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CCE, 22 décembre 1987, n° 88-143

COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Décision

Rich Products-Jus-rol

CCE n° 88-143

22 décembre 1987

LA COMMISSION DES COMMUNAUTES EUROPEENNES,

Vu le traité instituant la Communauté économique européenne, vu le règlement n° 17 du Conseil du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (1), modifié en dernier lieu par l'acte d'adhésion de l'Espagne et du Portugal, et notamment ses articles 2, 4 et 8, vu la demande d'attestation négative et la notification présentées le 25 avril 1984 par Jus-rol Limited, Berwick upon Tweed (Royaume-Uni), concernant un accord que cette entreprise a conclu le 31 juillet 1983 avec l'entreprise Rich Products Corporation, Buffalo (Etats-Unis d'Amérique), vu l'essentiel du contenu de cette notification (2), publié en application de l'article 19 paragraphe 3 du règlement n° 17, après consultation du comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes, Considérant ce qui suit:

I. LES FAITS

A. La notification

(1) Le 25 avril 1984, la société Jus-rol Limited (ci-après Jus-rol) a notifié à la Commission, conformément aux articles 2 et 4 du règlement n° 17, un accord de licence de savoir-faire qu'elle a conclu le 31 juillet 1983 avec la société Rich Products Corporation (ci-après Rich Products) en vue d'obtenir une attestation négative concernant l'application à cet accord de l'article 85 du traité CEE ou, à défaut, une exemption au titre de l'article 85 paragraphe 3 de l'interdiction prévue par le paragraphe 1 dudit article.

Par cet accord, Rich Products autorise Jus-rol à utiliser son savoir-faire en vue de la fabrication de produits de boulangerie à base d'une pâte surgelée contenant de la levure (frozen yeast dough products - ci-après " le produit sous licence ").

B. Les entreprises

(2) Rich Products fabrique des produits alimentaires, notamment des crèmes et des pâtes surgelées. Elle possède des unités de production aux Etats-Unis d'Amérique et au Canada, qui fabriquent des produits destinés à être vendus surtout sur ces marchés. A l'heure actuelle, Rich Products ne possède pas d'unité de production dans la Communauté européenne. En 1986, Rich Products a réalisé un chiffre d'affaires annuel consolidé d'environ un demi-milliard de dollars des Etats-Unis, toutes activités confondues, dont environ [...] (3) au titre des ventes du produit sous licence.

(3) Jus-rol, filiale de Fitch Lovell plc (Royaume-Uni), fabrique des produits alimentaires et, en particulier, une série de produits à base de pâte surgelée tels que des pâtes brisées, des pâtes feuilletées, des vol-au-vent, des friands et des chaussons pour viande. Tous ces produits sont fabriqués à partir de pâtes sans levure. Par son accord avec Rich-Products, Jus-rol a pu ajouter à sa gamme de production les pâtes surgelées contenant de la levure. Les unités de production de Jus-rol sont situées exclusivement au Royaume-Uni. Pour l'exercice s'achevant le 26 avril 1986, Jus-rol a réalisé un chiffre d'affaires annuel de 16,9 millions de livres sterling, toutes activités confondues, dont [...] au titre des ventes du produit sous licence.

Le groupe Fitch Lovell est formé par Fitch Lovell plc et vingt et une filiales opératives principales, regroupées en deux divisions (production et distribution), dirigées par un Executive Director de la société mère. L'activité du groupe est la fabrication et la production de nombreux produits pour l'alimentation. Pour l'exercice s'achevant le 26 avril 1986, l'ensemble du groupe Fitch Lovell a réalisé un chiffre d'affaires de 461,2 millions de livres, toutes activités confondues. Jus-rol est la seule entreprise du groupe qui fabrique le produit sous licence ou des produits similaires.

C. Le produit et le marché

(4) Le savoir-faire concédé par Rich Products consiste en un ensemble d'informations écrites, non brevetées et secrètes, concernant le procédé de surgélation de la levure qui est destinée à entrer dans la composition du produit sous licence. En outre, ces informations écrites portent sur la composition, la préparation et la transformation du produit sous licence, ainsi que les techniques de production, le chronométrage et les appareillages. Les améliorations et autres perfectionnements apportés par Rich Products au savoir-faire initial font également partie du savoir-faire objet du contrat. Enfin, le savoir-faire comprend également les notes et procès-verbaux des discussions orales entre les techniciens des deux parties qui ont lieu en vue de la communication du savoir-faire.

