CCE, 11 octobre 2000, n° M.1845
COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Décision
AOL/Time Warner
LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,
Vu le traité instituant la Communauté européenne, vu l'accord sur l'Espace économique européen, et notamment son article 57, paragraphe 2, point a), vu le règlement (CEE) n° 4064-89 du Conseil du 21 décembre 1989 relatif au contrôle des opérations de concentrations entre entreprises (1), modifié par le règlement (CE) n° 1310-97 (2), et notamment son article 8, paragraphe 2, vu la décision prise par la Commission le 19 juin 2000 d'engager la procédure dans cette affaire, après avoir donné aux entreprises concernées l'occasion d'exprimer leur point de vue sur les griefs formulés par la Commission, après avoir entendu le Comité consultatif en matière de concentrations (3), considérant ce qui suit:
(1) Le 28 avril 2000, la Commission a reçu notification, conformément à l'article 4 du règlement (CEE) n° 4064-89 (le "règlement sur les concentrations"), d'un projet de concentration en vertu duquel America Online, Inc. (" AOL ") fusionnerait, au sens de l'article 3, paragraphe 1, point a), du règlement sur les concentrations, avec Time Warner, Inc. ("Time Warner"), créant ainsi une nouvelle entité, AOL Time Warner.
(2) Par décision du 19 juin 2000, la Commission a estimé que l'opération de concentration notifiée soulevait des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le Marché commun et a décidé d'engager la procédure prévue à l'article 6, paragraphe 1, point c), du règlement sur les concentrations et à l'article 57 de l'accord sur l'Espace économique européen (EEE).
(3) Une audition a eu lieu le 7 septembre 2000, sur la base d'une communication des griefs envoyée aux parties le 22 août 2000.
I. LES PARTIES
AOL
(4) AOL est une société ouverte constituée dans le Delaware [États-Unis d'Amérique (États- Unis)] et dont le siège social est situé à Dulles en Virginie. AOL se définit comme "le leader mondial des services interactifs, des marques du web, des technologies Internet et des services de commerce électronique" (4).
(5) La principale activité d'AOL est la fourniture de services Internet en ligne. Ces services comprennent les fournisseurs de services Internet ("FSI") qui proposent la connexion par modem commuté ("accès par ligne commutée") ainsi qu'une gamme de contenus. Les trois FSI sont:
- AOL, un service sur abonnement qui comptait 23,2 millions d'abonnés dans le monde au mois de juin 2000 (5,6 millions de plus qu'en 1999),
- CompuServe, un service sur abonnement comptant 2,8 millions d'abonnés dans le monde, et CompuServe Office, un service destiné aux clients professionnels qui compte [...]* (*) abonnés en Allemagne,
- Netscape Online, un service sur abonnement fourni au Royaume-Uni, qui compte quelque [...] * abonnés.
Au total, ces FSI représentent 27 millions d'abonnés, dont 4,3 millions en Europe.
(6) AOL propose en outre deux services de messagerie instantanée (5):
- AOL Instant Messenger, qui compte 61 millions d'utilisateurs inscrits, dont, aux dires d'AOL, plus de 20 millions sont des utilisateurs actifs. Les utilisateurs actifs d'AOL Instant Messenger passent en moyenne près de 2,5 heures sur ce service chaque fois qu'ils se connectent,
- ICQ, qui compte 70 millions d'utilisateurs inscrits, dont, aux dires d'AOL, plus de 20 millions sont des utilisateurs actifs. En moyenne, les utilisateurs actifs d'ICQ restent connectés pendant près de 3 heures par jour et utilisent le service activement 75 minutes par jour.
(7) Les autres services Internet proposés par AOL sont les suivants:
- AOL.COM et Netscape Netcenter, deux grands portails Internet,
- le réseau local de contenu et guide des utilisateurs du service AOL et Internet Digital City (Digital City est un guide touristique et de loisirs pour les principales villes des États-unis),
- AOL MovieFone, le plus grand guide de films et service de billetterie en ligne,
- MapQuest.com, un service de voyage qui donne des cartes routières et des instructions de conduite,
- les services de distribution de musique en ligne Shoutcast, Spinner et Winamp. Ces services sont accessibles "publiquement" aux utilisateurs de l'Internet via les sites mondiaux d'AOL.
(8) AOL exploite un certain nombre d'entreprises communes en Europe. AOL Europe, SA ("AOL Europe"), une entreprise commune détenue pour moitié par AOL et pour moitié par le groupe de médias allemand Bertelsmann AG ("Bertelsmann"), fournit des services FSI dans neuf pays d'Europe. En France, AOL Europe est une entreprise commune constituée par AOL, Bertelsmann, et le groupe français Vivendi (par sa filiale de télécommunications Cegetel et la chaîne de télévision cryptée Canal Plus, dont Vivendi est l'actionnaire majoritaire). Netscape Online est un service Internet sans abonnement proposé au Royaume-Uni.
(9) AOL propose également des logiciels, dont le logiciel de navigation Netscape, une assistance technique, ainsi que des services de conseil et de formation à l'intention des clients professionnels par le biais de Netscape Enterprise Group. Cette offre est commercialisée conjointement avec Sun Microsystems, Inc., par le biais de [l'alliance Sun-Netscape]*.
(10) Le 16 mars 2000, AOL et Bertelsmann ont conclu un contrat d'une durée de quatre ans qui régit les conditions de leurs rapports concernant le contenu et la publicité à la lumière du retrait prévu de Bertelsmann d'AOL Europe. Les clauses de ce contrat sont décrites dans l'appréciation. Il faut cependant noter que Bertelsmann possède un certain nombre d'entreprises de contenu, dont CLT-UFA, la société de production cinématographique et de programmes de télévision, Pearson, le producteur de programmes de télévision et éditeur du Financial Times, et BMG, sa branche d'édition musicale. Enfin, Bertelsmann a une entreprise commune avec Lycos, dénommée Lycos Europe/ Comondo, qui propose essentiellement des services d'accès à l'Internet.
Time Warner
(11) Time Warner est une société de médias et de divertissements constituée dans le Delaware et dont le siège est situé dans l'État de New York (6).
(12) Time Warner, qui se décrit comme la première société de médias du monde, possède des intérêts commerciaux dans les secteurs principaux suivants:
a) Programmes de télévision par câble, comprenant surtout des participations dans des chaînes de télévision par câble, et notamment, en Europe, la chaîne de cinéma classique TNT, Cartoon Network et CNN News Group. Sur la page Internet de Time Warner, on peut lire que CNN est la principale chaîne d'informations du monde, avec plus d'un milliard de personnes ayant accès à un service CNN de par le monde, Time Warner détient des participations dans un certain nombre d'entreprises communes européennes. C'est ainsi qu'elle détient une participation de [40-50 %]* dans n-tv, un service d'information télévisée en langue allemande fonctionnant 24 heures sur 24, avec Holtzbrinck, ainsi qu'une participation [minoritaire]* dans Music Choice Europe qui exploite un service de radio numérique payant par câble et par satellite, avec Sony Software Corp et BSkyB. Avec Universal, EMI et Sony, Warner a créé la chaîne vidéo musicale de langue allemande VIVA, dans laquelle elle détient une participation [minoritaire]*;
b) Édition, comprenant principalement des intérêts dans l'édition de magazines et de livres, dont Time, People, Sports Illustrated, Warner Books et Time Life Inc. Même si certains sont distribués en Europe, les magazines de Time Warner sont axés sur les États-Unis. Au total, Time Warner publie 36 magazines avec un lectorat de 130 millions de personnes;
c) Musique, comprenant surtout des intérêts dans le secteur de la musique enregistrée et de l'édition musicale, dont Warner Music Group et ses labels Atlantic, Elektra, Rhino, Sire, Warner Bros., Records et Warner Music International, ainsi que Warner/Chappell dans le secteur de l'édition musicale. Time Warner détient également une participation de [moins de 10 %]* dans CD Now, un site de commerce électronique musical contrôlé par Sony;
d) Oeuvres cinématographiques et audiovisuelles, comprenant essentiellement des participations dans des sociétés de production de spectacles filmés, de production télévisuelle et de télédiffusion, dont Warner Bros. Studios, New Ligne Cinema et WB Network. En Europe, Warner Bros, est présente dans la production et la distribution de films, la distribution de programmes de télévision et de produits vidéo domestiques, et exploite des salles de cinéma par le biais d'un certain nombre d'entreprises communes. Warner Bros a passé des accords de coproduction et de distribution avec Polygram Holdings Inc. (qui fait désormais partie d'Universal), Canal Plus et UFA/CLT;
e) Réseaux câblés, comprenant essentiellement des participations dans des réseaux de télévision par câble aux Etats-Unis, mais pas en Europe. Avec 12,6 millions d'abonnés et 21,3 millions de foyers raccordés, Time Warner est l'un des principaux exploitants de câble des Etats-Unis. Time Warner détient une participation dans Road Runner, une entreprise commune de services en ligne qui fournit un accès à l'Internet et propose également du contenu pour les réseaux câblés assurant des services à large bande. Road Runner n'a aucune activité en Europe.
II. L'OPÉRATION
(13) L'opération prendra la forme suivante: AOL et Time Warner fusionneront chacune avec de nouvelles filiales d'une nouvelle société holding, AOL Time Warner. À l'issue de ces fusions, AOL et Time Warner deviendront des filiales à 100 % d'AOL Time Warner.
(14) Une fois la fusion réalisée, les actionnaires d'AOL recevront 55 % des actions AOL Time Warner et les actionnaires de Time Warner, les 45 % restants. Le premier conseil d'administration d'AOL Time Warner sera composé de seize membres, dont huit seront nommés par AOL et huit par Time Warner. Par conséquent, l'opération notifiée va déboucher sur une concentration au sens de l'article 3, paragraphe 1, point a), du règlement sur les concentrations.
III. DIMENSION COMMUNAUTAIRE
(15) Le chiffre d'affaires réalisé sur le plan mondial par l'ensemble des entreprises concernées représente un montant supérieur à 5 milliards d'euros (AOL: 4,78 milliards d'euros, Time Warner: 25,6 milliards d'euros).
(16) Le chiffre d'affaires total réalisé individuellement dans l'EEE par chacune des entreprises concernées représente un montant supérieur à 250 millions d'euros (AOL: [...]* euros, Time Warner: [...]* euros), mais aucune d'elle ne réalise plus des deux tiers de son chiffre d'affaires total à l'intérieur d'un seul et même Etat membre. Par conséquent, l'opération notifiée a une dimension communautaire au sens de l'article 1er, paragraphe 2, du règlement sur les concentrations.
