CCE, 6 décembre 1983, n° 83-622
COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Décision
Schlegel-CPIO
LA COMMISSION DES COMMUNAUTES EUROPEENNES,
Vu le traité instituant la Communauté économique européenne, vu le règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité CEE (1) , modifié pour la dernière fois par l'acte d'adhésion de la Grèce, et notamment ses articles 2, 4, 6 et 8, vu la demande d'attestation négative adressée le 16 février 1983 à la Commission, conformément à l'article 2 du règlement n° 17, par la Schlegel Corporation de New York (Schlegel) et la Compagnie des produits industriels de l'Ouest SA de Nantes (CPIO) , portant sur un accord de communication de savoir-faire daté du 10 décembre 1979, vu la notification adressée à la Commission le 20 mai 1980, conformément à l'article 4 paragraphe 1 du règlement n° 17, par Schlegel et CPIO, d'un accord daté du 10 décembre 1979, concernant l'achat et l'utilisation d'un produit en amont fourni par Schlegel en vue de la fabrication de joints d'étanchéité pour véhicules automobiles, vu la décision de la Commission du 28 juillet 1983 d'engager la procédure, vu la publication (2) de l'essentiel du contenu de la demande et de la notification conformément à l'article 19 paragraphe 3 dudit règlement n° 17, après consultations du comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes, Considérant ce qui suit:
I. LES FAITS
(1) Schlegel est un fabricant de produits en caoutchouc et en plastique, et notamment de joints d'étanchéité à fixer autour des portes, fenêtres et autres ouvertures de véhicules automobiles. Schlegel a mis au point un produit nouveau, le wire carrier, élément composé de textile et de métal destiné à renforcer lesdits joints. Les joints d'étanchéité comportant le wire carrier permettent aux constructeurs automobiles d'appliquer la technique du serrage à griffes et d'avoir recours à un processus de production plus automatisé.
(2) CPIO, qui est une filiale à part entière de la régie Renault, fabrique essentiellement des éléments moulés en caoutchouc et en plastique. CPIO a d'abord acheté auprès de Schlegel des joints d'étanchéité complets, auxquels le wire carrier était déjà incorporé. Depuis, CPIO s'est lancée elle-même dans la fabrication des joints d'étanchéité en utilisant les wire carriers et le savoir-faire de Schlegel dans la fabrication de joins d'étanchéité pour véhicules automobiles,
les wire carriers étant fabriqués selon ses propres spécifications. Le savoir-faire de Schlegel en la matière représentait pour CPIO une technologie nouvelle, à laquelle elle n'aurait pas eu accès sans la coopération de Schlegel.
A. L'accord de communication de savoir-faire
(3) L'accord de communication a été conclu le 10 décembre 1979 pour une durée de sept ans. Aux termes de cet accord, Schlegel concède à CPIO, sans exclusivité, le droit d'utiliser ses techniques et ses procédés industriels en vue de la fabrication de joints d'étanchéité pour véhicules automobiles (savoir-faire de Schlegel), moyennant une redevance périodique. Aux termes de cet accord et de sa modification du 5 avril 1983, CPIO a le droit de fabriquer dans tous les pays du Marché commun, et de vendre partout dans le monde, des joints d'étanchéité pour véhicules automobiles en s'appuyant sur le savoir-faire de Schlegel.
B. L'accord concernant l'achat et l'utilisation du wire carrier de Schlegel
(4) Schlegel et CPIO sont également convenus, le 10 décembre 1979, que pendant cinq ans, à dater du 1er avril 1980, CPIO utilisera et achètera exclusivement à Schlegel les wire carriers destinés à la fabrication de ses joints d'étanchéité pour véhicules automobiles. Cette obligation tombera néanmoins dans la mesure où, pour des raisons purement techniques admises par Schlegel, le wire carrier serait inutilisable en tant que renfort de joints d'étanchéité, ou si les clients de CPIO n'appliquent pas aux joints d'étanchéité de leurs véhicules la technique du serrage à griffes.
