Ministre de l’Économie, 19 juillet 2002, n° ECOC0300018Y
MINISTRE DE L’ÉCONOMIE
Lettre
PARTIES
Demandeur :
MINISTRE DE L'ECONOMIE
Défendeur :
Président de la société APPIA
MINISTRE DE L'ÉCONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE
Monsieur le Président-directeur général,
Par dépôt d'un dossier déclaré complet le 21 mai 2002, vous avez notifié l'acquisition par la société Eiffage de la totalité du capital de la société Générale Routière. L'opération a été réalisée le 25 décembre 2002, à la suite d'un contrat de cession signé le 23 décembre 2001. Après son acquisition par Eiffage, la Générale Routière a été intégrée au sous-groupe Appia, présent notamment dans les métiers de la route et de l'assainissement.
L'opération d'acquisition de la Générale Routière par Eiffage constitue une concentration au sens de l'article L. 430-2 du Code de commerce, avant sa modification par la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001.
Pour l'exercice 2000, les chiffres d'affaires consolidés des groupes Eiffage et Générale Routière étaient respectivement de 6,2 milliards d'euros, dont 5,4 milliards en France, et de 684 millions d'euros, dont 637 millions en France. L'opération n'est pas de dimension communautaire. Elle relève ainsi du contrôle national des concentrations sur le fondement de l'article L. 430-1 du Code de commerce, avant sa modification par la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001.
La société Eiffage est cotée en bourse, 36 % de son capital étant détenu par le public. Les autres principaux actionnaires sont BNP Paribas (29,5 % du capital) et Eiffage 2000 (23 % du capital), société civile regroupant les salariés actionnaires. Les activités du groupe Eiffage sont organisées autour de cinq grands pôles : (1) les métiers du bâtiment, du génie civil, et de l'immobilier via le sous-groupe Eiffage Construction; (2) les travaux routiers et de l'assainissement, via le sous-groupe Appia; (3) les métiers de l'installation électrique, via le sous-groupe Forclum; (4) la construction métallique, via la société Eiffel; (5) les concessions d'autoroutes, de tunnels autoroutiers et de parkings.
Au moment de son acquisition, le groupe Générale Routière était présent dans (1) les métiers de la route, (2) les travaux de terrassement, (3) le génie civil et (4) les travaux d'assainissement et de réseaux. Le groupe était essentiellement présent dans les régions du Nord de la France, ainsi que dans les régions Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d'Azur et Midi-Pyrénées. Par convention signée le 25 janvier 2002, Eiffage a convenu de céder au groupe Diane les activités de génie civil et de terrassement, exercées par la société Entreprise Hydraulique et Travaux Publics (ci après " EHTP "), filiale de la Générale Routière. Cette cession a été formalisée par un protocole d'accord signé le 15 mai 2002 (cf. note 1). L'acquisition du groupe Générale Routière permet à Eiffage de se renforcer essentiellement dans les métiers de la route et de l'assainissement, notamment dans le Nord de la France.
La Fédération nationale des travaux publics (ci-après " FNTP ") a établi une nomenclature distinguant douze grandes catégories d'activités de travaux publics. Après cession à un tiers des activités de génie civil et de terrassement de la Générale Routière, et en se basant sur la nomenclature de la FNTP, les groupes Eiffage et Générale Routière sont présents tous les deux dans les activités de (1) travaux de routes, d'aérodromes et travaux analogues et de (2) travaux de la filière eau et environnement.
Les marchés de produits
Les travaux de routes, d'aérodromes et travaux analogues
En matière de travaux routiers, conformément à l'avis n° 01-A-08 du Conseil de la concurrence et à l'arrêté interministériel du 22 juin 2001 relatifs à l'acquisition du groupe GTM par la société Vinci (cf. note 2), il convient de distinguer d'une part les activités de pose des revêtements de chaussée et d'autre part les activités de fabrication de ces revêtements.
En ce qui concerne les activités de fabrication des revêtements, il convient, conformément à l'arrêté précité, de distinguer quatre marchés de produits : (i) granulats, (ii) béton, (iii) émulsion et (iv) enrobés à chaud. En effet, chacune de ces quatre techniques correspond à un usage spécifique et n'est que très faiblement substituable aux autres.
