CA Lyon, 3e ch. civ., 24 juillet 2002, n° 1998-03281
LYON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Europea Componenti Elettrici Spa (Sté), Molveno OEM Srl (Sté)
Défendeur :
CIAPEM (Sté), Lyon & Brandt Commerce (Sté), TEM, Gay (ès qual.), Segard (ès qual.), SCP Becheret-Thierry (ès qual.), AXA Corporate Solutions
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Moussa
Conseillers :
MM. Simon, Kerraudren
Avoués :
Me Verrière, SCP Junillon-Wicky
Avocats :
Mes Sampieri Marceau, Carlot, SCP Tetaud-Lambard-Jami & Associés.
FAITS, PROCEDURE ET DEMANDES DES PARTIES
Par acte du 4 août 1998, la société CIAPEM et la société TEM, sociétés de droit français, ont fait assigner la société de droit italien Molveno OEM SRL devant le Tribunal de commerce de Lyon , demandant sa condamnation à leur payer la somme de 67 933 111 F HT, sauf à parfaire en fonction des conclusions du rapport d' expertise en cours, et ce à titre de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice résultant des défectuosités affectant les marchandises vendues, outre intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation en référé du 14 novembre 1996, avec capitalisation de ces intérêts, et la somme de 100 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société de droit italien dénommée Societa Europea Cimponenti Electricci, venant aux droits de la société Molveno OEM, a soulevé une exception de communication de pièces et l'incompétence territoriale internationale du Tribunal de commerce de Lyon au profit du Tribunal Civil de Brescia (Italie).
La Compagnie Axa Corporate Solutions est intervenue volontairement à l'instance en qualité de " partiellement subrogée dans les droits et action des sociétés CIAPEM et TEM ", demandant au tribunal de joindre la procédure à celle engagée par elle à l'encontre de la société Sicomel, de rejeter les exceptions de communication de pièces et d'incompétence soulevées par la Societa Europea Cimponenti Electricci, de condamner in solidum, ou l'une à défaut de l'autre, la société Sicomel et la Societa Europea Cimponenti Electricci à lui payer la somme de 255 935,49 F " au titre des condamnations judiciaires définitives, la somme de 100 105,36 F au titre des règlements amiables intervenus et, pour mémoire, la somme de 2 731 781,97 F, constituant l'évaluation provisoire des dossiers qui n'ont pas fait l'objet d'un jugement définitif " et de condamner chacune des sociétés Societa Europea Cimponenti Electricci et CIAPEM à lui payer la somme de 25 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par jugement du 6 septembre 2001, le Tribunal de commerce de Lyon a rejeté comme dilatoire et mal fondée l'exception de communication de pièces, a dit que le contrat de vente litigieux a été passé et exécuté en France par l'intermédiaire de la société Sicomel, représentante en France de la société Molveno OEM SRL, a rejeté l'exception d'incompétence territoriale soulevée par la Societa Europea Cimponenti Electricci, a sursis à statuer sur le fond dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise définitif et a condamné la Societa Europea Cimponenti Electricci à payer aux sociétés CIAPEM et TEM la somme de 60 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par déclaration datée du 23 octobre 2001, la Societa Europea Cimponenti Electricci a formé contredit à ce jugement. Elle demande à la cour de le réformer en toutes ses dispositions et de :
- débouter les sociétés CIAPEM et Brandt Commerce (anciennement TEM) en redressement judiciaire, ainsi que Maîtres Gay et Segard, leurs co-commissaires à l'exécution du plan, et la SCP Becheret-Thierry, leur représentant des créanciers de toutes leurs demandes, fins et conclusions,
- dire que les co-défendeurs au contredit ne rapportent pas la preuve que la société Molveno OEM SRL et la Societa Europea Cimponenti Electricci viendraient aux droits de la société Molveno SRL et de la société Molveno Cometti,
- constater que les co-défendeurs au contredit reconnaissent ne pas posséder les originaux des commandes initiales litigieuses de 1991,
- dire qu'à défaut de disposer d'un original desdites commandes, les co-défendeurs au contredit ne pouvaient pas certifier sincères et conformes à l'original les conditions générales d'achat, contestées, qui auraient figuré au verso de ces commandes, au surplus sans le moindre rappel au recto,
- dire en conséquence que le Tribunal de commerce de Lyon n'est pas compétent territorialement sur le plan international,
- renvoyer en conséquence les parties à mieux se pourvoir,
- condamner la société CIAPEM et la société TEM aux dépens et à lui payer 15 000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Maître Gay Francisque et Maître Segard Didier, pris en leur qualité de co-commissaires à l'exécution du plan de la société CIAPEM et de la société Brandt Commerce qui vient aux droits de la société TEM, et la SCP Becheret-Thierry, prise en sa qualité de représentant des créanciers et de co-commissaire à l'exécution du plan des mêmes sociétés, demandent à la cour de confirmer le jugement entrepris et de condamner la Societa Europea Cimponenti Electricci aux dépens et à leur payer la somme de 15 000 euros en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La Compagnie Axa Corporate Solutions, concluant en qualité de "défenderesse au contredit ", demande à la cour de confirmer le jugement déféré et, y ajoutant, de la dire recevable en son intervention volontaire et de condamner la Societa Europea Cimponenti Electricci aux dépens et à lui payer 10 000 euros pour frais irrépétibles.