A défaut pour Schlegel de livrer le wire carrier, CPIO sera libre de s'approvisionner immédiatement à d'autres sources. Si le défaut de livraison persiste, CPIO pourra mettre fin à l'accord. Schlegel est libre de vendre son produit à tout autre client en France ou ailleurs. CPIO est libre de revendre le wire carrier à des tiers dans la Communauté économique européenne. Toutefois, le wire carrier acheté par CPIO a pour destination première d'être incorporé par elle dans des joints d'étanchéité pour véhicules automobiles. CPIO n'est en rien tenue de promouvoir la vente de wire carrier en tant que produit distinct.
(5) Les parties sont convenues de ce que l'accord de communication de savoir-faire ne dépend en rien de la validité légale de l'accord d'achat et d'utilisation du wire carrier.
C. Le marché
(6) Schlegel, dont le chiffre d'affaires total s'est monté en 1982 à... dollars des Etats Unis (3), dispose de plusieurs agences en Europe et possède des usines de production en Angleterre, en Allemagne, en Espagne et en Irlande. Son usine irlandaise, nouvellement construite pour fabriquer le wire carrier, a une capacité de... mètres par an. Comme la plupart des autres fabricants de joints d'étanchéité, Schlegel, au départ, a mis au point le wire carrier pour servir à sa propre production de joints. La vente de wire carrier en tant que produit distinct est une activité relativement récente dans la Communauté économique européenne.
(7) Quant à la CPIO, elle a réalisé en 1982 un chiffre d'affaires de... francs français. L'un de ses principaux clients est Renault. Jusqu'à présent, CPIO a essentiellement vendu ses joints d'étanchéité munis de wire carriers Schlegel à Renault France et à Renault industrie Belgique.
(8) La demande de wire carriers ou de produits de remplacement est directement liée à la demande de joints d'étanchéité, qui dépend elle-même du nombre de véhicules dont la construction est envisagée. Compte tenu des dimensions du marché européen de l'automobile, la demande de wire carriers et d'autres renforts de joints d'étanchéité est importante (Schlegel estime à 215 millions de dollars des Etats-Unis en 1980 le marché européen total de joints d'étanchéité complets). La Communauté économique européenne compte un grand nombre de producteurs de joints d'étanchéité qui approvisionnent ou sont susceptibles d'approvisionner les constructeurs automobiles. Tous les membres de l'industrie du caoutchouc, qui compte de nombreux producteurs, doivent être considérés comme des fournisseurs potentiels de ce marché. Dans la mesure où ils ne sont pas fabriqués par les producteurs de joints d'étanchéité eux-mêmes, les renforts de joints d'étanchéité peuvent aussi être fournis par un grand nombre d'autres fabricants.
(9) Pour ce qui est de la France, Schlegel estime la demande française totale de renforts pour joints d'étanchéité à 46 millions de mètres par an pour 1982 (sur la base de 15,5 mètres par voiture de tourisme et 9 mètres par véhicule utilitaire) dont quelque... mètres pour Renault. Au cours de la même année, CPIO a livré à l'industrie automobile française environ... mètres, soit environ 12 % de la demande totale française et... % de la demande totale de Renault.
(10) A la suite de la publication de l'essentiel des deux accords précités au Journal officiel des Communautés européennes, la Commission n'a reçu aucune observation émanant de tiers.
II. APPRECIATION JURIDIQUE
A. L'accord de communication de savoir-faire
(11) Les conditions d'octroi d'une attestation négative au titre de l'article 2 du règlement n° 17 sont remplies. Sur la base des éléments dont elle a connaissance, la Commission n'a aucun motif d'intervenir à l'égard de l'accord de communication du savoir-faire en vertu des dispositions de l'article 85 paragraphe 1 ou de l'article 86 du traité CEE.
(12) L'accord de communication de savoir-faire ne contient aucune disposition qui ait pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun. L'accord concernant l'exploitation des techniques et des procédés industriels de Schlegel en vue de la fabrication de joints d'étanchéité pour véhicules automobiles est non exclusif et laisse à CPIO la liberté de fabriquer les joints d'étanchéité dans tout pays de la Communauté économique européenne et de les vendre dans le monde entier. L'interdiction de fabriquer des joints d'étanchéité en dehors du Marché commun - à supposer qu'il s'agisse d'une restriction - ne restreindrait pas sensiblement le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun.