Les pâtes pour certains produits de boulangerie (et notamment pour le pain) doivent contenir de la levure pour pouvoir lever pendant la cuisson et assurer ainsi au produit fini une structure légère et aérée. La surgélation de la pâte contenant de la levure présente des difficultés techniques du fait que la levure est un micro-organisme vivant qui peut être détruit lorsqu'il est surgelé à de très basses températures. Des précautions particulières sont donc nécessaires pour assurer que la levure garde ses caractéristiques pendant la période de surgélation et qu'elle puisse ensuite lever au moment de la cuisson.

Rich Products, après avoir effectué d'importants travaux de recherche, a mis au point un procédé de surgélation de la levure qu'il utilise actuellement dans ses installations en Amérique du Nord. Jus-rol s'est adressé à Rich Products en vue de recevoir une licence de savoir-faire lui permettant de fabriquer des produits à base de pâte surgelée dont la qualité ne soit pas inférieure à celle des produits obtenus à partir de pâte non surgelée et d'étendre ainsi sa gamme de production. Sur la base de ces considérations il apparaît que les connaissances techniques objet de la licence représentent pour Rich Products une grande valeur et revêtent une grande importance pour la fabrication par Jus-rol de la pâte surgelée pour boulangerie. Dans ces conditions, le savoir-faire communiqué doit être considéré comme étant substantiel et susceptible d'améliorer l'efficacité du licencié, lequel est de ce fait disposé à payer des redevances.

Il y a lieu toutefois de noter que d'autres entreprises au Royaume-Uni et dans d'autres Etats membres du Marché commun ont élaboré des procédés qui permettent de surgeler la levure mais qui ne sont pas généralement accessibles. Dans ces conditions, il n'est pas possible de considérer que le présent accord de licence de savoir-faire concerne l'introduction et la protection dans le territoire concédé d'une " nouvelle technologie " au sens de la jurisprudence de la Cour (4).

(5) Le produit visé par l'accord est une pâte surgelée pour boulangerie, contenant de la levure, qui est fabriquée par Jus-rol selon le savoir-faire qui lui a été transmis par Rich Products. Cette pâte est destinée à être utilisée en vue d'obtenir des produits de boulangerie frais tels que le pain. Dans ses installations à Berwick upon Tweed, Jus-rol prépare et façonne la pâte qui est immédiatement surgelée. A la différence de la pâte à pain traditionnelle, qui doit être utilisée dans un court délai, le produit sous licence peut être emmagasiné pendant une longue durée (jusqu'à [...]) et, par conséquent, être transporté sur des distances assez importantes sans s'altérer.

Le produit sous licence est vendu à l'état surgelé. Jus-rol assure des livraisons hebdomadaires par camions frigorifiques aux magasins qui disposent à leur intérieur d'un rayon boulangerie, notamment aux supermarchés, et aux boulangeries spécialisées dans les ventes de pain frais. Ces acheteurs, disposant de l'ensemble des installations adéquates (les Jus-bake units), peuvent emmagasiner le produit dans un surgélateur et, ensuite, selon les besoins journaliers prévisibles, le placer dans certaines installations spéciales, pour ensuite le cuire dans leurs fours en vue de la vente au consommateur final. Les ventes de Jus-rol sont organisées dans le cadre du Jus-bake system qui prévoit une action de promotion, des livraisons régulières, une formation professionnelle et une assistance après-vente pour les clients.

Les éléments susmentionnés démontrent que les coûts de transport ont une importance considérable (en moyenne [...] du prix de vente). Cependant, des importations et des exportations de ce produit en provenance et à destination du Royaume-Uni demeurent possibles, tant du point de vue technique qu'économique.

(6) Jus-rol ne vend pas le produit sous licence directement aux consommateurs finals. Bien que cela soit techniquement possible, ce ne serait ni économique, ni pratique, parce que les produits sous licence sont vendus en vrac aux clients et qu'il serait par conséquent nécessaire de les reconditionner lorsqu'ils sont à l'état surgelé, avant de les vendre aux consommateurs. Il est également très improbable que de tels produits puissent intéresser les consommateurs finals, étant donné que des installations spéciales sont nécessaires pour permettre que la pâte puisse être transformée en pain frais apte à la consommation. Les clients de Jus-rol, bien qu'étant libres de le faire, ne vendent pas le produit sous licence directement aux consommateurs pour les raisons exposées ci-dessus.

