CCE, 9 juin 1972, n° 72-238
COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Décision
Raymond-Nagoya
LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,
Vu le traité instituant la Communauté économique européenne, et notamment son article 85, vu le règlement nº 17 du Conseil du 6 février 1962 (1), et notamment ses articles 2 et 4, vu la demande d'attestation négative et la notification présentées le 12 mars 1970 en application des articles 2 et 4 du règlement nº 17 par la succursale sise à Lörrach (Bade) de la société française en commandite simple A. Raymond, de Grenoble, concernant un contrat de licence conclu avec la société japonaise Nagoya Rubber Co. Ltd., à Nagoya (Japon), vu la publication de l'essentiel du contenu de la demande, faite en application de l'article 19 paragraphe 3 du règlement nº 17, dans le Journal officiel des Communautés européennes nº C 144 du 5 décembre 1970, vu l'avis du Comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes, recueilli conformément à l'article 10 du règlement nº 17, le 21 janvier 1972,
I
Considérant que la succursale susmentionnée (ci-après dénommée Raymond) a conclu le 30 décembre 1968 avec la société japonaise Nagoya Rubber Co. Ltd. (ci-après dénommée Nagoya), un contrat de licence d'une durée de 10 ans qui prévoit ce qui suit.
Nagoya obtient le droit de fabriquer au Japon, en application de la technique de Raymond, des éléments de fixation en matière plastique mis au point par celle-ci et qui sont utilisés dans la construction des automobiles (rivets, écrous, crochets pour baguettes, colliers pour câbles, boutons pour carpettes, bouchons, rivets à écartement, crochets de fixation triangulaires, pièces de fixation de garniture de portes et autres éléments de fixation spéciaux), ainsi que le droit de les vendre au Japon, en Corée, à Formose, en Chine continentale et aux Philippines.
Si les produits qui font l'objet du contrat sont incorporés dans des pièces détachées d'automobiles japonaises ou dans des carrosseries de véhicules fabriqués au Japon ou dans les autres territoires de vente par des entreprises japonaises ou étrangères, ils peuvent être exportés dans n'importe quel pays du monde avec ces pièces détachées ou avec ces véhicules automobiles montés.
Raymond s'est engagée à n'accorder aucune licence à d'autres entreprises dans le territoire contractuel.
La technique mise au point par Raymond pour la fabrication d'éléments de fixation en matière plastique consiste en l'exploitation combinée de différents brevets et modèles d'utilité ainsi que du savoir-faire de Raymond. Il s'agit plus précisément de 35 brevets ou modèles d'utilité déposés en Allemagne et qui ne sont protégés que pour une petite part en France et pas du tout dans les autres pays du Marché commun, mais qui bénéficient en totalité d'une protection au Japon. Le savoir-faire de Raymond comprend en particulier une expérience portant sur le choix des matériaux, sur la fabrication des instruments et appareils pour le moulage par injection des éléments de fixation et sur le choix des injecteurs, ainsi qu'une expérience concernant l'utilisation et le maniement des éléments de fixation lors du montage.
Les partenaires sont convenus que Raymond n'est pas responsable de la validité des droits de propriété industrielle mentionnés ci-dessus et que Nagoya ne peut en aucun cas contester la validité d'un de ces droits de propriété pendant la durée du contrat.
Nagoya doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour que les produits contractuels qu'elle fabrique atteignent les normes de qualité des produits fabriqués en Allemagne et en France par Raymond. Pour garantir le respect des normes de qualité des produits contractuels, elle doit accepter que Raymond soumette à certains contrôles de qualité les produits contractuels qu'elle fabrique et les procédés de fabrication qu'elle utilise.
Les partenaires se sont engagés à se communiquer mutuellement toutes les améliorations ou modifications qu'ils apportent à la technique Raymond pendant la durée du contrat. Au cas où des brevets seraient délivrés à Raymond pour de telles améliorations ou modifications, celle-ci devrait offrir une licence exclusive pour le territoire japonais d'abord à Nagoya, laquelle pourrait accepter ou refuser l'offre.
Les améliorations ou modifications éventuelles apportées à la technique Raymond par Nagoya devront devenir la propriété de Raymond dans la mesure où il s'agit d'innovations techniques non brevetables. Dans la mesure où des brevets seront accordés à Nagoya pour ces améliorations ou modifications, Nagoya devra en accorder une licence non exclusive à Raymond.
