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Décisions

CJCE, 5e ch., 10 décembre 1985, n° 260-82

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Nederlandse Sigarenwinkeliers Organisatie

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Everling

Avocat général :

M. Verloren van Themaat

Juges :

MM. Joliet, Due, Galmot, Kakouris

CJCE n° 260-82

10 décembre 1985

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 24 septembre 1982, la Nederlandse Sigarenwinkeliers Organisatie a introduit, en vertu de l'article 173, alinéa 2, du traité CEE, un recours visant à l'annulation de la décision de la Commission du 15 juillet 1982, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV/29.525 et IV/30.000 SSI, JO L. 232, p. 1), et spécialement des articles 1er, 3 et 4 de cette décision dans la mesure ou ceux-ci concernent un accord sur les remises applicables aux magasins spécialisés.

2 Par ordonnance du Président de la Cour, statuant en référé le 14 décembre 1982, il a été sursis à l'exécution de l'article 4 de cette décision pour autant que celui-ci enjoint aux destinataires de la décision de mettre fin à l'accord sur les remises applicables aux magasins spécialisés (ci-après "accord sur les remises").

3 La Nederlandse Sigarenwinkeliers organisatrice (ci-après la "NSO") est une association de droit néerlandais qui défend les intérêts des détaillants en tabacs manufacturés aux Pays-Bas. Elle a pour objectif d'obtenir l'amélioration des conditions sociales et économiques de ses membres, notamment grâce à une concertation avec l'administration néerlandaise et l'industrie des tabacs manufacturés. La NSO compte plus de 1 500 membres.

4 Le présent recours a été introduit parallèlement à ceux de la Stichting Sigarettenindustrie (ci-après la"SSI") et de certains fabricants néerlandais de tabacs manufacturés qui font l'objet des affaires jointes 240, 241, 242, 261, 262, 268 et 269-82.

5 Comme la plupart des accords et pratiques concertées condamnés par la Commission dans sa décision susvisée, l'accord sur les remises a été adopté au sein de la SSI, qui est une fondation regroupant la presque totalité des fabricants et importateurs de tabacs manufacturés établis aux Pays-Bas. Une première version de l'accord sur les remises a été signée le 4 décembre 1974 par les membres de la SSI. Cet accord a été modifié le 24 janvier 1977. Cette version modifiée a été notifiée à la Commission le 20 septembre 1977.

6 Les membres de la SSI ont aussi conclu en 1976 un accord-cadre par lequel ils désignent la SSI comme le seul interlocuteur des pouvoirs publics pour les négociations portant, notamment, sur les prix de vente au consommateur final et les marges commerciales des grossistes et des détaillants Cet accord-cadre prévoit expressément que les membres de la SSI doivent respecter l'accord sur les remises conclu en 1974.

7 L'accord sur les remises prévoit l'octroi à certains commerçants dits spécialisés d'une prime annuelle d'un montant fixe pour tout millier de cigarettes acheté par les commerçants auprès des contractants. Le montant de cette prime a été augmente régulièrement et était, en 1978, de 0,75 florin par millier de cigarettes. La prime est accordée après que les détaillants ont fait parvenir en fin d'année à une Commission spécialisée mise en place par l'accord, une demande d'octroi de la prime accompagnée d'un relevé annuel de leurs achats de cigarettes. Les sommes nécessaires pour payer l'ensemble des primes ainsi demandées sont versées à la SSI par les fabricants en fonction de leur chiffre d'affaires respectif avec l'ensemble des commerçants spécialisés, chiffre qui est calculé par un organisme spécialisé et indépendant. La SSI effectue ensuite la répartition de ces sommes entre les différents détaillants pouvant bénéficier de la prime. Celle-ci est payée normalement le premier trimestre de l'année qui suit celle pour laquelle cette prime est accordée.

8 L'article 3 de l'accord sur les remises énonce les conditions que doivent remplir les commerçants pour bénéficier de la prime. Premièrement, leur assortiment doit comprendre au moins 60 % des marques qui sont offertes sur le marché néerlandais, sans qu'aucune discrimination puisse être opérée entre les contractants. Deuxièmement, ces commerçants doivent réserver un quart de leurs étalages et comptoirs à la présentation des cigarettes et de matériel publicitaire relatif aux cigarettes. Troisièmement, ils doivent collaborer au lancement de nouvelles marques. Enfin, ils doivent réaliser un chiffre d'affaires minimal (un million et demi) en cigarettes provenant des fabricants et importateurs parties à l'accord, qu'elles aient été achetées directement à ces fabricants ou importateurs ou qu'elles l'aient été par l'intermédiaire de grossistes. L'accord prévoit aussi qu'il ne peut être dénoncé de manière individuelle.