(7) L'accord en objet donne à Jus-rol la possibilité de présenter sur le marché une pâte surgelée contenant la levure. Ainsi, les supermarchés et les autres revendeurs de produits de boulangerie ont le choix entre:

a) acheter le pain frais auprès des boulangeries;

b) préparer eux-mêmes les pâtes qui seront cuites dans leurs installations en vue d'obtenir le pain;

c) acheter du pain cuit à 70 % (par-baked bread) et compléter sa cuisson dans leurs installations;

d) acheter la pâte surgelée contenant de la levure, en vue de la cuire sur place et obtenir ainsi du pain frais.

A l'heure actuelle, la demande de pâte surgelée pour produits de boulangerie est encore relativement faible, mais on peut s'attendre à un développement important en considération des nombreux avantages que ce procédé présente par rapport aux autres options: des investissements peu élevés, coûts de main d'œuvre réduits, faible surface occupée, sécurité du point de vue de l'hygiène et, en particulier, possibilité de longue conservation.

(8) Sur le marché britannique d'autres producteurs offrent des produits qui peuvent être considérés comme similaires au produit sous licence. Le plus important de ces producteurs est Freshbake avec [...] du marché. Jus-rol suit avec environ [...] et le reste appartient à une dizaine d'autres producteurs spécialisés pour des secteurs spécifiques dudit marché.

Des importations vers le Royaume-Uni sont effectuées, en particulier par la société Delifrance.

(9) Jus-rol a commencé à fabriquer le produit sous licence début 1984. Jusqu'à présent la fabrication et la vente se sont limitées au territoire du Royaume-Uni.

Rich Products ne fabrique pas et n'a jamais vendu, ni directement ni par des distributeurs, les produits sous licence dans le Marché commun. Enfin, elle n'a pas encore concédé de licence pour le produit sous licence dans le Marché commun à l'exception de Jus-rol, mais a déclaré, au cours de la procédure, qu'elle envisageait de le faire.

D. L'accord notifié

(10) L'accord a été conclu le 31 juillet 1983 pour une durée de 10 ans. Chacune des parties a la faculté de le résilier au 31 juillet 1988 moyennant l'envoi d'un préavis écrit au plus tard le 30 avril 1988.

a) L'engagement du donneur de licence de communiquer le savoir-faire objet de l'accord

(11) Le donneur de licence s'engage à communiquer immédiatement (et en tous cas au plus tard 3 mois après l'entrée en vigueur de l'accord) toutes informations nécessaires en vue de la fabrication du produit sous licence (confidential information). Ces informations, qui restent la propriété du donneur de licence, pourront être écrites ou orales. En outre, le donneur de licence s'engage à fournir au licencié une assistance dans ses activités d'exploitation du savoir-faire transmis. Enfin, des visites réciproques du personnel des deux parties sont prévues.

b) Le droit exclusif de fabriquer le produit sous licence

(12) Le donneur de licence concède au licencié, pour toute la durée de l'accord, le droit exclusif d'utiliser le savoir-faire transmis en vue de la fabrication du produit sous licence dans le territoire du Royaume-Uni. Cette exclusivité comporte pour le donneur de licence l'obligation de ne pas concéder d'autres licences de fabrication au Royaume-Uni. En outre, le donneur de licence s'engage à ne pas exploiter lui-même au Royaume-Uni le savoir-faire transmis, tant en fabricant qu'en vendant directement le produit dans ce territoire.

Toutefois, le droit de fabriquer le produit devient non exclusif si le licencié ne paye pas les redevances minimales prévues par l'accord.

c) La limitation au Royaume-Uni du droit de fabriquer le produit sous licence

(13) Le droit de fabriquer le produit sous licence est limité au territoire du Royaume-Uni. Pour les autres pays de la Communauté, le donneur de licence se réserve le droit d'exploiter son savoir-faire.

d) Le droit non exclusif de vendre le produit sous licence

(14) Le donneur de licence concède au licencié, pour toute la durée du contrat, le droit non exclusif de vendre le produit sous licence dans tous les Etats membres de la Communauté européenne. Dans ces derniers, à l'exception du Royaume-Uni (voir ci-dessus, point 12), le donneur de licence est libre de vendre ou de désigner des distributeurs ou des licenciés. Au cours de l'instruction, les parties ont déclaré que les nouveaux licenciés pourront exporter vers le Royaume-uni et que Jus-rol continuera d'être libre d'exporter dans les autres Etats membres de la Communauté européenne, y compris ceux dans lesquels Rich Products aura désigné des licenciés.

e) L'obligation pour le licencié de maintenir le secret des informations transmises