Au cas où Nagoya mettrait au point, en dehors de la technique Raymond et pendant la durée de l'accord, des inventions dans le domaine des éléments de fixation en matière plastique ou en matière plastique combinée avec du métal et au cas où elle déposerait des brevets, des modèles d'utilité ou des dessins et modèles en dehors du Japon, elle serait tenue d'accorder à Raymond une licence non exclusive portant sur ces inventions pour la durée du contrat.
Dans sa version précédente, le contrat de licence contenait l'obligation pour Nagoya de céder à Raymond la propriété des améliorations ou modifications éventuelles qu'elle apporterait à la technique Raymond et d'accorder à Raymond une licence exclusive pour les brevets, modèles d'utilité ou les dessins et modèles qu'elle obtiendrait en dehors du Japon pour des inventions dans le domaine des éléments de fixation qui seraient réalisées en dehors de la technique Raymond. Toutefois, à la suite de l'intervention de la Commission, les partenaires ont modifié ces engagements dans le sens susmentionné.
Il est interdit à Nagoya de céder, en tout ou en partie, les droits qui lui sont accordés dans le contrat conclu avec Raymond ou d'accorder des sous-licences.
Au cas où le montant total des droits de licence à payer après le 1er mai 1971 n'atteindrait pas, au cours d'une période d'un an, un montant minimum déterminé, la licence exclusive serait automatiquement remplacée par une licence simple et Raymond aurait alors le droit d'accorder d'autres licences à des fabricants japonais pour la fabrication et la vente des produits contractuels sur le territoire japonais.
Si Raymond devait accorder dans ce cas des conditions d'exploitation plus favorables à un licencié autre que Nagoya, Raymond serait tenue d'accorder les mêmes conditions à Nagoya;
Considérant que Raymond est le plus important fabricant d'éléments de fixation en matière plastique du Marché commun ; que, en particulier, en Allemagne sa part du marché pour ces produits est plus importante que celle de tous les autres fabricants réunis;
Considérant que Nagoya, dans le capital de laquelle le constructeur d'automobiles japonais Toyota possède une participation majoritaire, est le plus important sous-traitant de l'industrie automobile japonaise ; qu'à côté des produits contractuels précités, cette entreprise fabrique notamment des garnitures de frein, des pneumatiques et des éléments de rembourrage;
Considérant qu'à la suite de la publication de l'essentiel du contenu de la demande aucune observation de tiers n'a été communiquée à la Commission;
II
Considérant que, selon l'article 2 du règlement nº 17, l'attestation négative demandée peut être accordée si la Commission constate qu'il n'y a pas lieu pour elle, en fonction des éléments dont elle a connaissance, d'intervenir en vertu des dispositions de l'article 85 paragraphe 1 du traité CEE à l'égard de l'accord de licence passé entre Raymond et Nagoya;
Considérant que, aux termes de l'article 85 paragraphe 1 du traité CEE, sont incompatibles avec le Marché commun et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun;
Considérant que, en vertu du contrat de licence en cause, Raymond confère à Nagoya le droit d'exploiter les droits de propriété industrielle qui font partie de la technique Raymond;
Considérant que le titulaire d'un droit de propriété industrielle a le droit exclusif de fabriquer les produits qui en font l'objet et qu'il peut céder, par des licences, pour un territoire déterminé, l'usage des droits découlant de ce droit de propriété industrielle;
Considérant que certaines dispositions de contrats de licence qui règlent l'exercice des droits protégés peuvent être visées par l'interdiction de l'article 85 paragraphe 1 lorsqu'elles ont pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence à l'intérieur du Marché commun ; qu'à cet égard, il y a lieu d'examiner les clauses suivantes du contrat en cause: 1. l'exclusivité consistant dans l'obligation pour Raymond de n'accorder qu'à Nagoya le droit de fabriquer et de vendre les produits contractuels, ainsi que, le cas échéant, la licence des brevets qu'elle obtiendrait pour des inventions de perfectionnement.
Lorsque le donneur de licence s'oblige à limiter l'exploitation de son droit exclusif à une seule entreprise dans un territoire et confère donc à cette entreprise unique le droit d'exploiter les droits de propriété industrielle et d'empêcher d'autres entreprises de les utiliser, il perd ainsi la faculté de contracter avec d'autres demandeurs de licences. Dans certains cas, ce caractère exclusif d'une licence peut être restrictif de concurrence et visé par l'interdiction prévue à l'article 85 paragraphe 1.
