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Décisions

CCE, 15 décembre 1986, n° 87-123

COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Décision

Boussois/Interpane

CCE n° 87-123

15 décembre 1986

LA COMMISSION DES COMMUNAUTES EUROPEENNES,

Vu le traité instituant la Communauté économique européenne, vu le règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (1), modifié en dernier lieu par l'acte d'adhésion de l'Espagne et du Portugal, et notamment ses articles 4, 6 et 8, vu la demande d'attestation négative et la notification présentées le 1er août 1984 par les entreprises Boussois SA, à Levallois-Perret (France), et Interpane Entwicklungs- und Beratungs-GmbH & Co. KG, Lauenfoerde (République fédérale d'Allemagne), concernant un accord conclu entre elles les 3 et 5 septembre 1983 pour une durée indéterminée, vu l'essentiel du contenu de la notification publié conformément à l'article 19 paragraphe 3 du règlement n° 17 (2), après consultation du comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes, considérant ce qui suit:

I. LES FAITS

A. Objet de l'accord

(1) L'accord a pour objet le transfert, par l'entreprise allemande Interpane à l'entreprise française Boussois, d'un ensemble de connaissances techniques brevetées et non brevetées, dans le cadre de la vente à Boussois d'une installation industrielle destinée à produire des verres plats revêtus de couches minces thermo-isolantes et servant à fabriquer des vitrages pour la construction immobilière. Il s'agit d'une installation capable de produire des couches thermo-isolantes qui sont toutes conçues sur le principe déjà connu de l'empilage de revêtements alternés d'un métal précieux et d'un oxyde de métal, mais qui peuvent être de plusieurs types. Une technique originale a été mise au point par Interpane; elle consiste à alterner un oxyde de bismuth avec de l'argent (couches neutres) ou avec de l'or (couches or) selon un procédé assurant au vitrage la plus grande transparence. Cette installation industrielle vendue à Boussois est entrée en fonctionnement en France dans le courant de l'année 1985.

La technique originale développée par Interpane s'organise autour d'un ensemble de connaissances techniques qui ne sont pas divulguées dans le public et ont un caractère substantiel (savoir-faire). Par ailleurs, l'un des types de couches concernés est breveté dans certains Etats membres.

(2) Les connaissances techniques concédées à Boussois, qui ne sont pas brevetées, concernent tant l'installation que les couches proprement dites et leur caractère substantiel ressort notamment des éléments de fait suivants:

- En premier lieu, il s'agit du savoir-faire concernant l'installation; il correspond au dernier état de la technique originale développée par Interpane à la date de réception de cette installation pour le montage, la mise en route et le fonctionnement de celle-ci; Interpane communique notamment à Boussois toutes informations sur la conception de l'installation ainsi que sur les méthodes et procédés pour son utilisation. A cette fin sont annexés au contrat les plans, schémas, et descriptifs des matériels et des opérations. Un cahier des charges précise les performances qui sont attendues tant de l'installation que de chaque type de produit envisagé. Interpane fournit une liste de produits de consommation et matériels dont Boussois devra assurer la disponibilité en stock aux fins d'une bonne exploitation, ainsi qu'une liste de leurs fournisseurs accompagnée de listes descriptives des pièces de rechange et éventuellement de leurs fournisseurs autres qu'Interpane.

- En second lieu, il s'agit du savoir-faire concernant spécifiquement la production des couches isolantes issues de la technique originale telle qu'elle a été développée par Interpane à la date de réception de l'installation et telle qu'elle sera enrichie ultérieurement pendant une période de cinq ans; d'une part, les différentes étapes de la production consistent principalement dans la préparation, le nettoyage et le contrôle des plaques de verre de dimensions particulièrement grandes, la préparation des revêtements en chambre à vide, avec notamment le réglage des tensions cathodiques et flux gazeux adaptés à chaque type de produit, les procédés différenciés d'application de chaque type de couche par pulvérisation cathodique sous vide et les opérations de déchargement des chambres, puis de contrôle et de manutention des plaques traitées; d'autre part, le savoir-faire porte aussi sur la formation des personnels, les agréments officiels obligatoires, les emballages, les précautions à prendre pour le transport à longue distance, et notamment par voies maritimes, et enfin l'installation des vitrages in situ.