(15) Le licencié s'engage pour toute la durée du contrat et après son expiration à maintenir secret le savoir-faire et toute autre information reçue du donneur de licence pendant l'exécution du contrat. L'obligation au secret ne s'applique pas dans les cas suivants:

a) s'il s'agit d'une information que le licencié possédait avant qu'elle lui ait été communiquée par le donneur de licence;

b) s'il s'agit d'une information qui était dans le domaine public losqu'elle a été communiquée par le donneur de licence au licencié ou bien s'il s'agit d'une information qui est par la suite tombée dans le domaine public sans qu'une faute ait été commise par le licencié;

c) s'il s'agit d'une information qui est communiquée au licencié par un tiers, qui ne détenait pas cette information du donneur de licence.

Le licencié ne peut communiquer le savoir-faire du donneur de licence qu'au personnel directement concerné par la fabrication du produit et seulement dans la mesure où cette communication est nécessaire pour fabriquer le produit.

Le licencié doit signaler immédiatement au donneur de licence toute divulgation ou usage abusif du savoir-faire dont il aurait connaissance. Le licencié a le droit de poursuivre en justice, à ses propres frais, les auteurs de tels actes et le donneur de licence s'engage à collaborer avec le licencié dans cette action. Au cas où le licencié ne souhaite pas prendre une telle initiative, ou si celle-ci est jugée insatisfaisante par le donneur de licence, celui-ci a le droit de poursuivre lui-même et à ses frais les auteurs de tels actes.

f) L'interdiction pour le licencié de concéder des sous-licences

(16) Le licencié ne peut concéder de sous-licences du savoir-faire communiqué, excepté:

a) s'il s'agit d'entreprises filiales à 100 % du donneur de licence ou de la société mère du licencié;

b) s'il y a accord écrit du donneur de licence.

g) L'interdiction pour le licencié d'utiliser le savoir-faire après l'expiration du contrat

(17) Le licencié ne peut pas fabriquer, employer, vendre et disposer du produit sous licence pendant dix ans après l'expiration du contrat, à moins que le contrat ne prenne fin à la suite d'une faute du donneur de licence. A la fin du contrat, le licencié devra, à la demande du donneur de licence, restituer immédiatement tous les documents originaux relatifs au savoir-faire et il ne pourra pas en conserver des copies.

h) L'obligation pour le licencié d'utiliser le savoir-faire uniquement en vue de la fabrication du produit sous licence

(18) Le licencié s'engage à n'utiliser le savoir-faire communiqué que pour fabriquer le produit sous licence. Rappellons que ce dernier est défini comme étant tout produit à base de pâte de boulangerie surgelée, notamment le pain, les biscuits, les petits pains et les autres spécialités de boulangerie, dont la préparation nécessite l'utilisation du savoir-faire. Selon les parties, cette définition comprend toutes les applications possibles du savoir-faire transmis.

i) L'obligation pour le licencié de concéder au donneur de licence une licence pour les améliorations

(19) Le licencié s'engage à concéder à Rich Products une licence non exclusive pour toute amélioration, brevetée ou non, qu'il apporterait lui-même au savoir-faire transmis par Rich Products. Cette licence sera valable pour le monde entier, elle sera gratuite et donnera à Rich Products le droit de concéder des sous-licences à des tiers. La licence relative aux améliorations prendra fin en même temps que celle relative au savoir-faire communiqué par le donneur de licence au licencié. L'obligation relative aux améliorations présente le caractère de la réciprocité, puisque la notion de savoir-faire communiqué englobe tant les connaissances initialement transmises que les améliorations éventuelles que Rich-Products pourra apporter pendant la durée du contrat.

j) L'obligation pour le licencié d'acheter au donneur de licence un ingrédient de base (pre-mix)

(20) Le licencié s'engage à acheter au donneur de licence un ingrédient de base pour la fabrication du produit sous licence et à utiliser cet ingrédient selon les quantités et la manière établie par le savoir-faire transmis. Cet ingrédient sera vendu au prix standard pratiqué par Rich Products et son poids ne dépassera pas 1 % du poids total de chaque produit.

k) L'obligation pour le licencié de payer des redevances

(21) En échange du savoir-faire reçu, le licencié s'engage à payer des redevances au donneur de licence. Ces redevances sont de deux types:

a) des redevances minima, dont le montant progressif est fixé pour chaque année;

b) des redevances proportionnelles, dont le montant est calculé en fonction du chiffre d'affaire net résultant de la vente du produit. Les redevances proportionnelles ne sont dues par le licencié que si leur montant dépasse celui des redevances minima.

l) Absence d'autres clauses concernant le comportement des parties sur le marché

(22) L'accord notifié ne comporte pas d'autres clauses visant à limiter la liberté commerciale des parties.

