CCE, 16 octobre 1980, n° 80-1074
COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Décision
Industrieverband Solnhofener Natursteinplatten Ev
LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,
Vu le traité instituant la Communauté économique européenne, et notamment son article 85, vu le règlement nº 17 du Conseil du 6 février 1962 (1), et notamment ses articles 2, 5 et 7, vu la notification faite à la Commission le 25 octobre 1962, conformément à l'article 5 du règlement nº 17, de la société civile "Exportkartell Solnhofener Natursteinplatten", après avoir entendu les entreprises concernées, conformément à l'article 19 paragraphe 1 du règlement nº 17 et aux dispositions du règlement nº 99-63-CEE de la Commission du 25 juillet 1963 (2), vu la dissolution, le 30 juin 1980, de l'Exportkartell Solnhofener Natursteinplatten et son remplacement à cette date par l'association "Industrieverband Solnhofener Natursteinplatten eV" et les modifications apportées en conséquence à la notification originale, vu la publication de l'essentiel du contenu de la notification ainsi que des modifications qui lui ont été apportées, en application de l'article 19 paragraphe 3 du règlement nº 17, dans le Journal officiel des Communautés européennes nº C 159 du 28 juin 1980, vu l'avis du comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes, recueilli, conformément à l'article 10 du règlement nº 17, le 15 juillet 1980,
1. EXPOSÉ DES FAITS
Considérant que les faits sont les suivants:
1. Le produit
1 La pierre de Solhnhofen est un calcaire se présentant sous la forme de dalles et que l'on ne trouve que dans la vallée de l'Altmühl, au sud de Treuchtlingen (Jura franconien). Elle constitue la forme de calcaire jurassique qui présente le plus de valeur et se distingue de tous les autres types de calcaires par une résistance à la pression exceptionnellement élevée ainsi que par la finesse et l'homogénéité de sa pâte, qui en font une pierre lithographique mondialement connue. En dehors de l'usage qui en est fait dans le domaine de la lithographie, la pierre de Solnhofen est utilisée sous forme de dalles de pavement, de revêtements de mur, de rebords de fenêtre, de marches et de socles d'escalier, de pierres murales décoratives et de dalles de jardin. Elle se présente sous forme de couches (Flinze) d'épaisseur uniforme (généralement entre 7 millimètres et 27 centimètres) ; ces couches, superposées horizontalement, sont d'ordinaire séparées par des couches composées de pierres impropres à la mise en œuvre (Fäulen). L'extraction des dalles s'opère par décollage manuel des couches successives. On garde l'épaisseur naturelle des fragments de couches minces, qui sont presque toujours utilisées sans que leur surface brute de lit ait subi de transformation. Seules les dalles extraites de couches épaisses - plus rares - sont débitées automatiquement et façonnées en dalles à forte résistance, destinées à servir en particulier de marches d'escalier. Lorsqu'elles sont dépourvues de surface naturelle, les dalles fabriquées lors de cette opération sont meulées et éventuellement polies.
2 La finesse de sa structure confère à la surface naturelle de la pierre de Solnhofen une telle régularité que les dalles présentant une surface brute de lit ou effleurées sont utilisées non seulement à l'extérieur, mais aussi comme pavement pour tous les types de bâtiments. La pierre de Solnhofen réunit les avantages d'une surface à la fois lisse et anti-dérapante. Cependant, cette pierre se distingue surtout par la beauté de sa surface naturelle, qui est mate, avec des tons clairs et chauds qui composent d'innombrables nuances, et souvent veinée de dendrites brunes ou noires qui sont d'un effet décoratif unique. Cette combinaison caractéristique de qualités donne à cette pierre une place à part dans l'assortiment des pierres naturelles utilisées dans les constructions extérieures ou la décoration intérieure. C'est pourquoi elle a les préférences d'une clientèle de connaisseurs ou de personnes recherchant l'originalité dans la décoration.
3 On conçoit donc aisément que les dalles à surface brute de Solnhofen soient très demandées non seulement en République fédérale d'Allemagne, mais aussi à l'étranger, et même dans les pays dont le sous-sol recèle des gisements de pierres naturelles. C'est ainsi que, dans la Communauté européenne, la France et la Belgique sont les principaux marchés d'exportation des pierres de Solnhofen, en quasi-totalité d'ailleurs, sous la forme de dalles à surface brute.