En ce qui concerne les activités de pose de revêtements, la FNTP distingue, dans la nomenclature qu'elle a dressée, jusqu'à huit catégories de profils d'entreprises selon l'importance des moyens mis en œuvre et des travaux. A cet égard, il apparaît que les très gros travaux, tels que ceux concernant au moins les chaussées d'autoroutes et les pistes d'aérodrome, nécessitent des moyens techniques et matériels que seuls certains opérateurs peuvent fournir. La question d'une segmentation plus fine en ce qui concerne la pose de revêtements peut donc être posée. Toutefois, cette question peut être laissée ouverte car, quelle que soit la définition adoptée, les résultats de l'analyse concurrentielle n'en seront pas modifiés.
On notera que les parties fournissent et posent par ailleurs des équipements pour la route (essentiellement : glissières de sécurité métalliques ou en béton, signalisation, clôtures). Ces activités peuvent être distinguées des autres travaux routiers dans la mesure où elles sont souvent exercées par des entreprises spécialisées qu'elles appartiennent à des groupes (Arbex pour la Générale Routière, Gailledrat pour Eiffage, Somaro pour Colas) ou qu'elles soient indépendantes. On peut donc, sur la base de ces éléments, distinguer un marché des équipements de la route. La question peut être posée quant à une segmentation plus fine. Toutefois, cette question peut être laissée ouverte car, quelle que soit la définition adoptée, les résultats de l'analyse concurrentielle n'en seront pas modifiés.
Les travaux de la filière eau et environnement
Dans son avis précité, le Conseil a défini un marché des travaux de réseaux, canalisations et autres, en souterrain. Cette définition regroupe deux activités identifiées par la nomenclature de la FNTP : celle de la pose de canalisations pour le transport de fluides de toute nature, d'une part, celle des travaux dits de la filière eau, pour les besoins des agglomérations urbaines et rurales, des collectivités et industries, en eau, fluides divers, assainissement et transformation, d'autre part. En ce qui concerne la première activité, la FNTP précise, dans le document présentant la nomenclature des travaux publics, que " ces travaux impliquent des chantiers à caractère linéaire nécessitant la disposition d'un personnel spécialisé et des moyens mécaniques adaptés aux diamètres et aux tonnages unitaires permettant la réalisation de cadences élevées. Ils nécessitent l'emploi de méthodes particulières. " La question d'une segmentation plus fine peut donc être posée. Toutefois cette question peut être laissée ouverte car, quelle que soit la définition adoptée, les résultats de l'analyse concurrentielle n'en seront pas modifiés.
Les marchés géographiques
Les travaux de routes, d'aérodromes et travaux analogues
En ce qui concerne les marchés de la production des revêtements, la dimension est locale pour les granulats, les émulsions, et les enrobés à chaud.
En ce qui concerne les granulats, les ministres ont, dans l'arrêté précité, considéré que " la dimension géographique du marché de l'approvisionnement en granulats est (...) essentiellement de nature locale avec des dimensions restreintes du fait du caractère pondéreux et de la faible valeur unitaire des granulats ". Le Conseil a relevé dans sa décision n° 2000-D-16 (cf. note 3) que " le prix est multiplié par deux lorsque les granulats sont livrés à plus de quarante kilomètres de leur lieu d'extraction ". Ces considérations permettent de retenir un marché local d'environ de 40 kilomètres de rayon autour de chaque carrière.
Toutefois, dans l'arrêté précité, les ministres ont considéré que " la question de l'existence de carrières de granulats à vocation nationale, et donc d'un marché national de granulats en sus des marchés locaux, peut être posée dans la mesure où certaines régions déficitaires en granulats doivent en importer d'autres régions, notamment par voie fluviale ou chemin de fer ". Une telle question peut cependant être laissée ouverte car les chevauchements d'Eiffage et de la Générale Routière sont en tout état de cause peu importants.
En ce qui concerne les émulsions, le Conseil a considéré dans son avis précité que le marché géographique " ne couvre pas plus de trois ou quatre départements, pour des motifs d'efficacité commerciale et de réduction des coûts de production, et en raison du coût de transport de l'émulsion ". En conséquence, pour les besoins de la présente analyse, une dimension régionale sera retenue, sans qu'il soit besoin d'affiner la dimension locale de l'approvisionnement des émulsions, dans la mesure, où, quelle que soit la dimension géographique retenue, les résultats de l'analyse concurrentielle n'en seront pas modifiés.
En ce qui concerne les enrobés à chaud, le Conseil et les ministres, respectivement dans leur avis et arrêté précités, ont considéré que le rayon d'action d'une centrale d'enrobés à chaud fixe était d'environ 40 kilomètres. En conséquence, pour les besoins de la présente analyse, il sera retenu des marchés locaux dans une zone ayant un rayon de 40 kilomètres autour de chaque centrale.
