CA Nîmes, 2e ch. B, 27 juin 2002, n° 94-4504
NÎMES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Mareyeurs des Côtes de France (SARL)
Défendeur :
Société Gardoise de Marée (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Espel
Conseiller :
M. Bertrand
Avoués :
SCP Tardieu, Me d'Everlange
Avocats :
SCP Coulomb Durand, Me Mino
FAITS ET PROCEDURE:
Jean-Pierre Maurin a été engagé en qualité de chauffeur-livreur, le 4 avril 1992, par la SA Société Gardoise de Marée, dite SOGAMA.
Il a été promu responsable de vente à partir de 1988 [sic].
Le 16 septembre 1992, avec son employeur, il signe un avenant aux termes duquel il s'engage, "selon accord et salaire convenus avec la direction, à ne pas aller travailler, en cas de départ, chez un concurrent installé dans un périmètre proche de la SA Gardoise de Marée (GARD), et ce pendant un an, à compter de la date de sa démission".
Par lettre datée du 20 septembre 1993, postée le 23 septembre 1993, Jean-Pierre Maurin donne sa démission, avec effet au 3 octobre 1993.
Il est embauché par la SARL Mareyeurs des Côtes de France, à compter du 5 octobre 1993.
Par lettre du 26 octobre 1993, la SA Gardoise de Marée écrit tant à Jean-Pierre Maurin, qu'à la SARL Mareyeurs des Côtes de France, pour faire état d'une clause de non-concurrence et demander au nouvel employeur de cesser toutes relations de travail avec lui.
Le 2 octobre 1993, la SA Gardoise de Marée, dite SOGAMA, saisissait le Conseil de prud'hommes de Nîmes, d'une demande de dommages et intérêts pour non-respect de la clause de non-concurrence par son ex-salarié, Jean-Pierre Maurin.
Le 7 décembre 1993, la SA Gardoise de Marée, dite SOGAMA, faisait assigner la SARL Mareyeurs des Côtes de France devant le Tribunal de commerce de Nîmes, aux fins de condamnation à paiement d'une somme de 500 000 F à titre de dommages et intérêts, pour avoir commis des manœuvres frauduleuses, en embauchant Monsieur Maurin, tenu par une clause de non-concurrence, et l'avoir gardé dans ses effectifs, se rendant ainsi coupable de faits de concurrence déloyale.
Par jugement du 7 octobre 1994, le Tribunal de commerce de Nîmes se déclarait compétent, rejetait l'exception de connexité soulevée par la SARL Mareyeurs des Côtes de France, considérait que celle-ci avait commis un acte de concurrence déloyale, en conservant à son service, un ancien salarié de la SOGAMA, lié par une clause de non-concurrence, condamnait celle-ci à payer, à SOGAMA, 100 000 F à titre de dommages et intérêts pour préjudice commercial, avec exécution provisoire, outre condamnation au paiement d'une somme de 5 000 F, au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure vivile.
Le 9 novembre 1994, la SARL Mareyeurs des Côtes de France interjetait appel de ce jugement.
Par jugement du 23 octobre 1995, le Conseil des prud'hommes de Nîmes considérait que l'obligation de Jean-Pierre Maurin de ne pas faire concurrence à la SOGAMA, à l'expiration de son contrat de travail, trouvait sa cause dans l'obligation de son employeur, de requalifier sa fonction et d'augmenter sa rémunération, ce qu'il n'avait pas fait.
En conséquence, cette juridiction estimait que l'obligation de non-concurrence, mise à la charge de Jean-Pierre Maurin, était nulle pour défaut de cause, et que dès lors, celui-ci n'avait pu violer une telle clause. Elle déboutait donc, la société Gardoise de Marée, de ses demandes.
La Chambre sociale de la Cour d'appel de Nîmes confirmait ce jugement, par arrêt du 4 décembre 1997.
Le 18 avril 2000, la Chambre sociale de la Cour de cassation rejetait le pourvoi formé contre cet arrêt, par la société Gardoise de Marée.
