CA Agen, 1re ch., 21 octobre 2002, n° 01-00336
AGEN
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Croustad'Oc (SARL)
Défendeur :
La Gersoise (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Brignol
Conseillers :
MM. Certner, Combes
Avoués :
Me Brunet, SCP Vimont
Avocats :
Mes Mespoulhe, Busquère-Beaury
La SARL Etablissement Darroze gérée par Monsieur Langlois, qui a pour enseigne commerciale la dénomination " Croustad'Oc ", implantée à Gimont commercialise après fabrication une pâtisserie sous forme de croustade aux pommes parfumée à l'armagnac, dite croustade gasconne.
La SARL La Gersoise, créée en 1996 et gérée par Monsieur Berard et Monsieur Labbe anciens salariés de Croustad'Oc, également implantée à Gimont commercialise des produits en se recommandant de la pâtisserie du terroir gascon. Elle fabrique des croustades à l'armagnac, distribuées en boulangeries, pâtisseries et restaurants, sous forme d'un produit précuit et surgelé.
Le 27.03.2000, Croustad'Oc a assigné la SARL La Gersoise devant le Tribunal de commerce d'Auch, soutenant que ses agissements sont constitutifs de concurrence déloyale et parasitaire, et demande que soit ordonnée, sous astreinte de 1 000 F par jour la cessation des agissements déloyaux, outre 800 000 F à titre d'indemnisation et 20 000 F en réparation de son préjudice moral résultant du trouble commercial.
Elle a également demandé l'exécution provisoire et 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par jugement du 16.02.2001, la juridiction a débouté Croustad'Oc de toutes ses demandes et l'a condamnée à payer à la Gersoise 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Croustad'Oc a relevé appel de cette décision et demande dans ses conclusions responsives et récapitulatives déposées le 15.02.2002, la réformation.
Au visa des articles 1382 et 1383 du Code civil elle soutient que la société La Gersoise est responsable d'actes de concurrence déloyale et qu'en commettant des actes de dénigrement et de concurrence parasitaire La Gersoise a commis des fautes.
Elle sollicite 800 000 F à titre d'indemnisation outre intérêts moratoires au taux légal et 200 000 F en réparation de son préjudice moral résultant du trouble commercial. Elle estime infondée la démarche reconventionnelle et demande 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Elle soutient avoir élaboré un concept commercial : 36 références de croustades pouvant être distribuées en " cru-surgelé " ou " cuit-frais ". Elle a acquis une renommée nationale et internationale.
Elle rappelle que Messieurs Berard directeur commercial et Labbe, responsable de production ont été licenciés économiques dans le cadre d'une restructuration en juin 1996 et que ceux-ci ont créé La Gersoise le 15.12.1996.
Selon elle La Gersoise ne se contente pas de démarcher systématiquement ses clients, mais reproduit exactement son concept commercial : elle produit des croustades absolument identiques, en 6 tailles et en 6 parfums dont un seul diffère des produits Croustad'Oc : la crème d'amande remplace la poire.
La composition des produits est identique : beurre vanillé, arôme artificiel, la présentation est exactement la même, utilisation d'un matériel strictement identique, le procédé de fabrication est identique selon l'attestation d'une ancienne salariée de La Gersoise, embauchée en raison de son expérience antérieure chez Croustad'Oc, ce savoir-faire immédiatement exploitable a permis à La Gersoise, dès son installation de commercialiser des produits et de détourner des chaînes de grossistes, clients de Croustad'Oc. La Gersoise propose des prix inférieurs et Croustad'Oc a perdu au profit de celle-ci la clientèle du grossiste Back Europ.
Elle lui reproche aussi le dénigrement et invoque le courrier reçu par " Au Pain de Géraldine " dans lequel La Gersoise annonce que " divers problèmes qualitatifs " ont conduit le franchiseur à changer de fournisseur. Elle ajoute que les propos désignaient incontestablement la société Croustad'Oc. Le courrier aurait été adressé à tous les franchisés des Pétrins Ribeirou, dont 60 % l'ont quitté pour La Gersoise.
Elle reproche également le comportement parasitaire, dont elle rappelle la définition. Ainsi La Gersoise a dès sa création copié les 36 références, proposé des croustades identiques. Les similitudes des gammes ne peuvent être dues au hasard, alors que les gérants sont d'anciens salariés et que la pâtisserie traditionnelle du Gers est une croustade à la pomme et à l'armagnac exclusivement.
Selon elle, l'ensemble de son concept a été repris. L'entière ressemblance est une preuve supplémentaire de la volonté de l'intimée de reprendre le travail d'autrui dans une vue intéressée. La Gersoise s'est développée dans son sillage, a utilisé sa renommée, son concept commercial et son savoir-faire.
Les fautes de dénigrement et de parasitisme lui ont causé un préjudice réparable.
Concernant le client Back Europ, perdu en 1997, la perte est de 3 057 600 F sur 3 ans. En ce qui concerne le client Pétrins Ribeirou il manque 19 clients à 3 496 F en moyenne pour 1999, 23 clients à 3 426 F en janvier 2000 et 18 clients à 4 055 F pour février 2000.
Elle conteste le dénigrement imputé à son salarié et s'oppose à la demande reconventionnelle de La Gersoise qui au surplus ne verse aucun élément sur l'évaluation de son préjudice.