IV. APPRÉCIATION AU REGARD DES RÈGLES DE CONCURRENCE
A. Les marchés en cause
Musique en ligne (contenu bande étroite)
(17) La diffusion de musique en ligne comprend les activités suivantes:
Téléchargement
(18) Le téléchargement constitue une nouvelle forme de distribution de musique aux consommateurs par l'Internet. Cette technologie permet le transfert électronique d'un fichier musical intégral sur une installation donnée, avant qu'il ne puisse être joué. Grâce au téléchargement, ce fichier reste sur cette installation sous forme de copie permanente, contrairement à la copie transitoire (voir section sur la lecture en transit). Le téléchargement de musique est fondé sur la distribution de fichiers musicaux numériques, à ne pas confondre avec la vente au détail électronique qui implique la vente d'un bien physique (par exemple, un CD) par l'Internet.
(19) La musique est parfaitement adaptée à la distribution en ligne, car il s'agit d'un produit numérique peu exigeant en matière de largeur de bande.
(20) Pour les parties, la musique téléchargeable ne constitue pas un marché distinct, mais fait partie du marché général de la musique enregistrée. Elles prétendent que la musique téléchargeable est substituable à la musique distribuée sur des supports physiques.
(21) En revanche, on peut affirmer qu'il existe un certain nombre de différences importantes qui font de la musique téléchargeable un modèle commercial totalement différent et un marché distinct. Ainsi, du côté de la demande, le consommateur peut avoir accès ou acheter et recevoir de la musique immédiatement (contrairement au commerce électronique, où il doit attendre pour recevoir le CD qu'il a commandé) depuis n'importe quel ordinateur ayant un accès à l'Internet, sans avoir à se rendre dans un magasin, quels que soient l'heure et le lieu. Au lieu d'acheter l'album ou le single complet, il peut ne télécharger que certaines pistes et créer ses propres compilations. Outre le matériel, il a également besoin d'un logiciel spécial pour jouer la musique qu'il a téléchargée. Du côté de l'offre, la structure de distribution en ligne de musique téléchargeable est totalement différente de celle de la distribution physique de musique (tant dans le commerce traditionnel que dans le commerce électronique). Le téléchargement de musique n'implique pas les phases de fabrication, stockage, vente physique et distribution. Ces différences font de la musique téléchargée et des CD physiques deux marchés de produits totalement distincts. De plus, la musique téléchargée et les CD ont des structures de prix différentes (7) et le prix et le volume des CD n'ont pas diminué en raison de l'offre de musique à télécharger. En l'espèce, les parties n'ont fourni aucune preuve empirique montrant que la tarification du téléchargement limite la tarification de la musique distribuée sur des supports physiques ou que les prix des CD physiques ont baissé par suite de l'offre de musique à télécharger. C'est pourquoi la Commission conclut à l'existence d'un marché de la musique téléchargeable qui est émergent, mais distinct.
Lecture en transit
(22) La lecture en transit est une méthode de diffusion de produits audio sur l'Internet. Un système de lecture en transit transforme un ordinateur en juke-box virtuel. L'utilisateur "clique" sur le lien avec le fichier audio, lequel commence à jouer après quelques secondes. La principale différence entre le téléchargement et la lecture en transit réside dans le fait qu'avec le premier, un fichier de musique est transmis d'un ordinateur à un autre, stocké localement et accessible directement sur l'ordinateur du destinataire, alors qu'avec la seconde, le fichier audio n'est que temporairement transféré sur le lecteur de musique de l'utilisateur. Le consommateur peut avoir accès à des fichiers lus en transit qui sont stockés dans des "casiers" centralisés accessibles au moyen d'un mot de passe personnel, puis il peut avoir accès à son casier depuis un équipement validé pour l'Internet. Sur son site shoutcast.com, AOL propose un système audio de lecture en transit utilisant le lecteur Winamp où l'utilisateur peut créer une programmation musicale en ligne ou écouter des programmes créés par d'autres utilisateurs.
(23) Financée par les recettes publicitaires de l'Internet, la lecture en transit est généralement fournie à titre gracieux actuellement, mais il y a de fortes chances qu'elle soit facturée aux utilisateurs dans un proche avenir. A cet égard, on peut rappeler qu'à la suite de son contrat de licence avec Time Warner et Bertelsmann, la société de musique sur l'Internet MP3 a annoncé qu'elle prévoyait de lancer sur l'Internet un service musical par abonnement (système fondé sur les cotisations que les utilisateurs doivent payer pour les casiers).
(24) Les sociétés qui proposent le téléchargement de musique et la lecture en transit sur l'Internet doivent obtenir une licence à cet effet ainsi que les droits requis pour l'utilisation des compositions musicales. Par conséquent, l'autorisation du détenteur des droits est indispensable à l'exploitation en ligne de compositions musicales. Dans la plupart des cas, les auteurs et les compositeurs ont cédé leurs droits à des éditeurs, car il existe très peu d'auteurs éditant à leur compte (8). L'éditeur a la faculté de décider des droits à céder, des cessionnaires et des conditions de cession. Lorsqu'il accorde une licence pour un morceau de musique à une maison de disques, l'éditeur peut décider si celle-ci pourra le distribuer sur l'Internet sous licence et il peut notamment refuser d'accorder le droit de distribution "en ligne" ou le subordonner au paiement de redevances supplémentaires.
(25) Par conséquent, l'obtention des droits est la première démarche logique et juridique et la condition sine qua non pour l'exploitation de musique sur l'Internet. Une société qui détient une position dominante sur le marché de la concession sous licence des droits d'édition requis pour la diffusion de musique en ligne serait en mesure de jouer un rôle de "gardien"du marché et de dicter les conditions de la diffusion de musique sur l'Internet en refusant d'accorder les droits sous licence ou en menaçant de ne pas les accorder.
Conclusion
(26) La Commission conclut qu'il existe un marché émergent pour la distribution de musique en ligne. Il est inutile, aux fins de la présente appréciation, de trancher la question de savoir si le téléchargement de musique et la lecture en transit constituent un ou deux marchés de produits distincts, car l'opération aboutirait de toute façon à la création d'une position dominante.
(27) En ce qui concerne la dimension géographique du marché de la distribution de musique en ligne, les possibilités offertes par la technologie numérique supposent la définition d'un marché géographique qui s'étend assurément au-delà des frontières nationales et qui pourrait être au moins l'EEE. En tout état de cause, l'enquête menée par la Commission montre que l'opération déboucherait sur la création d'une position dominante, même si le marché était jugé de dimension mondiale. De ce fait, la détermination de la dimension exacte du marché géographique peut être laissée en suspens.
Lecteur de musique
(28) Le téléchargement et la lecture en transit de musique reposent généralement sur les trois technologies suivantes:
a) la compression/décompression qui consiste à comprimer la musique afin de la transmettre rapidement sur l'Internet, puis à la décomprimer pour pouvoir la jouer. La compression réduit la taille d'un fichier musical numérique et, par voie de conséquence, la quantité d'informations ("bits") à transmettre par voie électronique sans perte importante de qualité sonore. Elle accroît la rapidité de diffusion de la musique ainsi que la capacité de stockage. À l'heure actuelle, les fichiers comprimés donnent une qualité de son quasiment identique à celle d'un CD. Un certain nombre d'entreprises ont mis au point des algorithmes de compression et décompression ("codec") utilisés pour les fichiers de musique. Le format de compression de loin le plus répandu est le MP3 (mis au point par le Fraunhofer Institut). Parmi les autres formats très utilisés, on trouve Windows Media Audio (mis au point par Microsoft), G2 (mis au point par Real Networks), AAC (mis au point par le Fraunhofer Institut, Sony, AT & T, et Dolby Laboratories et concédé sous licence par Dolby) et ATRAC (mis au point par Sony);
b) Le cryptage/décryptage qui consiste à brouiller un fichier numérique afin de pouvoir le télécharger en toute sécurité; il ne peut ensuite être lu qu'avec le logiciel de décryptage approprié. Parmi les sociétés actives dans ce domaine, on peut citer Audiosoft, IBM, Intel, Mjuice et Microsoft. En général, ces sociétés fournissent leurs technologies à des sociétés de gestion de droits numériques;
c) La gestion des droits numériques ("DRM"), qui permet de gérer l'opération de transfert des fichiers audio de leur source vers leurs destinataires. Le logiciel DRM gère le transfert d'une chanson donnée en vue de son téléchargement, vérifie sa réception et crée un dossier pour l'opération. La technologie DRM doit pouvoir fonctionner avec celle du cryptage, étant donné que la plupart des systèmes DRM utilisent le cryptage pour empêcher l'accès non autorisé au contenu. Les systèmes DRM les plus répandus sont Liquid Audio (mis au point par Liquid Audio), Mjuice (mis au point par Artist Direct), Windows Media Audio (mis au point par Microsoft), Intertrust (mis au point par Intertrust) et IBM/EMMS (mis au point par IBM).
(29) Les maisons de disques formatent leurs chansons en utilisant un mélange de technologies de compression, de cryptage et de gestion des droits numériques. Une fois qu'un fichier audio formaté a été téléchargé ou lu en transit, les utilisateurs peuvent le jouer sur leur PC à l'aide d'un lecteur de musique, c'est-à-dire le logiciel de lecture incorporé à un PC qui joue le fichier audio et fournit une interface utilisateur (écran graphique avec lequel l'utilisateur dialogue pour actionner les commandes élémentaires permettant de jouer de la musique: marche, volume, arrêt...). Un fichier numérique est joué en passant par trois étapes. D'abord, un module logiciel appelé module d'extension entrée décode le fichier audio (techniquement, le fichier est converti en données audio numériques "brutes"); ensuite, la qualité du son est réglée; enfin, un autre module logiciel, le module d'extension sortie, joue la musique. Le logiciel de lecture doit pouvoir fonctionner avec la technologie de compression du fichier et, le cas échéant, la technologie DRM et la technologie de cryptage. Plus le logiciel de lecture accueille de technologies, plus de musique il pourra jouer. C'est pourquoi les créateurs de logiciels de lecture ont tout intérêt à obtenir des licences pour le maximum de technologies. Parmi les lecteurs les plus répandus, citons Realplayer (mis au point par Real Networks), Microsoft Média Player (mis au point par Microsoft), Winamp (9) (mis au point par Nullsoft, une société rachetée par AOL en 1999), QuickTime (mis au point par Apple) et MusicMatch Jukebox (mis au point par MusicMatch).- En règle générale, la plupart de ces produits logiciels sont fournis gratuitement sur l'Internet, mais certains sont payants [MusicMatch Jukebox coûte 29,99 dollars des États- Unis (USD)].
(30) La musique téléchargée peut également être transférée (gravée) sur un support physique, comme un CD enregistrable, une carte son ou un minidisque.
(31) Il existe donc un marché de la fourniture de logiciels de lecture.