E. Observations des tiers

(23) A la suite de la publication faite conformément à l'article 19 paragraphe 3 du règlement n° 17, des tiers ont fait valoir qu'il existe d'autres procédés, élaborés par d'autres entreprises, qui permettent, à différents degrés, de surgeler la levure destinée à être utilisée pour les produits de boulangerie et de l'emmagasiner pendant une longue période.

II. APPRECIATION JURIDIQUE

A. Article 85 paragraphe 1

(24) L'article 85 du traité CEE interdit comme étant incompatibles avec le Marché commun tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun.

(25) Les parties concernées sont des entreprises au sens de l'article 85 du traité CEE et l'accord en cause est un accord entre entreprises au sens de cet article.

(26) Le savoir-faire communiqué par le donneur de licence concerne un ensemble de connaissances techniques substantielles relatives à un procédé de fabrication d'un produit qui ne sont pas généralement connues ni facilement accessibles. Ces connaissances ont permis au licencié d'entreprendre immédiatement la fabrication de ce produit et continuent d'être effectivement exploitées.

(27) Si le transfert de connaissances techniques est en principe un élément qui favorise la concurrence parce qu'il permet à d'autres entreprises que le titulaire du savoir-faire d'exploiter un ensemble non divulgué de connaissances techniques en vue de la fabrication et de la vente d'un produit, il faut néanmoins examiner si l'accord qui organise un tel transfert ne comporte pas de clauses restrictives de concurrence qui vont au-delà de ce qui est nécessaire pour réaliser le transfert de connaissances.

a) Clauses visées par l'article 85 paragraphe 1

(28) L'exclusivité de fabrication concédée à Jus-rol pour le territoire du Royaume-Uni exposée ci-avant (voir point 12) exclut, pour la durée de l'accord, que d'autres entreprises puissent obtenir pour le même territoire une licence relative au produit en cause et empêche également les futurs licenciés, que Rich Products envisage de désigner pour d'autres pays de la Communauté, de fabriquer le produit sous licence au Royaume-Uni. Par conséquent, ces derniers se trouvent exclus d'avance de l'avantage concurrentiel résultant de la possibilité de fabriquer eux-mêmes dans ce territoire. En effet, dans le cas d'espèce, les coûts de transport, bien qu'ils ne soient pas à un niveau tel de rendre les importations vers le Royaume-Uni économiquement non rentables, ont néanmoins l'effet de rendre moins compétitives les ventes au Royaume-Uni faites par les futurs licenciés. Cela d'autant plus qu'il faut transporter le produit sous licence dans des camions frigorifiques et que les livraisons sont faites directement aux clients, normalement avec une fréquence hebdomadaire. Pour les mêmes raisons, l'obligation pour Jus-rol de ne pas fabriquer le produit sous licence en dehors du territoire du Royaume-Uni défavorise les ventes de ces produits par Jus-rol dans les autres Etats membres de la Communauté.

(29) Compte tenu de l'existence d'autres procédés permettant de surgeler la levure, il n'est pas possible d'affirmer que dans le cas d'espèce les engagements d'exclusivité concernent l'introduction dans le territoire concédé d'une nouvelle technologie qui nécessiterait une protection territoriale. Par conséquent, en raison des particularités du cas, lesdits engagements ont pour objet de restreindre le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun au sens de l'article 85 paragraphe 1 du traité CEE. Ils doivent donc être appréciés à la lumière de l'article 85 paragraphe 3.

(30) L'exclusivité de fabrication concédée à Jus-rol et l'obligation pour celui-ci de ne pas fabriquer en dehors du territoire concédé empêchent d'une part les licenciés futurs situés dans d'autres Etats membres de fabriquer le produit sous licence au Royaume-Uni et, d'autre part, Jus-rol de fabriquer le produit dans les autres Etats membres de la Communauté. Par conséquent, ces clauses doivent être considérées comme étant susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres de la Communauté.

b) Clauses non visées par l'article 85 paragraphe 1

(31) La concession par le donneur de licence au licencié du droit non exclusif de vendre le produit dans tous les Etats membres de la Communauté européenne ne limite pas la liberté du donneur de licence de vendre ce produit dans ces territoires (sauf au Royaume-Uni) tant directement que par l'intermédiaire des distributeurs. En outre, au cas où Rich Products concéderait des licences à des tiers pour d'autres territoires du Marché commun, Jus-rol continuera d'être libre de vendre dans ces territoires et les nouveaux licenciés auront le droit de vendre le produit sous licence au Royaume-Uni. Cette clause doit donc être considérée non restrictive de concurrence au sens de l'article 85 paragraphe 1.