La Societa Europea Cimponenti Electricci demande de déclarer irrecevable et, en toute hypothèse, mal fondée l'intervention de la Compagnie Axa Corporate Solutions et de la condamner aux dépens et à lui payer la somme de 1 000 euros pour frais irrépétibles.
MOTIFS DE LA DECISION
Vu l'article 455, al. 1er, du nouveau Code de procédure civile ;
Vu les moyens invoqués par la Societa Europea Cimponenti Electricci dans sa déclaration de contredit, dans ses conclusions en date du 26 avril 2002 et dans celles, non datées, remises à l'audience du 3 mai 2002 ;
Vu les moyens invoqués par Maître Gay, Maître Segard et la SCP Becheret-Thierry, ès qualités, dans leurs conclusions en date du 24 avril 2002 ;
Vu les moyens invoqués par la Compagnie Axa Corporate Solutions dans ses conclusions non datées, remises à l'audience du 3 mai 2002 ;
Sur les rapports contractuels
Attendu qu'il résulte des pièces produites :
- que le 23 octobre 1991, la société CIAPEM a passé deux commandes " limitées " de boutons poussoirs (interrupteurs) pour matériel électroménager à " Molveno Sicomel 20 (rue) Petit Chantilly BP 35 - 60510 Bresles - France ",
- que le 19 novembre 1991, la société CIAPEM a passé deux commandes " ouvertes " de boutons poussoirs à " Molveno Cometti - Sicomel 20 (rue) Petit Chantilly BP 35 - 60510 Bresles - France ", ces commandes, portant respectivement les numéros 100. 0259930 et 100.0259940 et précisant que les cadences de livraison seront fixées suivant un programme mensuel,
- que " Molveno " et " Molveno Cometti " désignaient en réalité, à l'époque, une société de droit italien dénommée " Molveno Cometti SPA " qui est devenue ensuite la société de droit italien " Molveno SRL ",
- que les marchandises livrées en exécution des commandes "ouvertes" ont été facturées à la société CIAPEM entre octobre 1991 et novembre 1992 par la société Molveno SRL et, entre le 18 janvier 1993 et le 16 janvier 1995, par la société de droit italien Molveno OEM aux droits de laquelle vient la société de droit italien Societa Europea Cimponenti Electricci suite à une " fusion-incorporation " en date du 18 décembre 1998 ;
Attendu qu'en prenant la suite de la société Molveno SRL pour l'exécution des commandes litigieuses, et à défaut de stipulations contraires acceptées par la société CIAPEM ou opposables à cette dernière, la société Molveno OEM s'est nécessairement soumise aux règles de compétence applicables à tout litige né de ces commandes ; que ces règles, qui seront examinées plus loin, sont évidemment opposables à la Societa Europea Cimponenti Electricci puisque celle-ci vient aux droits de la société Molveno OEM ;
Attendu que la Societa Europea Cimponenti Electricci expose incidemment que la branche d'activité relative aux interrupteurs, objet des commandes " ouvertes ", a été cédée par la société Molveno SRL à la société Molveno OEM avec effet à compter du 1er janvier 1993, " sans aucune rétroactivité " ; qu'elle produit, pour en justifier, un acte daté du 15 janvier 1993 ;
Attendu, cependant, que cet acte est en langue italienne ; qu'il n'est pas accompagné d'une traduction ; que la cour n'est en conséquence pas en mesure d'en apprécier la teneur ; qu'en tout état de cause, l'absence de rétroactivité alléguée, à la supposer opposable à la société CIAPEM, n'a aucune incidence sur les règles de compétence puisque, comme il a été exposé ci-dessus, la société Molveno OEM a exécuté les commandes "ouvertes" entre le 18 janvier 1993 et le 16 janvier 1995 et que la Societa Europea Cimponenti Electricci n'allègue même pas que le litige serait limité aux marchandises livrées avant le 1er janvier 1993 ; qu'il lui appartient, le cas échéant, d'appeler en cause la société Molveno SRL ou de soutenir et prouver, au fond, que la limitation de sa responsabilité serait opposable à la société CIAPEM ;
Sur la compétence
Attendu que la Societa Europea Cimponenti Electricci et la société CIAPEM ont leur siège social respectivement en Italie et en France, deux Etats signataires de la Convention de Bruxelles, modifiée, du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale ; que leur litige a son origine dans un contrat commercial non exclu de l'application de cette Convention ; que la juridiction compétente pour le trancher doit donc être déterminée en application des règles prévues par la Convention en question qui prévalent sur les dispositions du droit interne, étant précisé que les faits litigieux sont antérieurs à l'entrée en vigueur du Règlement CE n° 44-2001 du 22 décembre 2000 qui a remplacé la Convention de Bruxelles entres les Etats membres ;