(13) Il n'y pas lieu de croire qu'en l'occurrence Schlegel ou CPIO se prévaudraient de cet accord pour exploiter d'une manière abusive une position dominante qu'elles occuperaient sur le Marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci.
B. L'accord concernant l'achat et l'utilisation du wire carrier de Schlegel
(14) L'accord d'utilisation et d'achat exclusifs du wire carrier a pour objet et pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun, et est susceptible d'affecter le commerce entre Etats membres. Toutefois, l'interdiction de l'article 85 paragraphe 1 peut, en l'occurrence être déclarée inapplicable au titre de l'article 85 paragraphe 3 du traité CEE.
(15) Un accord qui, comme dans le cas d'espèce, assure la planification de la production au moyen d'obligations d'achat et d'utilisation exclusifs, de telle sorte qu'il n'est possible de changer de fournisseur qu'au bout de cinq ans (durée de l'accord), dépasse le cadre normal des accords de vente à long terme et tombe sous le coup des dispositions de l'article 85 paragraphe 1 du traité CEE pour les motifs suivants.
Du fait qu'elle est obligée d'utiliser le wire carrier de Schlegel pendant cinq ans dans la fabrication de joints d'étanchéité, CPIO est limitée dans sa liberté d'utiliser, d'acheter, de mettre au point ou de fabriquer un produit de remplacement. L'obligation de CPIO d'acheter auprès de Schlegel, pendant cinq ans, de quoi couvrir la totalité de ses besoins en wire carrier, a un effet analogue.
(16) L'accord a également pour effet de réserver une partie notable de la demande en joints d'étanchéité à Schlegel, puisque Renault couvre auprès de CPIO une part importante (environ... %) de ses besoins en joints d'étanchéité, ce qui représente grosso modo 12 % du marché français dans son ensemble (voir point 9 ci-avant). Ledit accord bloque, pour une période de cinq ans, l'accès des autres fournisseurs de la Communauté économique européenne à cette partie du marché des joints d'étanchéité.
(17) Les restrictions contenues dans ledit accord affectent le commerce entre Etats membres, du fait qu'un grand nombre de fabricants de joints d'étanchéité et de renforts desdits joints seraient en mesure de fournir ces produits au départ d'autres pays de la Communauté économique européenne.
(18) L'accord satisfait aux conditions énoncées à l'article 85 paragraphe 3 du traité CEE.
L'accord contribue à améliorer la production et la distribution et à promouvoir le progrès technique et économique.
Dans l'industrie automobile, où il est nécessaire de planifier à l'avance la production en série, les accords à long terme en matière de fourniture de composants sont indispensables et sont de pratique courante tant chez les constructeurs automobiles que chez leurs fournisseurs. Lorsque, comme dans le cas d'espèce, la planification de la production est assurée au moyen d'obligations d'achat et d'utilisation exclusifs, pareil engagement contribue à rationaliser la production du fournisseur et du constructeur automobile. Il rationalise aussi le processus constant des livraisons et de la réception des produits. La même considération joue, en l'occurrence, dans la mesure où le wire carrier, qui est fabriqué aux spécifications de CPIO, est incorporé aux joints d'étanchéité par un fabricant intermédiaire de composants, à savoir CPIO, ce qui permet de fournir à tout moment aux fabricants automobiles des joints d'étanchéité d'une qualité constante. La production en plus grande quantité permet aussi d'améliorer constamment le produit visé et son procédé de fabrication, puisque seule une quantité minimale permet d'atteindre une rentabilité suffisante. L'accord d'exclusivité en matière d'achat et d'utilisation offre un avantage supplémentaire, à savoir que la planification des approvisionnements à long terme permettra à CPIO et à Schlegel de répondre d'autant mieux aux besoins des constructeurs automobiles en matière de joints d'étanchéité.