Mais tel n'est pas le cas dans la présente affaire parce que l'exclusivité de fabrication et de vente accordée à Nagoya n'affecte pas la situation concurrentielle à l'intérieur du Marché commun puisqu'elle a seulement pour effet d'éliminer des concurrents potentiels sur le marché de l'Extrême-Orient, lesquels seraient, tout aussi peu que Nagoya, en mesure de livrer les produits en cause dans le Marché commun, et ce, pour les raisons exposées au point 2 ci-après;
2. L'interdiction pour Nagoya d'exporter dans des pays situés en dehors du territoire de vente (donc aussi dans le Marché commun) les éléments de fixation qu'elle fabrique en exploitant la technique Raymond, interdiction qui résulte de la limitation de son droit de vente à ce territoire.
Comme, dans le cas d'espèce, l'interdiction d'exporter est imposée à une entreprise japonaise pour des produits tout à fait spéciaux, il y a lieu d'examiner si elle peut influencer de manière sensible le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun.
L'interdiction d'exporter concerne seulement les éléments de fixation en tant que tels, car ces produits, s'ils sont incorporés dans des pièces détachées d'automobiles japonaises ou dans des carrosseries de véhicules fabriqués au Japon ou dans les autres territoires de vente par des entreprises japonaises ou étrangères, peuvent être exportés dans les pays du Marché commun avec ces pièces détachées ou avec ces véhicules automobiles montés.
Les éléments qui servent à fixer des accessoires dans la carrosserie des véhicules automobiles ne sont pas des produits normalisés qui peuvent être utilisés par n'importe quels constructeurs d'automobiles pour leurs différents modèles, mais ils sont destinés à un modèle bien déterminé d'un de ces constructeurs et ne sont fabriqués que sur commande spéciale, compte tenu des spécifications techniques particulières du modèle en question.
La fabrication de ces éléments s'effectue en collaboration étroite et constante avec l'entreprise qui a passé commande.Avant que la production d'un nouveau modèle d'automobile puisse commencer, il faut que les éléments de fixation nécessaires à ce modèle soient mis au point. Ce stade, qui précède la production et qui peut durer deux ans, va du premier projet des éléments de fixation à la fabrication d'un prototype qui est soumis à des nombreuses épreuves dans des véhicules-test, en passant par la construction des dispositifs nécessaires à cette fabrication.Du fait que ces travaux nécessitent des contacts fréquents et étroits avec le constructeur d'automobiles intéressé et qu'il faut mettre au point jusqu'à 25 types différents pour chaque modèle de véhicule, il n'est pas douteux que Nagoya rencontrerait des difficultés pratiquement insurmontables si elle voulait fabriquer des éléments de fixation pour l'industrie automobile du Marché commun.
Dans ces conditions, il est permis de croire que les constructeurs d'automobiles de la CEE seraient peu disposés à s'engager dans une telle coopération difficile avec une entreprise japonaise étant donné que les éléments de fixation nécessaires peuvent être mis au point plus simplement et plus rapidement dans le Marché commun. De toute façon, ils n'auraient pas de raisons de le faire étant donné qu'à l'intérieur de la CEE, les mêmes articles peuvent être fournis sans difficultés par Raymond et qu'en plus de Raymond, il existe dans le Marché commun de nombreux autres fabricants d'éléments de fixation.
Il est donc peu probable que des éléments de fixation fabriqués par Nagoya sous licence de Raymond soient livrés dans le Marché commun. Par conséquent, dans le présent cas, en raison notamment des caractéristiques des produits en cause, l'interdiction faite à Nagoya d'exporter ces articles dans les États membres de la CEE ne peut pas avoir d'effet sensible sur le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun;
3. l'engagement pris par Nagoya de ne pas contester pendant la durée de l'accord la validité des droits de propriété industrielle de Raymond qui sont l'objet du contrat de licence.
En principe, une clause de non contestation de ce genre entraîne une restriction de la liberté d'action du licencié qui n'est pas couverte par l'essence même du droit de propriété industrielle, car elle lui enlève la possibilité de contester la validité du contrat pour réduire les redevances et faire supprimer certaines restrictions, ce qui pourrait renforcer sa position concurrentielle tout en améliorant celle des entreprises tierces intéressées à la fabrication des articles sous licence, ainsi que celle des utilisateurs.