La procédure d'appel concernant le jugement, rendu par le Tribunal de commerce de Nîmes, du 7 octobre 1994, donnait lieu à un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour d'appel de Nîmes, rendu le 11 avril 1996, recevant l'appel, ordonnant le sursis à statuer, dans l'attente de l'arrêt de la Chambre sociale de la Cour d'appel de Nîmes, condamnant la SOGAMA, à rembourser, à la SARL Mareyeurs des Côtes de France, avec intérêts au taux légal à compter du jour du paiement, la somme reçue au titre de l'exécution provisoire ordonnée, selon la cour, à tort par le Tribunal de commerce de Nîmes.
Par arrêt du 10 septembre 1998, cette formation ordonnait un nouveau sursis à statuer, dans l'attente de l'arrêt de la Cour de cassation.
Par arrêt du 6 décembre 2001, et sur demande des parties, l'affaire était renvoyée au 14 janvier 2002.
A cette dernière date, en raison de la grève des avocats, l'affaire était renvoyée au 27 mai 2002.
L'ordonnance de clôture fixée au 3 mai 2002 était révoquée, la clôture intervenant à nouveau au 27 mai 2002.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES:
Par conclusions récapitulatives signifiées le 27 février 2002, la SARL Mareyeurs des Côtes de France demande de dire que l'exception de connexité imposait au premier juge, qu'il soit sursis à statuer en l'état du contentieux prud'homal en cours, de dire que la condamnation de la SARL Mareyeurs des Côtes de France, à réparation d'un préjudice éventuel, n'était pas fondée en l'état, d'infirmer en conséquence le jugement déféré, de condamner la SOGAMA à lui payer la somme de 50 000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, ainsi que celle de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
L'appelante fait notamment valoir:
- qu'elle n'est pas intervenue dans le débauchage;
- qu'elle n'était pas informée, avant l'embauche, de l'existence d'une clause de non-concurrence;
- que l'appréciation de la validité de ladite clause était une condition préalable au contentieux concurrentiel;
- que la preuve d'une attitude fautive pouvant lui être imputée, n'est nullement rapportée.
Un bordereau récapitulatif de pièces est annexé à ses écritures.
Par conclusions récapitulatives et en réponse, signifiées le 22 mai 2002, la SA Gardoise de Marée, dite SOGAMA, sollicite la confirmation, le débouté des demandes de la SARL Mareyeurs des Côtes de France, sa condamnation à lui payer, la somme de 348,98 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Elle reproche à la SARL Mareyeurs des Côtes de France, d'avoir débauché activement Monsieur Maurin, d'avoir refusé de rompre son contrat de travail, malgré mise en demeure, alors que son établissement commercial est à 500 mètres du sien au Grau-du-Roi, de s'être soustraite volontairement à la taxe professionnelle, concernant son établissement du Grau-du-Roi, enfin, de ne pas avoir payé les loyers.
Elle estime donc que la SARL Mareyeurs des Côtes de France ne justifie pas de l'exercice loyal de son activité commerciale sur le site du Grau-du-Roi, pour la période allant de 1993 à 1997 (page 7 de ses conclusions).
Un bordereau récapitulatif de pièces est annexé auxdites écritures.
MOTIFS DE LA DECISION
Par arrêt du 11 avril 1996, la cour de ce siège a déjà déclaré recevable, l'appel principal, étant précisé cependant que celui-ci est cantonné, dans la mesure où il n'est pas relevé appel des dispositions du jugement déféré, concernant la compétence.
S'il est fait référence à une exception de sursis à statuer, à laquelle les premiers juges auraient dû faire droit, la cour relève que celle-ci est devenue sans objet, compte tenu du terme mis à la procédure prud'homale, par arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation, rendu le 18 avril 2000.
Sur la concurrence déloyale:
1) en droit:
La liberté du commerce étant la règle, la compétition pour la recherche de la clientèle est libre.
