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Décisions

Cass. crim., 20 décembre 1995, n° 95-80.198

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Simon

Rapporteur :

Mme Ferrari

Avocat général :

M. Galand

Avocat :

Me Blondel

Angers, ch. corr., du 6 déc. 1994

6 décembre 1994

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par C François, contre l'arrêt de la Cour d'appel d'Angers, chambre correctionnelle, du 6 décembre 1994, qui, pour tromperie et falsification de denrée alimentaire, l'a condamné à 20 000 francs d'amende et a ordonné une mesure de publication ; - Vu le mémoire produit ; - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 213-1, L. 216-2, L. 216-3 du Code de la consommation, violation des articles 5 et 6 du décret n° 84-1147 du 7 décembre 1984, 388 et 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré le prévenu coupable de tromperie sur les qualités de la marchandise vendue et en répression l'a condamné à une peine d'amende de 20 000 francs ;

"aux motifs qu'il résulte du procès-verbal de la Direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, de l'enquête préliminaire et de l'information judiciaire ouverte à la suite, que le 4 février 1991, les fonctionnaires de la Direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes intervenaient à la demande du gestionnaire au centre hospitalier spécialisé de Rennes pour contrôler la qualité du rôti filet congelé saumuré de dindonneau fabriqué et vendu par la société anonyme X située à Clermont-Créans ; que l'analyse des prélèvements effectués par le laboratoire inter régional de la Répression des Fraudes de Paris-Massy révélait, notamment, la présence de sel nitrité et concluait eu égard au marché public passé par l'hôpital qui impliquait un produit dépourvu de sel nitrité, un produit non conforme, que le prévenu reconnaissait l'utilisation de sel nitrité et un étiquetage insuffisant, mais soutenait que l'emploi de cette substance à concurrence de 2 % était autorisé par un arrêté du 8 décembre 1964 confirmé par un acte réglementaire du 14 octobre 1991 et par le Code des usages de produits de dinde ; qu'une information judiciaire ouverte pour effectuer la contre-expertise permettait d'établir que le Code des usages en vigueur et validé par l'Administration au moment des faits était celui de l'année 1980 lequel prohibe l'utilisation de sel nitrité pour le produit concerné ainsi que la présence des additifs non contestés par le prévenu ;

"et au motif encore qu'en ce qui concerne l'étiquetage, le prévenu indiquait qu'il s'agissait d'un oubli ; que, cependant, cet argument ne saurait être invoqué utilement de la part d'un professionnel ; par ailleurs, le prévenu ne pouvait justifier qu'il n'avait satisfait aux prescriptions du décret du 7 décembre 1984 qui prévoit que les mentions concernant la composition du produit vendu dans de telles conditions doivent figurer sur les documents commerciaux remis au destinataire de la marchandise ;

"alors que, d'une part, les juges correctionnels ne peuvent légalement statuer que sur les faits relevés dans la citation qui les a régulièrement saisis ; qu'en l'espèce, il appert des énonciations de l'arrêt attaqué que le demandeur a été cité devant le tribunal correctionnel pour avoir omis de mentionner sur l'étiquetage des morceaux de viande les mentions relatives à la salaison, au pourcentage de saumur et à la présence de sel nitrité ; qu'en reprochant au prévenu de n'avoir pas satisfait aux prescriptions du décret du 7 décembre 1984 qui prévoit que les mentions concernant la composition du produit vendu doivent figurer sur les documents commerciaux remis au destinataire de la marchandise, faits non visés par la prévention, la cour excède ses pouvoirs et, partant, viole les règles et principes qui gouvernent la saisine du juge judiciaire ;

"alors que, d'autre part, et en toute hypothèse, le prévenu faisait valoir dans ses écritures déposées sur le bureau de la cour que s'agissant de denrées alimentaires qui ne sont pas présentées au consommateur dans leur emballage, le décret n° 84-1147 du 7 décembre 1984 prévoit une disposition particulière d'étiquetage : seules la dénomination de vente, l'indication du lot de fabrication lorsqu'elle est prescrite, ainsi que la date limite de consommation doivent obligatoirement figurer sur le préemballage, que les autres mentions peuvent ne figurer que sur les fiches, bons de livraison ou documents commerciaux remis au destinataire de la marchandise et qui doivent être détenus sur les lieux d'utilisation (cf article 6-2 du décret précité) ; que ces documents n'ont pas été conservés si bien que l'on ne peut vérifier, et personne ne l'a fait jusqu'ici, si les mentions d'étiquetage étaient correctement indiquées sur ces documents ; qu'en ne répondant pas à ce moyen précis, la cour méconnaît les exigences de l'article 593 du Code de procédure pénale ;

