CA Aix-en-Provence, 2e ch. com., 8 novembre 2002, n° 98-16503
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Moto Accessoires Delta (SA)
Défendeur :
IAC Distribution (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Croze
Conseillers :
MM. Fohlen, Jacquot
Avoués :
SCP Cohen-Guedj, SCP Latil-Penarroya-Latil-Alligier
Avocats :
Mes Redares, de Bilderling.
EXPOSÉ DU LITIGE
La SA Motos Accessoires Delta et la SA IAC Distribution exercent toutes deux une activité concurrente de distribution et de vente d'accessoires pour motos, avec cette particularité que leur clientèle est constituée de distributeurs indépendants (concessionnaires, garagistes, etc.), lesquels sont à distinguer de la grande distribution. La seconde société conclut avec ses clients un " contrat de distribution Pro Quick Service ", avec utilisation d'une enseigne.
Le 30 avril 1997 la SA Motos Accessoires Delta a diffusé à son équipe de vente la note suivante :
" Norauto/IAC
Dans le Nord, à Villeneuve d'Ascq (Lille), IAC a installé tout un rayon d'accessoires (plaquettes, batteries, filtres, ...) chez Norauto [grand distributeur d'accessoires et de services liés à l'automobile]. Manifestement, ce Norauto est l'un des centres pilotes qui testent les ventes en vue d'une implantation massive très bientôt.
=>Saines réactions d'un gros concessionnaire de la région qui avait signé un contrat Pro Quick Service chez IAC :
- démontage immédiat de l'enseigne,
- résiliation du contrat,
- mailing à tous ses confrères qui ont signé chez IAC.
Colportez la bonne nouvelle chez tous les Quick Pro Service de votre région et aussi à tous ceux qui travaillent chez IAC.
Là encore, vous avez de jolis points de vente à conquérir ! "
La SA IAC Distribution a écrit le 16 mai 1997 à son concurrent pour contester l'existence d'un partenariat particulier avec Norauto, ainsi que le décrochage d'une enseigne Quick Pro Service, et a exigé la cessation de ce " comportement de concurrence déloyale caractérisée ", ainsi qu'une note d'information de sa part demandant à ses " commerciaux de changer immédiatement d'attitude ".
La SA Motos Accessoires Delta a répondu le 26 mai 1997: " La note de service interne dont vous avez eu connaissance n'était pas destinée à être diffusée. Son auteur s'est, peut-être, un peu emporté. Nous faisons donc le nécessaire auprès de nos commerciaux pour la rectifier " ; le même jour elle a établi une nouvelle note de service destinée à l'équipe de vente et rédigée comme suit : " Dans une note interne (...) du 30avril 1997 nous avons parlé d'un partenariat entre IAC Distribution et Norauto ainsi que de l'arrêt de collaboration entre IAC Distribution et le distributeur Pro Quick de Lille. Ces informations étaient mal étayées et nous vous demandons de ne pas en tenir compte. Merci également de bien vouloir jeter la note en question. "
Le Tribunal de commerce d'Aix en Provence, dans un jugement du 16 juin 1998, a :
- dit et jugé que la SA Motos Accessoires Delta a commis des actes de concurrence déloyale vis-à-vis de la SA IAC Distribution ;
- condamné la première à payer à la seconde les sommes de :
- 100 000 F (soit 15 244,90 euros) à titre de dommages-intérêts,
- 8 000 F (soit 1 219,59 euros) en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
- ordonné à la SA Motos Accessoires Delta de faire procéder à la publication d'un extrait de la présente décision relatif aux condamnations contre elle prononcées, et ce dans le mois suivant la signification qui lui sera faite, dans un quotidien et dans deux revues professionnelles, ajoutant que le montant maximum de ces publications ne saurait excéder 15 000 F (soit 2 286,74 euros).
La SA Motos Accessoires Delta a interjeté appel. Par conclusions du 27 novembre 1998 elle conteste que ses commerciaux aient utilisé les informations contenues dans la note interne du 30 avril 1997 pour jeter le discrédit sur la SA IAC Distribution ou pour en détourner la clientèle ; elle soutient que la diffusion d'informations dans ses services ne peut en soi constituer un acte de concurrence déloyale à partir du moment où le document n'est pas destiné au public, où il n'est à aucun moment établi que la note litigieuse a été diffusée par ses commerciaux auprès de la clientèle de son concurrent, et où cette note a été annulée à peine un mois plus tard ; elle expose que le préjudice allégué par ce dernier (baisse de son chiffre d'affaires) et retenu par le jugement n'est pas justifié, d'autant que le test de Villleneuve d'Ascq entre la SA IAC Distribution et Norauto a été immédiatement connu sur le marché restreint des professionnels des accessoires motos ; elle ajoute que seule l'attitude de son adversaire a entraîné une réaction de défiance à son encontre, bien compréhensible, de la part de l'ensemble des distributeurs.