Par ailleurs, ces connaissances techniques ont un caractère secret en ce sens que, même dans l'hypothèse où certains de leurs éléments ne seraient pas totalement inaccessibles et surout pour des spécialistes du secteur considéré, il s'agit d'une enveloppe de connaissances qui ne sont pas divulguées dans le public, demeurent d'un accès difficile, et dans cette mesure ne sont pas dans le domaine public.

(3) Les brevets concédés à Boussois concernent un seul type de couche, le type de couche neutre " 1.3 ", qui est commercialisé par Interpane sous la marque " I. Plus ", pour lequel ont été obtenus deux brevets en Allemagne: le brevet n° P 3130857.0-45 du 4 août 1981 et le brevet n° P 3211753.1-45 du 30 mars 1982. Le second de ces brevets est étendu au titre du brevet européen à six autres pays dans la Communauté sous le n° 83103077.0, ainsi qu'à la Finlande, la Suède et la Suisse; il existe aussi aux Etats-Unis, au Canada et au Japon. Il n'existe pas de brevets parallèles au Danemark, en Espagne, en Grèce, en Irlande, ni au Portugal.

Bien qu'un certain nombre d'autres types de couches, tant des couches " neutres " autres que le type " 1,3 " que des couches " or ", soient susceptibles d'être fabriqués sur la base du savoir-faire transféré et sans avoir recours aux brevets d'Interpane, seule la couche brevetée " 1,3 " est à l'heure actuelle fabriquée et commercialisée par les parties. En particulier, elle a été vendue à l'échelle commerciale dans la Communauté pour la première fois, en Allemagne, par Interpane, au mois de janvier 1983.

B. Les clauses significatives de l'accord

(4) En ce qui concerne la production, Boussois est autorisée à fabriquer en France, à l'exclusion d'autres licenciés éventuels, pendant une première période de cinq ans à partir de la date de conclusion du contrat puis à titre non exclusif sans limite de temps. Interpane s'est, quant à elle, réservé le droit de construire et exploiter elle-même deux ans après la signature du contrat une autre installation semblable en France.

L'accord n'autorise pas Boussois à fabriquer dans d'autres pays. Le contrat est interprété par les parties en ce sens qu'il s'agit d'une interdiction, valant pour tous les types de couches concernés; elle s'applique notamment aux onze autres pays de la Communauté, tant ceux où Interpane détient des brevets que ceux où elle n'en détient pas. Boussois est libre de fabriquer des produits concurrents.

(5) En ce qui concerne la distribution, Boussois est autorisée à vendre:

a) en France, à l'exclusion de tout autre licencié éventuel y compris d'autres pays, pendant une première période de cinq ans à partir de la conclusion du contrat, puis à titre non exclusif;

b) hors de France, y compris en Allemagne, à titre non exclusif sans limite de temps. Dans les circonstances actuelles, Interpane n'a pas d'autre licencié que Boussois; le contrat est interprété par les parties en ce sens que le droit de vendre dans tout pays qui est concédé à Boussois ne s'opposera pas à la concession ultérieure éventuelle d'une exclusivité de vente à un autre licencié pour un autre territoire. Boussois demeure libre de vendre aussi des produits concurrents. Les vitres à couches thermo-isolantes sont à la fois encombrantes et délicates et sont donc transportables dans des conditions relativement onéreuses. Il s'agit de produits qui ne s'adressent normalement pas au grand public mais principalement aux transformateurs-revendeurs, qui revendent eux-mêmes aux professionnels du bâtiment pour la réalisation de programmes de construction immobilière.