En ce qui concerne le béton, cette technique est utilisée pour les routes à très grand trafic et les pistes d'aéroports. Au cas présent, il n'est pas nécessaire de définir la dimension géographique de ce marché, dans la mesure où Générale Routière ne produit pas un tel revêtement.
En ce qui concerne la pose de revêtements routiers, le Conseil a relevé, dans son avis précité, que " l'essentiel du marché des revêtements routiers est constitué par les enrobés à chaud, principalement pour la réalisation de chaussées neuves ou les réfections importantes de chaussées existantes " et que " la pose de revêtements routiers à chaud ou en béton est un métier de proximité, tant pour des raisons techniques, liées au délai de pose du produit, que pour des raisons logistiques : nécessité de disposer de la main d'œuvre sur place, obligation de réduire au maximum la durée de la gêne pour le trafic et, s'agissant de produits pondéreux, d'éviter des coûts de transports prohibitifs ". La question de la dimension géographique peut cependant être laissée ouverte car, en tout état de cause, les résultats de l'analyse concurrentielle n'en seront pas modifiés. Au cas particulier, dans la mesure où Eiffage a été à même de fournir des informations par département, une dimension départementale sera retenue afin de faciliter l'analyse.
En ce qui concerne la fourniture et la pose d'équipements de la route, la question de la dimension géographique peut être laissée ouverte dans la mesure où, quelle que soit la dimension retenue, les résultats de l'analyse concurrentielle n'en seront pas modifiés. En conséquence, pour les besoins de la présente analyse une dimension nationale sera retenue.
Les travaux de réseaux, canalisations et autres, en souterrain
Vous estimez que " les travaux de réseaux et assainissements sont (...) exécutés en fourniture et pose à partir d'implantations locales qui peuvent avoir aussi recours à la sous-traitance. Le rayon d'action est de l'ordre de 70 km alentours ". Si la question d'une délimitation locale peut être posée, elle peut cependant être laissée ouverte car les résultats de l'analyse concurrentielle n'en seront pas modifiés. Au cas particulier, dans la mesure où les statistiques existantes les plus précises sont fournies sur une base régionale par le syndicat des Canalisateurs, une dimension régionale sera retenue afin de faciliter l'analyse.
Analyse concurrentielle
La production de granulats
En ce qui concerne la production de granulats, Eiffage et Générale Routière ne sont présents simultanément que dans deux zones.
La première est à cheval sur les départements du Lot, de l'Aveyron, du Tarn et de Tarn-et-Garonne. Eiffage détient une participation de 19 % dans la carrière de Grésigné (Tarn) et la Générale Routière contrôle à 100 % la carrière de Laguépie (Tarn). La zone comprend onze autres carrières de granulats dans lesquelles aucun des deux groupes n'a de participation. En conséquence, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence par création ou renforcement de position dominante sur ce marché local des granulats.
La seconde zone est à cheval sur les départements du Calvados, de la Manche et de l'Orne. Trois carrières y sont contrôlées à 100 % par Eiffage et une autre est détenue, également à 100 %, par la Générale Routière. La zone comprend seize autres carrières, dans lesquelles les deux groupes n'ont aucune participation. En conséquence, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence par création ou renforcement de position dominante sur ce second marché local des granulats.
La production d'émulsion
En ce qui concerne la production d'émulsion, Eiffage et la Générale Routière ne sont simultanément présents de manière significative que dans le département des Bouches-du-Rhône. Eiffage y contrôle une usine à 100 % (Arbois Enrobés) et une autre à 65 % (Emulsions de Provence). La Générale Routière détient 40 % de l'usine Société générale de liants. Il existe d'autres centrales qui ne sont contrôlées par aucun des deux groupes, aussi bien dans le département même (usine B3R) que dans les départements voisins (usines LRG dans l'Hérault, Languedoc Emul dans les Pyrénées-Orientales, Liants varois dans le Var, Pico dans les Alpes-de-Haute-Provence). En conséquence, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence par création ou renforcement de position dominante sur les marchés de la production d'émulsion.
La production d'enrobés à chaud
En ce qui concerne la production d'enrobés à chaud, les groupes Eiffage et Générale Routière n'étaient présents simultanément que sur huit zones. Les additions de parts de marché ne sont significatives que sur quatre zones.
