TPICE, président, 15 décembre 1992, n° T-96/92 R
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES
Ordonnance
PARTIES
Demandeur :
Comité central d'entreprise de la Société Générale des Grandes Sources, Comité d'établissement de la Source Perrier, Syndicat CGT de la Source Perrier, Comité de groupe Perrier
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cruz Vilaça
Avocat :
Me Méloux.
LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,
En fait
1 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 9 novembre 1992, le comité central d'entreprise de la Société Générale des Grandes Sources, le comité d'établissement de la Source Perrier, le syndicat CGT de la Source Perrier et le comité de groupe Perrier (ci-après "requérants") ont introduit, en vertu de l'article 173, deuxième alinéa, du traité CEE, un recours visant à l'annulation de la décision de la Commission du 22 juillet 1992, relative à une procédure d'application du règlement (CEE) n° 4064-89 du Conseil (IV/M.190 - Nestlé/Perrier, JO L 356, p. 1).
2 Par acte séparé enregistré au greffe du Tribunal le même jour, les requérants ont également introduit, en vertu des articles 185 et 186 du traité CEE et 104 à 110 du règlement de procédure, une demande visant à obtenir, à titre principal, le sursis à l'exécution de la décision litigieuse et, à titre subsidiaire, que le Tribunal ordonne à la Commission d'enjoindre à Nestlé de:
- procéder aux consultations et recueillir les informations complètes en temps utile, selon la législation nationale applicable, des institutions représentatives du personnel de Perrier;
- suspendre, pour la durée de l'instance en annulation, toute mesure de suppression d'emplois au sein des entreprises du groupe Perrier en rapport avec la prise de contrôle de Perrier par Nestlé, et
- suspendre toute exécution d'accords antérieurs envers des tiers ou d'engagements pris à l'égard de la Commission, tendant à modifier la configuration du groupe des sociétés Perrier par voie de cession d'actifs, prise de participation financière ou toute autre modalité juridique ou financière ayant pour objet de transférer le contrôle d'une quelconque entité du groupe Perrier à un tiers, jusqu'à ce que le Tribunal ait statué sur le recours au fond.
3 La Commission a déposé ses observations écrites sur la présente demande en référé le 23 novembre 1992. Les parties ont été entendues en leurs explications orales le 1er décembre 1992.
4 Avant d'examiner le bien-fondé de la demande en référé, il convient de rappeler le contexte de la présente affaire et, en particulier, les faits essentiels qui sont à l'origine du litige dont le Tribunal est saisi, tels qu'ils résultent des mémoires déposés par les parties et des explications orales données au cours de l'audience du 1er décembre 1992.
5 Le 25 février 1992, la société Nestlé (ci-après "Nestlé") a notifié, conformément à l'article 4, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 4064-89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JO L 395, p. 1, ci-après "règlement n° 4064-89"), à la Commission une offre publique d'achat (ci-après "OPA") portant sur les actions de la Source Perrier SA (ci-après "Perrier") lancée, le 20 janvier 1992, par la société Demilac (ci-après "Demilac"), filiale commune de Nestlé et de la Banque Indosuez. Nestlé et Demilac se seraient engagées en cas de succès de l'OPA à vendre au groupe BSN une des filiales de Perrier, à savoir la société Volvic.
6 Après avoir procédé à l'examen de la notification, la Commission a décidé, le 25 mars 1992, en application de l'article 6, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 4064-89, d'engager la procédure au motif que l'opération de concentration notifiée soulevait des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le Marché commun. De l'avis de la Commission, l'opération risquait d'entraîner la création d'une position dominante soit de l'entité Nestlé/Perrier prise isolément soit de Nestlé/Perrier et BSN prises dans leur ensemble.
7 Par lettre du 19 juin 1992, le syndicat CGT de la Source Perrier (ci-après "syndicat CGT") a demandé à la Commission des renseignements sur l'enquête en cours à propos de l'opération de rachat de Perrier par Nestlé/Demilac. Suite à cette lettre, les services de la Commission se sont déclarés disposés à organiser une réunion d'information. Cette réunion a eu lieu le 2 juillet 1992. Au cours de celle-ci, les représentants du syndicat ont fait part à la Commission de leurs soucis concernant les répercussions sociales de l'opération de concentration notifiée et ont déposé un dossier comportant, notamment, des compte-rendus de réunions du comité d'établissement et du comité de groupe de Perrier, des documents relatifs aux démarches entreprises auprès des autorités judiciaires et administratives françaises, ainsi que de communiqués syndicaux et extraits de presse. Le lendemain de cette réunion, le syndicat CGT a transmis à la Commission, qui avait demandé à disposer de données chiffrées concernant les conséquences sociales de l'acquisition de Perrier par Nestlé, le rapport annuel de Perrier pour l'année 1991.