Un ancien employeur ne saurait faire échec aux droits qu'a tout salarié, qui n'est plus lié à lui, et qui n'est débiteur d'aucune clause de non-concurrence, de passer au service de tel de ses concurrents de son choix, quelque puisse être la répercussion de ce changement d'employeur, sur une clientèle dont la liberté reste entière, sauf à démontrer l'existence de manœuvres déloyales.
L'existence de manœuvres déloyales ne peut résulter de la seule contestation de l'embauche par ce concurrent, d'un salarié démissionnaire, de l'attribution à celui-ci de fonctions identiques, d'un transfert important de la clientèle dans les mois ayant suivi l'embauche, dès lors qu'il n'est pas démontré de façon concrète, que ces faits ont entraîné la désorganisation du fonctionnement de l'entreprise.
2) en l'espèce:
Il résulte des explications des parties, et des différentes pièces produites par elles:
- que Jean-Pierre Maurin, salarié de la SOGAMA depuis 1982, ne disposait d'aucun contrat de travail écrit;
- qu'à la suite de sa démission, à effet au 3 octobre 1993, il a été embauché le 5 octobre 1993, par la SARL Mareyeurs des Côtes de France, sans qu'il soit établi, que celle-ci ait eu connaissance de "l'engagement de non-concurrence" du 16 septembre 1992;
- que malgré mise en demeure, adressée tant au salarié qu'à son nouvel employeur, Jean-Pierre Maurin est resté salarié de la SARL Mareyeurs des Côtes de France;
- que la SOGAMA ne peut nullement se fonder sur une clause de non-concurrence, dont la nullité a été reconnue par une décision de justice, dont il n'est pas contesté qu'elle soit devenue définitive, pour estimer que l'appelante n'a pas respecté cette disposition;
- qu'elle ne démontre nullement l'existence de manœuvres déloyales de la SARL Mareyeurs des Côtes de France, l'ayant conduit à débaucher Jean-Pierre Maurin;
- que les "attestations" de Messieurs Besson et Gandolphe ne démontrent nullement l'existence des fautes ainsi alléguées, les attestations en cause n'étant pas en outre conformes, aux dispositions de l'article 202 du nouveau Code de procédure civile, concernant le lien de parenté ou d'alliance, de subordination, de collaboration ou de communauté d'intérêts avec les parties;
- qu'il a au contraire été établi, que la clause de non-concurrence du 16 septembre 1992, était subordonnée à une augmentation de salaire, que devait accorder l'employeur, et que celle-ci n'étant pas intervenue, le salarié était fondé à se considérer libéré de l'interdiction de concurrence;
- que dès lors, la SOGAMA ne peut reprocher à la SARL Mareyeurs des Côtes de France d'avoir, dans un contexte de libre concurrence, et de liberté du travail, fait des propositions d'embauche à Jean-Pierre Maurin, avant de le recruter pour l'exercice de fonctions semblables, sur le port du Grau-du-Roi, où il n'est pas contesté, qu'il existe plusieurs entreprises de mareyage;
- que la SOGAMA ne démontre nullement l'existence d'un détournement de clientèle;
- que la production d'un extrait de son grand livre de clients, concernant le seul Jacques Lavanoux, ne suffit pas à établir l'existence d'une attitude fautive de la part de la SARL Mareyeurs des Côtes de France, et étant rappelé que la clientèle n'est pas susceptible d'appropriation;
- que la SOGAMA se garde bien de produire, l'ensemble de ses états comptables, et ses avis d'imposition établis, avant, et après départ de Monsieur Maurin, ce qui aurait permis de relever, une éventuelle désorganisation de l'entreprise, et une baisse importante de son chiffre d'affaires;
- que, sentant d'ailleurs la fragilité du seul grief soumis au premier juge, relatif au débauchage d'un ancien salarié soumis à une clause de non-concurrence, elle invoque en appel, de nouveaux griefs, relatifs:
-- au défaut de paiement de loyers pour son local commercial du Grau-du-Roi,
-- au défaut de règlement de la taxe professionnelle, laissant entendre clairement que de 1993 à 1997, soit pour une période différente de celle examinée par les premiers juges, elle n'a pas exercé loyalement son activité commerciale sur le site du Grau-du-Roi;
- que là encore, la SOGAMA avance des griefs dénués de tout fondement;
- que les attestions de son commissaire aux comptes, la SARL A et T Audit, représentée par Daniel Ghio, des 15 novembre 2001 et 18 décembre 2001, et la copie de ses avis d'imposition et de dégrèvement établissent clairement le respect par la SARL Mareyeurs des Côtes de France de ses obligations fiscales pour la période concernée, au titre de la taxe professionnelle;
- qu'il en est de même pour le règlement de ses loyers concernant son local du Grau-du-Roi, au titre de baux successifs consentis par une SCI Peche et Culture, ladite société produisant les quittances de loyers pour la période allant de juin 1992 à septembre 1999;
- que l'attestation de Marc Lepan, du 7 janvier 2002, ne démontre nullement la réalité du grief avancé par la SOGAMA.
