entacher d'illégalité la décision qui en constitue l'aboutissement que si le texte en question était rédigé de manière à induire en erreur sur un point essentiel ;
Qu'il résulte de l'examen des amendements proposés par la requérante au projet de procès-verbal, que les modifications demandées ne portaient pas sur des éléments essentiels, de sorte que le texte définitif du procès-verbal contenant toutes les modifications proposées par la requérante ne se détache sur aucun point essentiel du projet soumis aux membres de la Commission ;
Que ce projet n'était donc pas de nature à altérer les déclarations des intéressés, de sorte qu'il a pu fournir au Comité consultatif et à la Commission des informations complétés sur le contenu essentiel des déclarations émises lors de l'audition ;
18. Que le présent grief n'est donc pas fondé ;
IV - Sur les griefs relatifs à la procédure devant le Comité consultatif
19. Attendu que, la requérante fait grief à la Commission de ne pas avoir indiqué au Comité consultatif le montant de l'amende envisagée et qu'elle a persisté dans son mémoire en réplique à faire valoir ce moyen malgré l'allégation contraire de la défenderesse ;
20. Attendu que les membres du Comité consultatif ont été informés, par lettre de la Commission du 30 mai 1969 accompagnant l'avant-projet de la décision dont il s'agit, de la proportion approximative des amendes prévues pour les différentes entreprises ;
Que, le directeur signataire de cette lettre ajoutait que, lors de la réunion du 23 juin 1969 il préciserait " oralement le montant des amendes envisagées actuellement " ;
Qu'il ressort des extraits du compte rendu de cette réunion que les membres du Comité ont reçu ces précisions et ont pu exprimer leur avis à cet égard ;
21. Que, dès lors, le présent grief n'est pas fondé ;
V - Sur le grief relatif à la participation insuffisante des membres de la Commission à la procédure administrative
22. Attendu que la requérante soutient que l'instruction serait entachée d'illégalité, en raison du fait que les membres de la Commission qui devaient décider de l'amende n'avaient pas été présents à son audition ;
23. Attendu que la procédure devant la Commission ayant pour objet d'appliquer l'article 85 du traité, même lorsqu'elle peut aboutir à des amendes, est une procédure administrative ;
Que, dans le cadre d'une telle procédure, rien ne s'oppose à ce que les membres de la commission chargée de prendre une décision infligeant des amendes soient informés des résultats de l'audition par des personnes que la Commission a mandatées pour y procéder, conformément à l'article 9, paragraphe 1, du règlement n° 99 ;
Que le fait que la requérante n'a pas été entendue personnellement par les membres de la Commission lors de son audition ne saurait donc constituer un vice de la décision attaquée ;
24. Attendu que la requérante soutient, en outre, que la procédure administrative serait viciée du fait que le dossier de l'affaire n'a pas été transmis dans son intégralité à chaque membre de la Commission ;
25. Attendu cependant que les membres de la Commission ont été informés de manière précise et compléte des points essentiels de l'affaire, et que le dossier en son entier leur était accessible ;
26. Que, partant, le grief de la requérante n'est pas fondé ;
C - Quant au fond
I - Sur la qualification et la durée du gentlemen's agreement
27. Attendu que la requérante fait grief à la Commission d'avoir considère comme un tout indissoluble au regard de l'article 85 la convention d'exportation concernant le commerce avec les pays tiers et le gentlemen's agreement régissant le comportement de ses membres dans le Marché commun ;
Qu'à la différence de la convention d'exportation, le gentlemen's agreement n'aurait pas constitué un accord, aux termes de l'article 85, paragraphe 1, et, de toute façon, aurait cessé d'exister de manière définitive dès la fin octobre 1962 ;
Que, le comportement des parties à la convention d'exportation ne permettrait pas de conclure qu'elles auraient continué à appliquer les restrictions à la concurrence prévues originairement par le gentlemen's agreement ;
Que, les conclusions contraires auxquelles parvient la décision attaquée seraient viciées parce que basées sur des constatations inexactes ;
28. Attendu que le gentlemen's agreement, dont l'existence jusqu'à fin octobre 1962 est reconnue par la requérante, avait pour objet de restreindre la concurrence dans le Marché commun ;