(6) En ce qui concerne plus particulièrement le renouvellement du savoir-faire et sa protection, les deux parties prennent notamment les engagements suivants. Elles s'engagent à se communiquer mutuellement, sans exclusivité, les améliorations qu'elles pourront chacune y apporter dans le cadre de l'exécution de l'accord; la durée d'utilisation de ces améliorations est la même que celle prévue pour le savoir-faire initial communiqué par Interpane, en ce sens que l'une et l'autre ne sont soumises à aucune limite de temps. Elles s'engagent également à préserver le caractère secret des connaissances techniques échangées, tant le savoir-faire initial que ses améliorations, et ce pendant cinq ans à compter de la date de la communication et sauf au cas où des tiers auraient entre-temps obtenu la même information à d'autres sources.

Les deux parties estiment en effet d'un commun accord que, d'une manière générale, la période de renouvellement de la technologie concernée n'est pas supérieure à cinq ans, et que de telles informations ne pourront que dans des cas exceptionnels conserver à la fois un caractère secret et un intérêt économique au-delà de cette durée moyenne. Même dans de tels cas, les parties sont déliées de leur obligation de garder le secret au bout de cinq ans à compter de la date de communication.

(7) Les autres dispositions suivantes figurent dans l'accord:

- l'installation est payée par Boussois à un prix forfaitaire, acquitté en plusieurs versements échelonnés pendant la durée de la construction,

- les deux volants du savoir-faire sont payés ensemble par Boussois au moyen d'une autre somme forfaitaire, constituant un prix global, et acquittée elle aussi en plusieurs versements pendant la durée de la construction; les montants de ces versements successifs demeurent inchangés même au cas où certaines parties du savoir-faire initial tomberaient entre-temps dans le domaine public, et même au cas où certaines parties du savoir-faire communiqué ultérieurement pendant cinq ans tomberaient dans le domaine public prématurément; en ce qui concerne ce dernier point, les parties n'excluent pas que des versements complémentaires puissent s'avérer nécessaires ultérieurement afin de préserver l'esprit de l'accord,

- les redevances prévues au contrat, à payer en plus des sommes forfaitaires susmentionnées, concernent seulement les brevets; elles ne sont exigibles que pour des brevets en vigueur, et seulement si Boussois les utilise,

- Boussois peut choisir librement ses marques de fabrication et pourrait utiliser la marque " I. Plus " avec l'autorisation d'Interpane; en pratique, Boussois diffuse les produits concernés sous sa propre marque " Diaplus " et sans faire mention d'Interpane;

Il n'est pas prévu de clause de non-contestation des titres de propriété industrielle.

C. Les produits et le marché concernés par l'accord

(8) Les doubles vitrages à couches thermo-isolantes constituent une innovation par rapport aux triples vitrages thermo-isolants conventionnels. Leur marché potentiel est représenté par l'addition des ventes annuelles de ces deux types de surfaces isolantes.

En raison de la conjoncture dans le marché de la construction immobilière, les ventes de vitrages thermo-isolants des deux types précités ont faiblement augmenté de 1983 à 1985, passant de 6 à 6,3 millions de m2 pour toute l'Europe et de 3,6 à 4 millions de m2 pour la Communauté. Pour les seuls vitrages à couches, elles ont représenté dans la Communauté environ 1,8 millions de m2 en 1985, correspondant à 60 millions d'Ecus, soit un peu moins de 50 % du marché potentiel défini ci-avant.

Toutefois, les économies d'énergie et un changement de la conjoncture pourraient relancer cette activité en favorisant les vitrages à couches, qui relèvent de produits et procédés encore relativement nouveaux mais désormais mieux connus. En ce cas, les quelque 60 à 70 millions de m2 de surfaces vitrées isolantes de toute nature existant à l'heure actuelle dans les douze Etats membres pourraient voir leur ratio de renouvellement annuel sensiblement accru; les producteurs entretiennent une importante capacité de production dans cette éventualité.