8 Le 22 juillet 1992, au vu des engagements pris par Nestlé à son égard, la Commission a adopté une décision déclarant la concentration compatible avec le Marché commun (ci-après "décision"). La décision est assortie de conditions et charges visant à assurer que Nestlé respecte les engagements qu'elle a pris. Ces conditions et charges, qui ont pour objet de faciliter l'entrée sur le marché français des eaux embouteillées d'un concurrent viable, disposant de ressources adéquates pour exercer une concurrence effective vis-à-vis de Nestlé et de BSN, peuvent être résumées comme suit:
- Nestlé doit vendre à ce concurrent les marques et les sources Vichy, Thonon, Pierval, Saint Yorre et un certain nombre d'autres sources locales, ainsi que les capacités d'embouteillage afférentes à ces sources;
- Nestlé ne doit fournir aucune donnée remontant à moins de un an concernant le volume de ses ventes à une association professionnelle ou à toute entité susceptible de les rendre accessibles à d'autres concurrents;
- Nestlé devra gérer de manière séparée l'ensemble des actifs et des intérêts qu'elle a acquis de Perrier, tant que la vente des marques et sources précitées n'aura pas été réalisée;
- Nestlé ne pourra procéder, au cours de la période susvisée, à une quelconque modification structurelle au sein de Perrier, sans l'accord préalable de la Commission;
- le choix de l'acquéreur, qui devra disposer de ressources financières et d'un savoir-faire suffisants dans le domaine des boissons ou des produits alimentaires de marque, sera soumis à l'approbation de la Commission;
- Nestlé ne pourra pas vendre Volvic à BSN jusqu'à ce qu'intervienne la vente des marques et sources identifiées ci-avant;
- Nestlé ne pourra pas racheter, directement ou indirectement, pendant une période de dix ans, les marques et sources qu'elle est tenue de vendre et devra informer la Commission de l'achat éventuel qu'elle pourrait faire, pendant une période de cinq ans à compter de l'adoption de la décision, de toute entité présente sur le marché français des eaux embouteillées dont la part de marché serait supérieure à 5 %.
En droit
9 En vertu des dispositions combinées des articles 185 et 186 du traité CEE et de l'article 4 de la décision du Conseil du 24 octobre 1988, instituant un Tribunal de première instance des Communautés européennes, le Tribunal peut, s'il estime que les circonstances l'exigent, ordonner le sursis à l'exécution de l'acte attaqué ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.
10 L'article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal prévoit que les demandes relatives à des mesures provisoires visées aux article 185 et 186 du traité CEE doivent spécifier les circonstances établissant l'urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l'octroi de la mesure à laquelle elles concluent. Les mesures demandées doivent présenter un caractère provisoire en ce sens qu'elles ne doivent pas préjuger de la décision sur le fond (voir, en dernier lieu, l'ordonnance du président du Tribunal du 16 juillet 1992, SPO e.a./Commission, T-29-92 R, Rec. p. II-2161).
Arguments des parties
11 Les requérants estiment que les conditions permettant en droit l'octroi des mesures provisoires demandées se trouvent réunies en l'espèce. De l'avis des requérants, la décision litigieuse est illégale et son exécution immédiate entraînerait un préjudice grave et irréparable dans leur chef.
12 S'agissant de l'illégalité de la décision, les requérants renvoient aux moyens et arguments développés dans leur requête au principal, dans laquelle ils font valoir, en substance, que l'acte attaqué a été adopté au terme d'une procédure entachée de vices substantiels, en violation des principes fondamentaux du droit social communautaire ainsi que des dispositions du traité et de leurs règlements d'application.
