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Décisions

CA Paris, 13e ch., 6 avril 1998, n° 97-06148

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Téfal (Sté), UNITAM

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guilbaud

Conseillers :

MM. Paris, Pellegrin

Avocats :

Mes Géneste, Greffe.

TGI Paris, 31e ch., du 11 juin 1997

11 juin 1997

RAPPEL DE LA PROCÉDURE

LA PREVENTION

B Laurent est poursuivi pour avoir à Paris et sur le territoire national, depuis décembre 1994 et jusqu'en juin 1995, effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur les qualités substantielles, les propriétés, les conditions de l'utilisation d'un bien, les résultats qui peuvent être attendus de son utilisation et la portée des engagements pris par l'annonceur en indiquant faussement dans des publicités que les couteaux X commercialisés par la SA Y sont inusables.

LE JUGEMENT

Le tribunal, par jugement contradictoire, a

déclaré B Laurent coupable de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur,

faits commis de décembre 1994 à juin 1995, à Paris, et sur le territoire national,

infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al. 1 Code de la consommation et réprimée par les articles L. 121-6, L. 213-1 Code de la consommation

et, en application de ces articles,

l'a condamné à 20 000 F d'amende,

ordonné aux frais du condamné la publication du jugement par extraits dans les revues " Télé Star " et " TV Magazine " sans que le coût de chacune des insertions n'excède 15 000 F,

Statuant sur l'action civile,

reçu l'UNITAM en sa constitution de partie civile

condamné B Laurent à lui payer la somme de 15 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 3 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

reçu la société Téfal en sa constitution de partie civile

condamné B Laurent à lui payer la somme de 30 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 2 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

dit que la décision était assujettie à un droit fixe de procédure de 600 F dont est redevable chaque condamné.

Les appels :

Appel a été interjeté par :

Monsieur B Laurent, le 18 juin 1997, sur les dispositions pénales et civiles contre Téfal (Sté), Union intersyndicale des fabricants d'articles pour la table ;

Le Procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Paris, le 18 juin 1997 contre Laurent B ;

Téfal (Sté), le 23 juin 1997 contre Monsieur B Laurent ;

Union intersyndicale des fabricants d'articles pour la table, le 23 juin 1997 contre Monsieur B Laurent ;

DÉCISION

Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur les appels relevés par le prévenu, le Ministère Public et les parties civiles à l'encontre du jugement précité auquel il convient de se référer pour l'exposé des faits et de la prévention

Par voie de conclusions Laurent B demande à la cour de :

- le recevoir en son appel,

y faisant droit ;

- infirmer le jugement entrepris ;

et statuant à nouveau,

- le relaxer purement et simplement des fins de la poursuite ;

- débouter l'UNITAM et la société Téfal de toutes leurs demandes, fins et prétentions ;

Il expose que le tribunal a conféré à l'adjectif inusable un sens particulièrement restreint ;

Qu'en effet la simple lecture d'un dictionnaire usuel, en l'occurrence le Petit Robert, à la portée d'un quelconque consommateur "moyen", fait apparaître la définition suivante ;

"Qui ne peut s'user, et par exagér. qui s'use très peu, dure très longtemps, chaussures, vêtement inusables" ;

Qu'en d'autres termes, il lui est ainsi reproché d'avoir pêché par exagération alors qu'une exagération ne saurait constituer un mensonge de nature à induire en erreur ou à tromper un consommateur ;

Il affirme que les couteaux " X " sont garantis à vie par le fabricant et le fournisseur, en raison non seulement de la qualité de l'acier de la lame, mais encore de la conception de sa micro-denture ;

Il affirme par ailleurs que :

- le fournisseur a approuvé sans aucune réserve les textes publicitaires incriminés ;

- aucun consommateur ne s'est plaint de ces couteaux, et ainsi d'avoir été trompé par la publicité dont s'agit ;

- les seuls plaignants sont la société Téfal et un syndicat professionnel auquel elle est étroitement liée ;

- la société Téfal, voire l'UNITAM, seraient bien en peine de justifier du moindre préjudice que leur aurait causé la parution des annonces pour les couteaux " X " ;

Monsieur l'Avocat général s'en remet pour sa part à la sagesse de la cour ;

Par voie de conclusions conjointes l'UNITAM et la société Téfal, qui s'estiment insuffisamment indemnisées de leur préjudice, sollicitent la cour de :