4 Le bassin carrier s'étend sur les collines situées de part et d'autre de la vallée de l'Altmühl, sur le territoire des communes de Langenaltheim, Solnhofen et Mörnsheim, ainsi que dans les environs d'Eichstätt. Cette région compte quelque 45 petites et moyennes entreprises qui fabriquent des produits en pierre de Solnhofen. Leur matière première provient soit (et surtout) leurs propres carrières, soit de matériaux achetés à des carriers indépendants.
2. Exportkartell Solnhofener Natursteinplatten
5 Le 2 août 1961, dix-neuf des petites et moyennes entreprises décrites plus haut ont formé une société civile dénommée "Exportkartell Solnhofener Natursteinplatten". Au moment de sa dissolution, la société, compte tenu de l'arrivée d'assez nombreux nouveaux membres et des quelques départs ou cessations d'activité qu'elle avait ultérieurement enregistrés, comptait 29 membres.
6 Aux termes de l'article 2 paragraphe 1 de son contrat constitutif, la société avait pour objet d'assurer et de promouvoir les exportations de pierres naturelles de Solnhofen, à l'exception des pierres lithographiques.
7 Le paragraphe 2 de l'article 2 du contrat de société prévoyait ce qui suit : "Il est procédé, à cette fin, à la fixation des prix, des rabais et des conditions de vente applicables aux exportations, ces divers éléments étant constitutifs du contrat (voir annexes 1 à 3)". Lesdites annexes consistaient en une liste de prix de base applicables à l'exportation, en un tableau des rabais à accorder sur ces prix de base et en une liste énumérant les conditions de paiement applicables à l'exportation. L'article 11 du contrat constitutif prévoyait : "l'assemblée des associés se réserve le droit : ... b) de modifier l'acte constitutif, c) d'édicter des dispositions correspondant aux objectifs poursuivis par la société, ... h) de fixer les prix, les rabais et les conditions de vente."
8 L'article 12 du contrat de société était rédigé comme suit : "Les associés s'engagent vis-à-vis de la société à respecter les prix, les rabais et les conditions de vente fixés en matière d'exportations."
9 En application de l'article 11 du contrat de société, les conditions de paiement ont ultérieurement été modifiées et remplacées par les autres conditions normalement en usage dans la branche.
10 De même, ont été établies périodiquement, le plus souvent annuellement, de nouvelles listes des prix à l'exportation, qui servaient de listes de prix de base pour les exportations vers les marchés situés à l'intérieur de la Communauté européenne et dont l'application a été étendue à toutes les exportations à la suite du développement des ventes à l'étranger.
11 En outre, les rabais ont à plusieurs reprises été modifiés sur la même base.
12 Enfin, il a été prévu que les distributeurs établis à l'étranger (importateurs ou agents) étaient eux aussi tenus d'appliquer pour leurs ventes les prix de base en vigueur et de ne pas accorder à leurs clients de rabais dépassant le plafond fixé. Il était prévu en conséquence de majorer les prix de vente ou de réduire les rabais ou les commissions pour les clients allemands qui exporteraitent à des prix inférieurs à ceux de l'entente ou pour les importateurs ou agents étrangers qui pratiqueraient des prix de revente plus avantageux que ceux fixés en la matière par l'entente.
13 Dans la pratique, toutefois, le respect des barèmes de rabais et des conditions définis par l'entente n'a pu être imposé qu'en partie. Les membres de l'entente s'étaient certes déclarés d'accord dans le contrat de société sur l'application par l'entente de mesures de contrôle, ainsi que sur le principe du paiement d'une amende conventionnelle en cas de violation du contrat de société, mais l'entente n'a en fait jamais infligé d'amende.
14 En ce qui concerne les échanges de dalles de différentes dimensions entre producteurs, échanges qui sont de pratique courante au sein de la branche, il a été prévu que les achats complémentaires ne pourraient avoir lieu qu'auprès de membres de l'entente. Il a de surcroît été adopté une disposition prévoyant que les livraisons complémentaires devaient elles aussi être effectuées uniquement à des membres de l'entente. Aucune de ces deux dispositions n'a toutefois été réellement respectée dans la pratique.