Dans ses conclusions en réponse et récapitulatives déposées le 19.03.2002, La Gersoise, intimée, demande la confirmation du jugement et reconventionnellement sollicite la condamnation de Croustad'Oc à lui payer 30 500 euros à titre de dommages-intérêts en raison de ses actes de dénigrement de ses produits et de sa mauvaise foi, outre 4 600 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Elle fait valoir que la création de La Gersoise en 1996, n'a aucunement altéré les performances de Croustad'Oc depuis 1996, dont le chiffre d'affaires a augmenté, ainsi que le personnel.
Elle rappelle que Labbe et Berard n'étaient pas tenus par une clause de non-concurrence et que La Gersoise a été créée à la demande du grossiste Back Europ.
Elle conteste également avoir reproduit le concept et imité le produit.
Elle estime inopérante les diverses attestations produites émanant de la famille Darroze, d'une ancienne employée de Croustad'Oc à nouveau employée.
Elle rappelle que la présentation des produits et les produits eux-mêmes sont différents.
Elle n'a jamais été en possession du listing professionnel de l'appelante et n'a pas pris l'initiative de démarcher ses clients. Elle conteste également tout dénigrement et affirme ne pas vendre à perte.
Selon elle, l'appelante n'établit pas la preuve d'un lien de causalité entre les agissements déloyaux invoqués et la perte de clientèle et le chiffre d'affaires qu'elle aurait subie.
Elle s'estime victime d'actes de dénigrement de ses produits et donc fondée à demander à l'appelante 30 500 euros en réparation de son préjudice.
MOTIFS DE LA DECISION
Comme l'a retenu le tribunal et comme l'admettent les parties, il est constant que le contrat de travail liant Messieurs Berard et Labbe, gérants de la société La Gersoise, à la société appelante, dont ils étaient salariés, ne comportait aucune clause de non-concurrence ou de non-rétablissement dans une activité similaire.
D'autre part, c'est à juste titre que l'intimée rappelle que la croustade est un produit de pâtisserie régionale, typiquement gersoise fabriqué depuis des lustres, ce qui limite fortement son caractère d'originalité, susceptible d'entraîner une imitation sanctionnable.
De plus le risque de confondre les produits, déjà réduit puisqu'ils sont destinés à des professionnels de la restauration est ni contesté par les Etablissements Bianchi qui affirment que la confusion est impossible, le conditionnement, la nature des produits (pré-cuit surgelé) et le nom porté sur l'emballage ne peuvent prêter à confusion.
C'est aussi de façon pertinente que le jugement, après avoir relevé que le procédé de fabrication n'avait pas été protégé, en a déduit que l'imitation de ce procédé ne constituait pas, en elle-même un acte fautif, alors que la fabrication de croustades dans le Sud-Ouest est courante et traditionnelle.
De même il ne peut être tiré argument de l'emploi de matériels et de procédés identiques ou semblables pour fabriquer des produits de même genre, le beurre ayant souvent remplacé la graisse d'oie.
Surtout, la société La Gersoise qui aromatise spécialement ses croustades avec un " arôme spécial tourtières 48 % volumes " fabriqué spécialement pour elle, n'est pas le seul concurrent, fabriquant de croustades puisque ces produits sont fabriqués par de nombreux établissements de la région.
Quant à la baisse du chiffre d'affaires du 01.07.1998 au 01.12.1999 invoquée par l'appelante, c'est à juste titre que le tribunal après avoir rappelé les bilans aux 30.06.1996, 30.06.1997 et 30.06.1998 en a déduit qu'il était erroné d'affirmer qu'au 01.07.1998 l'activité avait fortement chuté. Au contraire la société d'expertise comptable Bourdil a souligné au 30.06.1998, la progression importante de l'activité.
D'autre part, les sociétés Back Europ et Pétrins Ribeirou, qui n'étaient liés par aucun contrat d'exclusivité étaient par conséquent libres de changer de fournisseur.
Enfin aucune vente à perte ne peut être imputée à l'intimée comme en attestent les comptables car les prix, certes plus faibles, concernent des produits pré-cuits surgelés, destinés à la grande distribution permettant des tarifs plus bas.
L'ensemble de ces éléments démontrent comme l'a retenu le tribunal par des motifs pertinents et suffisants qui méritent confirmation qu'aucune faute constitutive de concurrence déloyale, résultant d'un ensemble de comportements et de moyens déloyaux dégénérant en abus de droit, ne peut être imputée à la société La Gersoise.
La décision déférée sera confirmée en toutes ses dispositions et l'appelante condamnée aux dépens d'appel ainsi qu'à payer à l'intimée la somme de 2 280 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La demande reconventionnelle présentée par la société La Gersoise sera rejetée, faute par elle d'évaluer la réalité de son préjudice et d'en justifier.
Par ces motifs : LA COUR, Reçoit l'appel jugé régulier, le déclare mal fondé. Confirme le jugement du 16 février 2001 en toutes ses dispositions, Rejette la demande reconventionnelle présentée par la société La Gersoise ; Condamne la société Croustad'Oc aux dépens d'appel avec distraction au profit de la SCP Vimont, avoués, conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile ; La condamne en outre à payer à la société La Gersoise la somme de 2 280 euros (deux mille deux cent quatre vingt euros) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,