CCE, 30 juin 1970, n° 70-332
COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Décision
Kodak
LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,
Vu le traité instituant la Communauté économique européenne, et notamment son article 85, vu le règlement nº 17 du Conseil du 6 février 1962 (1), et notamment son article 2, vu la demande d'attestation négative présentée le 6 mai 1963 et complétée le 2 avril 1968 par M. Jean Marot, vice-président de la société Kodak-Pathé, à Paris, agissant au nom des sociétés Kodak-Pathé, à Paris, Kodak AG, à Stuttgart, Kodak SA, à Bruxelles, Kodak SpA, à Milan et Kodak NV, à La Haye, par laquelle ces sociétés ont demandé que la Commission constate, conformément à l'article 2 du règlement nº 17, qu'il n'y a pas lieu pour elle d'intervenir en vertu de l'article 85 paragraphe 1 du traité à l'égard des "Conditions générales applicables aux ventes de produits et services Kodak en Europe", vu l'avis du Comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes, recueilli conformément à l'article 10 du règlement nº 17 le 11 juin 1970.
I
1. Considérant que les sociétés Kodak établies dans le Marché commun, dont la société de droit américain Eastman Kodak détient la totalité ou la quasi-totalité du capital social, et qui fabriquent ou importent ses produits photographiques, cinématographiques et chimiques, ont mis en vigueur le 1er juin 1963 des conditions générales de vente imposant à leurs acheteurs directs, outre des dispositions relatives aux cas de force majeure, aux expéditions et aux livraisons, à l'assurance des marchandises, aux réclamations et retours, à la limitation de leur responsabilité, à la publicité, aux marques de fabrique, etc., les clauses suivantes en ce qui concerne le paiement, le prix et la revente des produits Kodak:
"Toutes les affaires traitées avec Kodak sur un territoire national donné sont payables au lieu du principal établissement de Kodak sur le territoire national considéré, c'est-à-dire en France, Kodak-Pathé, en Allemagne, Kodak AG, en Belgique, Kodak SA, en Italie, Kodak SpA, et aux Pays-Bas, Kodak NV" (art. 1er);
"Les marchandises Kodak sont toujours facturées au prix du tarif en vigueur au jour de la livraison. Ces prix s'entendent départ usine" (art. 2);
"Les produits Kodak sont fournis aux conditions suivantes:
a) ...
b) ils ne seront normalement revendus qu'à l'adresse approuvée par Kodak;
c) ils ne seront ni exportés ni revendus pour l'exportation pour autant que la législation en vigueur permette cette interdiction" (art. 8);
2. Considérant que, dans le but de rendre possible la délivrance de l'attestation négative sollicitée par ses filiales du Marché commun, la société Eastman Kodak a donné instruction auxdites filiales de mettre en vigueur le 1er janvier 1970 des conditions de vente uniformes comportant une nouvelle rédaction des articles 1, 2 et 8 paragraphes b et c tendant à les rendre compatibles avec l'article 85 paragraphe 1 du traité;
3. Considérant que le texte de ces conditions de vente, préalablement communiqué à la Commission, comporte notamment les nouvelles dispositions suivantes:
4. L'article premier précise que les produits, vendus à l'exportation par l'une des sociétés Kodak installée sur le territoire du Marché commun à des clients établis dans un État membre du Marché commun, sont payables à la société Kodak qui les a vendus.
5. L'article 2, qui détermine le mode de fixation des prix, prévoit désormais que chaque société Kodak installée dans l'un des États membres facture d'après le tarif qu'elle applique sur son propre marché national les produits qu'elle exporte à destination de clients établis dans un autre État membre.
6. L'article 8 stipule dorénavant que les produits Kodak sont fournis aux conditions suivantes:
"a) ...
b) Ils ne seront normalement revendus à tous les stades de la commercialisation ultérieure que par un personnel qualifié et dans des locaux permettant leur conservation, leur présentation et leur vente dans des conditions satisfaisantes.
c) Ils pourront être exportés ou revendus pour l'exportation à l'intérieur de la C.E.E. aux prix déterminés par les parties traitant ces opérations. Par contre, ils ne pourront pas être exportés ni revendus pour l'exportation à l'extérieur de la CEE, pour autant que la législation en vigueur permette cette interdiction."