En l'occurrence, si elle contestait les droits de propriété industrielle de Raymond protégés au Japon, Nagoya ne pourrait renforcer sa position concurrentielle qu'en Extrême-Orient, étant donné qu'il est exclu pour les raisons indiquées plus haut que les produits couverts par l'accord soient exportés dans le Marché commun. Par conséquent, la position des entreprises tierces et des utilisateurs ne serait améliorée que sur les marchés d'Extrême-Orient, sans que cela entraîne des répercussions sur les rapports entre l'offre et la demande à l'intérieur du Marché commun.
Par ailleurs, Nagoya ne pourrait être intéressée à contester les droits de propriété industrielle que Raymond détient en Allemagne que si elle voulait entreprendre une fabrication en Europe. Or cette éventualité ne peut pas être prise en considération pour la durée du contrat car Nagoya est notamment liée au fabricant japonais d'automobiles Toyota, lequel n'a aucun intérêt à ce que sa filiale fournisse des éléments de fixation à ses concurrents européens. Il est par conséquent peu vraisemblable que, si la clause de non contestation n'existait pas, Nagoya attaquerait les droits de propriété industrielle que Raymond détient en Europe;
4. l'engagement pris par Nagoya de respecter les normes de qualité des produits couverts par l'accord et d'accepter que Raymond procède à certains contrôles de la qualité.
Ce contrôle de la qualité est indispensable pour une exploitation appropriée de l'invention et du savoir-faire, et, par conséquent, admissible;
5. l'engagement pris par les partenaires de se communiquer mutuellement les améliorations ou modifications qu'ils apportent à la technique Raymond pendant la durée de l'accord.
Cet échange d'informations est destiné à assurer la transmission de l'expérience acquise dans l'application des brevets, du savoir-faire et des modèles d'utilité. Il fait partie de l'exploitation contractuelle des droits de propriété industrielle et du savoir-faire qui est prévue par le contrat, et ne constitue pas une restriction de concurrence visée par l'article 85 paragraphe 1.
6. L'engagement pris par Nagoya d'accorder à Raymond une licence non exclusive sur les brevets éventuellement obtenus pour des améliorations ou modifications apportées à la technique Raymond ou sur les brevets, modèles d'utilité ou dessins et modèles que Nagoya obtiendrait hors du Japon pour des inventions réalisées en dehors de la technique Raymond dans le domaine des dispositifs de fixation.
L'engagement pris par Nagoya d'accorder une licence non exclusive dans ces deux cas ne l'empêcherait pas d'accorder une licence portant sur ses droits de propriété industrielle éventuels à d'autres entreprises qu'à Raymond à l'intérieur du Marché commun. Tel n'était pas le cas dans la version précédente du contrat de licence qui prévoyait que les améliorations apportées par Nagoya à la technique Raymond devraient devenir la propriété de Raymond et que Nagoya était tenue de n'accorder qu'à Raymond une licence sur les droits de propriété portant sur des inventions parallèles;
Considérant que, dans ces conditions, les éléments dont la Commission a connaissance ne permettent pas actuellement de penser que le contrat de licence en cause a pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché communau sens de l'article 85 paragraphe 1 du traité CEE ; que, l'une des conditions d'application de cette disposition n'étant pas remplie, l'attestation négative demandée peut être délivrée sans qu'il faille examiner encore si le contrat de licence est susceptible d'affecter le commerce entre États membres,
A ARRÊTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION:
Article premier
Il n'y a pas lieu pour la Commission, en fonction des éléments dont elle a connaissance, d'intervenir en vertu des dispositions de l'article 85 paragraphe 1 du traité instituant la Communauté économique européenne, à l'égard de la version actuelle du contrat de licence conclu le 30 décembre 1968 entre la succursale de la société A. Raymond à Lörrach (Bade) et Nagoya Rubber Co. Ltd. à Nagoya (Japon).
Article 2
La succursale sise à Lörrach (Bade) de la société française en commandite simple A. Raymond, de Grenoble, est destinataire de la présente décision.
(1) JO nº 13 du 21.2.1962, p. 204/62.