Que, les parties à la convention d'exportation s'étaient mutuellement déclarés disposées à se conformer au gentlemen's agreement, et admettent s'y être conformées jusqu'à la fin d'octobre 1962 ;
Que, ce document constituait ainsi la fidèle expression de la volonté des membres de l'entente sur leur comportement dans le Marché commun ;
Qu'en outre, il contenait une clause selon laquelle la violation du gentlemen's agreement constituerait ipso facto une violation de la convention d'exportation ;
Que, dans ces conditions, il convient de tenir compte de ce lien pour qualifier le gentlemen's agreement à l'égard des catégories d'actes interdits par l'article 85, paragraphe 1 ;
29. Attendu que la défenderesse fonde son opinion relative à la continuation jusqu'en février 1965, du gentleman's agreement, sur des documents et des déclarations émanant des parties à l'entente, dont la teneur peu claire et même contradictoire ne permet pas de décider si ces entreprises avaient entendu mettre fin au gentlemen's agreement lors de leur réunion du 29 octobre 1962 ;
Qu'il y a lieu d'examiner le comportement des entreprises dans le Marché commun après le 29 octobre 1962 sur les quatre points relatifs à la répartition des marchés nationaux, à la fixation de prix communs, à la détermination de quotas de vente et à l'interdiction de fabriquer la quinidine synthétique, ;
II - Sur la protection des marchés nationaux des producteurs
30. Attendu que le gentlemen's agreement assurait la protection de chaque marché national en faveur des producteurs des différents Etats membres ;
Qu'après octobre 1962, lorsque des livraisons d'une certaine importance ont eu lieu sur un de ces marchés de la part de producteurs non nationaux, comme ce fut le cas des ventes de quinine et de quinidine en France, ceux-ci se sont substantiellement alignés sur les prix intérieurs français, plus élevés que les prix à l'exportation vers les pays tiers ;
Qu'il ne parait pas qu'il y ait eu des modifications dans le volume insignifiant des échanges entre les autres Etats membres visés par la clause de protection nationale, malgré les différences importantes des prix pratiqués dans chacun de ces Etats ;
Que les divergences entre les législations internes de ces Etats ne suffisent pas à expliquer ces différences de prix ni l'absence substantielle d'échanges ;
31. Que l'échange de correspondance effectué en octobre novembre 1963 entre les parties à la convention d'exportation au sujet de la protection des marchés nationaux n'a fait que confirmer la volonté de ces entreprises de laisser inchangé cet état de choses ;
Que cette volonté a reçu une confirmation ultérieure de Nedchem lors de la réunion des entreprises intéressées à Bruxelles le 14 mars 1964 ;
32. Qu'il résulte de ces circonstances, qu'en ce qui concerne la restriction de la concurrence découlant de la protection des marchés nationaux des producteurs, ceux-ci ont continué, après la réunion du 29 octobre 1962, à se conformer au gentlemen's agreement de 1960 et ont confirmé leur volonté commune à cet effet ;
33. Attendu que la requérante soutient qu'en raison notamment de la pénurie de matières premières, la répartition des marchés nationaux, telle qu'elle résulte de l'échange de lettres d'octobre novembre 1963, était dépourvue de toute portée sur la concurrence dans le Marché commun ;
34. Attendu que, malgré la raréfaction des matières premières et une augmentation de la demande des produits en cause, comme la décision attaquée le constate, une menace sérieuse de pénurie ne s'est cependant manifestée qu'en 1964, à la suite de l'interruption des livraisons de Nedchem provenant de l'administration américaine ;
Que, d'autre part, une telle situation n'est pas de nature à rendre licite une entente ayant pour objet de restreindre la concurrence dans le Marché commun et affectant directement les échanges entre les Etats ;
Que la répartition des marchés nationaux a pour objet de restreindre la concurrence et les échanges effectués dans le Marché commun ;
Que le fait que cette entente ait pu avoir en pratique, lorsque la menace de pénurie des matières premières s'est manifestée, une portée moindre sur la concurrence et sur le commerce international que dans une période normale, ne saurait rien changer au fait que les parties n'ont pas cessé leurs agissements ;
Que, d'ailleurs, la requérante n'a fourni aucun élément déterminant susceptible d'établir qu'elle aurait cessé de se comporter conformément à l'entente avant la date d'expiration de l'accord d'exportation ;