13 Les requérants soulignent, en particulier, qu'en se limitant, à la demande du syndicat CGT, à une simple audition de ses représentants le 2 juillet 1992 la Commission a violé l'obligation, qui lui était imposée par le règlement n° 4064-89 et le règlement (CEE) n° 2367-90 de la Commission, du 25 juillet 1990, relatif aux notifications, aux délais et aux auditions conformément au règlement (CEE) n° 4064-89 du Conseil, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JO L 219, p. 5, ci-après "règlement n° 2367-90"), d'informer par écrit les représentants reconnus des travailleurs de la nature et de l'objet de l'affaire, de leur fixer un délai pour faire connaître leur point de vue ainsi que de leur donner accès au dossier. Ils font valoir, par ailleurs, que la Commission a omis de leur indiquer qu'ils pourraient être assistés par un avocat lors de leur audition, ainsi que le prévoit l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 2367-90.
14 Les requérants considèrent, en outre, qu'en autorisant l'opération de concentration notifiée sans que des droits sociaux fondamentaux, tels le maintien et l'amélioration du niveau d'emploi ainsi que le droit à l'information et à la consultation préalable dans tous les cas de menace collective pour l'emploi, ne soient sauvegardés la Commission a méconnu les principes fondamentaux du droit social communautaire édictés par la charte sociale européenne, signée à Turin le 18 octobre 1961, la charte communautaire des droits sociaux fondamentaux, signée à Strasbourg le 9 décembre 1989, les articles 117 et suivants du traité CEE ainsi que les directives 75-129-CEE du Conseil, du 17 février 1975, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs (JO L 48, p. 29), et 77-187-CEE du Conseil, du 14 février 1977, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements (JO L 61, p. 26, ci-après "directive 77-187").
15 Les requérants font valoir, également, que la décision déclarant l'opération de concentration notifiée compatible avec le Marché commun, en l'assortissant de charges et conditions, n'est pas une décision adéquate au but poursuivi. Selon les requérants, la Commission, ayant considéré qu'on ne pouvait, sans dommage pour la concurrence, admettre que la production sur le marché en cause soit réduite à deux pôles seulement, aurait dû refuser l'autorisation demandée par Nestlé et adopter une décision interdisant, en application de l'article 8, paragraphe 3, du règlement n° 4064-89, l'opération de concentration en cours, complétée le cas échéant par des mesures appropriées, telles que celles prévues par l'article 8, paragraphe 4, en vue de rétablir une concurrence effective comme celle qui existait avant le lancement de l'OPA de Nestlé sur Perrier.
16 Les requérantes estiment, enfin, que la décision est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation des faits. Selon elles, la Commission a excédé ses compétences en ce que, d'une part, elle a retenu une présomption d'entente entre Nestlé et BSN et, d'autre part, a introduit, dans son examen de l'opération de concentration notifiée, les notions de "dominance oligopolistique" et de "duopole", qui n'entrent ni dans les prévisions du traité ni dans celles du règlement n° 4064-89. En tout état de cause, la Commission se serait basée, pour conclure à l'existence d'une atteinte à la concurrence qui découlerait de l'opération de concentration, sur de simples hypothèses et déductions insuffisamment fondées.
17 S'agissant du risque de préjudice grave et irréparable, les requérants font valoir que l'autorisation accordée à l'opération de concentration notifiée produira nécessairement des effets directs sur le plan social, déjà traduits dans l'annonce, faite par Nestlé à la fin du mois de septembre 1992, d'un plan de suppression de 740 emplois dans le courant de l'année 1993. Ils ajoutent que ce plan de suppression d'emplois sera nécessairement suivi d'autres suppressions non seulement en raison des importantes cessions d'actifs que la décision impose à Nestlé, mais compte tenu également de l'existence chez Nestlé de structures similaires à celles existantes au sein du groupe Perrier. Les requérants soulignent, à cet égard, que la perte de l'emploi constitue un dommage irréversible pour chaque travailleur concerné, car en droit français, faute d'un droit général à être réintégré après un licenciement injustifié ou irrégulier, la seule réparation accordée s'effectue ordinairement par voie d'indemnisation. De l'avis des requérants, même une éventuelle annulation par le Tribunal de la décision litigieuse, dans le cadre de la procédure au principal, ne serait pas de nature à permettre le rétablissement des intéressés dans leurs droits respectifs dès lors qu'ils auraient été privés de leur emploi entre-temps.