Ne pouvant invoquer une clause de non-concurrence déclarée nulle, ne démontrant pas l'existence d'un comportement fautif de la SARL Mareyeurs des Côtes de France, à l'embauche de Monsieur Maurin, ne prouvant pas l'exercice irrégulier de son activité commerciale sur la place du Grau-du-Roi, de 1993 à 1997, la SOGAMA n'établit nullement l'existence de fautes constituant des actes de concurrence déloyale.
C'est donc à tort, que les premiers juges ont condamné la SARL Mareyeurs des Côtes de France, à payer des dommages et intérêts à la SOGAMA, après avoir estimé qu'elle avait commis des faits de concurrence déloyale.
Leur décision doit être infirmée, la SOGAMA étant déboutée de toutes ses demandes.
Sur les dommages et intérêts pour procédure abusive:
Assignée en 1994, par l'un de ses concurrents, pour un grief qui s'est révélé non fondé, poursuivant sa procédure, malgré l'échec du contentieux prud'homal, formulant en appel de nouvelles accusations tout aussi infondées, et concernant une période différente, la SOGAMA a eu un comportement fautif, à l'égard de la SARL Mareyeurs des Côtes de France, en engageant, puis en maintenant abusivement, pendant de nombreuses années, une procédure infondée.
C'est donc à tort que les premiers juges ont rejeté la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Compte tenu des circonstances de la cause, c'est à juste titre que la SARL Mareyeurs des Côtes de France peut invoquer l'attitude fautive de la SOGAMA, et elle justifie du préjudice qui en est résulté pour une procédure engagée depuis 1994, préjudice qui sera justement réparé par l'allocation d'une somme de 7 622,45 euro à titre de dommages et intérêts.
Sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile:
L'équité commande d'allouer à la SARL Mareyeurs des Côtes de France, la somme de 3 048,98 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par contre, l'équité ne commande nullement d'allouer à la SOGAMA qui succombe, la moindre somme au titre des dispositions précitées.
Sur les dépens:
Succombant, la société Gardoise de Marée SA, dite SOGAMA, supportera les dépens de première instance et d'appel.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, et dans les limites de l'appel; Vu les arrêts rendus par la cour de ce siège entre les parties, les 11 avril 1996, 10 septembre 1998, et 6 décembre 2001, Constate que l'exception de sursis à statuer est devenue sans objet, Infirme le jugement déféré, Et statuant à nouveau, Déboute la société Gardoise de Marée SA, dite SOGAMA, de toutes ses demandes; Condamne la SA société Gardoise de Marée, dite SOGAMA à payer, à la SARL Mareyeurs des Côtes de France: 1) 7 622,45 euro à titre de dommages et intérêts, 2) 3 048,98 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la SA société Gardoise de Marée, dite SOGAMA, aux dépens de première instance et d'appel, et autorise la SCP Tardieu, avoués, à recouvrer ces derniers, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.