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Décisions

CA Montpellier, 2e ch. A, 19 juin 2002, n° 00-03813

MONTPELLIER

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Cibaud Châteaux Miraflors et Belloch (SA)

Défendeur :

Chantovent (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ottavy

Conseillers :

MM. Derdeyn, Bruyère

Avoués :

SCP Salvignol Guilhem Delsol, SCP Divisia Senmartin

Avocat :

Me Boulet-Gercourt.

TGI Perpignan, du 10 avr. 2000

10 avril 2000

FAITS ET PROCEDURE

La SA Cibaud Investissement, ultérieurement dénommée SA Cibaud Château Miraflors et Belloch, est propriétaire de la marque nominative "Château Miraflors" enregistrée le 26 novembre 1999.

Par ordonnance en date du 2 février 2000, la SA Cibaud se faisait autoriser à procéder à une saisie-contrefaçon sur le fondement de l'article L. 716-7 du Code de la propriété intellectuelle dans les locaux de l'hypermarché Carrefour à Claira et dans ceux du Mas Roussillon,

Suivant procès-verbal en date du 4 février 2000, la société Cibaud faisait procéder à la saisie de deux bouteilles de vin entre les mains du chai du Mas Roussillon.

L'huissier constata que la société Carrefour ne détenait plus de bouteilles litigieuses.

Par ordonnance du 18 février 2000, la SA Cibaud a été autorisée à assigner à jour fixe la SA Chantovent aux fins de :

- dire et juger que l'utilisation de la marque " Château Miraflors " est une marque contrefaisante de la marque " Château Miraflors ",

Et ce faisant :

- interdire à la SA Chantovent l'utilisation de la marque "Château Miraflors" et ce sous astreinte de 5 000 F par jour de retard et par infraction constatée et ce à compter du jugement à intervenir,

- ordonner la publication du jugement à intervenir dans 3 supports à son choix et aux frais de la SA Chantovent,

- condamner la SA Chantovent à lui verser les sommes suivantes :

-- 500 000 F en réparation de son préjudice matériel

-- 300 000 F en réparation de son préjudice d'image

-- 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens,

- ordonner l'exécution provisoire.

Par jugement du 10 avril 2000, le Tribunal de grande instance de Perpignan a :

- débouté la SA Cibaud de toutes ses demandes,

- débouté la SA Chantovent de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour faute,

- condamné la SA Cibaud à payer à la SA Chantovent la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Par déclaration en date du 27 juillet 2000, la SA Cibaud a interjeté appel de ce jugement.

PRETENTIONS DES PARTIES

Il est expressément fait visa aux conclusions de la SA Cibaud en date du 27 novembre 2000 et de la SA Chantovent en date du 8 mars 2002.

La SA Cibaud demande à la cour de :

- réformer le jugement déféré,

- dire et juger que la SA Chantovent a agi en fraude de ses droits,

- la condamner à lui payer les sommes de 500 000 F au titre du préjudice matériel et 350 000 F au titre de son préjudice d'image,

- la condamner à lui payer la somme de 30 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Aux motifs que :

- le vin embouteillé par la SA Chantovent n'est pas exactement identique au produit vendu, et que, notamment, il existe d'importantes différences de degré,

- une mention manuscrite a été ajoutée sur le contrat de vente en vrac, sur quoi le tribunal a jugé à tort que la cession de la marque "Château Miraflors" était tacitement incluse dans les termes du contrat,

- les nombreuses erreurs figurant sur l'étiquette lui portent préjudice ainsi qu'au consommateur final en ce qu'elles dénaturent les qualités originales du domaine "Château Miraflors",

- il est impossible d'admettre le principe d'une cession tacite dans la mesure où rien ne permet de contrôler et encore moins de limiter le nombre d'étiquettes réalisées et donc de s'assurer que le vin correspond effectivement au vin d'origine.

La SA Chantovent demande à la cour :

à titre principal de :

- confirmer en toutes ses dispositions la décision entreprise,

- condamner la société Cibaud à lui payer la somme de 10 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;

à titre subsidiaire, de :

- constater l'absence de préjudice,

- débouter en conséquence,

- condamner la société Cibaud à lui payer la somme de 10 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;

Aux motifs que :

- la vente litigieuse est antérieure à la publication par la SA Cibaud de sa demande d'enregistrement,

- le vin embouteillé sous les étiquettes Côte de Roussillon et Château de Miraflors n'est pas un produit identique ou de même nature que celui visé dans le dépôt de marque mais ce vin lui-même,

- en tout état de cause la SA Cibaud bénéficiait d'une autorisation d'utilisation de la marque,

- la SA Cibaud n'a subi aucun préjudice.