(32) L'obligation pour le licencié de ne pas divulguer, pendant la durée du contrat ainsi qu'ultérieurement, les connaissances secrètes transmises par le donneur de licence doit être considérée comme n'étant pas visée par l'article 85 paragraphe 1. En effet, la valeur commerciale du savoir-faire, qui est un ensemble de connaissances techniques non protégées par les dispositions légales en matière de propriété industrielle, est liée à son caractère secret. C'est pourquoi l'obligation imposée au licencié de ne pas divulguer le savoir-faire est une condition nécessaire au maintien de cette valeur et, par conséquent, à la possibilité pour son titulaire de le concéder à d'autres entreprises. Cette obligation peut être maintenue après l'expiration du contrat de licence aussi longtemps que le savoir-faire n'est tombé dans le domaine public.Cette dernière exigence est respectée par l'accord notifié.

(33) La même appréciation vaut pour l'interdiction faite au licencié de ne pas concéder des sous-licences à des tiers sans le consentement du donneur de licence, puisqu'une telle clause protège le droit de ce dernier de disposer librement de son savoir-faire et de ne concéder de licences qu'aux entreprises qui jouissent de sa confiance.

(34) L'obligation pour le licencié de ne pas utiliser le savoir-faire pendant une période de dix ans après l'expiration du contrat (à moins que celui-ci ne prenne fin par suite d'une faute du donneur de licence) et de restituer au donneur de licence tous les documents concernant le savoir-faire doit être considérée comme inhérente à ce type d'accords et échappant de ce fait à l'article 85 du traité.En effet, il découle de la reconnaissance même du droit exclusif que le titulaire détient sur son savoir-faire qu'il est libre de décider s'il entend transférer ses connaissances secrètes à tire définitif ou à titre temporaire en concédant une licence. Si la concession d'une licence de savoir-faire impliquait pour le titulaire la perte du droit exclusif d'en disposer à l'expiration de celle-ci, le titulaire serait dissuadé de concéder une licence, ce qui nuirait au transfert des connaissances techniques.

Cependant, l'interdiction d'utiliser le savoir-faire après l'expiration du contrat deviendrait restrictive de concurrence si le savoir-faire devenait librement accessible pour une cause étrangère au licencié ou si le licencié avait acquit librement des connaissances identiques auprès d'un tiers. En dehors de ces hypothèses, l'interdiction d'utiliser le savoir-faire après l'expiration du contrat échappe à l'application de l'article 85 paragraphe 1 du traité.

(35) L'obligation pour le licencié d'utiliser le savoir-faire uniquement en vue de la fabrication du produit sous licence n'est pas à considérer comme une restriction de concurrence au sens de l'article 85 paragraphe 1 du traité. Dans le cas présent, la définition du produit donnée par l'accord notifié comprend d'ailleurs toutes les utilisations possibles des connaissances transmises par le donneur de licence de sorte qu'il n'existe pas d'utilisations particulières qui seraient réservées au donneur de licence ou à d'autres licenciés éventuels. Mais même s'il en était ainsi, une telle obligation ne serait pas restrictive de concurrence.

(36) L'obligation pour le licencié de concéder au donneur de licence une licence non exclusive et réciproque pour toute amélioration, brevetée ou non, qu'il apporterait lui-même au savoir-faire communiqué, ne constitue pas, en l'espèce, une restriction de concurrence au sens de l'article 85 paragraphe 1, étant donné que cette obligation ne le prive pas de la possibilité d'utiliser lui-même cette amélioration ou d'en concéder des licences à des tiers pour autant que cela n'entraîne pas la communication à ces tiers du savoir-faire concédé par le donneur de licence.En outre, dans le cas présent, il a été convenu que le droit du donneur de licence d'utiliser les améliorations apportées par le licencié prend fin en même temps que celui du licencié d'utiliser le savoir-faire initial, de sorte qu'aucune des parties ne se trouve défavorisée à l'expiration du contrat par rapport à l'autre.

Sur la base de ces considérations, il apparaît que la susdite obligation échappe à l'interdiction prévue par l'article 85 paragraphe 1 du traité.