18 La Commission estime, pour sa part, que le recours au principal est manifestement irrecevable, dans la mesure où les requérants ne sont pas directement et individuellement concernés, au sens de l'article 173, deuxième alinéa, du traité CEE, par la décision litigieuse, et que, par conséquent, la présente demande en référé doit être rejetée comme irrecevable. A cet égard, la Commission fait valoir que même si, en principe, le problème de la recevabilité du recours au principal ne doit pas être examiné dans le cadre d'une procédure en référé sous peine de préjuger le fond de l'affaire, il résulte d'une jurisprudence établie qu'il appartient au juge des référés d'établir qu'à première vue le recours présente des éléments permettant de conclure, avec une certaine probabilité, à sa recevabilité (voir, en dernier lieu, l'ordonnance du président du Tribunal du 23 mars 1992, Cimenteries CBR e.a./Commission, T-10-92 R, 11-92 R, 12-92 R, 14-92 R et 15-92 R, Rec. p. II-1571). La Commission souligne, par ailleurs, que, à supposer même que les requérants soient individuellement concernés par la décision litigieuse du fait du droit qui leur serait reconnu de participer aux procédures relevant du règlement n° 4064-89, ils ne sauraient toutefois être considérés comme directement concernés, dès lors que les effets juridiques qu'ils risquent de subir ne peuvent être attribués à la décision litigieuse et à elle seule.
19 En particulier, la Commission fait valoir qu'une décision autorisant une concentration ne préjuge ni de la liberté, pour un nouvel acquéreur, de procéder ou non à des licenciements ni pour un État membre de la faculté de soumettre ceux-ci à une procédure particulière, voire à une autorisation administrative préalable. De même, selon la Commission, un transfert d'entreprise n'affecte en rien les droits de ses salariés, dès lors que ces droits sont simplement transférés du cédant au cessionnaire et que le transfert d'entreprise ne constitue pas en lui-même un motif de licenciement. Il en résulterait que, l'acte attaqué n'imposant aucune obligation de licenciement à son destinataire, d'éventuelles mesures de licenciement auxquelles celui-ci déciderait de procéder ne sauraient être considérées comme découlant nécessairement de la décision litigieuse.
20 La Commission estime que, en tout état de cause, la requête ne permet pas de conclure à l'existence ni de circonstances établissant l'urgence ni des moyens de fait et de droit justifiant à première vue l'octroi des mesures provisoires demandées.
21 S'agissant de l'urgence, la Commission considère que les requérants n'ont ni suffisamment déterminé le caractère certain et imminent du préjudice encouru ni établi l'existence d'un lien direct entre ce préjudice et la décision. A cet égard, la Commission fait observer que d'éventuelles suppressions d'emplois, d'ampleur indéterminée, susceptibles d'accompagner les futures cessions d'actifs du groupe Perrier ne peuvent constituer qu'un "préjudice futur, incertain et aléatoire" au sens de la jurisprudence du Tribunal (ordonnance du président du Tribunal du 7 juin 1991, Vichy/Commission, T-19-91 R, Rec. p. II-265).
22 En ce qui concerne le plan de suppression de 740 emplois au cours de l'année 1993, la Commission ajoute qu'il appartenait aux requérants de démontrer que ni la législation nationale ni les voies de recours internes ne leur permettraient d'éviter le préjudice qui résulterait de la mise en œuvre de ce plan (ordonnance du président de la Cour du 15 juin 1987, Belgique/Commission, 142-87 R, Rec. p. 2589). Elle souligne, à cet égard, que le Code du travail français soumet l'employeur ayant l'intention d'effectuer des licenciements pour motif économique à un certain nombre d'obligations, tant à l'égard des salariés et de leurs représentants que vis-à-vis de l'autorité administrative, et que tout manquement à ces obligations est soumis à des sanctions.
23 La Commission fait, en outre, valoir qu'il ne saurait exister de lien entre une décision autorisant une opération de concentration, d'une part, et d'éventuelles mesures de licenciement prises par l'acquéreur d'une entreprise, d'autre part. De l'avis de la Commission, le fait de considérer, comme le font les requérants, qu'une opération de concentration provoque toujours une réduction des emplois et que son autorisation rend effectives les suppressions d'emploi en projet reviendrait à conférer un caractère automatique à toute demande de sursis à l'exécution d'une décision autorisant une opération de concentration présentée par les représentants du personnel des entreprises concernées.