15 Pour l'année 1976, les acheteurs belges et français ont bénéficié pour la première fois d'un rabais de quantité (Gesamtumsatzbonus) calculé sur le montant total de leurs achats annuels auprès de l'ensemble des membres de l'entente.
3. Les marchés et la clientèle dans la Communauté
16 La France est, dans la Communauté, le principal marché d'exportation des entreprises membres de l'entente. Ensuite viennent l'UEBL et les Pays-Bas. La part de marché des membres de l'entente dans ces États est de plus de 50 %. Pour y assurer leurs ventes, ils font généralement appel à des distributeurs qui font office d'agent commercial, ou bien traitent des affaires pour leur propre compte ou à la commission. Leur clientèle se compose de marchands de matériaux de construction, de pierres naturelles et de dalles ainsi que de circuits de distribution non spécialisés.
4. L'association "Industrieverband Solnhofener Natursteinplatten eV"
17 Après que la Commission eut fait savoir aux membres de l'Exportkartell que leur coopération était incompatible avec l'article 85 du traité instituant la Communauté économique européenne, ces entreprises ont mis fin au contrat de société du 2 août 1961 ainsi qu'à toutes les mesures et dispositions supplémentaires adoptées en vue de la réalisation de ses objectifs. C'est ainsi que la société civile "Exportkartell Solnhofener Natursteinplatten" a été déclarée dissoute à compter du 30 juin 1980, et remplacée par une association créée le même jour et dénommée "Industrieverband Solnhofener Natursteinplatten eV".
18 Les statuts de la nouvelle association prévoient essentiellement ce qui suit.
a) L'association se consacre exclusivement aux intérêts de ses membres ; son activité est financée par leurs seules cotisations.
b) L'association se fixe notamment les objectifs suivants:
- la promotion de l'extraction et de la transformation des pierres naturelles de Solnhofen ainsi que de leur distribution en République fédérale d'Allemagne et à l'étranger,
- le contrôle de la qualité des produits livrés ainsi que du respect des normes du secteur du bâtiment relatives aux épaisseurs et aux dimensions des pierres naturelles de Solnhofen,
- le recours à la publicité en vue de la création de marchés et de débouchés nouveaux,
- l'adoption de mesures propres à faciliter, au sein de la branche, les échanges et achats de pierres de Solnhofen brutes ou taillées et, à cette fin, la fixation en commun de prix de base pour ces livraisons internes ainsi que la négociation en commun, une fois par an, de prix d'achat indicatifs de la matière première aux carriers indépendants,
- la promotion et la surveillance de la formation des apprentis et la défense des intérêts sociaux du personnel employé par ses membres,
- la mise en commun de l'expérience acquise, la représentation de ses membres en tant que petites et moyennes entreprises et la mise à leur disposition d'un service de consultation dans les domaines technique, juridique et de la gestion d'entreprise.
c) L'association a créé le label "Industrieverband Solnhofener Natursteinplatten" présenté en caractères spéciaux et pouvant être utilisé par ses membres pour leurs activités commerciales.
d) Peut devenir membre de l'association toute entreprise ou toute personne physique qui se livre à l'extraction et/ou à la transformation et/ou à la vente de pierres naturelles de Solnhofen. Les admissions sont décidées par le conseil d'administration.
e) Le conseil d'administration peut décider l'exclusion:
- de tout membre qui, après avoir reçu deux avertissements écrits successifs, est en retard de paiement de sa cotisation ou des autres contributions obligatoires,
- de tout membre qui aurait, par sa faute, porté un préjudice grave aux intérêts de l'association.
Tout membre frappé d'exclusion peut faire appel de cette décision, auquel cas c'est l'assemblée des associés qui tranche.
Le retrait n'est autorisé que moyennant un préavis de six mois au minimum avant la fin de l'exercice social.
19 Les échanges de dalles et les achats de matières premières entre producteurs visés sous b) sont rendus nécessaires par les conditions particulières d'extraction de la pierre naturelle de Solnhofen. En effet, les dalles décollées des couches sédimentaires gardent leur épaisseur initiale - exception faite des pièces épaisses, assez rares - et, le format des dalles finies dépendant des dimensions extrêmement variables du matériel brut, les entreprises qui n'exploitent pas simultanément un grand nombre de veines ne retirent de leurs carrières qu'un assortiment de produits changeant et toujours incomplet.