Dans la première zone, située dans le Calvados, Eiffage et la Générale Routière contrôlent chacune une centrale à 100 % et détiennent respectivement [10-20] % et [10-20] % de la production d'enrobés. Dans la même zone, Colas, qui contrôle à 100 % la plus grosse centrale, est l'opérateur le plus important avec [30-40] % de la production. D'autres opérateurs sont également présents de manière significative sur cette zone : Vinci ([0-10] % de la production), Le Foll ([10-20] %), Toffolutti ([10-20] %).
Dans la deuxième zone, située à cheval sur les départements de l'Oise et du Val-d'Oise, Eiffage et la Générale Routière détiennent respectivement [0-10] % et [0-10] % de la production d'enrobés. Trois autres opérateurs sont également présents de manière significative sur la zone Colas, Vinci, et Lhotellier, avec respectivement [30-40] %, [20-30] % et [10-20] % de la production.
Dans la troisième zone, située à cheval sur les départements de l'Aisne et de la Marne, Eiffage et la Générale Routière détiennent respectivement [0-10] % et [20-30] % de la production d'enrobés. Colas aura à peu près la même part ([30-40] %) de la production que la nouvelle entité, devant Vinci qui détient [20-30] % de la production de la zone.
Dans la quatrième zone, située à cheval sur les départements de l'Aisne et du Nord, Eiffage et la Générale Routière détiennent respectivement [10-20] % et [30-40] % de la production d'enrobés. Un indépendant, Veyer, assure près de [40-50] % de la production de la zone, devant Colas avec [0-10] %.
Dans les quatre zones examinées, à la suite de l'opération, Eiffage se retrouve face à des opérateurs significatifs, qu'ils soient de taille locale ou nationale.
En conséquence, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés locaux de la production d'enrobage à chaud, par voie de création ou de renforcement de position dominante au profit d'Eiffage.
La pose de revêtements routiers
L'analyse des marchés, dans les départements où Eiffage et la Générale Routière étaient simultanément présents, fait apparaître que l'opération confère à la nouvelle entité des parts comprises entre [0-10] % (Eure et Seine-Saint-Denis) et [20-30] % (Aude). Ces parts sont souvent inférieures, voire équivalentes, à celles des deux autres principaux concurrents nationaux que sont Colas et Vinci ou à celles de quelques autres opérateurs indépendants.
En conséquence l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés locaux de la pose de revêtements routiers, par voie de création ou de renforcement de position dominante au profit d'Eiffage.
La fourniture et la pose d'équipements de la route
Ces activités sont exercées essentiellement par Arbex pour la Générale Routière et par Gailledrat, Elaf et Star pour Eiffage. Les parts de marché d'Eiffage et de la Générale Routière étaient, avant l'opération, respectivement de [10-20] % et [0-10] %. Eiffage renforce significativement sa place de deuxième, derrière Colas (environ [20-30] % de part de marché) et devant Vinci (environ [0-10] %). Un peu moins de [30-40] % du marché est par ailleurs occupé par de nombreux autres concurrents indépendants.
En conséquence, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché de la fourniture et de la pose d'équipements pour la route, par voie de création ou de renforcement de position dominante au profit d'Eiffage.
Les travaux de réseaux, canalisations et autres, en souterrain
Eiffage et la Générale Routière exerçaient simultanément ces activités dans quatre régions Bretagne, Ile-de-France, Haute-Normandie et Pays de la Loire. Au total la part de marché de la nouvelle entité sera inférieure à [0-10] % sur chacune des quatre régions concernées. Au niveau national la part d'Eiffage dans cette activité passera de [0-10] % à [0-10] %, à la suite de l'opération.
En conséquence l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés des travaux de réseaux, canalisations et autres, en souterrain, par voie de création ou de renforcement de position dominante au profit d'Eiffage.
Il ressort de ces éléments que l'opération de concentration visée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les différents marchés identifiés. Je vous informe donc qu'il n'est pas dans mon intention de saisir le Conseil de la concurrence de cette concentration.
Je vous prie d'agréer, monsieur le président-directeur général, l'expression de mes sentiments les meilleurs.
Nota. - A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées et la part de marché exacte remplacée par une fourchette plus générale.
NOTE (S) :
(1) Erreur matérielle : la cession de l'ensemble des activités de génie civil et de terrassement acquises auprès de la Générale Routière a été réalisée en 2 fois par le biais de deux accords signés respectivement les 25 janvier et 15 mai 2002.
(2) BOCCRF n° 1 du 21 janvier 2002.
(3) BOCCRF n° 6 du 23 mai 2000 : décision en date du 12 avril 2000, relative à deux saisines de la société Les Carrières de Sainte-Marthe.