24 La Commission estime, enfin, que, même dans l'hypothèse où le Tribunal considérerait que les requérants ont démontré les circonstances établissant l'urgence, la prise en compte des intérêts respectifs des parties devrait conduire à un rejet de la demande de mesures provisoires, alors surtout que ces mesures n'affecteraient pas seulement ses propres intérêts, mais également ceux du groupe Nestlé, qui n'est pas partie à l'instance. Par ailleurs, l'opération de concentration ayant déjà été réalisée, le sursis à l'exécution de la décision pourrait, de l'avis de la Commission, provoquer des conséquences irréversibles sur la concurrence dans le secteur concerné, dans la mesure où, dans les circonstances de l'espèce, ce sursis entraînerait surtout un report de la vente par Nestlé des actifs en cause et le maintien durable d'une situation de position dominante que la décision vise à éviter.
25 S'agissant du "fumus boni juris", la Commission estime que les moyens d'annulation invoqués par les requérants sont irrecevables ou, à tout le moins, non fondés. En ce qui concerne, plus particulièrement, le moyen relatif à la violation de formes substantielles, la Commission relève que les griefs tirés d'une absence d'information préalable et d'une violation du droit d'accès au dossier sont sans fondement. La Commission souligne que, sans préjuger de la question de savoir si le syndicat CGT peut être considéré comme un représentant reconnu des travailleurs au sens de l'article 18, paragraphe 4, du règlement n° 4064-89 et figure ainsi parmi les parties "directement intéressées" auxquelles l'article 18, paragraphe 3, dudit règlement reconnaît un droit d'accès au dossier, tant le syndicat CGT que les autres requérants ont été en mesure de se prévaloir des moyens mis à leur disposition par la réglementation communautaire applicable en matière de concentrations et que la Commission ne saurait être responsable ni du fait que le syndicat CGT n'a demandé à intervenir dans la procédure qu'à un stade très avancé de celle-ci, ni du fait qu'il n'a pas demandé à avoir accès au dossier, ni, enfin, du fait qu'il ne s'est pas fait assister d'un avocat lors de la réunion qu'elle a organisée. La Commission estime, au contraire, avoir pris très au sérieux les soucis manifestés par les représentants du syndicat CGT, comme le prouverait le fait qu'elle a répondu rapidement à la demande de renseignements qu'ils lui avaient adressée, en organisant une réunion avec eux et en les invitant à présenter des observations complémentaires par écrit après la réunion, ce que d'ailleurs ils ont fait.
26 S'agissant du moyen tiré de la prétendue violation des droits sociaux fondamentaux, en ce que l'impact social de la concentration en termes de suppressions d'emploi n'aurait pas été dûment pris en compte, la Commission rappelle que le but du règlement sur le contrôle des opérations de concentration est de préserver et de développer une concurrence effective dans le Marché commun dans la perspective de l'achèvement du marché intérieur. Il est certes vrai, reconnaît la Commission, que, lors de l'appréciation des effets de l'opération de concentration sur la concurrence, elle doit placer son appréciation dans le cadre général de la réalisation des objectifs fondamentaux visés à l'article 2 du traité, y compris celui du renforcement de la cohésion économique et social de la Communauté visé à l'article 130 A du traité. Toutefois, pour que les effets de l'opération en cause sur l'emploi soient pris en considération, il serait nécessaire que de tels effets soient, de par leur importance, susceptibles de mettre en cause la réalisation d'un des objectifs ci-avant mentionnés, et notamment le développement de l'emploi. Or, ni le rachat de Perrier par Nestlé ni la cession d'actifs devant se produire suite à la mise en œuvre des conditions dont la décision est assortie ne seraient de nature à porter préjudice de façon caractérisée à ces objectifs.