(9) Deux techniques différentes de fabrication de verres plats à couches thermo-isolantes coexistent aujourd'hui. Elles se partagent dans la Communauté une capacité globale de production qui est sensiblement excédentaire dans les circonstances actuelles. La première est une technique pyrolitique, mise au point par Saint-Gobain et par Glaverbel respectivement, selon deux procédés différents, avec une capacité de production qui correspond théoriquement à toute la production de verre plat. La seconde est une technique de fabrication sous vide qui impose l'utilisation de vitrages étanches mais permet désormais d'obtenir des coefficients d'isolation thermique sensiblement meilleurs, définissant de ce fait un nouveau marché en soi. Cette seconde technique est actuellement adoptée par huit producteurs principaux dans la Communauté; elle repose sur trois procédés différents; le premier, développé à base d'étain par l'Allemand Leybold-Heraeus, représente une capacité d'environ 3 millions de m2; le deuxième, développé à base de zinc par l'Américain Airco, représente une capacité d'environ 2 millions de m2; le troisième procédé est celui développé par Interpane à base de bismuth et représente 1 million de m2 de capacité compte tenu de l'installation vendue à Boussois.

(10) En ce qui concerne les parties à l'accord, Boussois est un producteur de verre, Interpane un transformateur. Les indications suivantes ont été données pour l'année 1985. Pour Boussois, le chiffre d'affaires consolidé tous produits réunis était d'environ 200 millions d'Ecus; l'entrée en fonctionnement de l'installation de production de vitrages à couches thermo-isolantes ayant eu lieu seulement en 1985, les ventes de ce type de produits sont restées relativement faibles (2 millions d'Ecus) et limitées à la France. Pour Interpane et son réseau d'agents, le chiffre d'affaires s'élevait à 35 millions d'Ecus pour les vitrages isolants de tous types, dont le tiers pour les vitrages à couches, et était réalisé principalement dans la Communauté. Au total, en ce qui concerne la technique de fabrication sous vide, les vitrages isolants utilisant les verres à couches développés par Interpane représentaient sensiblement le quart des ventes en Allemagne; ils étaient exportés principalement vers le Benelux et le Royaume-Uni, où ils représentaient environ 40 % des ventes; dans les autres Etats membres, leur pénétration allait de 0 (Espagne) à 20 % (Italie). L'installation vendue à Boussois est la première installation de production hors d'Allemagne; sa capacité actuelle est de 500 000 m2 par an, ce qui correspond à 10 % des ventes de vitrages isolants de tous types en France pendant l'année considérée.

D. Les arguments développés par les parties

(11) Les parties à l'accord relèvent à l'appui de leur demande d'attestation négative que leur position collective sur le marché, sans être négligeable, ne leur confère cependant pas les moyens d'influencer à leur profit les conditions de l'offre et de la demande et que, partant, des limites contractuelles à la liberté d'initiative de l'une ou de l'autre peuvent très difficilement être assimilées à des restrictions de concurrence du type visé par les règles du traité. Au demeurant, les restrictions convenues entre elles ont toutes été indispensables pour préserver leurs intérêts de façon à permettre cet accord qui en définitive a entraîné la diffusion d'une technologie de pointe et ainsi suscité une concurrence accrue avec les autres marques et procédés concurrents existant déjà sur le marché communautaire.

(12) A titre subsidiaire, elles font valoir que l'exclusivité consentie à Boussois présente les avantages déjà admis par la Commission, au sens de l'article 85 paragraphe 3, et qu'elle ne va pas au-delà d'une durée de cinq ans qui est raisonnable eu égard aussi bien aux investissements élevés consentis par Interpane et Boussois qu'à la nature de la technologie transférée.