35. Que, lors, les moyens concernant la partie de la décision relative à la continuation de l'accord sur la protection des marchés nationaux des producteurs jusqu'au début de février 1965 ne sont pas fondés ;
III - Sur la fixation en commun des prix de vente
36. Attendu qu'en ce qui concerne la fixation en commun des prix de vente pour les marchés non repartis, à savoir l'union belgo-luxembourgeoise et l'Italie, le gentlemen's agreement prévoyait l'application à ces ventes du barème des prix courants à l'exportation dans les pays tiers fixé de commun accord, conformément à la convention d'exportation ;
Que la fixation en commun des prix de vente par les producteurs de la quasi-totalité de quinine et de quinidine écoulée dans le Marché commun, est de nature à affecter le commerce entre les Etats membres et limite de manière grave la concurrence dans le Marché commun ;
Que si, comme le soutient la défenderesse, les parties à la convention d'exportation avaient continué jusqu'à février 1965 à appliquer, pour leurs fournitures dans les Etats membres susvisés, leurs prix courants à l'exportation, il en résulterait qu'elles auraient continué à se conformer à la partie du gentlemen's agreement relative à la fixation en commun des prix de vente ;
37. Attendu qu'en ce qui concerne la période de novembre 1962 à avril 1964, les données fournies par la défenderesse montrent une identité substantielle et constante entre les prix courants à l'exportation dans le cadre de l'entente et les prix pratiqués par les intéressés, y compris la requérante, pour leurs ventes dans les marchés nationaux non protégés de la Communauté ;
Que, lorsque ces prix s'écartent du barème des prix à l'exportation, c'est en fonction de rabais ou de majorations correspondant généralement à ceux convenus sous l'empire du gentlemen's agreement ;
Que la requérante, contrairement à ce qu'elle a fait pendant une partie de l'année 1964, n'a fourni, pour la période visée ci-dessus, aucune preuve, ni fait aucune offre de preuve contraire susceptible d'infirmer le bien-fondé de cette démonstration faite par la Commission ;
Que, d'autre part, l'augmentation des prix de 15 %, décidée en commun le 12 mars 1964 en vertu de la convention d'exportation qui avait permis de faire cesser l'opposition de Nedchem, a été uniformément appliquée, bien que cette entreprise eut préféré continuer à pratiquer des prix plus bas, également aux livraisons en Italie, en Belgique, et au Luxembourg ;
38. Que ces circonstances font apparaître qu'en matière de prix de vente les parties à la convention d'exportation ont continué, après octobre 1962, à se comporter dans le Marché commun comme si le gentlemen's agreement de 1960 était encore en vigueur ;
39. Attendu que le comportement tenu par les membres de l'entente en matière de prix des le mois de mai 1964 n'a fait l'objet de discussions approfondies qu'à la suite de questions posées par la Cour à la défenderesse au cours de la procédure orale ;
Qu'il ressort de ces débats, compte tenu des données fournies par les parties, qu'au cours de l'année 1964, et notamment à partir du mois de mai, un membre de l'entente a appliqué dans un nombre croissant de cas, des prix qui s'écartent des prix courants à l'exportation, sans que la défenderesse ait été en mesure d'expliquer d'une manière convaincante comment ce fait pourrait se concilier avec le maintien en vigueur de l'accord dont il s'agit ;
Que le défaut de communication aux intéressés des résultats des vérifications effectuées en Italie et en Belgique, qui a empêché toute possibilité de clarification et de discussion au stade de la procédure administrative, parait susceptible d'avoir contribué à maintenir dans l'ombre des faits qui auraient du être mis en lumière ;
40. Que, dans ces conditions, il n'a pas été établi à suffisance de droit que la requérante a pratiqué de commun accord avec les autres producteurs, des prix uniformes pour ses ventes dans l'union belgo-luxembourgeoise et en Italie après mai 1964 ;
Que, dès lors, la période de mai 1964 à février 1965 doit être écartée de l'infraction ;
IV - Sur les quotas de vente
41. Attendu qu'en ce qui concerne la fixation des quotas de vente pour le Marché commun, assortie d'un système de compensation, et constituant une garantie supplémentaire de la répartition des marchés nationaux, la requérante soutient que la condition nécessaire pour le fonctionnement d'un tel système, à savoir la communication réciproque de la totalité des ventes, y compris celles effectuées dans la Communauté, n'aurait plus eu lieu après le mois d'octobre 1962 ;