Appréciation du juge des référés
A - Sur le règlement n° 4064-89
27 Il convient de relever, tout d'abord, que la présente demande de mesures provisoires est la première dont se trouve saisi le juge communautaire qui tende à obtenir, notamment, le sursis à l'exécution d'une décision adoptée par la Commission en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés par le règlement n° 4064-89, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises. Ce règlement a confié à la Commission la charge d'exercer un contrôle préalable des opérations de concentration de dimension communautaire, en fonction de la nécessité de préserver et de développer une concurrence effective dans le Marché commun dans la perspective de l'achèvement du marché intérieur et de son approfondissement ultérieur. Dans cette optique, le législateur communautaire a considéré que, si les restructurations des entreprises dans la Communauté, et notamment les opérations de concentration, doivent être appréciées de manière positive parce qu'elles correspondent aux exigences d'une concurrence dynamique et sont de nature à augmenter la compétitivité de l'industrie européenne, à améliorer les conditions de la croissance et à relever le niveau de vie, il faut toutefois veiller à ce que ces processus de restructuration n'entraînent pas un préjudice durable pour la concurrence (voir les points 4 et 5 des considérants du règlement n° 4064-89).
28 A cet égard, il y a lieu d'observer que, ainsi qu'il ressort du treizième considérant du règlement n° 4064-89, la Commission, pour établir si les opérations de concentration sont ou non compatibles avec le Marché commun, en fonction de leur effet sur la structure de la concurrence dans la Communauté, se doit de placer son appréciation dans le cadre général de la réalisation des objectifs fondamentaux visés à l'article 2 du traité, y compris celui du renforcement de la cohésion économique et sociale de la Communauté visé à l'article 130 A du traité.
29 Il y a lieu de relever, en outre, qu'en vertu de l'article 8, paragraphe 2, du règlement n° 4064-89 la Commission peut assortir une décision par laquelle elle déclare une concentration compatible avec le Marché commun de conditions et charges destinées à assurer que les entreprises concernées respectent les engagements qu'elles ont pris à son égard en vue de modifier le projet initial de concentration.
30 Enfin, il convient de souligner qu'en vue de garantir l'efficacité du contrôle et la sécurité juridique des entreprises concernées la Commission est tenue de respecter des délais stricts pour l'engagement d'une procédure ainsi que pour l'adoption de la décision finale, faute de quoi l'opération est réputée déclarée compatible avec le Marché commun.
B - Sur l'irrecevabilité manifeste des recours au principal
31 Il ressort d'une jurisprudence constante que "... si c'est l'irrecevabilité manifeste du recours qui est soulevée, il appartient au juge des référés d'établir qu'à première vue le recours présente des éléments permettant de conclure, avec une certaine probabilité, à sa recevabilité" (voir, en dernier lieu, l'ordonnance du président du Tribunal du 23 mars 1992, CBR Cimenteries e.a./Commission, précitée).
32 A cet égard, il y a lieu de rappeler que les sujets autres que les destinataires d'une décision ne sauraient prétendre être concernés au sens de l'article 173, deuxième alinéa, du traité CEE que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d'une situation de fait qui les caractérise par rapport à tout autre personne et, de ce fait, les individualise d'une manière analogue à celle du destinataire (arrêt de la Cour du 22 octobre 1986, Metro/Commission, 75-84, Rec. p. 3021).
33 Dans sa jurisprudence relative à la qualité pour agir des tiers, tant en matière de concurrence et d'aides d'État que de dumping et de subventions, la Cour a jugé que, dans les cas où un règlement accorde à des entreprises des droits procéduraux les habilitant à demander à la Commission de constater une infraction aux règles communautaires ou à présenter des observations dans le cadre d'une procédure administrative, ces entreprises peuvent disposer d'une voie de recours destinée à protéger leurs intérêts légitimes (voir arrêts de la Cour du 25 octobre 1977, Metro/Commission, 26-76, Rec. p. 1875; du 4 octobre 1983, FEDIOL/Commission, 191-82, Rec. p. 2913, et du 28 janvier 1986, COFAZ/Commission, 169-84, Rec. p. 391). La nécessité de protéger des intérêts légitimes peut ainsi constituer un critère déterminant lorsqu'il s'agit d'apprécier si une personne physique ou morale peut être considérée comme directement et individuellement concernée par une décision, de manière analogue à un destinataire.