L'obligation pour Boussois de ne pas fabriquer hors de France est nécessaire en vue du recrutement ultérieur d'autres licenciés dans d'autres pays de la Communauté; ceux-ci, en effet, ne seraient disposés à entreprendre les investissements requis qu'à condition d'être assurés que Boussois ou d'éventuels licenciés pour d'autres territoires n'auront pas la liberté d'entreprendre une fabrication sur leur territoire dès l'expiration de leur période d'exclusivité, la concurrence d'importations éventuelles ne présentant pas un risque aussi grand du fait des difficultés de transport. D'autre part, il est essentiel pour Interpane de conserver la possibilité de recruter d'autres licenciés, car ces mêmes difficultés de transport font qu'une fabrication décentralisée constitue en l'occurrence la forme d'exploitation la plus efficace face aux autres marques.

En ce qui concerne le cas particulier des pays où Interpane ne détient effectivement aucun brevet, le licencié Boussois n'est pas susceptible de s'y trouver défavorisé par l'interdiction de fabriquer hors de son territoire par rapport à des tiers demeurés libres de le faire: ces tiers en effet ne disposeraient pas du savoir-faire important et indispensable pour cela. Enfin, la rémunération du savoir-faire par paiement d'une somme forfaitaire acquittée en plusieurs versements échelonnés constitue une modalité de paiement qui a été négociée entre parties pour des raisons pratiques et non un moyen détourné de prélever des redevances sans cause.

E. Observations des tiers

(13) A la suite de la publication faite conformément à l'article 19 paragraphe 3 du règlement n° 17, des tiers à la procédure ont communiqué à la Commission leurs observations visant à apporter des précisions quant aux différentes techniques de fabrication de verres à couches, notamment pour distinguer la technique pyrolitique développée par Glaverbel et par Saint-Gobain de la technique sous vide développée par Leybold-Heraeus, par Airco et par Interpane.

II. APRECIATION JURIDIQUE

A. Article 85 paragraphe 1

(14) Aux termes de l'article 85 paragraphe 1 du traité CEE " sont incompatibles avec le Marché commun et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises, et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun, et notamment ceux qui consistent à:

a) fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction;

b) limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements;

c) répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement;

d) appliquer, à l'égard de partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence;

e) subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet de ces contrats. "

(15) Les parties concernées sont des entreprises et l'accord en cause est un accord entre entreprises au sens de l'article 85.

(16) Les trois dispositions suivantes de l'accord ont pour objet et pour effet de restreindre le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun au sens de l'article 85 paragraphe 1.

a) L'exclusivité de fabrication et de vente concédée à Boussois pour le territoire français, exposée ci-avant (point 4 premier alinéa et point 5) empêche, d'une part, d'autres licenciés potentiels pour le même territoire, pendant une période de cinq années à compter de la conclusion de l'accord, ainsi qu'Interpane elle-même pendant deux ans à compter de cette date, d'entreprendre en France une activité de production et vente de produits pour les types visés par l'accord, alors qu'ils pourraient en avoir l'intention et la capacité, les éliminant dans cette mesure en tant que concurrents potentiels ou réels sur le territoire de la France, et d'autre part, empêche, pendant cinq ans aussi, de futurs colicenciés éventuels de Boussois désignés pour d'autres pays de la Communauté de vendre directement en France, tant en ce qui concerne les ventes actives qu'en ce qui concerne les ventes passives (3), de tels colicenciés se trouvent de ce fait exclus d'avance, par l'accord ici en cause, en tant que concurrents potentiels sur le territoire de la France. Du fait que l'exclusivité de la licence n'est pas limitée aux rapports contractuels entre Interpane et Boussois mais affecte sensiblement la position de tiers, tels que d'éventuels licenciés exclusifs dans d'autres territoires, l'accord ne peut en aucun cas être considéré comme une licence exclusive ouverte au sens de la jurisprudence de la Cour (4).

b) L'obligation pour Boussois de ne pas fabriquer hors de France, exposée ci-avant (point 4 deuxième alinéa), limite ses ventes potentielles dans d'autres pays de la Communauté, particulièrement dans les pays de l'Europe du Nord et ceux de l'Europe du Sud qui se trouvent éloignés de ses lieux de production en France, actuels ou futurs, du fait que le coût du transport à longue distance des produits considérés augmentera les prix de vente dans ces pays.

c) L'obligation de ne pas vendre hors de France, dans un autre territoire de la Communauté où Interpane viendrait à désigner un autre licencié exclusif, élimine dans cette mesure Boussois en tant qu'offreur sur ce territoire à partir du moment où cet autre licencié y commence ses ventes.