L'appelante demande la réformation du jugement, ainsi que :
- le remboursement des sommes payées au titre de l'exécution provisoire (114 979,01 F soit 17 528,44 euros), outre intérêts légaux à compter du paiement effectif le 29 juillet 1998,
- la somme de 100 000 F (soit 15 244,90 euros) à titre de dommages-intérêts pour procédure révélant manifestement une mauvaise foi et une intention de nuire caractérisée ;
- la publication du dispositif de l'arrêt à intervenir aux frais de la SA IAC Distribution dans un journal national et deux revues spécialisées, dans un délai d'un mois à compter de son prononcé et sous astreinte de 1 000 F (soit 152,45 euros) par jour de retard ;
- la somme de 20 000 F (soit 3 048,98 euros) en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Concluant le 4 décembre 2001 la SA LAC Distribution reproche à son adversaire d'avoir faussement informé sa clientèle et de l'avoir directement poussée à rompre ses liens avec elle ; conteste qu'un gros client ait cessé ses relations avec elle, ait déposé l'enseigne Pro Quick Service, et ait adressé un mailing à ses confrères ; soutient que la note litigieuse du 30avril1997, et notamment la phrase " colportez (...) chez tous les Quick Pro Service (...) et tous ceux qui travaillent avec IAC " des informations qui sont en réalité fausses, sont constitutifs d'actes de concurrence déloyale par dénigrement et détournement de clientèle.
L'intimée considère que le document précité n'est pas une note interne au sens commun du terme, mais des directives précises du président de la SA Motos Accessoires Delta à ses représentants, lesquelles ont été diffusées oralement à l'ensemble de sa propre clientèle pour qu'elle suive l'exemple, lui aussi faux, du " gros concessionnaire " ; indique que l'installation par elle d'un rayon chez Norauto était un test, mais qu'il n'y a pas eu d'accord national ; et ajoute que ce test n'a été connu des professionnels que par un article paru 4 mois après la note litigieuse.
La concluante précise avoir subi un préjudice d'image ; un préjudice d'immobilisation de son personnel, lequel a dû en pleine saison estivale c'est-à-dire commerciale contrer la rumeur et restaurer un rapport de confiance avec la clientèle ; et un préjudice commercial puisque son chiffre d'affaires a diminué de plus de 10 %.
La SA IAC Distribution demande la confirmation du jugement sauf à porter les dommages-intérêts à la somme de 950 000 F (soit 144 826,57 euros), et demande en outre :
- la publication de l'arrêt à intervenir dans cinq revues spécialisées dont l'Officiel du Cycle et Moto Revue et dans un quotidien national à son choix, et aux frais de la SA Motos Accessoires Delta, dans le mois suivant sa signification et sous astreinte de 5 000 F (soit 762,25 euros) par jour de retard ;
- la somme de 50 000 F (soit 7 622,45 euros) en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 4 septembre 2002.
MOTIFS DE L'ARRÊT
Attendu que la recevabilité de l'appel n'est pas discutée ; qu'il n'existe aucune fin de non-recevoir susceptible d'être relevée d'office par la Cour.
Attendu que si la note de la SA Motos Accessoires Delta du 30 avril 1997 était en principe interne à cette entreprise puisque destinée à son équipe de vente, il ressort des attestations de deux représentants et d'un commercial de la SA IAC Distribution (Messieurs Teillet, Paulin et Coudray) que leurs clients ont été informés de l'existence de l'accord de partenariat avec Norauto annoncé par la note précitée ; que cette information, qui n'émanait pas de la SA IAC Distribution, provenait donc forcément des membres de l'équipe de vente de la SA Motos Accessoires Delta, puisque ces deux sociétés travaillent avec la même clientèle ; que ce partenariat n'a été annoncé dans la presse professionnelle qu'en septembre 1997 soit 4 à 5 mois plus tard ; que par suite le contenu de ladite note a été diffusé à d'autres personnes qu'à ses destinataires, ce qui le rend public contrairement à ce que prétend la SA Motos Accessoires Delta.