7. Considérant que le contenu essentiel des conditions de vente modifiées a été publié (2) en application de l'article 19 paragraphe 3 du règlement nº 17 et qu'aucune opposition de la part de tiers ne s'est manifestée.
II
8. Considérant qu'une attestation négative peut être délivrée conformément aux dispositions de l'article 2 du règlement nº 17 si la Commission constate qu'il n'y a pas lieu pour elle, en fonction des éléments dont elle a connaissance, d'intervenir en vertu des dispositions de l'article 85 paragraphe 1 du traité à l'égard des conditions générales de vente des sociétés Kodak dans le Marché commun;
9. Considérant que l'article 85 paragraphe 1 du traité stipule que sont incompatibles avec le Marché commun et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun;
10. Considérant que, en l'espèce, il y a lieu d'examiner d'une part la question de l'identité des conditions de vente des sociétés Kodak du Marché commun, et d'autre part le contenu même de ces conditions;
11. Considérant tout d'abord que, certes, les sociétés Kodak du Marché commun pratiquent des conditions de vente rigoureusement identiques; mais qu'elles le font suivant les instructions de leur société-mère, instructions auxquelles elles sont tenues de se conformer;
12. Considérant que, lorsqu'il est établi, comme c'est le cas, que les sociétés filiales dont il s'agit sont dans la dépendance exclusive et complète de leur société-mère, et que cette société exerce effectivement son pouvoir de contrôle en leur adressant des instructions précises, il leur est impossible de se comporter d'une manière indépendante les unes vis-à-vis des autres dans les domaines réglés par la société-mère;
13. Considérant par conséquent que l'identité des conditions de vente des sociétés Kodak du Marché commun ne résulte d'un accord ou d'une pratique concertée ni entre la société-mère et ses filiales, ni entre les filiales elles-mêmes;
14. Considérant d'autre part que ces conditions de vente, abstraction faite de la question de leur identité, constituent des accords entre entreprises parce qu'elles font nécessairement l'objet d'un contrat entre les sociétés Kodak et chacun de leurs acheteurs;
15. Considérant que ces conditions de vente, dans leur rédaction antérieure aux modifications susdites, tombaient sous le coup des dispositions de l'article 85 paragraphe 1; que, en particulier, il en était ainsi pour l'article 8 paragraphe c de ces conditions de vente, par lequel chaque société Kodak du Marché commun interdisait à ses acheteurs directs d'exporter ou de revendre pour l'exportation les produits qu'elle leur livrait, "pour autant que la législation en vigueur permette cette interdiction"; que, en effet, cette clause empêchait les revendeurs de produits Kodak dans chaque État membre d'entrer en concurrence, sur le territoire des autres États membres, avec les entreprises qui y revendent les produits Kodak ou des produits semblables d'autres marques, la condition relative à la "législation en vigueur" ne pouvant que difficilement être interprétée par les acheteurs comme une référence, notamment, à l'article 85 du traité; que l'article 8 b) renforçait cette disposition, et les moyens d'en contrôler le respect, en stipulant que les produits Kodak ne pouvaient normalement être revendus qu'aux adresses approuvées par la société Kodak;
16. Considérant que les articles 1 et 2 des conditions de vente, dans leur état antérieur, pouvaient être interprétés comme signifiant que, au cas où les sociétés Kodak du Marché commun vendraient dans un autre État membre à des acheteurs autres que la société Kodak installée dans cet État, ces acheteurs devraient payer la fourniture à cette dernière société et aux prix pratiqués par celle-ci, perdant ainsi tout intérêt à d'éventuelles importations directes, quel que soit le niveau respectif des prix;
17. Considérant que ces conditions de vente avaient pour effet d'isoler le marché de chaque État membre et de soustraire à la concurrence, à partir d'un ou plusieurs autres États membres, les prix appliqués dans chacun de ces marchés; qu'ainsi ces conditions restreignaient le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun et étaient susceptibles d'affecter le commerce entre États membres;
18. Considérant que la Commission a informé les sociétés Kodak que ces conditions de vente tombaient sous le coup de l'interdiction de l'article 85 du traité et qu'une attestation négative ne pouvait donc être délivrée en leur faveur;