(17) Cet accord organise les rapports entre une entreprise allemande et son licencié français en vue de la fabrication et de la commercialisation des produits dans la Communauté entière; il est, de ce fait, susceptible d'affecter le commerce entre les Etats membres. Compte tenu du taux de pénétration sur le marché de plusieurs Etats membres des vitrages isolants incorporant la technique propre à Interpane et des perspectives de développement, les restrictions à la concurrence et l'atteinte au commerce doivent être considérées comme sensibles.

B. Article 85 paragraphe 3

(18) Aux termes de l'article 85 paragraphe 3, " les dispositions du paragraphe 1 peuvent être déclarées inapplicables:

- à tout accord ou catégorie d'accords entre entreprises,

- à toute décision ou catégorie de décisions d'associations d'entreprises

et

- à toute pratique concertée ou catégorie de pratiques concertées

qui contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, et sans

a) imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs;

b) donner à ces entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d'éliminer la concurrence. "

(19) La déclaration d'inapplicabilité de l'article 85 paragraphe 1 du traité, qui est contenue dans le règlement (CEE) n° 2349-84, est réservée, au vu notamment de son neuvième considérant, à des catégories d'accords de licence de brevet et d'accords mixtes de licence concernant à la fois des brevets qui sont nécessaires pour la réalisation de l'objet de la technologie concédée et un savoir-faire non divulgué et permettant une meilleure exploitation de ces brevets.

En outre, des restrictions quant aux territoires d'exploitation de cette technologie ne peuvent être admises, dans le cadre de ce règlement, qu'à l'égard de territoires où le produit sous licence est protégé par des brevets parallèles.

Toutefois, la présente affaire se caractérise par le rôle et l'importance du savoir-faire transféré dont la configuration globale, l'ordonnancement des composants ainsi que le mode d'emploi sont exposés dans le contrat et ont été résumés ci-avant sous I-A point 2. A la différence des contrats de licence ayant trait à l'exploitation d'une idée inventive brevetée et du savoir-faire complémentaire au brevet, il s'agit dans le cas présent du transfert d'un paquet complet de connaissances techniques qui sont axées sur un savoir-faire plus élaboré. En l'espèce, le savoir-faire s'organise autour de deux volants. Le premier volant a trait à l'installation de production, et concerne notamment son montage, sa mise en route et son fonctionnement. Le second volant a trait aux différents types de produits susceptibles d'être fabriqués à l'aide de ce savoir-faire seul, les brevets n'intervenant que pour un seul type déterminé de produit; en outre, pour ce qui est de ce dernier produit, il ne bénéficie d'aucune couverture par brevet dans cinq des Etats membres représentant le quart de la population de la Communauté. Enfin, le licencié n'est pas tenu d'exploiter les brevets pendant toute la durée du contrat, et les redevances ne lui sont imposées qu'en cas d'utilisation effective de ceux-ci.

(20) Dès lors, le règlement (CEE) n° 2349-84 n'est pas applicable et, en l'absence d'un règlement d'exemption par catégories propre aux accords de savoir-faire pur ou aux accords mixtes dans lesquels le savoir-faire n'est pas un simple élément permettant une meilleure exploitation des brevets concédés en licence mais constitue un ensemble de connaissances déterminant pour la mise en œuvre de la technique objet de l'accord, les dispositions restrictives de l'accord ici en cause ne peuvent bénéficier d'une exemption qu'au terme d'un examen individuel au regard des conditions cumulatives prévues dans l'article 85 paragraphe 3 du traité. Toutes ces conditions sont réunies pour les raisons qui suivent.