9 L'accord sur les remises fait partie d'un ensemble d'accords ou pratiques concertées touchant la marge commerciale des détaillants (c'est-à-dire la part du prix de vente au détail qui leur revient) adoptés par les membres de la SSI. Ainsi, ceux-ci ont conclu à la fin de 1979 un accord pour fixer la marge maximale des détaillants en cas de livraison directe. Cet accord prévoyait aussi le maintien de l'accord sur les remises.

10 Cet accord a été complété, a la même époque, par une pratique concertée entre les membres de la SSI relative à l'octroi d'une marge fixe pour les livraisons directes et par des pratiques concertées avec les grossistes pour l'octroi d'une marge maximale pour les livraisons de ceux-ci aux magasins spécialisés.

11 Enfin, les effets des accords et pratiques dont la description précède ont été renforcés par un autre accord conclu par les membres de la SSIle 23 avril 1975. Cet accord, qui détermine les règles de comportement en matière de vente de cigarettes, prévoit qu'aucune remise ne peut être accordée en dehors de celles convenues entre eux par les membres de la SSI.

12 Dans sa décision, la Commission a estimé que tous ces accords et pratiques concertées étaient contraires à l'article 85, paragraphe 1, du traité parce que supprimant toute possibilité de concurrence par les marges.

13 En ce qui concerne plus particulièrement l'accord sur les remises, la Commission a estimé que cet accord avait d'abord pour effet de restreindre sensiblement la concurrence sous forme de remises supplémentaires aux détaillants En effet, comme le montant de la prime est fonction du volume global d'achats auprès des parties à l'accord, tout effort du détaillants pour obtenir de ses fournisseurs une remise supplémentaire, en concentrant ses achats auprès de l'un ou de plusieurs d'entre eux, ou en leur rendant d'autres services, est rendu pratiquement sans objet. Par ailleurs, l'octroi de la prime constituerait une discrimination à l'égard des revendeurs qui ne remplissent pas les conditions fixées par l'accord. De plus, les conditions collectives prévues dans l'accord pour pouvoir bénéficier de la prime constitueraient des restrictions sensibles à la liberté d'action des détaillants. Enfin, l'application quasi générale de l'accord sur les remises aurait contraint en fait fabricants et importateurs qui s'introduisent sur le marché néerlandais à accorder aux détaillants une prime plus intéressante que celle consentie par les signataires de l'accord.

14 La Commission a refusé d'exempter l'accord au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité. Pour la Commission, un tel accord n'améliore pas la distribution car il a pour effet d'enlever aux détaillants la possibilité d'obtenir une prime qui serait fonction non du chiffre d'affaires global, mais des prestations fournies à chaque fabricant individuellement. En outre, les différentes conditions requises pour bénéficier de la prime ne contribueraient pas à améliorer la distribution. Enfin, les éventuels avantages qui pourraient résulter de ces différentes conditions profiteraient principalement aux fabricants et importateurs de cigarettes et ne pourraient être considères comme indispensables à la réalisation des objectifs recherches. Des amendes auraient pu être infligées pour la participation à l'accord sur les remises entre 1974, date de la conclusion de l'accord, et 1977, date de sa notification. La Commission a toutefois estimé qu'il n'y avait pas lieu de sanctionner les entreprises.

15 La Commission a aussi considéré que l'accord-cadre SSI de 1976 était contraire à l'article 85, paragraphe 1, du traité et ne pouvait être exempté, au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité, dans la mesure ou cet accord-cadre impose aux membres de la SSI le respect de l'accord sur les remises.