(32) En ce qui concerne la dimension géographique de ce marché, elle est mondiale. La langue du texte des menus des lecteurs de musique est facile à adapter à une multitude de langues. Ainsi, Winamp fournit sur son site Internet des modules linguistiques gratuits. D'après les entreprises consultées, l'incidence de la langue est minime; la "localisation" des logiciels de lecture (adaptation des logiciels aux besoins d'un marché local) est une opération courante et simple.
Accès à l'Internet par ligne commutée (bande étroite)
(33) Dans l'affaire Telia/Telenor (10), la Commission a constaté qu'il existait une demande pour la fourniture de services d'accès à l'Internet et a établi une distinction entre l'accès par ligne commutée et l'accès spécialisé. Avec ce dernier, l'utilisateur est connecté au FSI par une ligne fixe spécialisée, alors qu'avec l'accès par ligne commutée, l'utilisateur est connecté par une ligne normale du réseau public commuté. Du point de vue de la demande, ces types d'accès constituent deux marchés de produits distincts. En effet, l'accès par ligne commutée est destiné aux particuliers et aux clients professionnels (petites et moyennes entreprises), tandis que l'accès spécialisé concerne essentiellement les grandes entreprises. Dans l'affaire BT/ESAT (11), il est apparu durant l'étude de marché qu'il était possible, dans le domaine de l'accès par ligne commutée, d'établir une distinction entre les particuliers et les clients professionnels (grandes entreprises), ces derniers étant connectés au moyen de mécanismes commutés plus complexes. A ce stade, point n'est besoin d'établir si l'accès par ligne commutée pour les particuliers et celui pour les clients professionnels constituent deux marchés de produits en cause distincts puisque l'opération aboutirait de toute façon à la création d'une position dominante sur le marché des FSI.
(34) On considère généralement que le marché géographique des services par ligne commutée est essentiellement de dimension nationale parce que ce type de services exige un accès à la boucle locale. Dans l'affaire Telia/Telenor, la Commission a conclu que cette condition tendait à limiter les marchés d'accès existants aux territoires nationaux. Cette conclusion s'applique également à la présente affaire où sera considéré comme marché géographique en cause chacun des neuf États membres dans lesquels AOL est présente (Belgique, Allemagne, Espagne, France, Italie, Pays-Bas, Autriche, Suède et Royaume-Uni).
Contenu payant autre que musical (contenu large bande)
(35) Dans l'affaire Telia/Telenor/Schibsted (12), la Commission a défini un marché du contenu payant. Au cours de son enquête, elle a trouvé des preuves de l'existence d'une demande émergente pour la fourniture intégrée de contenu à large bande sur l'Internet. Cette demande porte sur du contenu groupé audio/vidéo (par exemple, film plus épreuves sportives plus concerts de rock) sur l'Internet et, de ce fait, paraît distincte de la demande de films et de programmes de télévision fournis par des circuits de distribution plus traditionnels (comme la télévision à la carte, la vidéo à la demande ou la location de DVD ou de cassettes vidéo). Les différents contenus à large bande ne seraient pas des produits de substitution, mais des produits complémentaires. On peut comparer le FSI capable de proposer une telle gamme de contenus au supermarché proposant une vaste gamme de produits complémentaires au même endroit. Ce marché engloberait les catégories de contenu suivantes.
(36) En ce qui concerne son ampleur géographique, il est probable que ce marché est, comme ceux des équivalents de la télévision à la carte, un marché national (13), d'une part, en raison des besoins linguistiques des différents publics nationaux pour les films et les programmes de télévision; d'autre part, l'offre de films sur l'Internet est essentiellement axée sur des films et des programmes (dessins animés) américains qui plaisent à un public international et sont très prisés dans tous les pays de l'EEE.
(37) Point n'est besoin, aux fins de la présente appréciation, de trancher la question de savoir s'il existe un marché de produits distinct pour la fourniture intégrée de contenu à large bande, car on peut conclure que l'opération ne donnerait pas lieu à la création d'une position dominante sur ce marché.
Accès large bande à l'Internet
(38) Au cours de son enquête, la Commission a trouvé des preuves de l'existence d'une demande en expansion pour la fourniture d'accès large bande à l'Internet pour les usagers privés. L'accès large bande permet d'accéder rapidement à l'Internet et offre une meilleure fonctionnalité audio et visuelle que l'accès par ligne commutée (bande étroite). Il comprend la lecture vidéo et audio en transit, le courrier électronique visuel, la publicité interactive et la vidéoconférence, tous éléments que les lignes classiques à bande étroite ne peuvent fournir efficacement.
(39) L'accès large bande n'est pas encore très répandu en Europe et il est généralement plus coûteux que l'accès par ligne commutée.
(40) Les plus récentes générations de solutions à large bande sont les lignes numériques d'abonnés (DSL) et les modems-câbles. La DSL est une nouvelle technologie qui utilise le câblage du réseau téléphonique existant pour fournir une connexion entièrement numérique. La DSL peut partager un chemin de câble avec une ligne téléphonique classique, de sorte que l'utilisateur peut recevoir sur le même câble un service rapide et un service téléphonique classique. La DSL assure un seul circuit de données et un circuit point-à-point qui sert généralement à connecter un foyer à un FSI. Les modems-câbles assurent des vitesses de plusieurs millions de bits en utilisant le réseau local de télévision par câble.
(41) Le marché des services Internet large bande semble essentiellement être de dimension nationale parce que ces systèmes exigent l'installation d'une connexion physique (ligne téléphonique pour la DSL et câble pour le modem-câble) entre les clients et le fournisseur de services Internet. Point n'est besoin, aux fins de la présente appréciation, de trancher la question de savoir s'il existe un marché distinct de l'accès large bande à Internet, si la DSL, le câble et d'autres formes d'accès rapide à Internet appartiennent au même marché de produits en cause et si ce marché est de dimension nationale, la Commission étant parvenue, après examen, à la conclusion que l'opération n'aboutirait pas à la création d'une position dominante sur ce marché.
B. Appréciation
1. Introduction
Les relations entre AOL et Bertelsmann
(42) AOL et Bertelsmann, la société de médias allemande, sont partenaires depuis les débuts de la commercialisation de l'Internet. En 1995, elles ont créé une entreprise commune détenue à 50 % par chacune d'elles, AOL Europe, ce qui a permis l'expansion d'AOL en Europe. En outre, AOL et Bertelsmann possèdent conjointement avec Vivendi une entreprise commune en France.
(43) En mars 2000, AOL et Bertelsmann ont signé un contrat portant sur des actions communes de promotion, de distribution et de ventequi prévoit notamment les obligations suivantes pour les parties:
a) Obligations de Bertelsmann. Bertelsmann consacrera [.]* à la publicité sur AOL pendant quatre ans et bénéficiera de conditions préférentielles pour cette publicité, [...]*. Bertelsmann assurera [la promotion et l'apport]* de nouveaux abonnés pour AOL Europe. Si les actions promotionnelles de Bertelsmann n'obtiennent pas le succès escompté, Bertelsmann ne pourra vendre les services d'aucun autre FSI avant d'avoir remédié à cette situation. Bertelsmann fournira du contenu à AOL à des conditions [préférentielles]*;
b) Obligations d'AOL. AOL entamera des négociations avec les détaillants de commerce électronique affiliés à Bertelsmann, barnes&noble.com et Bertelsmann Online ("BOL"), afin de structurer les rapports de commerce électronique pour en faire ses partenaires [...]* du commerce électronique. Autrement dit, ces entreprises, conjointement avec un autre détaillant en ligne, bénéficieront d'un placement privilégié (comme la location à demeure, c'est-à-dire une présence permanente au moyen d'un logo ou d'une annonce permettant au visiteur d'aller directement au site Internet de l'annonceur) sur les pages AOL appropriées. AOL entamera des négociations avec un certain nombre d'autres propriétés de sites et d'entreprises Bertelsmann pour leur proposer des promotions [...]*. Enfin, AOL négociera de bonne foi si Bertelsmann lui propose de conclure un accord concernant des actions promotionnelles pour la vente au détail en ligne de livres et de musique sur un site AOL spécifique (location à demeure ou annonce en bandeau sur une durée plus courte) [.]*;
c) Obligations réciproques. AOL et Bertelsmann conviennent d'échanger [...]* des actions promotionnelles sur une durée de quatre ans (autrement dit, AOL fournira un lot de promotions en ligne pour Bertelsmann en échange d'un lot de promotions en ligne et hors ligne - promotions pour la télévision, la radio et la presse qui seront fournies par Bertelsmann). De plus, si AOL fusionne avec Time Warner, AOL et Bertelsmann s'engagent à [réaliser des actions promotionnelles réciproques supplémentaires]*. AOL et Bertelsmann conviennent de faire en sorte que la musique de Bertelsmann soit formatée de façon à pouvoir être jouée par le logiciel de lecture Winamp d'AOL. L'accord prévoit notamment que Bertelsmann devra tout mettre en œuvre selon les usages du commerce afin que tout système de gestion de droits numériques qu'elle utilise soit compatible et prêt à l'emploi avec tout lecteur de médias AOL. De même, l'accord prévoit qu'AOL pourra décider de reformater ce système ou le contenu de Bertelsmann de façon à ce qu'ils soient compatibles avec son lecteur [...]* et Bertelsmann autorisera AOL à le faire, qu'elle le juge ou non commercialement raisonnable, et lui apportera toute la collaboration normale à cet effet.
(44) En conclusion, la Commission estime que ces liens structurels en particulier et, dans une moindre mesure, les liens contractuels unissant AOL et Bertelsmann inciteront fortement Bertelsmann à désigner AOL comme son support de contenus privilégié, c'est-à-dire à fournir ses contenus de préférence par l'intermédiaire d'AOL. Cette situation doit être prise en considération lors de l'appréciation de la position d'AOL/Time Warner sur le marché de la fourniture de musique en ligne. C'est pourquoi les parts de marché de Bertelsmann ont été ajoutées aux parts du marché des droits d'exécution et du marché des droits de reproduction mécanique détenues par Time Warner pour évaluer le pouvoir de marché de la nouvelle entité.
L'accord Time Warner/EMI
(45) Il y a lieu de rappeler à ce propos la conclusion entre Time Warner et EMI, le 23 janvier 2000, d'un accord portant sur la réunion de leurs secteurs "musique enregistrée" et "édition musicale", mais ce projet a été abandonné.