L'exclusivité concédée à Boussois et qui la protège tant contre l'installation de colicenciés en France que contre des licenciés éventuels pour d'autres territoires, ainsi que les obligations qui lui sont faites de ne pas fabriquer hors de France et de ne pas vendre dans un autre territoire de la Communauté où Interpane viendrait à désigner un autre licencié exclusif, sont chacune, eu égard à la situation de la concurrence sur le marché considéré, la source même d'avantages qui correspondent à ceux déjà admis au titre de l'article 85 paragraphe 3 du traité, par le règlement (CEE) n° 2349-84 (du douzième au quinzième considérant) dans le cas des accords de licence de brevet. En particulier:

- d'une part, elles incitent Interpane, détenteur d'un savoir-faire dont le caractère substantiel et confidentiel ressort des explications développées plus haut, à en concéder une licence, et elles incitent Boussois à entreprendre des investissements destinés à permettre la production, l'utilisation et la mise dans le commerce des couches isolantes fabriquées sous vide; de ce fait, elles contribuent à la diffusion et au perfectionnement d'un nouveau produit d'une manière propre à en améliorer la production et la distribution et ainsi à promouvoir le progrès technique et économique dans la Communauté; il en résulte un accroissement du nombre des centres de production de ce produit, une augmentation des quantités produites et un perfectionnement de la qualité grâce notamment à un échange continu des améliorations et à la construction d'une usine destinée à mettre en œuvre des connaissances techniques qui se sont avérées très performantes dans le cadre d'une des trois seules familles de techniques de fabrication sous vide de couches isolantes existant à l'heure actuelle dans la Communauté,

- d'autre part, on peut estimer raisonnablement que, compte tenu notamment des investissements de Boussois, les utilisateurs sont appelés à bénéficier d'une partie équitable des profits résultant de l'accord. Par ailleurs, le contrat ne prévoit aucune restriction qui ne soit indispensable pour atteindre les objectifs visés. Enfin, lesdites dispositions n'entraîneront normalement pas la possibilité pour les parties d'exclure la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause, étant donné que le marché en cause se caractérise par une concurrence inter-marques efficace dans la Communauté; en outre, aucune disposition n'est prise contre les importations parallèles et celles-ci restent possibles par l'intervention des transformateurs-revendeurs.

Ces considérations valent notamment pour la protection réciproque entre Boussois et ses colicenciés éventuels contre la concurrence même passive les uns avec les autres. En effet, il s'agit en l'espèce de produits qui s'adressent à une clientèle de professionnels, qui par conséquent est parfaitement informée, et l'offre de ces produits est restreinte à un nombre limité de huit producteurs seulement dans la Communauté. De ce fait, une protection contre la concurrence active seule entre colicenciés d'Interpane serait rendue inopérante par l'aptitude de cette clientèle à prospecter elle-même directement et activement les différentes sources de l'offre existant dans la Communauté, ce qui priverait alors le licencié de toute protection pendant la période initiale du lancement des produits.

C. Article 8 du règlement n° 17

(21) En vertu de l'article 8 paragraphe 1 du règlement n° 17, l'exemption est accordée pour une durée déterminée. L'évolution technique relativement rapide dans le domaine des produits contractuels est attestée par le fait que les parties ont elles-mêmes évalué à plus ou moins cinq ans la période habituelle de renouvellement de la technologie concernée et limité en conséquence la durée de leur obligation de garder le secret ainsi que de l'exclusivité. Compte tenu, notamment, de cette particularité du cas considéré, la Commission prévoit en l'espèce une exemption s'achevant à la fin de la période de protection territoriale de cinq ans prévue par le contrat. Il n'y a pas lieu de réduire cette période en raison d'une commercialisation des produits en Allemagne, qui a pu précéder de quelques mois la date de conclusion du contrat, compte tenu notamment de l'important investissement entrepris par Boussois et de la durée de construction de son installation industrielle.