34 En l'espèce, il convient de relever que, à la différence des dispositions correspondantes des règlements régissant les procédures relatives à l'application des articles 85 et 86 du traité, l'article 18, paragraphe 4, du règlement n° 4064-89 ouvre expressément aux représentants reconnus des travailleurs des entreprises concernées un droit d'être entendus au même titre que d'autres personnes physiques ou morales justifiant d'un intérêt suffisant. Dans ces conditions, la question de savoir dans quelle mesure les représentants reconnus des travailleurs d'une entreprise participant à une opération de concentration peuvent disposer d'une voie de recours afin de protéger leurs intérêts légitimes nécessite un examen approfondi.
35 De l'ensemble de ce qui précède, il résulte que le juge des référés ne saurait, à ce stade, conclure à l'irrecevabilité manifeste de la demande en annulation de la décision litigieuse.
C - Sur la mise en balance des intérêts
36 Il convient de rappeler que la présente demande en référé a pour objet d'obtenir, à titre principal, le sursis à l'exécution de la décision par laquelle la Commission a autorisé la prise de contrôle par Nestlé de Perrier et, à titre subsidiaire, que le Tribunal ordonne à la Commission d'enjoindre à Nestlé de suspendre toute mesure de suppression d'emplois et de transfert du contrôle d'une quelconque entité du groupe Perrier à un tiers.
37 S'agissant de la demande de sursis à l'exécution de la décision attaquée, il y a lieu de relever, à titre liminaire, qu'un tel sursis reviendrait à suspendre, pendant toute la durée de la procédure contentieuse, l'autorisation accordée par la Commission à l'opération de concentration notifiée et, par conséquent, l'exercice, par Nestlé, de ses droits de vote au sein du groupe Perrier, ce qui serait de nature à entraver gravement le fonctionnement même des entreprises du groupe.
38 S'agissant de la demande de mesures provisoires tendant à ce que le Tribunal ordonne à la Commission d'enjoindre à Nestlé de différer toute mesure ayant pour objet de transférer le contrôle d'une quelconque entité du groupe Perrier à un tiers, il convient de relever également qu'une telle mesure reviendrait à suspendre l'exécution des engagements, identifiés ci-avant au point 8, pris par Nestlé à l'égard de la Commission et, par là même, à prolonger une situation de position dominante susceptible d'entraîner des conséquences irréversibles sur la concurrence dans le secteur concerné, à laquelle les conditions et charges imposées par la décision visent précisément à mettre fin. En effet, le respect de ces engagements, dans le délai fixé dans la décision, constitue la condition sur laquelle repose l'autorisation donnée par la Commission à la réalisation de l'opération de concentration notifiée.
39 En présence d'une telle situation de fait et de droit, il incombe au juge des référés de mettre en balance non seulement l'intérêt des requérants, d'une part, et celui qu'a la Commission à rétablir une concurrence effective, d'autre part (voir les ordonnances du président de la Cour du 16 février 1987, Commission/Irlande, 45-87 R, Rec. p. 783, et du 13 juin 1989, Publishers Association/Commission, 56-89 R, Rec. p. 1693, et l'ordonnance du président du Tribunal du 16 juin 1992, Langnese et Schöller/Commission, T-24-92 R et T-29-92 R, Rec. p. II-1839), mais également les intérêts de tiers comme Nestlé (ordonnance du président de la Cour du 22 mai 1978, Simmenthal/Commission, 92-78 R, Rec. p. 1129), de façon à éviter, tout à la fois, la création d'une situation irréversible et la survenance d'un préjudice grave et irréparable dans le chef d'une des parties au litige, ou d'un tiers, ou encore pour l'intérêt public.
40 A cet égard, il convient de rappeler que, ainsi qu'il résulte de l'ordonnance du président de la Cour du 22 mai 1978, Simmenthal/Commission, précitée, dans une situation comme celle de l'espèce, où les mesures demandées au juge des référés peuvent avoir une incidence grave sur les droits et les intérêts de tiers, lesquels ne sont pas partie au litige et n'ont donc pas pu être entendus, de telles mesures ne sauraient se justifier que s'il apparaissait qu'en leur absence les requérants seraient exposés à une situation susceptible de mettre en péril leur existence même.
41 C'est à la lumière de ces considérations qu'il appartient au juge des référés d'analyser si les conditions permettant, en droit, l'octroi des mesures provisoires sollicitées se trouvent réunies en l'espèce.