16 La NSO, qui est destinataire de la décision de la Commission, fait valoir a l'appui de son recours deux moyens, à savoir, en ordre principal, la non-réalisation des conditions d'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité et, en ordre subsidiaire, la violation de l'article 85, paragraphe 3, du traité CEE

I - Premier moyen : la non-réalisation des conditions d'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité

17 Les arguments avancés par la NSO à l'appui de ce moyen tendent d'abord à démontrer qu'une véritable concurrence n'étant pas possible aux Pays-Bas, l'accord sur les remises et l'accord-cadre SSI, dans la mesure ou il en impose le respect, ne peuvent avoir eu ni pour objet ni pour effet de la restreindre. L'impossibilité de la concurrence dans ce secteur résulterait du cadre législatif et des pressions des pouvoirs publics. La NSO fait valoir ensuite que ces accords n'ont pas pu restreindre de manière sensible la concurrence. Enfin, selon la NSO, ces accords n'étaient pas susceptibles d'affecter le commerce entre les Etats membres.

A - Les accords interdits n'auraient eu ni pour objet ni pour effet de restreindre la concurrence

1. Sur l'influence décisive que le cadre législatif aurait eue sur le comportement de la requérante

a) Description du cadre législatif

18 Il ressort du dossier que le législateur néerlandais a choisi, en conformité avec la directive 72-464 du Conseil, du 19 décembre 1972, concernant les impôts autres que les taxes sur le chiffre d'affaires frappant la consommation de tabacs manufacturés (JO L. 303, p. 1), de frapper les tabacs manufacturés essentiellement d'une accise ad valorem élevée (calculée en pourcentage du prix maximal de vente) plutôt que d'une accise spécifique (dont le montant est fixe par unité de produit).

19 La perception de ces accises est assurée grâce à des bandelettes que les fabricants ou importateurs achètent auprès de l'administration fiscale. Ces fabricants ou importateurs déterminent d'abord le prix de vente au détail de leurs produits, toutes taxes comprises. Ils acquittent ensuite les taxes comprises dans ce prix. Enfin, ils apposent sur leurs produits la bandelette fiscale qui indique le prix de vente au détail.

20 Selon l'article 30 de la loi néerlandaise sur l'accise (Wet op de Accijnzen van Tabaksfabrikanten, Staatsblad 208, ci-après "loi sur l'accise"), il n'est pas permis de vendre les tabacs manufacturés à un prix supérieur ou inférieur à celui indiqué sur la bandelette. De plus, l'article 28 de cette loi sur l'accise prévoit qu'un même tabac manufacturé ne peut être vendu qu'à un seul prix de détail, à moins qu'une distinction ne soit clairement faite à l'intérieur d'une marque ou par la marque indiquée sur le paquet de cigarettes. Des possibilités de dérogation existent toutefois.

21 Par ailleurs, dans le cadre de la lutte contre l'inflation, et sur la base de la loi sur le prix (Prijzenwet, staatsblad 135), les pouvoirs publics néerlandais ont mis en place depuis 1973, sous forme d'un arrête ministériel adopté chaque année, une réglementation des prix connue sous le nom de "Prijzenbeschikking Goederen en Diensten" (ci-après la "pgd"). Cet arrêté fixe les critères de calcul d'augmentation des prix de vente au détail en cas d'augmentation des coûts ou, à l'inverse, de réduction des prix de vente au détail en cas de diminution des coûts.

22 L'article 2 de la PGD interdit aux producteurs de vendre leurs produits à un prix superieur à celui auquel ce produit est vendu à une date déterminée (date de référence) augmenté du montant de l'augmentation des coûts de fabrication de ce produit depuis cette date ou, à l'inverse, diminué du montant de la réduction de ces coûts. L'article 3 de la PGD interdit à tout négociant de vendre un bien quelconque à un prix superieur à son prix d'achat augmenté d'une marge bénéficiaire maximale. Toutefois, un fabricant ou un négociant a toujours la possibilité de dépasser les maxima prévus par la PGD à la condition d'obtenir une autorisation spéciale du ministre des affaires économiques. Les infractions à la PGD sont passibles de sanctions pénales en vertu de la loi du 22 juin 1950 sur les délits économiques (Staatsblad, K 258).

b) Sur l'impossibilité alléguée d'une concurrence par les marges

23 La NSO considère que la réglementation néerlandaise a supprimé toute possibilité de concurrence en matière de marges à consentir au négoce.