D. Clauses qui ne sont pas visées par l'interdiction de l'article 85 paragraphe 1

(22) La Commission estime que toutes les autres dispositions de l'accord, notamment celles énumérées ci-après, relèvent de catégories d'obligations qui, d'une façon générale, ne sont pas susceptibles de tomber sous le coup de l'article 85 paragraphe 1.

a) L'obligation de communication concernant les améliorations apportées au savoir-faire (point 6 premier alinéa). En effet, il s'agit d'une obligation réciproque et non exclusive. En outre, les licences pour de telles améliorations sont de même durée que celles de la licence sur le savoir-faire initialement communiqué par Interpane, de sorte qu'aucune des parties ne se trouve défavorisée à l'expiration du contrat par rapport à l'autre. En particulier, Boussois ne court pas le risque de se trouver dans la situation, le contrat ayant expiré, d'avoir à cesser d'utiliser les connaissances techniques initialement reçues et leurs améliorations indissociables survenues entre-temps, y compris de son propre fait, tandis que le concédant demeurerait libre de les utiliser les unes et les autres, dans des conditions telles que les parties ne pourraient alors renégocier les termes du contrat librement et sur un pied d'égalité. Par ailleurs, cette obligation ne contient pas de déséquilibres au plan de la rémunération (point 7 second tiret, in fine).

b) L'obligation de garder le secret sur les informations confidentielles échangées, qui ne s'applique pas au cas où des tiers auraient entre-temps obtenu les mêmes informations à d'autres sources, et dont la durée de cinq ans correspond en l'espèce à la période moyenne de renouvellement de la technologie concernée (point 6).

c) L'obligation de paiement de Boussois au titre du savoir-faire d'Interpane (point 7 second tiret, deuxième phrase en particulier); une obligation à redevances, ou à paiements forfaitaires éventuellement échelonnés de sorte que certains pourraient se situer après la date où le savoir-faire serait tombé dans le domaine public, n'est pas restrictive au sens de l'article 85 paragraphe 1, même en l'absence de brevets.

d) L'obligation de paiement de Boussois au titre des brevets d'Interpane, alors même qu'une limite de temps n'est pas assignée à cette obligation souscrite dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée; en effet, ces redevances ne sont pas exigibles lorsque les brevets cessent d'être en vigueur ou lorsque Boussois ne les utilise pas (points 4, 5 et 7 troisième tiret),

A arrêté la présente décision:

Article premier :

1. Conformément à l'article 85 paragraphe 3 du traité CEE, les dispositions de l'article 85 paragraphe 1 sont déclarées inapplicables à l'accord notifié le 1er août 1984 par les parties mentionnées ci-après à l'article 3.

2. L'exemption est valable du jour de la notification jusqu'au 30 septembre 1988.

Article 2 :

La présente décision est assortie de la charge suivante: l'entreprise Interpane KG communiquera à la Commission les autres contrats de licence exclusive de brevets et/ou savoir-faire qu'elle viendrait à conclure pour le même type de produit, pendant la période de validité de la présente décision, à l'intérieur de la Communauté.

Article 3 :

La présente décision est destinée à:

1) Boussois SA, 126-130, rue Jules Guesde, F-92302 Levallois-Perret;

2) Interpane, Entwicklungs- und Beratungsgesellschaft mbH & Co. KG, Sohnreystrasse 21, D-3471 Lauenfoerde.

Notes :

(1) JO n° 13 du 21. 2. 1962, p. 204/62.

(2) JO n° C 218 du 29. 8. 1986, p. 2.

(3) Le concept de concurrence active et de concurrence passive se trouve notamment exposé au douzième considérant du règlement (CEE) n° 2349-84 de la Commission, du 23 juillet 1984, concernant l'application de l'article 85 paragraphe 3 du traité CEE à des catégories d'accords de licence de brevets (JO n° L 219 du 16. 8. 1984, p. 15).

(4) Voir arrêt du 8 juin 1982 (affaire des semences de maïs, 258-78), Recueil de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes 1982, p. 2015.