a) La clause attributive de compétence et l'exception de communication de pièces
Attendu que les défendeurs au contredit se prévalent, à titre principal, d'une clause attributive de compétence ; qu'ils produisent pour en justifier, en photocopie, des bons de commande comportant au verso des conditions générales parmi lesquelles figure une clause attributive de compétence au profit du Tribunal de commerce de Lyon ;
Attendu, cependant, que le recto de ces documents ne porte aucune référence, ni aucun renvoi au verso et auxdites conditions générales ; qu'il n'est pas établi que le destinataire des documents en question ait pris connaissance des conditions générales et qu'il les ait acceptées ; qu'il n'est même pas allégué que la clause attributive de compétence est conforme aux dispositions de l'article 17 de la Convention de Bruxelles ; que dès lors, cette clause n'est pas opposable à la Societa Europea Cimponenti Electricci et ne saurait fonder la compétence du Tribunal de commerce de Lyon, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges ; qu'il s'ensuit que l'exception de communication des originaux des bons de commande est inopérante et inutile ; qu'au surplus, elle est mal fondée, les originaux ne pouvant être détenus que par leur destinataire, comme le soutiennent à juste titre les défendeurs au contredit ;
b) Le tribunal compétent
Attendu qu'à défaut d'application d'une clause attributive de juridiction, la compétence doit être déterminée selon les règles prévues à l'article 5, point 1, de la Convention de Bruxelles qui dispose que " le défendeur domicilié sur le territoire d'un Etat contractant peut être attrait, dans un autre Etat contractant : (...) en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée" ;
Attendu que la Cour de justice des Communautés européennes, dont les décisions s'imposent naturellement au juge français, a toujours dit pour droit, notamment dans son arrêt GIE Groupe Concorde du 28 septembre 1999 (affaire C-440-97), que l'article 5, point 1, en question " doit être interprété en ce sens que le lieu où l'obligation a été ou doit être exécutée, au sens de cette disposition, doit être déterminé conformément à la loi qui régit l'obligation litigieuse selon les règles de conflit de la juridiction saisie " ;
Attendu qu'en l'espèce, qu'il est constant que le litige porte sur l'exécution d'un contrat de vente internationale de marchandises et que l'obligation qui sert de base à la demande est une obligation de livraison conforme de marchandises ; que ce contrat est donc soumis à la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur les contrats de vente internationale de marchandises, convention ratifiée par la France et l'Italie et constituant le droit matériel de chacun de ces pays en la matière ; que dès lors, c'est cette Convention qui régit l'obligation litigieuse selon les règles de conflit de la juridiction française saisie ;
Attendu que l'article 31 de cette Convention prévoit les règles de détermination du lieu d'exécution de l'obligation de livraison, règles applicables, aux termes de ce texte, " si le vendeur n'est pas tenu de livrer les marchandises en un autre lieu particulier " ;
Attendu que toutes les commandes passées en l'espèce par la société CIAPEM précisaient, au recto, que la livraison devait s'effectuer, dédouanée, à son usine de Lyon ; qu'il n'est ni établi ni même allégué que le vendeur ait refusé cette stipulation qui s'imposait dès lors à lui qu'au surplus, il l'a toujours exécutée ; qu'en effet, toutes les factures émises par lui en exécution des commandes litigieuses portent, sous le mot "livraison ", les termes suivants " F. CO DESTIN.DED " ; que ces termes, qui signifient, selon l'appelante, " livraison franco-destination dédouané ", ne correspondent à aucun incoterm recensé et publié aux dates des factures et n'ont apparemment pour objet que de déterminer le lieu et les conditions de la livraison, en conformité avec la stipulation exigée par la société CIAPEM ;