24 Sur ce point, l'argumentation développée par la NSO est tirée de la contradiction qui existerait entre deux normes légales : l'article 3 de la PGD qui trouve sa base dans la loi sur les prix et l'article 30 de la loi sur l'accise. En effet, l'article 3 de la PGD obligerait tout détaillants à diminuer son prix de vente si son coût diminue. Lorsqu'un fabricant octroie une prime à certains détaillants et diminue ainsi d'autant leur prix d'achat, ces commerçants, en raison de l'article 3 de la PGD, seraient tenus de diminuer leur prix de vente au détail. La NSO qualifie ce mécanisme d' "effet domino". Toutefois, cet "effet domino" mettrait les détaillants en contravention avec l'article 30 de la loi sur l'accise, qui leur interdit de vendre les cigarettes à un prix différentiels de celui indiqué sur la bandelette fiscale. Par conséquent, toute prime, en augmentant la marge bénéficiaire des détaillants, conduirait nécessairement ceux-ci à enfreindre une norme légale. Dans ces conditions, les fabricants et importateurs n'auraient pas eu d'autre choix que de négocier les remises collectivement et en accord avec les pouvoirs publics de manière à ce que les détaillants obtiennent l'assurance de ne pas être poursuivis.

25 Pour sa défense, la Commission soutient principalement que la PGD a un fonctionnement particulier dans le secteur des tabacs manufacturés. L'effet domino tel qu'il est décrit par la NSO ne jouerait complètement que dans les secteurs ou les détaillants conservent le pouvoir de fixer les prix de vente. Il faudrait s'assurer alors que les avantages qui leur sont consentis sont finalement répercutés dans le prix de vente au détail. Tel serait le rôle de l'effet domino. Par contre, dans le secteur des tabacs manufacturés où les producteurs fixent eux-mêmes le prix de vente au détail, il ne serait pas nécessaire d'obliger les détaillants à répercuter les diminutions de coût dont ils bénéficieraient. Lorsqu'une autorisation ministérielle d'augmenter le prix est donnée, l'augmentation autorisée inclurait la totalité de la marge que ce prix permet d'assurer à l'industrie et au commerce. Mais la répartition de cette marge entre les différentiels opérateurs économiques pourrait donner lieu à une concurrence entre les producteurs. Par ailleurs, la Commission rejette l'argument de la NSO selon lequel il y aurait une autorisation implicite des pouvoirs publics de violer la PGD. Pour la Commission, on ne peut déduire des contacts qui ont eu lieu entre l'industrie et les pouvoirs publics que ceux-ci autorisaient implicitement les détaillants à enfreindre une norme légale.

26 L'argumentation de la NSO ne peut être suivie. En effet, en concluant un accord pour accorder une prime spéciale à certains détaillants, les fabricants ont fait collectivement ce que la NSO soutient qu'ils ne pouvaient faire individuellement. Le caractère concerté de la prime n'aurait pas empêché que les bénéficiaires de celle-ci auraient du être sanctionnés, si la législation néerlandaise avait la portée que la NSO lui attribue. Tel ne peut être le cas puisqu'il n'a pas été prouvé qu'un seul détaillants avait été condamné pour n'avoir pas transféré aux consommateurs un avantage qui lui avait été consenti par les membres de la SSI. La NSO ne peut non plus soutenir valablement que les pouvoirs publics ont autorisé implicitement les détaillants à enfreindre une norme légale puisque ces pouvoirs publics se sont bornés à faire part à l'industrie de leurs souhaits que le sort des commerçants spécialisés soit amélioré.

27 La Commission a d'ailleurs expliqué de manière convaincante en quoi la PGD a un fonctionnement particulier dans le secteur des tabacs manufacturés. Il ressort de ces explications que l'effet domino ne joue que dans les secteurs ou chacun des opérateurs économiques est libre de fixer son prix de vente, ce qui n'est pas le cas pour les tabacs manufacturés en raison de l'obligation que la loi sur l'accise impose aux détaillants de respecter le prix bandelette qui a été fixé par le producteur ou l'importateur.

c) Sur les pressions qui auraient été exercées par les pouvoirs publics

28 La NSO soutient que l'initiative de l'accord sur les remises émanait du ministre néerlandais des affaires économiques, qui aurait insisté avec force auprès de l'industrie pour son instauration et son maintien. Cette intervention des pouvoirs publics s'expliquerait par le souci de ceux-ci d'assurer un revenu supplémentaire aux détaillants. Or, cet objectif n'aurait pu être atteint que par la voie d'un accord collectif entre les fabricants. En effet, à défaut d'un tel accord collectif, un détaillant ne pourrait conclure un accord individuel de remise avec un fabricant qu'en acceptant de remplir des exigences sévères en matière d'aménagement des magasins ou de promotion des produits de ce fabricant. Ces exigences seraient telles que ce détaillant ne pourrait alors y satisfaire en même temps à l'égard d'un autre fabricant. Toujours dans l'hypothèse ou un accord collectif n'aurait pas été conclu, chaque fabricant aurait dû, pour permettre aux pouvoirs publics de vérifier si une remise suffisante était accordée aux détaillants, dresser la liste des accords individuels conclus avec tous les détaillants, ce qui aurait été difficilement réalisable.