42. Attendu qu'il n'apparaît pas de manière certaine que les communications des intéressés relatives aux ventes, produites par la défenderesse à l'appui de son affirmation contraire, concernent également les livraisons dans le Marché commun ;
Qu'au contraire, ces documents se réfèrent généralement de manière expresse aux " ventes à l'exportation ", expression par laquelle les membres de l'entente désignaient habituellement les ventes aux pays tiers ;
Qu'en outre, il ressort d'un échange de lettres de janvier 1964 entre deux membres de l'entente que même la communication des chiffres relatifs à ces ventes à l'exportation n'était plus effectuée de manière régulière ;
Que la défenderesse elle-même, dans les motifs de la décision attaquée, admet qu'au cours des années 1963-1964 le mécanisme des compensations, visant à assurer le respect des quotas, n'a pas été appliqué en raison de la raréfaction des matières premières et de l'augmentation de la demande, de sorte que les membres de l'entente n'avaient plus intérêt à effectuer des livraisons compensatoires entre eux ;
43. Attendu que la défenderesse a présenté à l'audience un tableau des quantités de quinine écoulées par Nedchem, Boehringer et Buchler de 1962 à 1964, tendant à démontrer que ces quantités, considérées en pourcentage du total des quotas, ne s'écartent pas sensiblement pour cette période du quota assigné à chacune de ces entreprises dans le cadre de l'entente et, par là, que le mécanisme des quotas aurait continué à fonctionner après 1962 ;
44. Attendu cependant que ce tableau, qui exclut d'ailleurs les ventes de quinidine, fait apparaître que, même en prenant comme base une moyenne établie sur les deux dernières années, des écarts non négligeables subsistent pour chacune des trois entreprises par rapport à son propre quota ;
Qu'en outre, les chiffres fournis par la Commission ont un caractère global, comprenant la totalité des ventes de quinine des intéressés et ne permettent donc pas de voir quelle a été l'évolution du comportement de ceux-ci dans le Marché commun ;
Qu'en l'absence de preuves suffisantes sur la continuation du système des quotas pour les ventes dans le Marché commun après octobre 1962, il y a lieu de conclure que les griefs de la requérante à l'égard de cette partie de la décision attaquée sont fondés ;
V - Sur les limitations apportées à la fabrication de la quinidine synthétique
45. Attendu que le gentlemen's agreement interdisait au groupe des entreprises françaises de fabriquer de la quinidine synthétique, ;
Que, par la gravité des restrictions imposées à des entreprises d'un Etat membre en faveur d'entreprises d'autres Etats membres et compte tenu de l'importance de ces entreprises sur le marché concerné, ces interdictions ont manifestement pour objet de restreindre le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun et sont de nature à affecter le commerce entre les Etats membres ;
Que la circonstance invoquée que les entreprises françaises n'auraient pas été en mesure, à l'époque où cet accord a été conclu, de fabriquer de la quinidine synthétique ne saurait rendre licite une telle restriction qui empêchait toute possibilité de leur part d'entreprendre cette activité ;
46. Attendu que l'acceptation par les entreprises françaises de cette limitation à leur liberté d'action peut s'expliquer en considération de l'intérêt qu'elles avaient - en raison des prix particulièrement élevés qu'elles pratiquaient en France pour leurs produits - à sauvegarder la protection territoriale dont elles bénéficiaient sur leur marché national ;
Qu'en tenant compte du lien existant entre ces deux restrictions de la concurrence, on peut raisonnablement conclure que l'interdiction de production a duré autant que la protection territoriale ;
Que, s'il est vrai que Boehringer, en mars 1964, a cédé une licence pour la production de quinidine au membre anglais restant dans l'entente et auquel le gentlemen's agreement imposait des interdictions analogues à celles imposées aux entreprises françaises, ce fait ne change rien à ce qui a déjà été constaté quant aux rapports entre les entreprises françaises et les membres allemands et néerlandais de l'entente ;
