Cass. crim., 8 février 1995, n° 93-80.811
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Le Gunehec
Rapporteur :
Mme Verdun
Avocat général :
M. Foyer de Costil
Avocats :
SCP Waquet, Farge, Hazan, SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, SCP Ancel, Couturier-Heller.
LA COUR: - Statuant sur les pourvois formés par D Alain, L André, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Bordeaux, 3e chambre, du 12 janvier 1993, qui les a condamnés, le premier, pour tromperie sur les qualités substantielles de la marchandise vendue, à un an d'emprisonnement avec sursis et 150 000 francs d'amende, le second, pour tromperie sur les qualités substantielles de la marchandise vendue et faux en écriture privée, à 1 an d'emprisonnement avec sursis et 200 000 francs d'amende, a ordonné des mesures de publication, et a prononcé sur les intérêts civils; - Joignant les pourvois en raison de la connexité; - Sur le pourvoi formé par André L; - Sur la recevabilité du pourvoi;
Attendu que, selon l'article 576 du Code de procédure pénale, la déclaration de pourvoi doit être signée, à défaut du demandeur lui-même ou d'un avoué près la juridiction qui a statué, par un fondé de pouvoir spécial; que, dans ce cas, le pouvoir est annexé à l'acte dressé par le greffier;
Attendu qu'à la déclaration de pourvoi faite par "Me Villon, avocat à la cour, Me Dana, avocat au barreau de Pau, pour le compte d'André L" n'est annexé aucun pouvoir; que, dès lors, le pourvoi, formé par un avocat, mandaté de surcroît par un tiers sans qualité pour le faire, est irrecevable;
Sur le pourvoi formé par Alain D; - Vu les mémoires produits en demande et en défense; - Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 400 et 512 du Code de procédure pénale, manque de base légale;
"en ce que l'arrêt attaqué ne constate pas la publicité de l'audience du 20 octobre 1992 durant laquelle se sont déroulés les débats au fond;
"alors que selon l'article 400 du Code de procédure pénale rendu applicable an cause d'appel par l'article 512 du même Code, les audiences sont publiques; que l'omission de cette constatation substantielle prive l'arrêt attaqué des conditions essentielles de son existence légale;
Attendu que l'arrêt attaqué, rédigé en un seul contexte, mentionne qu'il a été rendu par la cour d'appel statuant publiquement; qu'une telle mention, par sa généralité, constate non seulement la publicité de l'audience où la décision a été prononcée mais aussi celle de l'audience précédente où ont eu lieu les débats; que, dès lors, le moyen manque en fait et ne peut qu'être écarté;
Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 460, 513 et 593 du Code de la procédure pénale, ensemble manque de base légale et violation des droits de la défense;
"en ce qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'à l'occasion du débat sur l'exception de nullité soulevée par la défense, le prévenu et son conseil n'ont pas eu la parole en dernier;
"alors que la règle selon laquelle le prévenu ou son conseil doivent, avoir toujours la parole en dernier domine tout le procès pénal et doit notamment s'appliquer aux débats sur les questions de procédure soulevées in limine litis lorsque, comme en l'espèce, la juridiction correctionnelle en a délibéré avant de prendre une décision de jonction et d'entamer les débats au fond; qu'ainsi, l'arrêt qui ne constate pas l'accomplissement de cette formalité essentielle ne satisfait pas, en la forme, aux conditions essentielles de son existence légale";
Sur le troisième moyen proposé pris de la violation des articles 1er, 10, 12 et 23 de la loi du 1er août 1905, 7, 11, 24 du décret du 22 janvier 1919 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale, ensemble violation du principe du contradictoire et des droits de la défense;
"en ce que l'arrêt attaqué a dit n'y avoir lieu à annulation des prélèvements d'échantillons effectués aux fins d'analyse par les agents de la direction générale de la Concurrence et des Fraudes, et de toute la procédure subséquente;
"alors que si la preuve des infractions à la loi du 1er août 1905 peut être établie par toutes voies de droit commun, les agents de la direction générale de la Concurrence et des Fraudes, lorsqu'ils procèdent à des prélèvements de produits aux fins d'analyse en vue de rechercher et constater une infraction à la loi susvisée, doivent, à peine de nullité de la procédure, se conformer aux dispositions du décret du 22 janvier 1919 en procédant, notamment, à une expertise contradictoire; qu'en l'espèce, même si les poursuites étaient notamment fondées sur certains témoignages, constats d'huissiers ou autres documents réunis durant la procédure, elles reposaient essentiellement sur les analyses effectuées par l'administration en violation des dispositions impératives ci-dessus rappelées, particulièrement s'agissant de décrire les éléments composant la marchandise vendue et de démontrer qu'ils ne correspondaient pas à ceux annoncés sur le produit; qu'ainsi, en refusant de sanctionner ces opérations irrégulières, et en se fondant sur le résultat desdites opérations, notamment sur le procès-verbal de délit dressé, au vu de ces opérations, par les agents de la direction générale de la Concurrence et des Fraudes, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés";
Les moyens étant réunis;
Attendu qu'il résulte des mentions de l'arrêt attaqué que l'exception de nullité prise du défaut de mise en œuvre de l'expertise contradictoire prévue par l'article 12 de la loi du 1er août 1905 a été présentée après l'interrogatoire d'Alain D sur les faits;