20 Pour pouvoir exécuter régulièrement leurs livraisons et entretenir des relations continues avec la clientèle, la plupart des producteurs de dalles de Solnhofen en sont réduits à compléter leur gamme en s'approvisionnant auprès des autres producteurs. Par ailleurs, certaines entreprises disposent de matières premières qui ne se laissent transformer qu'en dalles d'une épaisseur et d'un format tels que leur propre clientèle n'offre pas de débouché suffisant et elles doivent donc chercher à écouler ailleurs leur production excédentaire, ce qui leur est possible grâce aux échanges de produits finis entre producteurs.
21 En outre, de nombreuses entreprises sont dans l'obligation ou font le choix d'acheter des matières premières et d'assurer elles-mêmes la finition des dalles, leurs fournisseurs étant essentiellement des carriers locaux travaillant pour leur compte (Hackstockmeister).
22 Les prix de base sur lesquels se fondent les échanges de produits entre les producteurs de la branche constituent une norme commune, indépendante de l'origine des produits, pour l'évaluation des dalles, dont les dimensions, les épaisseurs et les couleurs diffèrent très fortement. Leur utilisation ne facilite pas seulement la comparaison des produits, mais garantit en outre à long terme la régularité des livraisons réciproques. Étant donné que les producteurs connaissent à l'avance, pour les livraisons à l'intérieur de la branche, l'évaluation des matériaux qu'ils ont en stock ainsi que des produits que leurs carrières ne fournissent pas, ils sont mieux en mesure de déterminer les quantités à stocker en vue de commandes ultérieures, celles à mettre à la disposition d'autres entreprises ainsi que celles à offrir à leurs clients, et ceci même pour des dalles de dimensions autres que celles fournies par leurs propres carrières.
23 L'intérêt que présente un approvisionnement régulier pour les producteurs de produits en pierre de Solnhofen explique aussi leur habitude de négocier collectivement, une fois par an, avec les carriers indépendants, des prix indicatifs d'achat pour les matières premières.
24 Aucune observation n'a été présentée à la Commission par des tiers à la suite de la publication de l'essentiel du contenu de la notification et de son intention de délivrer une attestation négative à l'égard des statuts de l'association "Industrieverband Solnhofener Natursteinplatten eV".
II. EN DROIT
A. Applicabilité de l'article 85 paragraphe 1 et inapplicabilité de l'article 85 paragraphe 3 du traité CEE à l'Exportkartell Solnhofener Natursteinplatten
25 Considérant que, aux termes de l'article 85 paragraphe 1 du traité instituant la Communauté économique européenne, sont incompatibles avec le Marché commun et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises, et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun, et notamment ceux qui consistent à fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction [article 85 paragraphe 1 sous a)];
26 1. Considérant que le contrat conclu le 2 août 1961, ses éléments constitutifs et les mesures adoptées en vue de la réalisation des objectifs de la société, constituaient des accords entre entreprises, des décisions d'association d'entreprises ou des pratiques concertées au sens de l'article 85 paragraphe 1;
27 2. Considérant que la fixation en commun des prix de base, des rabais et des conditions de vente et de paiement applicables aux exportations et à la revente à l'étranger, qui résultaient de l'article 2 deuxième alinéa, de l'article 11 sous c) et h), et de l'article 12 du contrat de société, et les autres dispositions destinées à en assurer le respect, avaient pour objet, du moins dans la mesure où elles concernaient l'exportation et la revente dans d'autres États membres, de restreindre le jeu de la concurrence au sens de l'article 85 paragraphe 1 sous a) du traité CEE; qu'elles avaient pour effet, dans la mesure où elles étaient effectivement respectées, de restreindre la liberté d'action tant des membres de l'entente que des distributeurs allemands ou étrangers et même des producteurs non membres de l'entente, et de restreindre considérablement de la sorte les possibilités de choix des revendeurs étrangers;