29 La Commission reconnaît que l'administration néerlandaise a insisté auprès de l'industrie pour que celle-ci améliore le sort du commerce spécialisé. Toutefois, pour la Commission, la NSO n'a démontré ni que l'administration néerlandaise avait approuvé la conclusion d'un accord collectif horizontal restreignant la concurrence ni qu'elle avait incité à la conclusion d'un pareil accord. Il ne serait pas non plus établi que l'administration avait soulevé des objections à l'encontre d'un système de détermination individuelle des remises accordées aux détaillants.

30 Il n'est pas nécessaire d'examiner ici dans quelle mesure une pression ou une incitation des pouvoirs publics peut avoir pour effet de faire échapper des accords conclus par des entreprises à l'application de l'article 85 du traité. Il a certes été établi que les pouvoirs publics néerlandais ont mené avec les fabricants et importateurs intéressés différentes concertations au cours desquelles ils ont tracé certains objectifs qu'ils souhaitaient voir atteints en faveur du commerce au détail. Toutefois, il n'a pas été prouvé que les pouvoirs publics avaient indiqué que ces objectifs devaient être réalisés par la conclusion d'un accord anticoncurrentiel comme celui condamne par la décision attaquée.

2. Sur l'absence de restriction sensible de la concurrence

a) Sur l'absence de restriction de concurrence entre les fabricants parties à l'accord sur les remises

31 La NSO fait d'abord valoir que l'accord sur les remises ne limite pas la possibilité pour les détaillants de faire des efforts en faveur de certains fournisseurs et qu'en conséquence la concurrence entre les fabricants et importateurs n'est pas restreinte.

32 La Commission estime que, dans la présente affaire, la restriction essentielle à la concurrence résulte non pas tant des atteintes à la liberté d'action des détaillants que des obligations contractées par les fabricants et importateurs. En concluant l'accord sur les remises, les fabricants et importateurs ont restreint la concurrence sous forme de primes, puisque les détaillants n'ont plus intérêt à concentrer leurs achats auprès de l'un ou de plusieurs fabricants ou à leur rendre d'autres services.

33 Il convient d'abord de rappeler le système de paiement de la prime prévu par l'accord sur les remises. D'une part, les détaillants communiquent à la Commission spécialisée mise en place à cette fin le volume total de leurs achats de cigarettes provenant des fabricants parties à l'accord, sans préciser la part de cigarettes en provenance de chaque fournisseur. D'autre part, les fabricants et importateurs supportent, en fonction de leur chiffre d'affaires avec tous les commerçants spécialisés, la prime qui est versée aux bénéficiaires de l'accord sur les remises.

34 Dans un tel système, la prime est donc versée aux détaillants sans qu'il soit tenu compte des services particuliers rendus à un fabricant ou du volume des achats effectues auprès de ce fabricant. Un détaillant peut même recevoir une prime que tous les fabricants auront contribué à financer alors qu'il n'aura effectué aucun achat auprès de certains d'entre eux. Par conséquent, dans le cadre de l'accord sur les remises, un détaillant n'a aucun intérêt à favoriser les produits d'un fabricant déterminé puisqu'en toute hypothèse, la prime que ce détaillants percevront n'est pas dépendante des relations économiques particulières qui peuvent l'unir à ce fabricant.

35 Pareil système empêche que l'octroi d'une prime aux détaillants spécialisés donne lieu à une véritable concurrence entre fabricants et importateurs et limite le montant des primes individuelles supplémentaires. L'octroi d'une prime constituant un élément de prix de vente, les fabricants et importateurs ont en toute hypothèse conclu un accord visé par l'article 85, paragraphe 1, sous a), du traité.

b) Sur l'effet sur les tiers de l'accord sur les remises

36 La NSO soutient en premier lieu que, contrairement à ce qu'affirme la Commission au point 99, h), de sa décision, l'accord sur les remises n'affecte pas la position des fabricants tiers. Ceux-ci resteraient en effet libres de fixer le montant de la remise accordée à un détaillants qui écoule leurs produits.