Musique en ligne
(46) AOL/Time Warner contrôlera les droits d'édition de Time Warner et, en raison surtout des entreprises communes et, dans une moindre mesure, du contrat avec Bertelsmann, AOL aura accès au catalogue musical de Bertelsmann et aux droits correspondants. Du fait de ces accords, AOL aura un accès garanti à la principale source de droits d'édition musicale. Time Warner et Bertelsmann représentent environ [30 % à 40 %]* des droits d'édition musicale aussi bien pour les droits de reproduction mécanique que pour les droits d'exécution (14) dans l'EEE([10 % à 20 %]* pour Time Warner et [10 % à 20 %]* pour Bertelsmann). Dans le classement des grands éditeurs, on trouve ensuite EMI avec [10 % à 20 %]* des droits d'exécution et [15 %-25 %]* des droits de reproduction mécanique, suivie d'Universal avec plus de 10 % des droits de reproduction mécanique et près de 10 % des droits d'exécution, puis de Sony avec nettement moins de 10 % des deux catégories de droits. En Espagne, en Allemagne, aux Pays-Bas et en Italie, leurs parts de marché conjuguées se situent dans une fourchette de [25 %-35 %]* à [30 %- 40 %]*, tandis que dans les pays nordiques, en Grèce et au Portugal, elles se situent dans une fourchette de [40 %-50 %]* à [50 %-60 %]* (15).
(47) Une entité contrôlant un catalogue musical aussi vaste pourrait exercer un pouvoir de marché substantiel en refusant de concéder des licences pour ses droits ou en menaçant de ne pas les concéder sous licence, ou encore en imposant des prix élevés ou discriminatoires et d'autres conditions commerciales non équitables à ses clients désireux d'acquérir ces droits(par exemple, des détaillants proposant sur l'Internet le téléchargement de musique et la lecture en transit).
(48) Les parties contestent ce raisonnement qui, selon elles, repose sur une mauvaise perception globale des relations entre AOL et Bertelsmann. Elles soutiennent que le contrat avec Bertelsmann n'accorde aucune exclusivité et empêche donc AOL de contrôler la musique Bertelsmann.
(49) La Commission ne partage pas le point de vue des parties. En effet, elle estime qu'en raison de sa participation financière dans AOL Europe et l'entreprise commune en France, Bertelsmann a une motivation économique à coopérer avec AOL.
(50) Les parties estiment que la Commission ne tient pas compte du rôle des sociétés de perception et de répartition des droits. Aux dires des parties, dans la plupart des cas, ce sont ces sociétés, et non les éditeurs, qui contrôlent les droits nécessaires pour autoriser l'exploitation d'œuvres musicales sur l'Internet parce que ces droits leur ont été cédés et qu'elles en ont la maîtrise. Les éditeurs de musique ne pourraient donc pas leur retirer les droits d'édition en ligne, car pour ce faire, ils devraient non seulement retirer tous les droits sur une œuvre, mais aussi obtenir l'autorisation de l'auteur qui, à son tour, devrait retirer aux sociétés de perception l'intégralité de ses droits - autant de solutions qui ne sont ni pratiques ni rentables.
(51) La Commission constate qu'à l'heure actuelle, il est difficile de déterminer dans ce secteur si ce sont les sociétés de perception des droits plutôt que les éditeurs qui contrôlent les droits d'exploitation de musique en ligne. Même dans l'hypothèse où les sociétés de perception contrôleraient ces droits, aucun obstacle juridique ne s'oppose à ce que les éditeurs leur retirent certaines catégories de droits, et notamment n'importe laquelle des "catégories" ou "formes d'utilisation" définies dans les décisions GEMA I(16) et GEMA II(17). Autrement dit, certains droits de reproduction mécanique et/ou d'exécution peuvent faire l'objet d'un retrait. Les règles applicables montrent que dans la plupart des États membres, exception faite du Royaume-Uni et de l'Irlande, l'éditeur peut avoir besoin de l'autorisation de l'auteur ou du compositeur pour retirer ses droits à la société de perception. Bien entendu, l'auteur ou le compositeur peut être convaincu que le retrait de certains droits sera financièrement avantageux pour lui.
(52) Dans l'environnement numérique Internet, la Commission constate que l'exercice par leurs titulaires d'un droit exclusif d'autoriser ou d'interdire la communication au public, par fil ou sans fil, d'œuvres protégées accroît les possibilités pour un éditeur dominant d'exercer un pouvoir de marché encore plus grand sur la concession de licences pour ces œuvres par des moyens numériques par rapport au cadre traditionnel de l'édition musicale.
(53) AOL pourrait créer sa propre entreprise de distribution de musique sur l'Internet ou racheter une entreprise existante [...]*. L'étude de marché réalisée par la Commission montre que, compte tenu de la masse critique de contenu musical contrôlé par la nouvelle entité et de la puissance de distribution d'AOL sur I'Internet aux Etats-Unis, les labels concurrents se sentiront obligés de se rallier à AOL. AOL est le plus grand FSI du monde et de loin le plus grand des États-Unis. Elle peut compter sur ses deux groupes de messagerie instantanée (ICQ et Instant Messenger) qui, ensemble, représentent plus de 130 millions d'utilisateurs potentiels inscrits et plus de 34 millions d'utilisateurs réguliers. En outre, avec 59 millions de visiteurs uniques (18) en mai 2000 (19), AOL est le portail le plus visité des Etats-Unis. Aucun FSI ne possède de réseau de distribution en ligne aussi impressionnant. Enfin, en raison de l'intérêt de son contenu, AOL réussit bien mieux que les autres FSI à retenir l'attention des utilisateurs pendant des durées prolongées (c'est ce que l'on appelle communément "stickiness" ou capacité de retenir).
(54) Les maisons de disques vendant de la musique pop internationale qui, par définition, plaît dans le monde entier, devront, si elles veulent distribuer aussi largement que possible leurs produits, obtenir qu'ils soient vendus par le "point de vente en ligne" d'AOL. AOL pourrait exploiter sa position, soit pour facturer des prix supraconcurrentiels pour la prise en charge de contenu, soit pour restreindre l'accès au marché de la musique en ligne en favorisant Time Warner et Bertelsmann et en dégradant la qualité de l'accès pour les fournisseurs de contenu concurrents.
(55) En outre, l'étude du marché réalisée par la Commission montre que la nouvelle entité serait en mesure d'imposer les normes techniques (pour la désignation des technologies et du lecteur audio correspondants) de diffusion de musique sur l'Internet. Il faut souligner que, d'après le document AOL préalable à la concentration mentionné au paragraphe 53, l'une des missions de l'accord Time Warner/AOL consiste à "[assurer l'adoption massive de normes de téléchargement numérique]*". D'après ce même document, cette stratégie musicale pourrait être complétée par [une politique d'acquisitions stratégiques]".
(56) D'après l'étude de marché de la Commission, ce résultat pourrait être obtenu par la mise au point ou l'acquisition d'une technologie brevetée de formatage pour tous les téléchargements et lectures en transit de pistes Time Warner. En diffusant toute sa musique sur des codes ou des formats maison, la nouvelle entité empêcherait son énorme contenu musical d'être téléchargé ou lu en transit au moyen de technologies concurrentes. En raison de l'ampleur des droits d'édition de Time Warner et de Bertelsmann, de la faveur dont jouit leur catalogue, du savoir-faire d'AOL dans le domaine de l'Internet et de sa vaste population d'internautes, la nouvelle entité serait en mesure d'imposer sa technologie ou son langage de formatage comme la norme du secteur. À titre d'exemple, en menaçant de ne pas concéder de licences pour sa technologie, la nouvelle entité pourrait obliger les concepteurs de lecteurs audio à ne pas apporter leur soutien à des technologies concurrentes. Les maisons de disques concurrentes désireuses de distribuer leur musique en ligne seraient alors obligées de formater leur musique à l'aide de la technologie de la nouvelle entité. En raison du contrôle qu'elle exerce sur la technologie concernée, la nouvelle entité serait en mesure de contrôler la musique pouvant être téléchargée et lue en transit sur l'Internet et d'accroître les coûts des concurrents par des redevances de licence excessives.
(57) La nouvelle entité pourrait également utiliser la puissance d'AOL dans le secteur de la distribution sur l'Internet aux États-Unis pour imposer sa technologie maison. Elle pourrait accepter de distribuer les produits de labels concurrents (comme les disques de musique pop internationale vendus dans le monde entier) à condition que ces labels adoptent sa technologie. Les maisons de disques seraient disposées a payer le prix fort pour avoir accès à AOL.
(58) Les parties soutiennent que la nouvelle entité n'aurait ni le pouvoir ni la motivation d'appliquer une stratégie de formatage exclusive. Elles déclarent en outre que le secteur est dominé par des concurrents solidement établis, dont Microsoft, Intel, IBM, Sony, Fraunhofer Institut et AT & T. Chacune de ces entités pourrait, à elle seule, opposer une résistance considérable à la moindre tentative de la nouvelle entité de mettre au point et d'imposer un format maison non ouvert. La Commission considère que cet argument peut être rejeté puisqu'aucun de ces concurrents, à l'exception de Sony, n'est intégré verticalement et ne contrôle donc de droits d'édition musicale. En ce qui concerne Sony, la taille de son catalogue musical (en moyenne [1 à 10 %]* de tous les droits d'édition musicale) n'est pas comparable à celle du catalogue de la nouvelle entité, ce qui amène la Commission à considérer que le catalogue musical de Sony n'est pas assez étoffé pour permettre à la firme japonaise d'imposer une stratégie de formatage. Il faut noter que Sony a déjà mis au point un format de compression breveté ("ATRAC"), qui n'est pas devenu la norme du secteur, mais se trouve en concurrence avec un certain nombre d'autres formats.
(59) En conclusion, la Commission considère que la nouvelle entité pourrait acquérir une position dominante sur le marché de la musique en ligne.
Lecteur de musique
(60) L'étude du marché réalisée par la Commission a montré que la nouvelle entité pourrait, au lieu de mettre au point une technologie maison, décider de formater la musique de Time Warner de façon à la rendre compatible uniquement avec Winamp, qui deviendrait alors le seul lecteur capable de jouer cette musique.
(61) AOL a également le droit de reformater la musique de Bertelsmann pour la rendre compatible avec Winamp. Comme on l'a vu plus haut, Bertelsmann est obligée par contrat d'assurer le formatage de sa musique de façon à ce qu'elle puisse être jouée par Winamp. Aux termes du contrat, AOL peut également décider de reformater, à ses frais, le contenu de Bertelsmann pour le rendre compatible avec son lecteur, que cette solution se justifie commercialement ou non pour Bertelsmann. Sur ce point, Bertelsmann est tenue de collaborer avec AOL.
(62) Winamp pourrait accueillir les autres formats et technologies (par exemple MP3 ou WMA) sous lesquels les maisons de disques concurrentes éditent leur musique (ou la majeure partie de celle-ci). Winamp deviendrait donc le seul lecteur de musique au monde capable de jouer la quasi-totalité de la musique disponible sur l'Internet. Les autres maisons de disques n'auraient aucune incitation à formater leur musique selon des normes maison, car elles ne possèdent pas de logiciels de lecture de musique (comme le Winamp d'AOL), n'ont pas de réseau de distribution de musique en ligne comparable à celui d'AOL et n'ont pas la même masse critique d'anciens enregistrements. En refusant d'accorder des licences pour sa technologie, la nouvelle entité imposerait Winamp comme lecteur de musique dominant puisqu'aucun autre lecteur ne serait capable de décoder le format protégé de la musique de Time Warner et de Bertelsmann. Compte tenu de leurs limites techniques, les lecteurs concurrents n'exerceront aucune contrainte concurrentielle sur le prix Winamp. De ce fait, à l'issue de l'opération, la nouvelle entité contrôlera le logiciel de lecture dominant et pourrait le facturer à des prix supraconcurrentiels.