28 3. Considérant que l'octroi collectif aux acheteurs belges et français d'un rabais calculé en fonction de la somme de leurs achats auprès de l'ensemble des membres de l'entente tombait également sous le coup de l'interdiction édictée à l'article 85 paragraphe 1; que, en effet, il constituait pour ces acheteurs une incitation à s'approvisionner exclusivement auprès des membres de l'entente de façon à obtenir un rabais aussi élevé que possible, et donc à délaisser les producteurs non membres de l'entente même si leurs offres étaient plus favorables; que, en conséquence, un tel système de rabais global infligeait aux producteurs non membres de l'entente un désavantage dans la concurrence puisqu'il les forçait, pour parvenir à vendre à des clients de l'entente, à franchir l'obstacle mis en place collectivement par tous les membres de celle-ci et qu'il avait pour effet de canaliser ainsi les acheteurs vers les membres de l'entente (3);
29 4. Considérant que l'activité de l'entente, telle qu'elle était prévue par le contrat de société et par les dispositions prises en application de ce dernier, était susceptible d'affecter le commerce entre États membres du fait qu'elle avait pour but et pour effet, ainsi qu'il est dit au point 2, de restreindre la liberté des membres de l'entente et des autres entreprises et de limiter les possibilités de choix des acheteurs étrangers, de sorte que l'exportation des pierres naturelles de Solnhofen, en particulier à destination de la France et de la Belgique, qui offrent les meilleurs débouchés, ne pouvait pas se développer de la même manière et avec la même ampleur que si l'entente n'avait pas existé;
30 Considérant que, même si l'on nie que le marché de la pierre naturelle de Solnhofen constitue un marché distinct et que l'on considère que le marché concerné est celui qui englobe l'ensemble des pierres naturelles pouvant servir de dalles de pavement ou de parement (la part de marché des membres de l'entente se trouvant réduite d'autant), il reste néanmoins que les restrictions de la concurrence découlant du contrat de société et des dispositions complémentaires étaient parfaitement sensibles et de nature à affecter de façon sensible les échanges entre les États membres ; que, par ailleurs, la sévérité des restrictions prévues, à savoir la fixation collective des prix à l'exportation par les producteurs concurrents, liée à l'obligation faite aux grossistes de respecter le niveau de prix prévu par l'entente pour les marchés d'exportation, ainsi qu'à l'intention déclarée d'exclure les non-membres des échanges entre producteurs et le fait que l'entente groupait la majorité des entreprises de la branche et représentait dès lors un facteur économique d'une certaine importance, empêchaient de considérer les accords en cause comme insignifiants au sens du droit communautaire des ententes ; que, pour les mêmes raisons, la communication de la Commission, du 19 décembre 1977, concernant les accords d'importance mineure qui ne sont pas visés par les dispositions de l'article 85 paragraphe 1 du traité CEE (4), n'était pas non plus applicable en l'espèce;
31 5. Considérant que, lors de la notification du contrat de société du 2 août 1961 ainsi que lors de leurs déclarations et prises de position ultérieures, les entreprises intéressées ont invoqué les nombreux effets favorables de l'entente et ont notamment fait valoir que l'assistance apportée par celle-ci lors des opérations d'exportations a mis pour la première fois de nombreuses petites entreprises en mesure d'exporter leurs produits et que l'entente aurait par conséquent augmenté le nombre d'offrants sur le marché étranger ; que, en outre, selon elles, la stabilité des prix et de la qualité qu'engendrait l'existence de l'entente entretenait l'intérêt de la clientèle pour ce type de pierres et permettait aux importateurs étrangers de se constituer un stock ; que, de plus, par sa politique de prix uniformes, l'entente aurait permis d'approvisionner tous les revendeurs, quelle que fût leur taille, et empêché de la sorte la création d'oligopoles ou de monopoles au stade commercial ; que, enfin, elle aurait assuré la sécurité de l'emploi dans une région pauvre en structures économiques;