"alors que, de troisième part, la cour ne pouvait comme ça affirmer, pour retenir le prévenu dans les liens de la prévention qu'il ne pouvait justifier qu'il avait satisfait aux prescriptions du décret du 7 décembre 1984 qui prévoit que les mentions concernant la composition du produit vendu dans de telles conditions doivent figurer sur des documents commerciaux remis au destinataire de la marchandise, sans pousser plus avant ses investigations et déterminer ce qu'il en était au regard desdits documents commerciaux, le prévenu n'ayant pas à rapporter une preuve ne lui incombant pas, d'où une insuffisance de motifs ne permettant pas à la Cour de cassation d'exercer son contrôle au regard des textes cités au moyen ;

"et alors, enfin, que si le prévenu n'a pas nié avoir omis de déclarer du sel nitrité dans la liste des ingrédients, il faisait valoir sa bonne foi ; que le délit de tromperie sur des qualités substantielles de la chose vendue au sens de l'article L. 213-1 du Code de la consommation pour être punissable, doit résulter d'une intention frauduleuse et porter sur les qualités substantielles du produit vendu ; qu'il appartenait aux juges du fond de constater les circonstances d'où se déduisait l'intention délictueuse qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel ne justifie pas légalement son arrêt" ;

Et sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 213-3, alinéa 1er, L. 213-3, alinéa 2, du Code de la consommation, 112-1 et 121-3 du Code pénal, violation de l'arrêté du 8 décembre 1964 relatif à l'utilisation du sel nitrité pour la préparation des viandes et des denrées à base de viande, de l'arrêté du 14 octobre 1991 relatif aux additifs pouvant être employés dans les denrées destinées à l'alimentation humaine, méconnaissance des exigences de l'article 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré le prévenu coupable du délit de falsification de denrée alimentaire et l'a, en répression, condamné à une amende de 20 000 francs ;

"aux motifs que, sur la présence de sel nitrité, le prévenu invoque les dispositions des arrêtés des 8 décembre 1964 et 14 octobre 1991 qui prévaudraient sur le Code des usages des produits de dinde ; qu'en premier lieu, le Code desdits produits spécifique à la profession s'applique à ses membres s'agissant d'un engagement réciproque fondé sur la qualité des produits concernés ; qu'en second lieu, la primauté de l'arrêté sur le Code des usages suppose que le texte réglementaire concerne le produit en cause ; que l'arrêté du 8 décembre 1964 relatif à l'utilisation, à titre exceptionnel, de sel nitrité concerne la préparation des salaisons, produits de charcuterie et conserves de viandes ; que si la saumure est une méthode de conservation des salaisons, le rôti de dindonneau congelé et saumuré à titre exceptionnel par accord des parties ne constitue pas une salaison au sens de l'arrêté invoqué, le principe de conservation en l'espèce étant la congélation des rôtis ; que François C est donc mal fondé à invoquer ce texte et pas davantage celui du 14 octobre 1991 qui n'était pas en vigueur au moment des faits lesquels se situent aux termes de la prévention, en janvier 1991 ;

"1°) alors que, d'une part, il résulte de l'article 1er de l'arrêté du 8 décembre 1964 applicable en la cause qu'il est permis d'employer, pour la préparation des salaisons, produits de charcuterie et conserves de viande, à l'exclusion des produits vendus comme viande fraîche, hachis et denrée à base de viande fraîche, de sel additionné de 10 % au maximum de nitrate de sodium ou de nitrate de potassium pur ou de sel nitrité, conforme aux prescriptions établies par l'arrêté du 15 septembre 1964 ; la teneur en nitrite de sodium des denrées ainsi préparées ne devant pas dépasser 0,150 g par kilogramme ; que le prévenu insistait sur la circonstance qu'il était ainsi autorisé d'ajouter, dans un rôti de filet de dindonneau congelé saumuré, c'est-à-dire nécessairement traité en salaison, comme l'a d'ailleurs relevé le rapport d'enquête, du sel nitrité, le saumurage étant une méthode salaison (cf p 4 des conclusions d'appel) ; qu'en infirmant le jugement entrepris en affirmant péremptoirement sans s'expliquer davantage quant à ce que "le rôti de dindonneau congelé et saumuré à titre exceptionnel par accord des parties ne constitue pas une salaison au sens de l'arrêté invoqué, le principe de conservation en l'espèce étant la congélation des rôtis" la Cour ne justifie pas légalement sa décision au regard des dispositions de l'arrêté du 8 décembre 1964 qui se réfère non seulement aux préparations des salaisons, mais également aux conserves de viande et qu'il autorise l'usage du sel nitrité ;