(37) L'obligation pour le licencié d'acheter au donneur de licence un ingrédient de base dont la composition est secrète et de l'utiliser dans la fabrication du produit peut, en l'espèce, être considérée comme non restrictive de concurrence au sens de l'article 85 paragraphe 1 du traité. Les difficultés que Jus-rol et d'autres producteurs ont éprouvées à mettre au point le système de fabrication des produits sous licence témoigne que les substances contenues dans l'ingrédient de base et, en particulier, leur proportion et la manière de les préparer sont essentielles pour l'application correcte du procédé de fabrication. Ainsi, Jus-rol et Rich Products ont estimé qu'en vue d'assurer une qualité constante aux produits sous licence il était nécessaire pour Jus-rol d'acheter l'ingrédient secret de base à Rich Products.

(38) L'obligation pour Jus-rol de payer une redevance pendant toute la durée du contrat, indépendamment du fait que pendant celle-ci le savoir-faire puisse tomber dans le domaine public, ne peut pas être considérée comme étant restrictive de concurrence. Il y a lieu de rappeler à cet égard que la durée du contrat est de dix ans mais que chaque partie pourra le résilier le 31 juillet 1988.Si à cette date le savoir-faire ne devait plus présenter des avantages concurrentiels pour le licencié, du fait notamment qu'il serait devenu généralement accessible aux tiers ou aurait été dépassé par les développements de la technique, le licencié pourra mettre fin au contrat et se libérer ainsi de l'obligation de payer des redevances. Dans le cas contraire, il continuera à bénéficier du savoir-faire et à être soumis à l'obligation de verser des redevances pendant la période qui reste à courir jusqu'à l'expiration du contrat en 1993, même si entre-temps ce savoir-faire devait devenir dans sa totalité généralement connu ou obsolète.

En outre, il faut souligner que la licence ne concerne pas un savoir-faire ponctuel et facilement indentifiable mais un ensemble de connaissances techniques complexes portant sur plusieurs domaines (formules, procédés de fabrication, commercialisation etc). Cet ensemble d'informations est en évolution constante en vertu des modifications et des améliorations qui sont apportées par Rich Products et qui sont ensuite transmises à Jus-rol.

Par conséquent, on peut estimer que, compte tenu des caractères propres au savoir-faire en cause, le risque de divulgation de ces informations dans leur totalité, avant l'expiration du contrat, est particulièrement réduit.

Dans ces circonstances, il apparaît que l'obligation de payer des redevances, même après que le savoir-faire a été divulgué ou soit devenu obsolète, échappe à l'interdiction de l'article 85 paragraphe 1 du traité.

B. Article 85 paragraphe 3

(39) Aux termes de l'article 85 paragraphe 3, les dispositions de l'article 85 paragraphe 1 peuvent être déclarées inapplicables à tout accord ou à toute catégorie d'accords entre entreprises qui contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, et sans:

a) imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs;

b) donner aux entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d'éliminer la concurrence.

(40) L'exclusivité de fabrication concédée à Jus-rol et l'obligation qui lui est imposée de ne pas fabriquer hors du Royaume-Uni sont chacune, eu égard à la situation concurrentielle sur les marchés en cause, la source d'avantages correspondant à ceux admis par l'article 85 paragraphe 3 et qui seront ci-après énoncés.

(41) L'exclusivité de fabrication contribue à promouvoir le progrès économique et technique puisqu'elle incite Jus-rol à entreprendre les investissements nécessaires à l'exploitation au Royaume-Uni d'un savoir-faire substantiel et non divulgué en vue de la fabrication et de la diffusion d'une pâte contenant de la levure qui permet de préparer d'une nouvelle façon les produits frais et qui offre de nombreux avantages pour les utilisateurs, notamment les supermarchés (voir point 5). L'exclusivité donne ainsi à une entreprise communautaire la possibilité de fabriquer un produit selon une technique nouvelle et contribue à l'accroissement du nombre de centres de production des produits de boulangerie.

La limitation du droit de fabriquer au seul territoire du Royaume-Uni oblige Jus-rol à concentrer ses efforts de production et de vente à ce territoire et à se consacrer au perfectionnement de la qualité des produits fabriqués ainsi qu'à l'augmentation de leurs quantités.