37 Pour la Commission, l'accord sur les remises a pour effet d'entraîner la concentration des achats de cigarettes par les détaillants auprès des fabricants parties à l'accord. Cet effet résulte essentiellement de l'obligation qui est faite aux détaillants de réaliser un chiffre d'affaires assez élevé avec les fabricants parties à l'accord pour pouvoir bénéficier de la prime.

38 A cet égard, il convient de rappeler d'abord certaines caractéristiques de l'accord sur les remises. En premier lieu, bénéficient d'une remise uniquement les détaillants qui réalisent un chiffre d'affaires minimal avec les fabricants parties à l'accord. La NSO reconnaît elle-même que ce chiffre d'affaires est assez élevé et qu'un assez grand nombre de détaillants ne l'atteint pas. En deuxième lieu, ce chiffre d'affaires est calculé à la fin de chaque année. Enfin, si ce chiffre d'affaires est réalisé, la prime est calculée sur l'ensemble des achats effectués.

39 Un tel système joue au détriment des fabricants tiers. En effet, les détaillants au cours de année ont intérêt à concentrer leurs achats auprès des fabricants parties à l'accord de manière à atteindre le chiffre d'affaires minimal, dont il a été reconnu qu'il était élevé, et à bénéficier alors d'une remise de 0,75 florin pour chaque millier de cigarettes. En raison d'un achat auprès d'un tiers, le détaillants court le risque de ne pas atteindre en fin année ce chiffre d'affaires et de perdre ainsi le bénéfice de la prime. Pour compenser cette perte éventuelle, le tiers doit au minimum offrir une prime égale à celle obtenue auprès des parties pour 1,5 million de cigarettes, alors même qu'il ne chercherait à vendre qu'une quantité plus limitée.

40 De plus, ce n'est qu'en fin année que les détaillants savent s'ils ont atteint le chiffre d'achats minimal. Jusque-là, il y a une incertitude et cette incertitude est de nature à inciter tous les détaillants - y compris ceux qui ne bénéficieront pas en fin de compte de la prime - à concentrer leurs achats auprès des parties.

41 La NSO estime en deuxième lieu que les détaillants tiers à l'accord sur les remises ne subissent aucun préjudice, car ils peuvent négocier individuellement ou collectivement des accords de remise avec les fabricants et importateurs.

42 Pour la Commission, l'octroi d'une prime à certains détaillants constitue une discrimination, au sens de l'article 85, paragraphe 1, sous d), du traité, à l'égard des revendeurs exclus. Que ceux-ci puissent négocier des accords individuels ne changerait rien au fait que le droit à la prime leur est de toute façon refusé.

43 La Cour ayant conclu que c'est à juste titre que la Commission avait constaté que l'accord sur les remises restreignait la concurrence entre les fabricants et importateurs, il est inutile de vérifier si la Commission était également fondée a retenir le caractère discriminatoire de l'accord à l'appui de sa décision.

c) Sur l'absence de restriction sensible de la concurrence

44 La NSO soutient d'abord que la restriction de la concurrence entre les fabricants et importateurs parties à l'accord sur les remises n'est pas sensible, ceux-ci ayant conservé la liberté d'accorder à certains détaillants des remises individuelles supplémentaires.

45 La Commission, pour sa part, considère que l'accord sur les remises a exclu de facto toute possibilité d'obtenir des remises supplémentaires de la part d'un fabricant ou importateur.

46 L'argument de la NSO ne saurait être retenu. En effet, en l'espèce, il importe peu de savoir si l'accord sur les remises lui-même laissait les parties juridiquement libres d'accorder des remises supplémentaires individuelles car, en pratique, il réduit immanquablement le montant de celles-ci. Par ailleurs, pour apprécier le caractère sensible de la restriction de la concurrence, il faut tenir compte du contexte. A cet égard, il y a lieu de relever que les fabricants et importateurs ont conclu différents accords éliminant presque complètement la concurrence par les marges entre eux et qu'ils se sont interdits d'accorder aucune autre remise que celles convenues entre eux.