19. Considérant que les nouvelles conditions de vente des sociétés Kodak du Marché commun ne comportent plus d'entrave à l'exportation dans le Marché commun, puisque de telles exportations sont même expressément autorisées, à des prix à déterminer librement, de telle sorte que les produits Kodak peuvent dorénavant faire l'objet d'une concurrence entre les revendeurs des divers États membres;
20. Considérant que l'interdiction faite aux acheteurs, et demeurée en vigueur, d'exporter hors du Marché commun ne paraît pas susceptible d'affecter le commerce entre États membres; que, en effet, la réimportation dans le Marché commun de produits Kodak préalablement exportés par des revendeurs serait très improbable en raison de l'accumulation des marges commerciales et des frais d'acheminement, ainsi que de l'obstacle résultant du tarif douanier commun des Communautés européennes; mais que, à supposer qu'une telle réimportation puisse être suivie d'une nouvelle exportation à destination d'un autre État membre ; que, d'autre part, depuis l'abolition des droits de douane à l'intérieur du Marché commun, et l'entrée en vigueur des nouvelles conditions de vente de Kodak, toute demande dans un État membre pourra être satisfaite directement à partir d'un autre État membre bien plus aisément et à meilleur prix qu'à partir d'un pays tiers vers lequel les produits demandés auraient d'abord été exportés du Marché commun;
21. Considérant, d'autre part, que la nouvelle rédaction de l'article 8 paragraphe b) des conditions de vente de Kodak, en indiquant de manière limitative les conditions techniques et matérielles à remplir pour pouvoir être approvisionné en produits Kodak en vue de leur revente, ne permet guère aux sociétés Kodak ni à leurs grossistes d'exclure de leur réseau de distribution les revendeurs qui remplissent ces conditions mais qui se seraient livrés à des exportations ou à des importations de produits Kodak dans le Marché commun ; que, en outre, le nombre et l'importance des acheteurs de produits Kodak susceptibles d'effectuer des exportations à l'intérieur du Marché commun ne donnent pas lieu, du moins en l'état actuel des choses, de craindre que cette disposition soit appliquée de façon abusive pour sanctionner de telles exportations en refusant d'approvisionner les revendeurs qui les auraient réalisées;
22. Considérant enfin que les articles 1 et 2 nouveaux des conditions de vente de Kodak prévoient que les produits vendus à l'exportation par un établissement Kodak du Marché commun à un client établi dans un autre État membre sont payables à cet établissement Kodak, lequel ne peut les facturer à un prix supérieur à celui qu'il applique sur son marché national ; que ces dispositions ouvrent aux acheteurs de produits Kodak de chaque État membre la possibilité d'acheter ces produits aux sociétés Kodak des autres États membres si leurs prix sont plus favorables;
23. Considérant dès lors que, dans leur version modifiée, les conditions de vente des sociétés Kodak n'ont ni pour objet ni pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun, si ce n'est peut-être par l'interdiction d'exporter hors du Marché commun, laquelle en tout état de cause ne paraît pas susceptible d'affecter le commerce entre États membres;
24. Considérant qu'en conséquence il n'y a pas lieu pour la Commission, en fonction des éléments dont elle a connaissance, d'intervenir à l'égard des conditions de vente modifiées des sociétés Kodak du Marché commun en vertu des dispositions de l'article 85 paragraphe 1 du traité,
A ARRÊTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION:
Article premier
Il n'y a pas lieu pour la Commission, en fonction des éléments dont elle a connaissance, d'intervenir, en vertu des dispositions de l'article 85 paragraphe 1 du traité instituant la Communauté économique européenne, à l'égard des conditions générales de vente des sociétés Kodak du Marché commun, telles qu'elles sont formulées et appliquées depuis le 1er janvier 1970.
Article 2
La présente décision est destinée aux sociétés suivantes:
- Kodak-Pathé, à Paris, France,
- Kodak AG, à Stuttgart, Allemagne,
- Kodak SA, à Bruxelles, Belgique,
- Kodak SpA, à Milan, Italie, et
- Kodak NV, à La Haye, Pays-Bas.
(1) JO nº 13 du 21.2.1962, p. 204/62.
(2) JO nº C 136 du 19.12.1968, p. 3.