32 6. Considérant que, contrairement aux thèses avancées par les entreprises en cause, l'entente ne remplissait pas les conditions d'application de l'article 85 paragraphe 3, du fait que les accords, décisions et pratiques concertées de ses membres avaient, comme il a été exposé, pour objet de restreindre la concurrence d'une manière extrêmement rigoureuse ; que, par ailleurs, il est permis de se demander si cette coopération entre entreprises a effectivement produit les effets favorables qu'on lui attribue, ou si ces derniers sont imputables aux accords de restriction de la concurrence, question au demeurant secondaire dans le présent cas ; que, en tout état de cause, les avantages de l'entente étaient loin de compenser les graves inconvénients qu'elle faisait subir aux commerçants et aux consommateurs, notamment du fait de l'élimination de toute concurrence en matière de prix, de sorte que l'accord sur la fixation de prix à l'exportation, de rabais et de conditions d'achat et de vente, ainsi que les autres restrictions de la concurrence appliquées ou prévues dans ce contexte n'ont pas véritablement contribué à des améliorations ou à des progrès au sens de l'article 85 paragraphe 3 ; que, en conséquence, la première condition d'exemption de l'interdiction de l'article 85 ne se trouvait pas remplie;
B. Non-applicabilité de l'article 85 paragraphe 1 du traité CEE aux statuts de l'association "Industrieverband Solnhofener Natursteinplatten eV"
33 Considérant que les statuts de l'association "Industrieverband Solnhofener Natursteinplatten eV" doivent être considérés comme un accord entre entreprises;
34 Considérant que l'adhésion à cette association permet aux entreprises concernées, qui sont toutes de moyenne ou petite dimension, de trouver un soutien pour leurs activités commerciales;
35 Considérant que, parmi les activités qu'ils prévoient, les statuts de l'association reprennent celles de l'ancien "Exportkartell Solnhofener Natursteinplatten" qui ne constituaient pas des restrictions de la concurrence et n'avaient donc pas fait l'objet de griefs de la part de la Commission, comme les efforts déployés en vue de garantir la qualité ainsi que le respect des normes du secteur du bâtiment, le progrès technique, la formation de main-d'œuvre qualifiée, la diffusion commune d'informations ; l'extension de la gamme de livraison des différentes entreprises par des échanges de matériaux entre elles et l'aide fournie aux petites entreprises pour les opérations d'exportation;
36 Considérant que toute entreprise travaillant dans la branche a accès à l'association, de même que tout membre peut s'en retirer à la fin de l'exercice, à condition de respecter un préavis de six mois, la date de retrait étant placée en fin d'exercice pour tenir compte des conditions particulières à cette branche, où les activités présentent un caractère saisonnier, et où les activités communes, notamment les campagnes de publicité, sont programmées et exécutées selon un rythme annuel;
37 Considérant que l'utilisation par les membres de l'association du label créé par cette dernière est facultative, qu'elle a un rôle exclusivement publicitaire et qu'elle ne constitue dès lors pas une restriction de la concurrence;
38 Considérant que les autres opérations communes de publicité et les autres prestations que l'association, par l'intermédiaire d'un gérant employé à cet effet, réalise dans l'intérêt de ses membres sont financées par les cotisations et redevances de ces derniers ;qu'il est donc normal que ces prestations leur soient en principe réservées ;qu'on peut toutefois considérer qu'aussi bien la publicité réalisée par l'association que certaines autres activités, par exemple les initiatives favorisant la formation d'apprentis, produisent également des effets profitables aux non-membres;
39 Considérant que les entreprises non affiliées à l'association peuvent elles aussi bénéficier des dispositions prises par celle-ci en vue de faciliter au niveau de la branche les achats de matières premières ainsi que les échanges de dalles;
40 Considérant que, en l'espèce, le système des livraisons entre producteurs pratiqué par l'association ne constitue pas une infraction à l'interdiction de l'article 85 paragraphe 1;
Que, en effet, les producteurs étant ainsi en mesure de compléter leur assortissement par des échanges réciproques alors que leur propre production ne leur permettrait de présenter qu'une gamme restreinte de dalles dont l'épaisseur, les dimensions et les couleurs changeraient sans cesse, ce système d'échanges est pour eux le seul moyen de se faire concurrence avec des gammes complètes de produits ; que, en conséquence, la contribution de l'association se limite en l'occurrence à fournir une aide technique, sans influer sur les quantités échangées entre les producteurs de produits finis ni les modalités de livraison, que les parties au contrat fixent cas par cas ; que toutefois la fixation commune de prix de base pour les échanges de matériaux peut, par définition, constituer