D - Sur l'existence d'un préjudice grave et irréparable
42 Il ressort d'une jurisprudence constante de la Cour que le caractère urgent d'une demande en référé doit s'apprécier par rapport à la nécessité qu'il y a de statuer provisoirement afin d'éviter qu'un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné la partie qui sollicite la mesure provisoire. C'est à la partie qui sollicite le sursis à exécution qu'il appartient d'apporter la preuve qu'elle ne saurait attendre l'issue de procédure au principal sans avoir à subir un préjudice qui entraînerait des conséquences graves et irréparables dans son chef(voir ordonnance du président de la Cour du 15 juin 1987, Belgique/Commission, précitée, point 23).
43 Il convient de rappeler que, selon les requérants, l'urgence d'une telle suspension tient à l'annonce, faite par Nestlé à la fin du mois de septembre 1992, d'un plan prévoyant la suppression de 740 emplois dans le courant de l'année 1993, lequel serait suivi, toujours selon les requérants, d'autres suppressions, en raison non seulement des importantes cessions d'actifs imposées par la décision litigieuse, mais également de l'existence chez Nestlé de structures similaires à celles existantes au sein du groupe Perrier. Les requérants font valoir, en particulier, qu'en l'absence, en droit français, d'un droit général à être réintégré après un licenciement injustifié ou irrégulier la perte de l'emploi constitue un dommage irréversible, la seule réparation accordée s'effectuant ordinairement par voie d'indemnisation.
44 S'agissant, d'une part, du plan de suppression d'emplois, il ressort du dossier que, lors de la réunion du comité central d'entreprise du 23 septembre 1992, la nouvelle direction de Perrier a informé les représentants du personnel d'un projet de mise en œuvre, au cours de l'année 1993, d'un plan de réduction des effectifs, sans mesures de licenciement, portant sur 750 postes prévu pour 1993. Ce plan, qui selon la direction de Perrier permettrait d'éviter tout licenciement, comporterait trois volets, à savoir un plan de formation, un plan de préretraites sous réserve de l'accord des pouvoirs publics et un plan d'orientation professionnelle, ponant essentiellement sur le travail à temps partiel ou le travail intermittent. Ce plan ferait suite à un plan d'adaptation des effectifs du groupe Perrier établi par la direction antérieure et présenté aux autorités administratives locales et aux représentants du personnel en 1991, mais qui n'aurait pu être mis en application au vu des événements qui se sont déroulés entre-temps. Ainsi que l'ont reconnu les requérants au cours de l'audience, ce n'est qu'en cas de refus, de la part des intéressés, des conditions prévues dans le plan de réduction des effectifs que des licenciements dits "secs " leur seraient notifiés.
45 S'agissant, d'autre part, du risque de suppression d'emplois résultant de la cession d'actifs imposée par la décision litigieuse, il convient de souligner, en premier lieu, qu'il ressort du trente-et-unième considérant du règlement n° 4064-89 que ce règlement ne porte en aucune manière atteinte aux droits collectifs des travailleurs, tels qu'ils sont reconnus dans les entreprises concernées. Il convient d'observer, en second lieu, qu'en vertu des articles 3 et 4 de la directive 77-187 les droits et obligations qui résultent pour le cédant d'un contrat de travail ou d'une relation de travail existant à la date du transfert sont transférés au cessionnaire, ce transfert ne constituant pas en lui-même un motif de licenciement pour le cédant ou le cessionnaire. Il en résulte qu'une décision d'autorisation d'une concentration ne saurait, en principe, avoir de conséquences sur les droits des salariés d'une entreprise ayant fait l'objet d'un transfert de propriété suite à une opération de concentration.
46 Au vu de ce qui précède, force est de constater que, à supposer même que le préjudice allégué présente un caractère suffisamment certain, un tel préjudice ne saurait résulter directement de la décision attaquée ou de son exécution.
47 Dès lors, et sans qu'il soit nécessaire d'analyser les moyens invoqués par les requérants à l'appui d'une présomption en faveur du bien-fondé de leur demande dans la procédure au principal, il y a lieu de constater que les conditions permettant, en droit, l'octroi des mesures provisoires sollicitées ne sont pas satisfaites et que la demande doit être rejetée.
Par ces motifs,
LE PRESIDENT DU TRIBUNAL,
Ordonne :
1) La demande en référé est rejetée.
2) Les dépens sont réservés.