"2°) alors que, de deuxième part, le prévenu faisait valoir dans ses écritures d'appel (cf p 6) que l'utilisation de sel nitrité dans une denrée alimentaire répond à des exigences technologiques précises, ainsi qu'il est expliqué dans le rapport d'expertise de M Pinel et dans la biographie technique, pour améliorer la conservation, apporter un goût typique de salaison, donner une couleur rose après cuisson, et non augmenter la rétention d'eau du saumurage ; qu'en délaissant cet aspect des écritures, la Cour méconnaît les exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

"3°) alors que, de troisième part, la falsification d'un produit implique le recours à une manipulation ou à un traitement illicite ou non conforme à la réglementation en vigueur de nature à en altérer la constitution physique ; qu'en outre, une réglementation nouvelle plus douce s'applique immédiatement aux faits commis avant sa mise en vigueur ; qu'en l'espèce, l'arrêté du 14 octobre 1991 permet l'utilisation de sel nitrité à hauteur de 20 g par kilo de produit fini pour la fabrication des produits de la salaison non soumis à une maturation-dessiccation ; que ce texte d'application immédiate était bien susceptible de régir les rapports des parties, qu'en refusant d'appliquer ledit texte au seul motif qu'il n'était pas en vigueur au moment des faits, lesquels se situent aux termes de la prévention en janvier 1991, sans pousser plus avant ses investigations et sans s'exprimer sur le champ d'application dudit arrêté, la Cour ne permet pas à la chambre criminelle d'exercer son contrôle ;

"4°) alors que, par ailleurs, l'article L. 213-3 du Code de la consommation incrimine ceux qui falsifieront des denrées servant à l'alimentation ; qu'en l'espèce, la cour d'appel n'a pu, sans se contredire et sans mieux s'en s'expliquer, faire état, d'un côté, d'un accord des parties sur le saumurage du rôti de dindonneau congelé et saumuré selon les prévisions de l'appel d'offre du centre hospitalier spécialisé de Rennes et, d'un autre côté, reprocher au prévenu qu'il n'avait fait que satisfaire aux spécifications de l'appel d'offre le non-respect des réglementations en vigueur par rapport à un saumurage impliquant l'usage de sel nitrité, d'où une violation des textes cités au moyen ;

"5°) et alors, enfin, et en toute hypothèse, que le délit de falsification suppose comme tout délit que soit établie la mauvaise foi de son auteur ; qu'il appartient aux juges de constater les circonstances d'où se déduit ladite mauvaise foi ; qu'en l'espèce, la cour ne caractérise pas l'intention coupable et partant ne justifie pas légalement sa décision au regard de l'article L. 213-3 du Code de la consommation et de l'article 121-3 du Code pénal" ;

Les moyens étant réunis : - Attendu qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué qu'en exécution d'un marché annuel public, la société X a fourni au centre hospitalier spécialisé de Rennes divers produits de dinde ; que, sur la demande du client qui se plaignait de la médiocre qualité du "rôti de filet de dindonneau saumuré surgelé", un contrôle effectué par l'Administration de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a révélé la présence de sel nitrité dans la composition de ce produit ; que François C, directeur de la société, est poursuivi pour tromperie sur les qualités substantielles ou la composition de la marchandise vendue et pour falsification de denrée alimentaire ;

Attendu que pour le déclarer coupable de ces délits, la cour d'appel énonce que l'adjonction de sel nitrité dans le rôti de dindonneau saumuré surgelé, qui n'est pas, contrairement aux allégations du demandeur, un produit de la salaison, est interdite par le code des usages des produits de dinde ; qu'elle relève que le prévenu a reconnu l'utilisation de sel nitrité dans la fabrication de la marchandise, ainsi que l'insuffisance de l'étiquetage ne mentionnant pas la présence de cet additif dans l'indication de la composition du produit ; que les juges ajoutent que le directeur de la société ne saurait, en tant que professionnel, soutenir que le défaut de mention du sel nitrité a pour cause une négligence ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, procédant de l'appréciation souveraine par les juges du fond des faits et circonstances de la cause, et d'où résulte la mauvaise foi du prévenu, la cour d'appel, abstraction faite des motifs justement critiqués par la troisième branche du second moyen mais surabondants, a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ; d'où il suit que les moyens ne sauraient être accueillis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

Rejette le pourvoi.