une restriction de la concurrence; que, même si le prix de base ne saurait être assimilé au prix de vente effectif des dalles livrées entre producteurs, mais sert uniquement de base à l'établissement de ce prix, il y a lieu d'admettre qu'il limite le champ de manœuvre des cosignataires et conduit à la longue à l'uniformisation délibérée des conditions de livraison entre les différents producteurs ; que, cependant, le système des prix de base ne s'applique qu'aux livraisons entre producteurs exécutées dans une région strictement délimitée d'un État membreet qu'il n'affecte dès lors pas les échanges internationaux ; que ce système n'est pas non plus de nature à affecter indirectement de façon sensible le commerce entre États membres; que les échanges entre producteurs concernent généralement de petites quantités de matériaux qui - comparées à la production totale de l'entreprise intéressée - sont d'une importance mineure; que même une uniformisation totale des prix des dalles achetées à titre de complément n'aurait dans de telles circonstances qu'une incidence minime sur les coûts supportés par le producteur considéré ; que, toutefois, une telle uniformisation est très loin d'être réalisée, puisque des rabais sont appliqués sur les prix de base, dont le montant varie en fonction des quantités commandées, du contenu des carnets de commande du fournisseur ou de l'urgence de la livraison, si bien que ces transactions se font à des prix effectifs différents ; que, en outre, les prix effectifs pratiqués lors des échanges ne constituent que l'un des facteurs entrant en jeu dans la fixation du prix de vente;
Que les autres éléments du calcul des prix, tels que la marge bénéficiaire, la remise au client ou la commission des intermédiaires, sont fixés individuellement par chaque producteur sans qu'il ait à suivre un schéma ou un barème quelconque;
Que, dans de telles conditions, les prix de base fixés collectivement pour les échanges entre producteurs n'exercent aucune influence sensible sur les prix de vente facturés aux clients dans d'autres États membres;
41 Considérant que la négociation commune des prix indicatifs d'achat des matières premières livrées par les carriers indépendants échappe également au champ d'application de l'article 85 paragraphe 1 du fait qu'elle n'est pas non plus susceptible d'affecter sensiblement les échanges entre les États membres ; que, en effet, compte tenu du fait que les achats complémentaires de matières premières effectués par les producteurs qui exportent vers les autres marchés de la Communauté économique européenne portent sur des quantités différentes selon les producteurs et font, en outre, l'objet de variations en volume constantes, de sorte que leur influence sur les coûts des divers producteurs varie elle aussi d'un cas à l'autre ; qu'il n'y a, dès lors, pas lieu, dans le présent cas, de craindre qu'une négociation collective des prix d'achat exerce une influence uniformisatrice sensible sur un facteur de coût entrant en ligne de compte dans la détermination de la valeur du produit fini ; que, en outre, les prix d'achat effectifs payés par les différents producteurs ne sont pas identiques dans la mesure où les carriers indépendants ont la possibilité, en cas d'urgence de la livraison ou lorsque celle-ci porte sur des dalles de dimension ou de couleur peu courantes, de réclamer un supplément de prix, et dans la mesure où les conditions de livraison font l'objet d'une négociation individuelle en ce qui concerne l'imputation des frais de manutention et de transport ; qu'enfin, dans la mesure où les carriers exercent leur activité indépendante dans des carrières dont la propriété appartient à leurs clients, les prix d'achat indicatifs font l'objet d'une réduction, qui constitue en quelque sorte une contrepartie à l'utilisation de la carrière, et qui est elle aussi débattue cas par cas;
Considérant que tous les autres coûts, notamment ceux relatifs à la finition des dalles, sont calculés séparément par les producteurs et que les autres éléments de prix, tels que les marges bénéficiaires, les remises aux clients et les commissions des intermédiaires, sont également fixés individuellement par chaque entreprise ; que, compte tenu de ces circonstances, il n'y a pas lieu de redouter que la fixation en commun de ces prix d'achat indicatifs exerce une influence sensible sur le niveau des prix pratiqués à l'exportation vers les autres marchés de la Communauté économique européenne;