Vu les réquisitions de Monsieur l'Avocat général,

- faire application à Monsieur B. de la loi pénale,

- confirmer le jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Paris le 11 juin 1997 en ce qu'il a déclaré l'UNITAM et la société Téfal recevables et bien fondées en leur constitution de partie civile et jugé que Monsieur B avait contrevenu aux dispositions des articles L. 121-1 et suivants du Code de la consommation ;

Et statuant à nouveau,

- condamner Monsieur B à verser à l'UNITAM la somme de 100 000 F à titre de dommages et intérêts ;

- condamner Monsieur B. à verser à la société Téfal la somme de 200 000 F à titre de dommages et intérêts ;

Ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans dix journaux au choix de l'UNITAM et de la société Téfal et aux frais de Monsieur B sans que le coût de chacune de ces publications ne soit inférieur à la somme de 30 000 F HT ;

- ordonner en outre la diffusion aux frais du condamné de cinq annonces rectificatives, le coût de chacune de ces annonces ne pouvant être inférieur à 30 000 F ;

- condamner Monsieur B à payer à l'UNITAM et à la société Téfal la somme de 30 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

SUR L'ACTION PUBLIQUE

Considérant que, de décembre 1994 à juin 1995, la société Y, dont Laurent B est le PDG, a diffusé une publicité pour des couteaux de marque " X " présentés comme " inusables " ;

Considérant que la cour ne saurait suivre le prévenu en son argumentation ;

Considérant que la cour observe en effet que si un slogan publicitaire peut - dans une certaine mesure - comporter des exagérations, de l'emphase ou des hyperboles, il n'en demeure pas moins que cette tolérance ne saurait légitimer l'emploi d'une inexactitude grave et de nature à induire le consommateur en erreur ce qui est incontestablement le cas lorsqu'il est mensongèrement prétendu que les couteaux " X " sont inusables ;

Considérant que Laurent B s'avère incapable d'apporter aux débats la preuve du caractère inusable des couteaux X, ni même de leur particulière robustesse, et reconnaît bien au contraire la fausseté de ses affirmations en admettant qu'il s'agit d'une exagération ;

Considérant que vainement le prévenu soutient que le fournisseur aurait approuvé sans aucune réserve les textes publicitaires incriminés ;

Qu'en effet il appartenait à Laurent B., en sa qualité d'annonceur, de s'assurer personnellement que la publicité litigieuse était exempte de tout élément de nature à induire le consommateur en erreur, ce qu'il a manifestement omis de faire ;

Considérant que le prévenu ne peut utilement faire plaider que les couteaux " X " seraient garantis à vie par le fabriquant et le fournisseur, dans la mesure où cette notion de garantie à vie - d'ailleurs non démontrée en l'espèce - est étrangère aux faits de publicité trompeuse poursuivis qui portent sur le caractère prétendument inusable des couteaux X ;

Que peu importe, par ailleurs, qu'aucun consommateur particulier ne se soit plaint - dans la présente procédure - de la publicité litigieuse étant observé que l'UNITAM, syndicat représentant en France les intérêts des couteliers fabricants, a déposé plainte en précisant que la campagne publicitaire entreprise causait à ses adhérents un préjudice considérable ;

Considérant que les faits de publicité trompeuse visés à la prévention sont établis ;

Considérant que la cour confirmera le jugement entrepris sur la déclaration de culpabilité et sur la peine d'amende prononcée qui constitue une juste application de la loi pénale ;

Qu'en revanche la cour, compte tenu des éléments soumis à son appréciation, dispensera, par infirmation, Laurent B. de la publication prévue à l'article L. 121-4 du Code de la consommation ;

SUR L'ACTION CIVILE

Considérant que la cour ne trouve pas motif à modifier la décision critiquée qui a fait une équitable appréciation du préjudice subi par chaque partie civile et résultant directement des faits visés à la prévention ;

Considérant que le jugement sera confirmé sur les intérêts civils ;

Qu'y ajoutant la cour condamnera Laurent B. à verser à chaque partie civile la somme supplémentaire de 5 000 F au titre des frais irrépétibles en cause d'appel ;

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement déféré sur la déclaration de culpabilité, la peine d'amende et les intérêts civils ; L'infirme sur la mesure de publication ; Dispense le condamné de publication ; Condamne Laurent B à verser à chaque partie civile la somme supplémentaire de 5 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale en cause d'appel ; Rejette toutes conclusions plus amples ou contraires.