Attendu qu'il doit être ainsi retenu, sans qu'il soit besoin d'interpréter la Convention de Vienne, que le vendeur était tenu de livrer les marchandises en France et, plus précisément, à Lyon, ce qui donne au tribunal de commerce de cette ville compétence pour statuer sur le litige et exclut l'application des autres règles prévues par l'article 31 de la Convention de Vienne ; que l'appelante n'est dès lors pas fondée à prétendre que la livraison se trouvait réalisée par la remise en Italie des marchandises au premier transporteur pour acheminement à l'acheteur ;
Attendu que la compétence de la juridiction lyonnaise doit être retenue même si l'on applique la Convention de La Haye du 15 juin 1955 invoquée à titre principal par la demanderesse au contredit ;
Attendu, en effet, qu'aux termes l'article 3 de cette Convention, " la vente est régie par la loi interne du pays où l'acheteur a sa résidence habituelle ou dans lequel il possède l'établissement qui a passé la commande, si c'est dans ce pays que la commande a été reçue, soit par le vendeur, soit par son représentant, agent ou commis-voyageur " ;
Or, attendu qu'en l'espèce, il est établi que les commandes litigieuses ont été passées par la société CIAPEM au vendeur italien par l'intermédiaire de son agent et représentant en France, la société Sicomel, à son adresse située 20 rue Petit Chantilly BP 35 - 60510 Bresles - France, comme cela résulte des mentions portées sur les commandes ; que l'appelante ne produit aucun élément contraire, alors qu'elle seule, en tant que vendeur, aurait pu démontrer le cas échéant qu'elle avait reçu les commandes directement en Italie ; que d'ailleurs, toutes les factures mentionnent la société Sicomel comme agent du vendeur et c'est cette société qui a été l'interlocuteur de la société CIAPEM lorsque les problèmes sont apparus sur les interrupteurs vendus ;
Attendu que les commandes ayant ainsi été reçues en France par un agent du vendeur, la vente est régie par la loi du pays de l'acheteur français, cette loi étant la Convention de Vienne du 11 avril 1980 dont l'application conduit à la compétence du Tribunal de commerce de Lyon, comme il a été ci-dessus exposé ;
Attendu que compte tenu de l'ensemble de ce qui précède, il y a lieu de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Sur l'intervention volontaire de la société AXA Corporate Solutions :
Attendu que la société Axa Corporate Solutions expose qu'en sa qualité d'assureur de responsabilité civile des sociétés défenderesses au contredit, elle a indemnisé certaines des victimes des défectuosités imputées aux interrupteurs Molveno ; qu'elle est déjà intervenue volontairement à ce titre devant le premier juge qui n'a pas statué sur son intervention, ce qu'il a d'ailleurs constaté par jugement du 20 décembre 2001 qui a rejeté sa requête en réparation d'omission à statuer ; que le premier juge reste donc saisi de ses demandes ; que dès lors, elle ne peut soumettre à la cour, et par la seule voie de l'appel, qu'une éventuelle décision de rejet ou d'irrecevabilité de son intervention volontaire, décision non encore intervenue ; que par conséquent, sa demande de déclarer recevable son intervention volontaire à l'instance de fond est irrecevable devant la cour, comme prématurée ;
Sur les frais irrépétibles et les dépens :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties ;
Attendu que la demanderesse au contredit, qui succombe, doit supporter les dépens ;
Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement ; Déboute la Societa Europea Componenti Elettrici de toutes ses demandes ; Confirme en conséquence le jugement déféré en toutes ses dispositions ; Constate que le premier juge n'a pas encore statué sur l'intervention volontaire de la Compagnie Axa Corporate Solutions et qu'il en reste saisi ; Dit en conséquence irrecevable devant la cour, comme prématurée, la demande de cette compagnie tendant à dire recevable son intervention volontaire à l'instance de fond ; Dit qu'il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties ; Condamne la Societa Europea Componenti Elettrici aux dépens du contredit.