47 La NSO soutient ensuite que la restriction de la concurrence provoquée par l'accord sur les remises ne présente pas un caractère sensible puisque l'accord ne profite en fait qu'à un groupe spécifique de commerçants qui effectuent seulement 20 % des ventes de cigarettes aux Pays-Bas. De plus, la remise supplémentaire accordée aux bénéficiaires de l'accord serait minime puisqu'elle ne représenterait qu'approximativement 0,6 % du prix de vente final et 7 % de la marge bénéficiaire des détaillants.

48 La Commission, pour sa part, rappelle que l'accord sur les remises a été signé par des firmes qui réalisent ensemble plus de 90 % du chiffre d'affaires global aux Pays-Bas pour les tabacs manufacturés. Dans ces conditions, et compte tenu du type d'accord, la restriction de la concurrence ne pourrait être tenue pour insignifiante.

49 A cet égard, il suffit de constater qu'un accord qui restreint la concurrence entre la plupart des fabricants et importateurs opérant dans un secteur et qui institue une prime représentant 7 % de la marge bénéficiaire des détaillants a par hypothèse pour effet d'entraîner une restriction de la concurrence présentant un caractère sensible.

B - Sur l'absence d'affectation du commerce entre les Etats membres

50 La NSO estime que l'accord sur les remises n'affecte pas le commerce entre les Etats membres, au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité. En premier lieu, les tabacs manufacturés, dès qu'une bandelette fiscale y a été apposée, ne pourraient plus être importés ou exportés dans un autre Etat membre. En deuxième lieu, les tabacs manufacturés qui n'ont pas encore été pourvus de bandelettes fiscales feraient certes l'objet d'échanges entre entreprises d'un même groupe. Mais comme, dans ce cas, ils n'auraient pas encore été mis dans le commerce dans un Etat membre, les accords les concernant ne seraient pas susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres. En troisième lieu, les détaillants auraient aussi bénéficié de la prime pour les cigarettes importées par les membres de la SSI puisque l'on tient compte de celles-ci pour le calcul du volume de cigarettes qu'ils ont vendu. Enfin, même s'il y a influence sur le commerce entre Etats membres, elle ne serait pas sensible étant donne que les ventes effectuées par les détaillants bénéficiaires de l'accord sont relativement faibles.

51 Pour la Commission, l'article 85 du traité n'exige pas que le commerce entre Etats membres soit restreint, mais seulement que l'altération de la concurrence soit susceptible d'affecter ce commerce, sinon directement, du moins effectivement ou potentiellement. Or, les parties aux accords et pratiques litigieux occuperaient 90 % du marché néerlandais et interviendraient pour une part importante dans les importations entre Etats membres. Dans ces conditions, et à la lumière des points 170 à 172 de l'arrêt du 29 octobre 1980 (Van Landewijck/Commission, 209 à 215 et 218-78, rec. P. 3125), il parait difficile a la Commission d'affirmer que la condition d'affectation du commerce entre Etats membres n'est pas remplie. Par ailleurs, l'argumentation de la NSO montrerait bien qu'il y a effectivement effet sur le commerce entre les Etats membres puisque l'accord sur les remises joue aussi pour les cigarettes importées.

52 Ainsi que la Cour l'a constaté dans son arrêt du 30 juin 1966 (Société Technique minière, 56-65, rec. P. 337), pour qu'un accord soit susceptible d'affecter le commerce entre les Etats membres, "l'accord dont il s'agit doit, sur la base d'un ensemble d'éléments objectifs de droit ou de fait, permettre d'envisager avec un degré de probabilité suffisant qu'il puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle sur les courants d'échanges entre Etats membres. Dès lors, pour rechercher si un contrat relève du champ d'application de l'article 85, il convient de savoir s'il est en mesure notamment de cloisonner le marché de certains produits entre les Etats membres et de rendre ainsi plus difficile l'interpenetration économique voulue par le traité". Il convient de souligner que l'effet de cloisonnement des marchés n'est qu'un exemple d'influence sur le commerce entre Etats membres visée par l'article 85, paragraphe 1, du traité.

53 Par conséquent, même en l'absence de cloisonnement des marchés, un accord entre entreprises établies dans un Etat membre et ne couvrant que le marché de cet état touche le commerce entre Etats membres au sens de l'article 85 du traité, dès lors qu'il porte, ne serait-ce que pour partie, sur un produit provenant d'un autre Etat membre et alors même que les participants auraient obtenu le produit auprès d'une société de leur groupe.