(63) Les parties affirment qu'une stratégie fondée sur le reformatage de leur musique pour la rendre compatible uniquement avec Winamp serait catastrophique sur le plan commercial. Elles soutiennent que, d'après les statistiques les plus récentes, le taux d'écoute de musique en ligne obtenu par Winamp n'est que de [10 à 20 %]* (les lecteurs les plus répandus seraient Real avec [70 à 80 %]*, Media Player de Microsoft avec [40 à 50 %]* et QuickTime avec [20 à 30 %]*). Il serait donc contraire aux intérêts commerciaux de Time Warner et de Bertelsmann d'éditer leur musique dans un format ne pouvant être lu que par Winamp, car ces entreprises ne toucheraient que [10 à 20 %]* de la totalité des personnes écoutant de la musique en ligne. La Commission considère que le fait que Winamp (décrit sur le site AOL comme le "numéro un de la musique sur l'Internet") aurait actuellement un taux d'écoute plus faible que les lecteurs concurrents est sans objet dès lors qu'il est présumé qu'AOL est à même de reformater la musique de Time Warner et de Bertelsmann. Les logiciels de lecture peuvent être librement et aisément téléchargés sur un PC capable d'accueillir plusieurs logiciels. Il va de soi que la clé de la réussite d'un lecteur réside dans sa capacité de jouer l'éventail de musiques le plus large. En l'espèce, le catalogue musical reformaté par AOL pousserait les auditeurs en ligne vers Winamp, et non l'inverse. Les internautes désireux de télécharger, par exemple, une chanson d'un artiste Time Warner seraient simultanément priés de télécharger Winamp, lequel deviendrait très vite le logiciel de lecture le plus prisé au monde.
(64) Par ailleurs, les parties observent que Winamp ne contient actuellement aucune technologie maison significative, mais que tous ses composants techniques proviennent de tiers indépendants. On peut répliquer à cet argument que rien n'empêchera la nouvelle entité de mettre au point ou de concéder sous licence un format maison. Ainsi, AOL a d'ores et déjà conclu avec Intertrust un contrat aux termes duquel elle utilisera le système DRM d'Intertrust. Ce contrat, qui confère à Intertrust le statut de fournisseur de technologie privilégié d'AOL, pourrait servir de départ à la mise au point de la technologie maison.
(65) On peut donc en conclure que la nouvelle entité obtiendrait une position dominante sur le marché des logiciels de lecture de musique.
Accès à l'Internet par ligne commutée
La position d'AOL aux Etats-Unis et son modèle commercial
(66) AOL est de loin le principal FSI aux États-Unis avec, selon les parties, [40 à 50 %]* du marché [...]*.
(67) Le modèle de croissance d'AOL aux États-Unis repose (en partie du moins) sur les caractéristiques originales d'AOL. Au lieu de se contenter de fournir un portail d'accès à des contenus logés un peu partout sur l'Internet, AOL propose un contenu très abondant et facile d'emploi.
(68) Une partie du contenu et des services connexes (forums, magazines, groupes de discussion, bases de données de référence et services d'information) proposés par AOL sont protégés et réservés aux seuls abonnés, à l'exclusion du grand public de l'Internet (20).
(69) La taille d'AOL aux États-Unis lui a également permis de se procurer du contenu à des conditions préférentielles, comme en témoigne le contrat avec Bertelsmann. La conjonction du contenu et des services connexes d'AOL et de son énorme fichier d'abonnés crée un effet de réseau qui dissuade l'abonné de renoncer à AOL. De même, les nouveaux venus sont désireux de rallier AOL afin de pouvoir communiquer et dialoguer avec sa vaste population d'internautes. Comme on va le voir, l'effet de réseau fonctionne dans les deux sens: plus il y a d'abonnés, plus il y a de contenu, et inversement.
(70) Le service d'AOL a également été décrit comme une sorte d'univers clos ou de guichet unique où la plupart des internautes ont l'impression de pouvoir trouver tout ce qu'ils cherchent. Apparemment, cela voudrait dire que la page d'accueil d'AOL propose une abondance de services et de contenu. Nombre de ceux-ci sont une exclusivité AOL. Dès lors que l'utilisateur clique sur ces hyperliens, il pénètre dans une impasse depuis laquelle il ne peut avoir accès qu'à d'autres services affiliés et à certains contenus clés extérieurs. Il arrive toutefois que les clients d'AOL soient détournés d'un contenu qui rivalise d'une manière trop agressive avec AOL. L'ampleur des services et du contenu d'AOL risque de créer une inertie considérable face au changement, car les utilisateurs peuvent avoir une propension à identifier AOL avec l'Internet et à ignorer les sites concurrents. Par conséquent, plus AOL se procure du contenu et plus sa population d'utilisateurs est nombreuse, moins l'abonné a de raisons d'abandonner l'univers clos d'AOL et plus les internautes potentiels ont de raisons de rallier AOL. Dans ce contexte, il faut établir une distinction entre les utilisateurs passifs et les utilisateurs actifs de l'Internet. Les premiers sont des utilisateurs inexpérimentés qui restent généralement chez AOL et cliquent sur les hyperliens présentés par celle-ci. En revanche, les utilisateurs actifs de l'Internet sont des internautes chevronnés qui recherchent des informations spécifiques et sont capables de trouver leur chemin dans le labyrinthe de l'Internet. D'après un exposé de Bob Pitman, président- directeur général d'AOL, il est prouvé que les abonnés d'AOL consacrent à AOL [une part considérable]* du temps qu'ils passent à surfer (pouvoir de retenir), ce qui montre que les utilisateurs passifs représentent la majorité des clients d'AOL.
(71) AOL affirme que la Commission a mal compris le modèle commercial d'AOL. Elle prétend qu'elle n'est pas un univers clos puisqu'elle donne à ses abonnés en ligne la possibilité illimitée d'accéder au contenu de l'Internet de leur choix, y compris des sites concurrents et des produits et contenus qui ne sont ni affiliés ni liés sur le plan promotionnel à AOL. AOL prétend qu'une stratégie limitant l'accès des abonnés à du contenu non-AOL serait autodestructrice, car elle lui ferait perdre des clients ainsi que les recettes publicitaires et promotionnelles correspondantes. De plus, certaines enquêtes jointes à la réponse d'AOL à la communication des griefs de la Commission montrent que, lorsqu'il s'agit de visionner du "contenu" (c'est-à-dire l'utilisation en ligne, à l'exclusion des groupes de discussion et du courrier électronique), les utilisateurs d'AOL consacrent [une part importante]* de leur temps sur des sites hors AOL.
(72) La Commission estime que ces enquêtes sont trompeuses, car elles considèrent le temps passé par l'utilisateur sur des sites non-AOL comme du temps hors AOL, ce que contredit catégoriquement un document interne d'AOL (l'exposé de Bob Pitmann mentionné au considérant 70), selon lequel "le contenu où les gens se rendent entre les quatre murs d'AOL représente [une part importante]* de cette utilisation. Seule [une moindre part]* va sur l'Internet en général, ce qui, comme nombre d'entre vous le savent, est le grand différenciateur entre nous et un service FSI conventionnel qui ne fait que se raccrocher en quelque sorte à l'Internet et a près de 100 % d'utilisation limitée au contenu de l'Internet en général".
(73) En ce qui concerne l'univers clos, la Commission a constaté que la majorité des utilisateurs d'AOL surfaient généralement sur l'Internet à l'aide des outils de navigation présentés sur les pages AOL (comme les liens avec les sites de tiers), plutôt que d'utiliser des moteurs de recherche ou de taper l'adresse des sites qu'ils recherchent. Dans ce contexte, il n'est pas inutile de rappeler qu'outre la connectivité de l'Internet élémentaire, AOL regroupe du contenu pris sur l'Internet au profit de ses clients (ces services sont analogues à ceux que fournit un metteur en forme qui compile et organise des matériels rédigés par d'autres). En réalisant ce travail de mise en forme, AOL vend des promotions et loue des emplacements d'achat au sein de son réseau à des fournisseurs de contenu. Les contrats conclus par AOL contiennent des clauses restrictives interdisant les promotions ou les liens avec des sites en dehors du réseau AOL ou la vente de produits concurrents de ceux d'AOL. Du fait de ces restrictions, les utilisateurs AOL sont confinés au réseau AOL, même s'ils ont l'impression de surfer sur l'Internet sans restrictions.
(74) Quant à l'absence de motivation économique d'AOL pour adopter un comportement d'exclusion, la Commission note que les arguments des parties sont axés sur un scénario dans lequel AOL refuserait absolument d'accueillir du contenu concurrent de tiers. Or, AOL oublie un scénario plus réaliste dans lequel elle accepte d'accueillir du contenu non affilié, mais à des conditions discriminatoires. La Commission considère que l'intégration verticale du contenu Time Warner avec les services de l'Internet d'AOL va modifier la motivation d'AOL à fixer des prix d'accès pour les fournisseurs de contenu non affiliés. Après la fusion, AOL tiendra compte, dans ses rapports avec les tiers fournisseurs de contenu, de l'impact de la concurrence sur la rentabilité de Time Warner. Elle aura donc un motif pour durcir les termes de l'échange et augmenter le prix d'accès afin de protéger la rentabilité de Time Warner et de compenser la baisse des recettes de Time Warner induite par la concurrence.
La position d'AOL en Europe
(75) Sur le marché européen de l'accès à l'Internet par ligne commutée, qui reste largement dominé par les opérateurs de télécommunications historiques du fait qu'ils contrôlent la boucle locale, AOL est le seul FSI présent dans la majorité des États membres. Elle occupe la deuxième place en France, en Allemagne et au Royaume-Uni.
(76) Aux dires des parties, la position d'AOL et de ses affiliés sur ses quatre marchés principaux, d'après le nombre de clients, est la suivante:
a) en France, avec [10 à 20 %]* (AOL [10 à 20 %]* et CompuServe [moins de 10 %]*), AOL est le deuxième FSI derrière Wanadoo, la filiale de France Telecom dont la part de marché est de [30 à 40 %]*;
b) en Allemagne, avec [10 à 20 %]* (AOL [10 à 20 %]* et CompuServe [moins de 10 %]*), AOL est le deuxième FSI derrière T-Online, filiale de Deutsche Telecom, dont la part de marché est de [50 à60 %]*. Il faut souligner que la position d'AOL sur le marché est renforcée par le fait que son partenaire Bertelsmann, qui détient 50 % d'AOL Europe, a le contrôle conjoint de Lycos Europe. Comundo, le FSI d'accès par ligne commutée de Lycos Europe, détient [moins de 10 %]* du marché allemand;
c) aux Pays-Bas, AOL (CompuServe) a [moins de 10 %]*, ce qui la classe au huitième rang des FSI;
d) pour le Royaume-Uni, voir considérant 78 et suivants.