(19) Les avantages que l'on peut attendre de cet accord l'emportent sur les effets anticoncurrentiels des obligations exclusives d'utilisation et d'achat du wire carrier de Schlegel. Les restrictions de concurrence résultant de l'accord sont également indispensables au sens de l'article 85 paragraphe 3 du traité CEE. Il est inconcevable que les mêmes avantages puissent être réalisés au moyen d'obligations moins restrictives. Le contrat, en prévoyant une exclusivité d'achat et d'utilisation pendant cinq ans, ne dépasse pas ce qui est nécessaire pour atteindre ces avantages. L'accord prévoit aussi que CPIO n'est pas tenue d'utiliser et d'acheter le wire carrier de Schlegel lorsque, pour des raisons techniques, le wire carrier ne peut servir de renfort aux joints d'étanchéité (voir point 4).
(20) L'accord réserve aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, au sens de l'article 85 paragraphe 3 du traité CEE. Cette constatation résulte de l'existence, sur le marché visé, d'une concurrence effective en matière d'approvisionnements, qui se répercute indiscutablement sur le prix d'achat convenu pour le wire carrier. Les avantages résultant de la rationalisation de la production de Schlegel et de CPIO (voir point 18) joueront sans aucun doute à l'avantage des constructeurs automobiles et des consommateurs finals, du fait que CPIO travaille, en matière de joints d'étanchéité, sur un marché hautement compétitif. Les effets s'en feront sentir sur les prix de vente de CPIO en matière de joints d'étanchéité.
(21) L'accord ne donne pas aux parties la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause. Il existe dans le Marché commun (voir point 8 ci-avant) une demande importante et une offre diversifiée en matière de joints d'étanchéité et de renforts pour ces joints. Les procédés techniques secrets de Schlegel ne constituent pas un obstacle à l'accès des concurrents sur ce marché. Compte tenu de cette situation, il n'y a pas lieu de s'attendre à ce que le marché bloqué par l'accord Schlegel-CPIO représentera une partie substantielle de l'ensemble du marché des produits en cause dans la Communauté. En outre, lorsque les clients de CPIO, c'est-à-dire les constructeurs automobiles, refusent, pour des raisons techniques, d'utiliser les joints d'étanchéité comportant les wire carriers de Schlegel, CPIO n'est plus tenue d'acheter lesdits wire carriers (voir point 4 ci-avant),
A arrêté la présente décision:
Article premier :
Conformément à l'article 2 du règlement n° 17 et sur la base des éléments dont elle a connaissance, la Commission déclare n'avoir aucun motif d'intervenir au titre de l'article 85 paragraphe 1 ou de l'article 86 à l'égard de l'accord de communication de savoir-faire conclu le 10 décembre 1979 entre Schlegel Corporation de New York et la Compagnie des produits industriels de l'Ouest SA de Nantes, modifié le 5 avril 1983.
Article 2 :
Conformément à l'article 85 paragraphe 3 du traité CEE, les dispositions de l'article 85 paragraphe 1 sont déclarées inapplicables, pour la période du 20 mai 1980 au 31 mars 1985, à l'accord d'achat de wire carrier conclu le 10 décembre 1979 entre Schlegel Corporation et la Compagnie des produits industriels de l'Ouest SA.
Article 3 :
Les entreprises suivantes sont destinataires de la présente décision:
1) Schlegel Corporation, 400 East Avenue, PO Box 23 113, Rochester, New York 14 692 - Etats-Unis d'Amérique;
2) Compagnie des produits industriels de l'Ouest SA, Nantes, ZI de Nantes-Carquefou, boîte postale 1226, F-44023 Nantes Cedex.
Notes
(1) JO n° 13 du 21. 2. 1962, p. 204/62.
(2) JO n° C 208 du 4. 8. 1983, p. 7.
(3) Dans le texte de la présente décision destiné à la publication, certains chiffres ont été omis, conformément aux dispositions de l'article 21 du règlement n° 17 concernant la non-divulgation des secrets d'affaires.