Qu'en cet état, et dès lors que cet interrogatoire impliquait un engagement du prévenu dans la défense au fond, c'est à tort que les juges d'appel ont cru devoir répondre à l'exception invoquée pour l'écarter, au lieu de lui opposer l'irrecevabilité édictée par l'article 385 du Code de procédure pénale; qu'il s'ensuit que le troisième moyen, qui leur fait grief des motifs par lesquels ils se sont prononcés, est lui même irrecevable, en application du texte précité; que le deuxième moyen, pris d'une prétendue méconnaissance de l'article 513 du Code de procédure pénale est, dès lors, inopérant;
Et sur le quatrième moyen de cassation pris de la violation des articles 1er, 4, 10, 12 et 23 de la loi du 1er août 1905, 7, 11, 24 du décret du 22 janvier 1919, 7 et 26 de la loi d'amnistie du 20 juillet 1988, 593 du Code de procédure pénale, de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des droits de la défense, défaut de motifs et manque de base légale, ensemble excès de pouvoir;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Alain D coupable de tromperie sur les qualités substantielles de marchandises, et l'a condamné à une peine d'un an d'emprisonnement avec sursis et 150 000 francs d'amende;
"aux motifs adoptés des premiers juges qu'Alain D n'a fait aucune espèce de contrôle sur les 43 202 boîtes de bloc de foie gras qui lui étaient livrées, en prétendant se fier à un précédent marché qui n'est pas suffisant; qu'il n'a contrôlé ni l'origine de fabrication ni le code fabricant imprimé, l'absence d'étiquetage par ses soins prenant une dimension évidente de dissimulation; qu'Alain D aurait dû être particulièrement vigilant et averti, puisqu'à l'époque des faits, il avait déjà été condamné à quatre reprises pour tromperie ou détention de produits corrompus; que le délit caractérisé à son encontre doit être apprécié avec d'autant plus de sévérité qu'Alain D, pourtant condamné en 1984 par la Cour d'appel de Caen à un mois d'emprisonnement avec sursis simple, n'a manifestement tenu aucun compte de l'avertissement ainsi donné;
"alors, d'une part, que le délit de tromperie sur la composition et les qualités substantielles d'une marchandise n'existe qu'à la condition que le vendeur ait connu l'état de cette marchandise; que le seul fait qu'Alain D, simple intermédiaire entre le fabricant et le vendeur, n'ait pas procédé à la vérification des boîtes de foie gras achetées à la SARL PAA avant de les commercialiser auprès de ses distributeurs, n'est pas de nature à caractériser l'élément intentionnel du délit qui lui est reproché, aucune disposition de la loi n'édictant une présomption de culpabilité à l'encontre de l'intermédiaire qui n'a pas pris cette précaution; qu'ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés;
"alors, d'autre part, qu'encourt la cassation l'arrêt dont les motifs révèlent que la prise en considération d'une condamnation amnistiée a influé sur l'appréciation de la peine sanctionnant la nouvelle infraction poursuivie; qu'en faisant référence à une condamnation intervenue en 1984, et amnistiée en vertu des dispositions de l'article 7 de la loi d'amnistie du 20 juillet 1988, pour considérer que le délit reproché au prévenu devait être apprécié avec plus de sévérité, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et violé les textes susvisés;
"alors, enfin, et en toute hypothèse, qu'en omettant d'inviter Alain D à s'expliquer sur la condamnation de 1984, qu'elle retient pour aggraver sa peine, et sur son caractère amnistiable, la cour d'appel a violé les droits de la défense";
Sur la première branche du moyen;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme qu'en exécution d'une commande destinée aux magasins "Intermarché" et portant sur des semi-conserves de foie gras, la société D a livré, après avoir procédé à leur étiquetage, des produits fabriqués et conditionnés pour l'essentiel par la société L; que certaines boîtes présentant un bombement ont été renvoyées comme impropres à la consommation, qu'à la suite de ces faits, Alain D, dirigeant de la société du même nom, est poursuivi pour tromperie sur les qualités substantielles de la marchandise vendue;
Attendu qu'après avoir caractérisé les éléments matériels de ce délit, les juges du second degré relèvent, pour condamner le prévenu, que ce dernier a revendu les conserves litigieuses sans procéder au moindre contrôle préalable, et sous un étiquetage ne permettant ni son identification ni celle du fabricant, désigné par un code fantaisiste; qu'ils ajoutent que de tels agissements sont d'autant plus suspects que leur auteur, professionnel averti, loin de cesser les livraisons dès les premiers refus, s'est au contraire efforcé d'écouler son stock;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, caractérisant la mauvaise foi du prévenu, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués;
Sur les deuxième et troisième branches du moyen;
Attendu qu'il ne résulte ni des énonciations de l'arrêt attaqué, ni d'aucune conclusion du prévenu que ce dernier ait invoqué devant la cour d'appel le caractère amnistié de la condamnation prononcée contre lui en 1984, et visée par les premiers juges; d'où il suit que le moyen, nouveau et mélangé de fait en ses deuxième et troisième branches et comme tel irrecevable, et mal fondé sur le surplus, ne peut qu'être écarté;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme;
Sur le pourvoi d'André L: le déclare irrecevable;
Sur le pourvoi d'Alain D: le rejette.