(77) En Europe, le taux moyen de pénétration de l'Internet est très inférieur à celui des Etats- Unis. Cette situation s'explique essentiellement par le fait qu'aux États-Unis, l'accès et l'utilisation de l'Internet sont nettement moins coûteux qu'en Europe, où les communications locales sont généralement facturées sur relevé de compteur, ce qui n'est pas le cas aux Etats- Unis. La plupart des FSI financent leurs activités avec les abonnements forfaitaires facturés aux abonnés, les recettes publicitaires (produit de la vente d'espace publicitaire sur leurs sites de l'Internet) et les commissions perçues sur le commerce électronique (fraction du prix d'un article vendu sur une page web accessible par un hyperlien sur le site du FSI). En Europe, l'Internet est prêt à démarrer la baisse des coûts d'accès facilitée par le dégroupage de la boucle locale dans les télécommunications et la promotion de l'accès hors compteur. Le dégroupage de la boucle locale permet à un plus grand nombre de concurrents d'agir sans mettre en place une boucle locale concurrente et d'entrer en concurrence avec l'opérateur de télécommunications historique. Avec les coûts d'accès orientés à la baisse, le contenu devrait devenir l'élément crucial déterminant la compétitivité des FSI.
La position d'AOL au Royaume-Uni
(78) Contrairement à ce qui se passe en France et en Allemagne, où les FSI dominants sont payants et contrôlés par les opérateurs de télécommunications historiques, le marché britannique de l'Internet est caractérisé par la présence d'un certain nombre de FSI gratuits. Par le nombre de clients, le numéro un est actuellement Freeserve. D'après les chiffres les plus récents concernant le marché (selon le nombre d'abonnés actifs), publiés en juin 2000, les principaux opérateurs sont les suivants:
- Freeserve: [15 à 25%]*,
- AOL: [15 à 25 %]* (AOL UK [moins de 10 %]*, Netscape On Line [moins de 10 %]*, CompuServe [moins de 10 %]*)
- Line One: [moins de 10 %]*,
- Virgin Net: [moins de 10 %]*,
- Breath Online: [moins de 10 %]*,
- BT Internet: [moins de 10 %]*.
(79) Toutefois, l'appréciation de la position de marché des FSI en fonction du seul nombre d'abonnés risque d'induire en erreur. En effet, de nombreux utilisateurs occasionnels de l'Internet peuvent s'abonner auprès de FSI gratuits, mais ne les utiliser que rarement, produisant ainsi des recettes d'interconnexion très faibles. On peut également mesurer la position de marché d'un FSI à partir des recettes. Les parties n'ont pas été en mesure d'indiquer les parts de marché sur la base des recettes, étant donné que la plupart des FSI ne sont pas des sociétés ouvertes et, par conséquent, ne publient pas leurs résultats. Toutefois, si les parts de marché étaient calculées sur cette base, la part de marché d'AOL dépasserait nettement celle de Freeserve et serait de loin la plus importante du Royaume-Uni. Pour l'exercice 1999/2000, les recettes de Freeserve provenant de l'accès à l'Internet par ligne commutée (recettes d'interconnexion) se sont élevées à 9,6 millions de livres sterling, tandis que celles d'AOL se sont montées à [...]* livres sterling (recettes d'interconnexion plus abonnements) et que ses recettes nettes (avec les abonnements moins les frais de réseau, c'est-à-dire ce qu'AOL paie à l'opérateur de téléphone local) ont atteint [...]* livres sterling. Par conséquent, les recettes d'AOL sont [plusieurs fois] * plus élevées que celles de Freeserve et [plus élevées] * que la somme des recettes de l'Internet de ses trois principaux concurrents (Freeserve, Ligne One et Virgin Net qui, ensemble, comptent [35 à 45 %] * des abonnés britanniques). Si les parts de marché étaient calculées en fonction des recettes de l'Internet, AOL pourrait assurément être considérée comme le plus grand fournisseur d'accès à l'Internet par ligne commutée. Il ne faut pas oublier que, contrairement à ce que soutiennent les parties, l'analyse des parts de marché fondée sur les recettes n'est pas sans précédent. En effet, dans l'affaire Telia/Telenor, la Commission a calculé les parts du marché de l'accès à l'Internet par ligne commutée selon les recettes et le nombre d'abonnés.
(80) Sur la base du nombre d'abonnés, AOL était l'unique leader, avec une part de marché de [35 à 45 %]* (AOL UK [15 à 25 %]* et CompuServe [15 à 25 %]*) avant l'arrivée de Freeserve sur le marché en septembre 1998. Le succès de Freeserve s'explique par le fait que, contrairement à AOL, cette société propose l'accès gratuit à l'Internet (les abonnés ne paient que les communications téléphoniques) et a contribué à faire baisser le coût d'utilisation de l'Internet. Toutefois, Freeserve est une société récente dont la situation financière est fragile. Au 29 avril 2000, elle affichait une perte nette d'environ 18,4 millions de livres sterling et une perte d'exploitation de 26,4 millions de livres sterling. D'après des prévisions récentes d'analystes financiers, Freeserve enregistrerait en 2001 une perte avant impôts de 61 millions de livres sterling par rapport aux estimations précédentes d'une perte de 27,4 millions de livres sterling. La situation financière précaire de Freeserve et ses mauvais résultats font planer des doutes sur sa viabilité future et sa crédibilité en tant que concurrent de sociétés multimarchés beaucoup plus importantes et financièrement plus fortes, telles qu'AOL. D'une manière générale, les analystes financiers doutent que le modèle commercial d'un accès "gratuit" à l'Internet soit sain. A cet égard, il ne faut pas oublier que les deux autres fournisseurs britanniques d'accès gratuit à l'Internet, LineOne et VirginNet, ont récemment annulé et retardé leur offre d'accès (21). Dans ces conditions, il n'est pas exclu qu'au moins au Royaume-Uni, ce soit le modèle américain d'accès à l'Internet, basé sur un système d'abonnement, qui prévale à l'avenir.
(81) Dans un contexte d'accès à l'Internet avec abonnement gratuit, les FSI qui sont en mesure de justifier leur redevance d'abonnement en proposant un contenu attractif connaîtront le succès, comme le confirme un rapport récent de Jupiter Communications qui déclare que "parmi les portails et les FSI, AOL reste le roi du contenu. L'utilisation moyenne par les consommateurs de trente minutes par jour est bien méritée en raison de la grande qualité de l'offre de contenu et de commerce électronique d'AOL" (22). Contrairement à ses concurrents qui n'ont pas de contenu maison, AOL serait en mesure de grouper l'énorme catalogue de contenu musical de Time Warner et de Bertelsmann avec un accès à l'Internet et des services maison, et de donner à ses abonnés un accès exclusif ou préférentiel à ce contenu (par exemple, AOL pourrait donner à ses abonnés la possibilité d'accéder à la musique Time Warner plusieurs mois avant les abonnés non-AOL).
(82) La masse critique de ce contenu, alliée à la puissance de distribution sur l'Internet d'AOL aux Etats-Unis, agira comme un aimant et attirera du contenu supplémentaire au "magasin en ligne/dispositif essentiel" d'AOL. La musique a un fort pouvoir d'attraction et un effet d'entraînement qui amènera de nouveaux abonnés à AOL. Durant son enquête, la Commission a constaté que la musique était l'un des éléments de contenu de l'Internet les plus prisés et les plus recherchés.
(83) Le contenu de Time Warner offre un certain nombre de possibilités de promotion des services AOL d'accès à l'Internet par ligne commutée. Ainsi, AOL pourrait proposer des forfaits Internet/musique intéressants en se servant de la musique comme outil promotionnel ou produit d'appel (par exemple, s'abonner à AOL et obtenir la musique Time Warner et Bertelsmann gratuitement pendant un mois ou s'abonner et écouter le nouvel album d'un artiste populaire qui n'est pas encore en vente chez les disquaires). La musique est facile à distribuer en ligne par des connexions bande étroite puisqu'il s'agit déjà d'un produit numérique, qu'elle a de faibles contraintes de bande étroite et que son coeur de cible est analogue au groupe principal des utilisateurs de l'Internet. AOL peut utiliser la musique en ligne comme plate-forme pour attirer de nouveaux abonnés en nombre suffisant pour parvenir à une position dominante sur le marché de l'accès à l'Internet par ligne commutée. De même, AOL pourrait adapter les CD Time Warner et Bertelsmann pour qu'ils acceptent le logiciel d'AOL, encourageant ainsi les consommateurs à s'inscrire chez AOL ou à obtenir AOL gratuitement. Dans ce contexte, il faut noter qu'aux termes du contrat AOL/Bertelsmann, l'un des outils promotionnels que Bertelsmann peut utiliser pour atteindre les cibles d'abonnés (considérant 43) consiste à donner à AOL la possibilité de graver son logiciel sur des CD, DVD et CD-ROM Bertelsmann et d'inclure des autocollants et des prospectus faisant la promotion de cette intégration du logiciel AOL.
(84) Les parties soutiennent que la fusion avec Time Warner ne modifiera pas le modèle commercial d'AOL. AOL et Time Warner déclarent qu'elles n'ont pas l'intention de poursuivre une stratégie consistant à promouvoir ou à distribuer exclusivement la musique Time Warner par l'intermédiaire d'AOL. Les parties prétendent que les recettes promotionnelles produites par une promotion et une distribution de grande envergure dépassent de loin les gains réalisés avec des possibilités d'exécution exclusive. Les ventes perdues lorsque seule une portion de musique est mise en vente - et la valeur promotionnelle de ces ventes - ne peuvent être récupérées, même par des augmentations substantielles des ventes de contenu promotionnel. Si l'on prend en compte l'audience d'abonnés qui est perdue à cause de l'absence de promotion de la musique la plus prisée, le bénéfice de l'association AOL/Time Warner s'enfonce encore plus au-dessous du modèle non exclusif. [...]* Il s'ensuit que le modèle promotionnel actuel d'AOL (vaste promotion et distribution de grande envergure) donne des profits plus importants que n'importe quel modèle de distribution exclusive concurrent.