Attendu que si l'installation par la SA IAC Distribution d'un rayon d'accessoires motos chez Norauto était exact, le fait pour la SA Motos Accessoires Delta d'indiquer dans sa note litigieuse du 30 avril 1997 qu'un gros concessionnaire de la région de Lille, qui avait signé avec un contrat Pro Quick Service, l'a résilié, a démonté l'enseigne correspondante et a envoyé un mailing à tous ses confrères ayant conclu ce même contrat, ne correspond aucunement à la réalité; qu'est également fausse l'annonce " d'une implantation massive très bientôt " de Norauto (cette société ayant confirmé dans une attestation du 11 août 1997 l'absence de tout accord commercial avec la SA IAC Distribution); que par ailleurs, et surtout, la SA Motos Accessoires Delta, en écrivant aux membres de son équipe de vente : " Colportez la bonne nouvelle chez tous les Quick Service de votre région et aussi à tous ceux qui travaillent chez IAC. Là encore, vous avez de jolis points de vente à conquérir ! ", les incite nettement à répandre auprès de l'ensemble de la clientèle de la SA IAC Distribution, afin d'essayer de la détourner en sa propre faveur, une nouvelle qu'elle sait inexacte; que cette dernière va au surplus à l'encontre des pratiques tant d'elle-même que de son adversaire, lesquelles consistent dans une relation commerciale limitée à des distributeurs indépendants et excluant la grande distribution.
Attendu que la SA Motos Accessoires Delta, en jetant ainsi publiquement le discrédit sur les pratiques de la SA IAC Distribution, ce qui a eu pour conséquence que certains clients de cette dernière ont manifesté l'intention de la quitter ainsi qu'il résulte des 3 attestations précitées, commet un acte de dénigrement, lequel est constitutif de la concurrence déloyale; que par suite le jugement sera confirmé sur ce point.
Attendu que si la SA Motos Accessoires Delta a, le 26mai1997, annulé, suite aux exigences de la SA IAC Distribution, sa note du 30 avril précédent, ce délai, bien qu'assez court, n'a pour autant pas empêché les clients de la seconde d'envisager de la quitter si l'accord avec Norauto se concrétisait ; que ses représentants et commerciaux ont dû s'employer à les rassurer ; que cette situation a donc créé un préjudice commercial au début de la saison la plus active, puisque la pratique de la moto se concentre essentiellement sur les mois d'été où la météorologie est favorable ; que ce préjudice a été correctement chiffré par le tribunal de commerce, ce qui conduira la Cour à débouter la SA IAC Distribution de sa demande de dommages-intérêts supplémentaires.
Attendu que la publication du présent arrêt sera ordonnée, mais de la même façon que pour le jugement.
Attendu enfin que ni l'équité ni la situation économique de la SA Motos Accessoires Delta ne permettent de rejeter la demande faite par la SA IAC Distribution en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, sauf à réduire la somme à 3 000 euros.
Par ces motifs : La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ; En la forme, déclare recevable l'appel de la SA Motos Accessoires Delta ; Sur le fond, confirme le jugement du 16 juin 1998 ; Condamne en outre la SA Motos Accessoires Delta à payer à la SA IAC Distribution une indemnité de 3 000 euros par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Ordonne la publication, dans le quotidien " Libération " et dans les revues professionnelles " l'Officiel du Cycle et de la Moto " et " Moto Revue ", dans le mois suivant la signification du présent arrêt, aux frais de la SA Motos Accessoires Delta et dans la limite de 2 300 euros, du texte suivant : " Publication Judiciaire ; " Par arrêt rendu le 8 novembre 2002 la Cour d'Appel d'Aix en Provence : a confirmé le jugement du Tribunal de commerce d'Aix en Provence du 16 juin 1998 ayant condamné la SA Motos Accessoires Delta à payer à la SA IAC Distribution la somme de 100 000 F (soit 15 244,90 euros) à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale ; a ordonné la publication de sa décision aux frais de la SA Motos Accessoires Delta " ; Rejette toutes autres demandes ; Condamne la SA Motos Accessoires Delta aux entiers dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP d'Avoués Latil, Penarroya-Latil et Alligier conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure Civile.