54 Il convient de constater qu'au regard de ce principe, l'accord sur les remises touche au commerce entre Etats membres au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité, étant donné que la prime est calculée également en fonction des cigarettes qui proviennent d'autres Etats membres.

55 L'argument de la requérante concernant le caractère non sensible de l'effet sur le commerce entre Etats membres n'est pas fondé. Une grande partie des tabacs manufacturés qui sont commercialisés aux Pays-Bas proviennent d'autres Etats membres et les fabricants et importateurs parties à l'accord sur les remises effectuent eux-mêmes la grande majorité de ces importations. Il faut relever en outre que l'accord sur les remises est de nature à entraver les efforts de pénétration du marché néerlandais de la part de fabricants tiers des autres Etats membres.

56 C'est donc à juste titre que la Commission a constaté que l'accord sur les remises et l'accord-cadre SSI, dans la mesure où il en impose le respect, étaient susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres.

57 Le premier moyen doit être rejeté dans son ensemble.

II - Deuxième moyen : la violation de l'article 85, paragraphe 3, du traité CEE

58 La NSO estime d'abord que l'analyse faite par la Commission des conditions pour bénéficier de l'accord sur les remises est inexacte. Ainsi, contrairement à ce qu'affirme la Commission, l'obligation pour le détaillants de réaliser au moins 60 % de son chiffre d'affaires en tabacs manufacturés ne défavoriserait pas les petits commerçants spécialisés puisqu'il s'agit d'un chiffre relatif et non d'un chiffre absolu. Toujours selon la NSO, il n'est pas très difficile de remplir l'obligation d'avoir un assortiment minimal et cet assortiment minimal permet de faire face aux demandes spécifiques des clients. Par ailleurs, l'obligation de réserver un quart de l'étalage aux cigarettes ne serait pas un inconvénient pour les détaillants, qui seraient d'ailleurs sans doute soumis à des obligations plus lourdes s'ils devaient conclure des accords individuels de remise. Enfin, l'obligation de réaliser un chiffre d'affaires minimal aurait été prévue pour répondre au souci des pouvoirs publics de n'encourager que le commerce de détail rentable.

59 La NSO fait valoir ensuite qu'une exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité aurait du être accordée àl'accord sur les remises. En premier lieu, les détaillants, qui sont les "clients" de l'accord, sont satisfaits d'obtenir une remise. Par ailleurs, les fabricants contribuent ainsi au maintien du réseau de distribution spécialisé dont ils ont besoin. Enfin, les consommateurs ne subissent aucun désavantage puisque les prix de vente au détail des tabacs manufacturés fixés par les fabricants ou les importateurs revêtent un caractère obligatoire en vertu de l'article 30 de la loi sur l'accise. Bien au contraire, les consommateurs tirent un avantage des primes versées aux commerçants spécialisés puisqu'ils peuvent bénéficier des services des commerçants maintenus ainsi en vie.

60 En ce qui concerne les prétendues inexactitudes contenues dans sa décision, la Commission se borne à relever que la NSO n'a pas démontré en quoi elle aurait dénaturé les faits ou en aurait tiré des conclusions erronées.

61 Quant au refus d'exemption, la Commission fait valoir d'abord que, pour apprécier si l'accord sur les remises améliore la distribution, il est sans pertinence de savoir que les détaillants approuvent cet accord. L'accord ne serait pas non plus nécessaire pour procurer aux fabricants les avantages qu'ils prétendent en retirer. Enfin, en ce qui concerne les consommateurs, la Commission rappelle l'arrêt du 29 octobre 1980 (Van Landewijck/Commission, 209 à 215 et 218-78, précité) où la Cour a déclaré que "le nombre d'intermédiaires et de marques ne constitue pas nécessairement le critère essentiel d'une amélioration de la distribution au sens de l'article 85, paragraphe 3, du traité".

62 Il suffit de relever à cet égard que c'est à juste titre que la Commission estime qu'il n'a été démontré ni que la prime était nécessaire au maintien d'un réseau de commerçants spécialisés ni que les remises équivalentes n'auraient pu être octroyées en l'absence d'accord liant la majorité des fabricants et importateurs de tabacs manufacturés.

63 Il résulte de l'ensemble des considérations exposées ci-dessus que le recours doit être rejeté comme non fondé.

Sur les dépens

64 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La requérante ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, LA COUR (cinquième chambre) déclare et arrête : 1) le recours est rejeté ; 2) la requérante est condamnée aux dépens.