(85) La Commission estime que l'analyse d'AOL repose sur une vue statique du marché de la distribution de musique, qui ne prend pas en compte les synergies et les changements qui seront induits par la fusion. Ainsi, le raisonnement des parties ne tient pas compte du fait que la masse critique de contenu musical sur le site de l'Internet d'AOL - Time Warner et Bertelsmann - va attirer de la musique d'autres maisons de disques. Du fait de son catalogue de contenu et de son réseau de distribution, des maisons de disques concurrentes se sentiraient obligées de se rallier à AOL, qui finirait par avoir accès à la totalité de la musique. En outre, les parties ne tiennent pas compte du fait que, en assurant la promotion de la musique Time Warner et Bertelsmann à titre exclusif ou préférentiel (c'est-à-dire en refusant l'accès à son contenu ou en facturant des prix supraconcurrentiels à d'autres FSI), AOL attirera davantage d'abonnés à l'Internet, accroissant ainsi l'importance d'AOL comme support de fournisseurs de contenu concurrents. Enfin, il ne faut pas oublier que la mise au point de nouvelles technologies ou formats maison pour la distribution de musique par l'Internet suffirait en soi à modifier le modèle commercial d'AOL.
(86) Il est inutile de trancher la question de savoir si l'opération pourrait aboutir à la création d'une position dominante sur le marché de l'accès à l'Internet par ligne commutée au Royaume- Uni puisque cette éventualité est réduite à néant par l'effet des mesures correctrices apportées par les parties sur la musique.
Contenu large bande
Films et programmes de télévision
(87) L'opération notifiée implique, entre autres, l'intégration verticale du catalogue de films et de programmes de télévision de Time Warner avec le réseau de l'Internet et les services de distribution en ligne d'AOL.
(88) La nouvelle entité sera le premier fournisseur de contenus large bande intégrés verticalement. La Commission estime qu'une société capable de grouper un accès large bande à l'Internet avec un vaste éventail de contenus large bande attractifs (et de musique) bénéficiera d'un avantage considérable, sur le plan de la concurrence, par rapport aux fournisseurs de contenus non intégrés ou aux sociétés qui ne peuvent fournir qu'une gamme de contenus plus limitée.
(89) Pendant le déroulement de la procédure, un certain nombre de préoccupations ont été exprimées quant à la possibilité pour AOL de se servir de sa position dominante aux Etats-Unis pour s'imposer en force dans l'EEE. AOL est le plus grand FSI qui possède le plus important fichier d'abonnés à l'Internet au monde. C'est le numéro un incontesté aux Etats-Unis et le seul FSI présent dans la plupart des pays d'Europe. Les deux services de messagerie instantanée d'AOL constituent un formidable outil de distribution et un réseau comptant potentiellement quelque 130 millions d'utilisateurs. Les services IM et ICQ pourraient être utilisés pour permettre le partage simultané de fichiers audio entre les utilisateurs. Les utilisateurs d'IM et d'ICQ pourraient regarder un film Time Warner film et en discuter en simultané. Ensuite, ils pourraient constituer des groupes de discussion et des fan clubs et promouvoir ce contenu par la discussion. Les abonnés de messagerie pourraient également être utilisés pour la création de programmes de fidélisation du genre: envoyez un film Time Warner à dix utilisateurs et vous obtiendrez une remise sur la lecture en transit de votre prochain film. De surcroît, du fait de l'opération, AOL aura accès à l'infrastructure du câble large bande de Time Warner, qui est l'un des principaux exploitants de câble des États-Unis.
(90) Compte tenu de la couverture, de l'énorme clientèle et des services de messagerie instantanée d'AOL, les tiers, et notamment les sociétés de médias et de divertissement internationales qui commercialisent leurs produits à l'échelon mondial, devront, ainsi que l'a montré l'étude du marché réalisée par la Commission, avoir accès à AOL aux États-Unis pour obtenir une distribution maximale de leurs produits. Pour dissiper les doutes éventuels à cet égard, les parties se sont engagées à ce que, durant les trois années suivant l'achèvement de la fusion AOL Time Warner, AOL s'abstienne d'imposer, comme condition préalable à la conclusion d'un accord de portage de contenu pour son service en ligne aux Etats-Unis, l'obligation pour le fournisseur de contenu de passer un accord de portage de contenu avec un FSI affilié à AOL dans l'EEE. La Commission a pris acte de cet engagement.
(91) En ce qui concerne le contenu Time Warner, Warner Brothers occupe, en sa qualité de grand studio de Hollywood, une position importante comme fournisseur de contenu pour ce marché. Les parts de marché des producteurs de films dépendent du nombre de succès obtenus au cours d'une année donnée. Selon les recettes produites par les films en Europe, Warner Brothers aura une part de marché située dans une fourchette de 10 à 20 % durant une année donnée. Ainsi, en 1997, Warner Brothers a pris la deuxième place parmi les studios les plus prospères avec [10 à 20 %]*, alors qu'en 1995, ce studio occupait la première place avec [10 à 20 %]* (23). Time Warner possède un vaste catalogue de programmes de télévision en langue anglaise et un certain nombre de succès mondiaux (comme ER et Friends). Dans l'EEE, en revanche, Time Warner n'est pas un fournisseur unique ou dominant de contenu large bande. Dans chaque pays de l'EEE, la part de marché de Time Warner pour la production de programmes de télévision est [inférieure à 10 %]*.
(92) C'est pourquoi la Commission estime que la réunion de lime Warner et d'AOL n'aboutira pas à la création d'une position dominante sur le marché du contenu large bande dans l'EEE.
(93) La vaste gamme de vidéos et de films dont Time Warner est propriétaire (comme les catalogues CNN et Warner Bros.) se prêtent parfaitement à la distribution par des connexions de l'Internet rapides. La nouvelle entité pourrait utiliser le contenu large bande de Time Warner pour dominer le marché émergent de l'accès rapide à l'Internet en Europe. A cet effet, AOL pourrait utiliser ce contenu comme produit d'appel et/ou le grouper avec des abonnements AOL. Toutefois, ni AOL ni Time Warner ne possèdent d'infrastructures de transmission en Europe, région caractérisée par la présence d'opérateurs de téléphone et de câble historiques bien établis. Time Warner possède d'importantes infrastructures câblées aux États-Unis, avec environ 12,6 millions d'abonnés desservis à la fin de l'année 1999, mais elle ne possède aucune participation dans des réseaux câblés européens.
(94) Eu égard à ce qui précède, la Commission considère, après examen, qu'il n'existe aucune base crédible pour conclure que, dans un avenir prévisible, la nouvelle entité occupera une position dominante sur le marché émergent de l'accès large bande dans l'EEE. C'est pourquoi l'opération n'aboutira pas à la création d'une position dominante sur ce marché.
V. ENGAGEMENTS PROPOSÉS PAR LES PARTIES
(95) Afin de résoudre les problèmes de concurrence soulevés par la Commission, les parties ont proposé, le 20 septembre 2000, un ensemble d'engagements. Ces engagements peuvent être récapitulés comme suit:
a) les parties mettent en place un mécanisme qui permettra à Bertelsmann de se retirer progressivement d'AOL Europe SA ("AOL Europe") et d'AOL CompuServe France SAS ("AOL France");
b) les parties prennent un certain nombre de mesures jusqu'à ce que ce retrait soit effectif, afin que Bertelsmann n'exerce pas de contrôle sur AOL Europe ni sur AOL France et ne réserve pas à AOL un traitement exclusif à des conditions autres que celles du marché:
i) pour AOL Europe, Bertelsmann a renoncé à tous ses droits contractuels de veto, d'autorisation et d'approbation; pour AOL France, elle a accepté d'exercer ces droits au nom et suivant les instructions d'AOL;
ii) en outre, AOL a fait émettre par AOL Europe un nombre d'actions égal à 1 % du capital d'AOL Europe à l'ordre d'un investisseur qui n'est ni contrôlé par Bertelsmann AG ni affilié à cette dernière. Cette émission a ramené la participation et les droits de vote de Bertelsmann AG à un niveau inférieur à 50%;
iii) AOL s'engage à ce que les présidents-directeurs généraux d'AOL Europe, AOL France et autres affiliés d'AOL Europe restent non affiliés à Bertelsmann;
iv) AOL Time Warner ne prendra aucune mesure rendant la musique Bertelsmann disponible en ligne exclusivement par AOL ou la présentant sous un format maison qui ne puisse être joué que sur un lecteur AOL;
v) AOL Time Warner n'imposera pas à Bertelsmann l'obligation de promouvoir exclusivement les services FSI d'AOL;
vi) AOL prendra toutes les mesures nécessaires afin que Bertelsmann n'exerce ni le contrôle opérationnel ni le contrôle négatif d'AOL Europe ou d'AOL France au sens du règlement communautaire sur les concentrations;
c) AOL s'engage à renoncer à certains droits prévus par son contrat de distribution avec Bertelsmann:
i) AOL n'exercera pas le droit qui lui revient, aux termes du contrat de distribution, de reformater la musique de Bertelsmann afin de la rendre compatible avec le lecteur AOL d'une façon qui reviendrait à promouvoir ou à favoriser un format qui ne puisse être attribué sous licence à des tiers à des conditions commerciales normales;
ii) AOL n'appliquera aucune des dispositions du contrat de distribution empêchant Bertelsmann de promouvoir des FSI tiers;
d) un contrôleur indépendant sera chargé de vérifier si Time Warner respecte bien les engagements concernant Bertelsmann, et ce jusqu'à ce que celle-ci se retire d'AOL Europe et d'AOL Compuserve France.
VI. APPRÉCIATION DES ENGAGEMENTS PROPOSÉS
(96) La Commission a examiné le mécanisme proposé au paragraphe 95, point a), et estime qu'il permettra de supprimer de façon appropriée les liens structurels qui existent entre AOL et Bertelsmann. La nouvelle entité ne pourra ainsi plus avoir accès à la principale source de droits d'édition (24) - nécessaires à l'exploitation en ligne de musique sur l'Internet - et il ne pourra plus y avoir création d'une position dominante sur le marché de la musique en ligne, des logiciels de lecture ou de l'accès à l'Internet par ligne commutée. Les mesures provisoires mentionnées aux points b) et c), ainsi que les contrôles prévus, permettent de garantir de façon suffisante que jusqu'au retrait de Bertelsmann d'AOL Europe et d'AOL France, les relations entre Bertelsmann et AOL se déroulent dans une situation de concurrence normale.
(97) En conclusion, la Commission estime que les dernières mesures correctrices proposées par les parties permettent d'éliminer tous les problèmes de concurrence soulevés par l'opération dans l'EEE,
A ARRÊTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION:
Article premier
L'opération de concentration par laquelle America Online Inc. doit fusionner avec Time Warner Inc., au sens de l'article 3, paragraphe 1, point a), du règlement (CEE) n° 4064-89, est déclarée compatible avec le Marché commun et avec le fonctionnement de l'accord EEE, sous réserve du respect intégral des derniers engagements proposés par les parties, tels qu'ils figurent à l'annexe.