Que, s'il est possible qu'en raison de la raréfaction des matières premières, constatée par la décision attaquée (n° 29, dernier alinéa), la protection des marchés nationaux n'ait pas dans sa dernière période, exercé d'effets importants sur le plan de la concurrence et des échanges entre les Etats membres, cette entente n'a pas moins duré jusqu'en février 1965 ;
Qu'à défaut de tout indice contraire et eu égard aux liens indiqués ci-dessus entre les deux aspects de l'entente, il y a lieu de considérer que l'accord restreignant la liberté de fabrication des entreprises françaises a eu la même durée ;
47. Que, dès lors, les griefs que la requérante a fait valoir à cet égard ne sont pas fondés ;
VI- Appréciation globale de l'entente dans le marché commun
48. Attendu qu'il ressort de l'ensemble de ce qui précède que la requérante a participé avec d'autres producteurs de quinine et de quinidine à une entente interdite par l'article 85 du traité CEE ;
Que cette entente a persisté sous la plupart de ces aspects, même après la réunion du 29 octobre 1962 ;
Que des doutes sérieux sur le maintien de l'entente après 1962 ne subsistent qu'en ce qui concerne l'application de quotas de vente ;
Que, cependant, la circonstance que les entreprises n'auraient pas continué à appliquer le système des quotas ne paraît pas avoir amélioré sensiblement les conditions de la concurrence, dès lors qu'elles ont persisté à pratiquer des prix fixés en commun, à appliquer uniformément pour leurs livraisons dans le Marché commun des augmentations communes de prix, effectuées en mars et en octobre 1964 et décidées dans le cadre de la convention d'exportation, à maintenir enfin la protection des marchés nationaux respectifs et l'interdiction pour les entreprises françaises de produire de la quinidine synthétique, ;
Que l'application de prix uniformes pour les livraisons en Italie, en Belgique, et au Luxembourg n'a toutefois pu être constatée que jusqu'en avril 1964 ;
49. Qu'enfin, même si on devait admettre que la convention d'exportation aurait pu fonctionner indépendamment de l'accord relatif au Marché commun, il faut constater qu'en fait, les membres de l'entente ont attribué une grande importance à ce que les deux accords reçoivent conjointement application ;
Que, bien qu'a partir d'octobre 1963 la convention d'exportation a été déclarée " en sommeil ", il apparaît clairement des déclarations faites par les intéressés au cours de leurs réunions postérieures ainsi que de l'ensemble de leur comportement ultérieur, qu'ils avaient encore intérêt à ce que cette convention soit préservée, notamment en vue de son éventuelle utilisation dans le Marché commun ;
VII - Sur les griefs relatifs à la constatation d'une faute
50. Attendu que la requérante fait grief à la Commission d'avoir violé l'article 15 du règlement n° 17, du fait que, la décision attaquée lui reproche d'avoir agi de propos delibéré ;
51. Attendu que l'article 15 susvisé ne limite pas l'application des sanctions qu'il prévoit au seul cas où l'infraction aurait été commise de propos délibéré ;
Que, cette considération ne pourrait jouer un rôle qu'aux fins de la détermination du montant de l'amende ;
VIII - Sur les griefs relatifs à l'amende
52. Attendu que la requérante reproche à la Commission de lui avoir infligé une amende du chef d'une infraction qui avait pris fin ;
Qu'en omettant de tenir compte de cette circonstance, du moins aux fins de la fixation du montant de l'amende, la défenderesse aurait commis un abus de pouvoir ;
53. Attendu que les sanctions prévues par l'article 15 du règlement n° 17 n'ont pas le caractère d'astreintes ;
Qu'elles ont pour but de réprimer des comportements illicites aussi bien que d'en prévenir le renouvellement ;
Que cette finalité ne pourrait être atteinte de manière adéquate si l'application d'une sanction devait être limitée aux seules infractions actuelles ;
Que le pouvoir de la Commission d'infliger des sanctions n'est nullement affecté par le fait que le comportement constitutif de l'infraction et la possibilité de ses effets nuisibles ont cessé ;
Que l'appréciation de la gravité de l'infraction, aux fins de la fixation du montant de l'amende, doit être effectuée en tenant compte notamment de la nature des restrictions apportées à la concurrence, du nombre et de l'importance des entreprises concernées, de la fraction respective du marché qu'elles contrôlent dans la Communauté ainsi que de la situation du marché à l'époque où l'infraction a été commise ;
54. Attendu que la requérante fait grief à la Commission d'avoir fixé tout d'abord un montant global de l'amende pour l'entente et de l'avoir reparti ensuite entre les entreprises ;