MOTIFS

Le 22 septembre 1998, la SA Cibaud a vendu en vrac à la SA Celliers Jean d'Alibert, par l'intermédiaire du courtier Vedel et Cie, 200 hectolitres d'un vin dénommé " Château Miraflors ".

Il n'est pas contesté que, le 14 janvier 1999, la société Cellier a revendu une partie de ce vin, 26 000 bouteilles de Miraflors rouge et 29 000 bouteilles de Miraflors rosé, à la SA Chantovent, sa filiale, et une autre partie à la société Delescluse et Fils, propriétaire du chai du Mas Roussillon.

La société Chantovent a, à son tour, vendu le vin à la société Carrefour, vente confirmée le 11 juin 1999.

La société Cibaud fait valoir que l'utilisation de la dénomination "Château Miraflors" par la société Chantovent sans son autorisation constitue une contrefaçon de sa marque.

Mais, aux termes de l'article L. 716-2 du Code de la propriété intellectuelle, les faits antérieurs à la publication de la demande d'enregistrement de la marque, soit en l'espèce le 23 juillet 1999, ne peuvent être considérés comme ayant porté atteinte aux droits qui y sont attachés.

Ainsi, l'utilisation par Chantovent de la dénomination " Château Miraflors " pour désigner des produits qu'elle a cédés le 11 juin 1999 ne peut porter atteinte au droit conféré à la SA Cibaud par le dépôt de sa marque, puisque celui-ci n'était alors pas opposable aux tiers, et qu'aucune notification de la copie de la demande d'enregistrement, que permet l'alinéa 2 de l'article L. 716-2 susvisé, ne lui avait été faite en particulier.

En conséquence l'action en contrefaçon de la marque "Château Miraflors" n'était pas ouverte à la SA Cibaud, qui en a à juste titre été déboutée par les premiers juges.

La SA Cibaud vise aussi, dans le dispositif de ses conclusions, l'article 1382 du Code civil, sans aucun autre développement spécifique à ce fondement.

Les faits non constitutifs de contrefaçon, faute d'opposabilité du droit résultant de la marque, peuvent certes êtres justiciables d'une action en concurrence déloyale, dès lors que la preuve d'une faute et d'un préjudice est rapportée.

Cependant, en achetant du vin " Château Miraflors ", ainsi qu'il ressort de la mention manuscrite portée sur l'acte de vente, la société Chantovent a acquis le droit de revendre ce vin sous l'appellation " Château Miraflors ".

A défaut pour la société Cibaud d'apporter la preuve que le vin vendu sous cette appellation ne serait pas en réalité du Château Miraflors, aucune faute ne peut être retenue à l'encontre de la société Chantovent.

D'autre part, la SA Cibaud fait état d'erreurs figurant sur l'étiquette qui dénatureraient les qualités originales du vin, sans expliciter en quoi consisteraient ces erreurs ni comment elles seraient caractérisées et sans démontrer non plus en quoi lesdites erreurs porteraient atteinte aux qualités que l'appelante prête, sans les expliciter, au Château Miraflors.

Le seul élément précis allégué par l'appelante concerne la différence du degré d'alcool mentionné sur les bouteilles vendues par la SA Chantovent par rapport à son propre produit " Château Miraflors ". Mais elle ne donne pas à la cour les moyens d'apprécier si cette indication est inexacte et fautive ni ne tire la moindre conséquence explicite de sa constatation. Quant au résultat de l'analyse oenologique, il s'agit d'un document tardivement produit et qui ne figure pas au bordereau de communication des pièces de l'appelante et qui n'est par conséquent pas admissible aux débats.

Enfin, aucune pièce versée aux débats n'atteste de la réalité et de l'ampleur du préjudice matériel ou d'image subi par la SA Cibaud, qu'elle évalue pourtant à des sommes considérables.

A défaut donc d'apporter la preuve qu'elle a subi un acte de concurrence déloyale, la société Cibaud doit également être déboutée de sa demande fondée sur l'article 1382 du Code civil.

Il y a lieu en conséquence de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions.

Succombant en son recours, la SA Cibaud en supportera les dépens.

Par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, il sera alloué à l'intimée la somme de 1 000 euros, en remboursement des frais irrépétibles exposés en cause d'appel, en sus de l'indemnité déjà fixée à ce titre par les premiers juges.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, En la forme, déclare l'appel receivable, Au fond, Confirme le jugement déféré, Y ajoutant, Condamne la société Cibaud à payer à la SA Chantovent la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.