Article 2
Les sociétés
America Online, Inc., 22000 AOL Way, 20166-9323, USA, Télécopieur 001-703-265-3992
Time Warner Inc., 75 Rockefeller Plaza Dulles, VA, New York, NY 10019, USA, Télécopieur 001-212-586-9812
sont destinataires de la présente décision.
ANNEXE
ENGAGEMENT PRIS CONFORMÉMENT À L'ARTICLE 8, PARAGRAPHE 2, DU RÈGLEMENT (CEE) N°4064-189
Dans le cadre de la fusion d'America Online, Inc. ("AOL") et de Time Warner Inc. ("Time Warner"), AOL et Time Warner prennent les engagements suivants conformément à l'article 8, paragraphe 2, du règlement sur les concentrations et sous réserve que la Commission constate que la fusion d'AOL et Time Warner est compatible avec le Marché commun en vertu de l'article 8, paragraphe 2, du règlement sur les concentrations:
1) Émission d'actions AOL Europe pour réduire la participation de Bertelsmann. En vertu des droits d'AOL prévus par le contrat d'options d'achat et de vente conclu avec Bertelsmann AG ("Bertelsmann") en date du 16 mars 2000, dans les trois mois suivant l'adoption de la décision de la Commission et sauf si Bertelsmann cède d'abord sa participation dans AOL Europe SA ("AOL Europe"), AOL fera émettre par AOL Europe un nombre d'actions égal à 1 % de son capital émis et en circulation à la suite de cette émission, à l'ordre d'un investisseur qui n'est pas contrôlé par Bertelsmann AG ni affilié à cette dernière.
2) Mesures provisoires jusqu'au retrait de Bertelsmann dAOL Europe et d'AOL CompuServe France. Sous réserve que sa fusion avec Time Warner soit menée à bien, AOL convient avec Time Warner que, avant la date de retrait de Bertelsmann AG d'AOL Europe et d'AOL CompuServe France SAS: i) AOL Time Warner ne prendra aucune mesure rendant la musique Bertelsmann disponible en ligne exclusivement par AOL ou la présentant sous un format maison qui ne puisse être joué que sur un lecteur AOL; ii) au cas où AOL voudrait nommer un nouveau président-directeur général d'AOL Europe et de l'une de ses affiliées, cette personne ne sera pas affiliée à Bertelsmann; iii) AOL Time Warner n'imposera pas à Bertelsmann l'obligation de promouvoir exclusivement les services FSI d'AOL et iv) AOL prendra toutes les mesures nécessaires afin que Bertelsmann n'exerce ni le contrôle opérationnel ni le contrôle négatif d'AOL Europe ou d'AOL France au sens du règlement communautaire sur les concentrations.
3) [AOL et Bertelsmann mettent en place un mécanisme qui permettra à Bertelsmann de se retirer progressivement d'AOL Europe et de l'entreprise commune de droit français AOL Compuserve.]*
4) Modifications du contrat de distribution Bertelsmann. Aux termes du contrat de services interactifs et de distribution conclu le 16 mars 2000 entre AOL, AOL Europe et Bertelsmann ("contrat de distribution") et à l'issue de la fusion AOL Time Warner, AOL prend l'engagement suivant:
a) pour permettre à Bertelsmann de promouvoir un FSI tiers à l'issue de la fusion AOL Time Warner, AOL l'informe qu'elle n'appliquera pas le paragraphe B.2.3 de l'annexe B du contrat de distribution qui, actuellement, empêche Bertelsmann de promouvoir un FSI tiers si les objectifs de nouveaux abonnés définis dans ledit paragraphe ne sont pas atteints;
b) AOL informe Bertelsmann qu'elle n'exercera pas le droit qui lui revient, aux termes de la section C.1 de l'annexe B du contrat de distribution, de reformater la musique de Bertelsmann afin de la rendre compatible avec le lecteur AOL d'une façon qui reviendrait à promouvoir ou à favoriser un format qui ne peut être attribué sous licence à des tiers à des conditions équitables et non discriminatoires.
5) Contrôleur indépendant. Au plus tard quinze jours après l'adoption par la Commission de la décision autorisant la fusion AOL Time Warner, la nouvelle entité proposera les noms de trois personnes indépendantes et expérimentées pour assurer la mission de contrôleur indépendant et la Commission choisira l'un de ces noms. La proposition doit parfaitement documenter et prouver l'indépendance et l'expérience des candidats. La Commission ne refusera les trois noms que si aucune de ces personnes ne présente l'indépendance et l'expérience requises. Dans cette éventualité, la Commission choisira comme contrôleur une personne indépendante et expérimentée. AOL Time Warner nomme le contrôleur indépendant dans les cinq jours ouvrables suivant l'agrément de la Commission et remet une copie du contrat signé avec le contrôleur, qui contient le mandat définissant les obligations et responsabilités de celui-ci:
a) le mandat décrit la mission du contrôleur indépendant, les conditions de son remplacement, l'exercice de sa mission, ses obligations d'information et sa rémunération. Le mandat doit recevoir l'agrément de la Commission. Les parties modifient le projet si la Commission le demande et modifient le mandat sur demande motivée de la Commission ou du contrôleur si les clauses du mandat ne permettent pas à ce dernier de remplir convenablement sa mission de contrôle du respect des paragraphes 1, 2, 3 et 4 des engagements qui précèdent (les "engagements Bertelsmann");
b) le contrôleur indépendant remplit sa mission jusqu'à la date de retrait de Bertelsmann d'AOL Europe et d'AOL Compuserve France SAS et veille à ce qu'AOL Time Warner respecte les engagements Bertelsmann;
c) le contrôleur indépendant prend toutes les mesures nécessaires afin qu'AOL Time Warner respecte les engagements Bertelsmann, et AOL Time Warner prend, dans les délais fixés par le contrôleur, toutes les mesures que celui-ci juge nécessaires au respect des engagements Bertelsmann. AOL Time Warner apporte au contrôleur toute l'assistance et l'information que celui-ci pourrait raisonnablement exiger;
d) tous les six mois, le contrôleur indépendant remet à la Commission un rapport écrit, en anglais, sur le déroulement de son mandat, en indiquant les points sur lesquels il a été dans l'incapacité de l'exécuter. AOL Time Warner reçoit simultanément une copie non confidentielle de chacun de ces rapports. À tout moment, le contrôleur fournit à la Commission, sur demande de celle-ci, un rapport écrit ou verbal sur les questions entrant dans le cadre de son mandat. AOL Time Warner reçoit simultanément une copie non confidentielle de chacun de ces rapports.
(1) JO L 395 du 30.12.1989, p. 1; version rectifiée: JO L 257 du 21.9.1990, p. 13.
(2) JO L 180 du 9.7.1997, p. 1.
(3) JO C 283 du 9.10.2001.
(4) Communiqué de presse d'AOL annonçant ses résultats financiers du quatrième trimestre 2000.
(*) Certaines parties de ce texte ont été supprimées afin qu'aucun renseignement confidentiel ne soit divulgué; ces parties sont indiquées entre crochets et marquées d'un astérisque.
(5) Ces services permettent aux utilisateurs de suivre leurs amis et collègues en ligne, de leur envoyer des messages instantanés et de discuter avec d'autres utilisateurs en temps réel. La messagerie instantanée est beaucoup plus rapide que le courrier électronique car, contrairement à ce dernier, elle permet à l'utilisateur de savoir si l'autre utilisateur est en ligne et de mener une conversation instantanée.
(6) Time Warner possède 74,49 % de Time Warner Entertainment Company, LP ("Time WarnerE". Les 25,51 % restants de Time WarnerE sont détenus par MediaOne Limited Partner, dont la société mère a accepté de fusionner avec AT&T Corp.
(7) Comme exemples de sociétés qui vendent du téléchargement de musique par l'Internet, on peut citer CDNOW et Musicmaker.
(8) L'édition musicale consiste notamment à acquérir les droits d'œuvres musicales, puis à les exploiter moyennant une rémunération qui est le plus souvent une commission que l'éditeur facture à l'auteur sur les recettes produites par l'exploitation commerciale des œuvres musicales. Avec l'édition "à compte d'auteur", c'est l'auteur qui assure la promotion de ses œuvres, en concède les licences et les gère sans le concours d'un éditeur professionnel.
(9) D'après un article intitulé "MP3", publié par Clyn Moody dans le New Scientist du 19 juin 1999, c'est Winamp, avec 160 000 téléchargements par jour, qui domine le secteur des lecteurs audio.
(10) Décision de la Commission: affaire IV/M.1439, Telia/Telenor.
(11) Décision de la Commission: affaire COMP/M. 1838, BT/Esat.
(12) Décision de la Commission dans l'affaire JV 1.
(13) Voir décision 1999-242-CE de la Commission dans l'affaire n° IV/36.237 - TPS (JO L 90 du 2.4.1999, p. 6), point 43.
(14) Les droits de reproduction mécanique sont les droits nécessaires pour concéder à une maison de disques des licences pour la reproduction par des moyens mécaniques, comme les CD ou les MD, d'œuvres musicales protégées. Les droits d'exécution sont les droits nécessaires pour concéder à des utilisateurs commerciaux, comme des chaînes de télévision, radio, câble et satellite, des organisateurs de concerts, des discothèques, hôtels, restaurants, etc., des licences en vue de l'exécution publique d'œuvres musicales protégées. Ces deux types de droits doivent être concédés sous licence pour l'exploitation en ligne d'œuvres musicales sur l'Internet.
(15) L'éditeur qui contrôle les droits d'édition dans un pays donné de l'EEE serait en mesure de contrôler, dans ce pays-là au moins, l'exploitation en ligne des œuvres musicales correspondantes.
(16) Décision 71-224-CE de la Commission. Affaire IV/26.760 - GEMA (JO L 134 du 20.6.1971, p. 15).
(17) Décision 72-268-CE de la Commission. Affaire IV/26.760 - GEMA, (JO L 166 du 24.7.1972, p. 22).
(18) L'expression "visiteurs uniques" désigne le nombre estimé de personnes différentes qui accèdent à un site donné, sur le nombre total des personnes prévues.
(19) D'après Media Matrix.
(20) Voir "The Internet-the rough guide 2000", Angus J. Kennedy, p. 41.
(21) Voir "Setbacks cast doubts on "free" Net access", Chris Ayres, dans le Times du 20 juillet 2000.
(22) Rapport de Jupiter Communication, "Compétitive landscapes UK market - Fourth Quarter 2000"
(23) Annuaire statistique 1998 de l'Observatoire audiovisuel européen, p. 92.
(24) Il faut se souvenir que, dans aucun État membre, la part de marché de Time Warner pour les droits de reproduction mécanique et les droits d'exécution, n'est supérieure à [15-30 %].