Que ce procédé ne serait pas compatible avec l'exigence de la fixation individuelle de l'amende ;
Qu'en outre, la requérante aurait fait l'objet d'une discrimination par rapport aux autres entreprises, en raison du montant disproportionné de l'amende qui lui a été infligée ;
55. Attendu que la fixation préalable d'un plafond global pour l'amende, déterminé en relation avec la gravité du danger que l'entente représentait pour la concurrence et les échanges dans le Marché commun, n'est pas incompatible avec la détermination individuelle de la sanction ;
Qu'en effet, la considération de la situation et du comportement individuel de chaque entreprise et de l'importance du rôle qu'elle a joué dans l'entente, peut intervenir lors de l'estimation individuelle du montant de l'amende ;
56. Qu'en l'espèce, la décision attaquée, notamment en ses alinéas 2 et 4 du n° 40, a expressément considéré la situation et le rôle de la requérante dans le cadre de l'entente ;
Qu'elle a fait état de l'influence majeure que cette entreprise a exercée avec Nedchem lors de l'élaboration et de la mise en œuvre de l'entente, et, surtout, de sa position de force sur le plan de l'approvisionnement en matières premières ;
Que, cette dernière circonstance justifie, de l'avis de la Commission, la mise a charge de la requérante d'une amende relativement plus lourde que celle imposée aux autres entreprises ;
Que, même en tenant compte de la faiblesse éventuelle de rendement des plantations de quinquina de la requérante au Congo en 1963-1964, le fait de pouvoir compter sur des ressources propres importantes pour l'avenir était susceptible, dans une période de raréfaction des matières premières sur le marché international, d'attribuer à l'entreprise requérante une influence importante sur les autres membres de l'entente se trouvant dans une position plus faible pour leur approvisionnement ;
57. Que cette appréciation de la Commission est justifiée ;
58. Qu'il ressort enfin du compte rendu des réunions communes que, les membres de l'entente ont tenues les 25 septembre et 29 octobre 1962 que ceux-ci étaient conscients de l'incompatibilité de leur action avec les interdictions du droit communautaire ;
Que le caractère grave et conscient des infractions justifie donc une amende élevée ;
59. Attendu que les constatations de la décision attaquée relatives aux infractions imputables à la requérante sont ainsi, en leur partie essentielle, fondées ;
Que l'exclusion de la fixation de quotas de vente pour la période allant de novembre 1962 à février 1965 et des prix de vente pour la période mai 1964-février 1965, n'ayant pas diminué d'une manière sensible la gravité des restrictions de la concurrence découlant de l'entente, ne justifie qu'une légère diminution de l'amende ;
Qu'il y a lieu de réduire celle-ci à 180000 unités de compte ;
60. Attendu que la requérante soutient que l'amende de 80000 dollars qui lui aurait été infligée par une juridiction des USA, pour les mêmes faits, et qui a été déjà acquittée antérieurement à la décision attaquée, devrait être imputée sur le montant de l'amende litigieuse ;
61. Attendu que ces sanctions sont intervenues à l'égard de restrictions de la concurrence qui se sont produites à l'extérieur de la Communauté ;
Que, dès lors, il n'y a pas lieu d'en tenir compte dans le présent litige;
Sur les dépens
62. Attendu qu'aux termes de l'article 69, paragraphe 2, alinéa 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens ;
Que la requérante ayant succombe pour l'essentiel de ses conclusions, elle doit être condamnée aux dépens de la présente instance ;
LA COUR,
Rejetant toutes autres conclusions plus amples ou contraires, déclare et arrête :
1 ) Le recours en annulation est rejeté ;
2 ) La décision de la Commission des Communautés européennes du 16 juillet 1969 (JO n° l 192, p. 5 et s. ) est reformée pour autant qu'en son article 1 elle constate que la requérante a appliqué les clauses du gentlemen's agreement du 9 avril 1960 concernant le système de quotas et de compensation au cours de la période de novembre 1962 à février 1965, et la fixation des prix et des remises pour les exportations de quinine et de quinidine au cours de la période de mai 1964 à février 1965 ;
3 ) L'amende infligée à la requérante par la décision précitée est réduite a 180000 unités de compte ;
4 ) La partie requérante est condamnée aux dépens de l'instance.