(42) La concession à Jus-rol du droit exclusif de fabriquer au Royaume-Uni le produit sous licence apporte aux utilisateurs, notamment les supermarchés, de nombreux avantages tant sur le plan technique qu'économique. En effet, les supermarchés et les autres magasins qui désirent vendre le pain frais pourront rationaliser leurs achats et leurs ventes, éviter au maximum d'avoir des restes invendus et avoir la possibilité d'emmagasiner le produit sous licence pour de longues périodes. Cela apportera des bénéfices tant à ces utilisateurs du produit sous licence qu'aux consommateurs finals.

(43) L'exclusivité de fabrication est indispensable pour que les résultats susmentionnés puissent être atteints. En effet, si le licencié n'avait pas la certitude de ne pas souffrir de concurrence de la part d'autres licenciés qui seraient désignés pour le même espace territorial ou de la part des licenciés pour d'autres territoires du Marché commun, il pourrait être amené à ne pas accepter le risque de la fabrication et de la vente du produit sous licence. Ce résultat serait nuisible à la diffusion des produits de boulangerie et empêcherait ainsi que se développe une concurrence entre le produit sous licence et les produits semblables sur le territoire de la Communauté.

De la même manière, on peut estimer que la limitation au Royaume-Uni du droit de fabriquer le produit sous licence est nécessaire pour que des entreprises situées dans d'autres Etats membres de la Communauté puissent encore être intéressées à recevoir une licence relative au savoir-faire en objet et contribuer ainsi dans leurs Etats au progrès technique. En effet, si une entreprise n'avait au moins la certitude d'être la seule à fabriquer dans un certain territoire, elle serait fortement dissuadée d'entreprendre les investissements nécessaires à la nouvelle production.

(44) L'exclusivité de fabrication ne permettra pas à Jus-rol d'éliminer la concurrence, étant donné qu'il doit faire face à de nombreux producteurs établis au Royaume-Uni qui utilisent des procédés similaires permettant de fabriquer de la pâte surgelée contenant de la levure (voir point 8).

C. Article 8 du règlement n° 17

(45) En vertu de l'article 8 paragraphe 1 du règlement n° 17, l'exemption est accordée pour une durée déterminée. La durée de dix ans qui a été fixée pour l'exclusivité de fabrication et pour l'obligation pour le licencié de ne pas fabriquer en dehors du territoire concédé n'apparaît pas excessive en l'espèce en considération de la présence sur le marché de nombreux autres produits concurrents et du fait que la libre circulation des produits sous licence sera assurée étant donné que tant Jus-rol que des éventuels futurs co-licenciés pour d'autres territoires pourront vendre librement le produit sous licence dans l'ensemble du Marché commun. En outre, au vu des caractéristiques propres du marché en cause et de la technologie concédée, il apparaît qu'une durée de dix ans est nécessaire pour garantir au licencié l'accès à un flux continu de savoir-faire ainsi que d'amortir son investissement sans devoir craindre que le donneur de licence ne résilie l'accord prématurément. Enfin, la durée de l'engagement du licencié de ne pas fabriquer le produit sous licence dans le territoire réservé à Rich Products apparaît nécessaire pour permettre à Rich Products de disposer du temps suffisant pour pouvoir exploiter pleinement son savoir-faire en installant lui-même ou, comme il est plus probable, en concédant d'autres licences de fabrication dans les autres territoires du Marché commun.

Sur la base de ces considérations, la Commission estime pouvoir accorder une exemption s'achevant à la fin de la durée du contrat notifié, c'est-à-dire au 31 juillet 1993,

A arrêté la présente décision:

Article premier :

Conformément à l'article 85 paragraphe 3 du traité CEE, les dispositions de l'article 85 paragraphe 1 sont déclarées inapplicables à l'accord conclu entre les entreprises désignées ci-après à l'article 3 et notifié le 25 avril 1984.

Article 2 :

L'exemption est valable du jour de la notification jusqu'au 31 juillet 1993.

Article 3 :

La présente décision est destinée à :

- Jus-rol Limited, Tweedside Trading Estate, Berwick upon Tweed, Royaume-Uni;

- Rich Products Corporation, 1150 Niagara Street, Buffalo, New York 14213, Etats-Unis d'Amérique.

Notes :

(1) JO n° 13 du 21. 2. 1962, p. 204/62.

(2) JO n° C 209 du 6. 8. 1987, p. 3.

(3) Dans le texte de la présente décision destiné à la publication, certaines données ont été omises, conformément aux dispositions de l'article 21 du règlement n°17 concernant la nondivulgation des secrets d'affaires.

(4) Voir arrêt du 8 juin 1982 (affaire des semences de maïs, 258-78), Recueil de la jurisprudence de la Cour 1982, p. 2015.