42 Considérant que les membres de l'association ayant, lors de la dissolution de la société civile "Exportkartell Solnhofener Natursteinplatten", confirmé par une décision unanime qu'ils renonçaient avec effet immédiat à toute mesure destinée à influencer la formation des prix et les conditions commerciales à l'égard des membres, non-membres, agents et clients sur le territoire de la Communauté européenne, la Commission ne dispose actuellement d'aucun élément permettant de conclure à une régulation effective ou envisagée des prix de vente des membres de l'association ; qu'il n'existe pas non plus de raisons de penser que les membres de la nouvelle association concerteront à l'avenir leur politique en matière de prix et que, au contraire, la structure des marchés d'exportation communautaires de pierres de Solnhofen, où l'on trouve du côté de la demande une série de grandes entreprises et du côté de l'offre uniquement de petites ou moyennes entreprises, est de nature à contrarier toute tendance à l'uniformisation des prix;
43 Que, eu égard à ces faits, au caractère non homogène du produit fini et à la structure des débouchés, il n'y a pas lieu de s'attendre à ce que les prix d'exportation des pierres naturelles de Solnhofen soient faussés, notamment pour avoir été uniformisés d'une façon artificielle du fait de la fixation en commun de prix de base pour les échanges et de prix d'achat indicatifs pour les approvisionnements complémentaires ; que la fixation de ces prix n'est dès lors pas susceptible, dans le présent cas, d'affecter le commerce entre les États membres;
44 Considérant que les autres dispositions des statuts de l'association n'appellent pas non plus une intervention de la Commission en vertu de l'article 85 paragraphe 1 et que ces statuts peuvent dès lors faire l'objet d'une attestation négative au sens de l'article 2 du règlement nº 17;
C. Applicabilité de l'article 7 paragraphe 1 du règlement nº 17
45 Considérant que l'article 7 paragraphe 1 du règlement nº 17 est applicable au contrat de société du 2 août 1961, qui instituait une première forme de coopération entre les producteurs de pierres de Solnhofen, ainsi qu'à toute fixation ou application de prix de base, remises, conditions de vente et de paiement arrêtés en vertu dudit contrat ; que ce contrat existait au moment de l'entrée en vigueur du règlement nº 17, c'est-à-dire le 13 mars 1962, et qu'il a été notifié avant la date fixée à l'article 5 paragraphe 1 dudit règlement, à savoir le 1er novembre 1962 ; que, ainsi qu'il a été exposé sous II.A.6, l'ensemble des accords ne remplissait pas les conditions nécessaires à l'application de l'article 85 paragraphe 3 ; que, toutefois, la société civile "Exportkartell Solnhofener Natursteinplatten" ayant été dissoute et remplacée par l'association "Industrieverband Solnhofener Natursteinplatten eV", les entreprises membres ont modifié la nature de leur coopération de manière telle que l'article 85 paragraphe 1 ne soit plus applicable ; que, en conséquence, l'interdiction énoncée à l'article 85 paragraphe 1 ne vaut que pour la période fixée par la Commission;
46 Considérant que, aux fins de l'application de l'article 7 paragraphe 1 du règlement nº 17, il faut tenir compte que les entreprises participantes ont renoncé à appliquer leurs accords, décisions et pratiques concertées après avoir reçu communication des griefs de la Commission et ont avisé cette dernière de leur intention de modifier leur coopération pour la rendre conforme au droit communautaire des ententes, et qu'elles ont en outre dissous l'Exportkartell Solnhofener Natursteinplatten dans des délais adéquats après avoir pris connaissance de l'avis de la Commission, pour remplacer cette société par l'Industrieverband Solnhofener Natursteinplatten;
47 Qu'il est donc indiqué que la Commission déclare inapplicable l'interdiction énoncée à l'article 85 paragraphe 1 pour l'ensemble de la période située entre la date d'entrée en vigueur du règlement nº 17 et celle de la dissolution du contrat de société,
A ARRÊTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION:
Article premier
Il n'y a pas lieu pour la Commission, en fonction des éléments dont elle dispose, d'intervenir en vertu de l'article 85 paragraphe 1 du traité instituant la Communauté économique européenne à l'égard des statuts de l'association "Industrieverband Solnhofener Natursteinplatten eV", fondée le 30 juin 1980.
Article 2
Conformément à l'article 7 paragraphe 1 du règlement nº 17, l'interdiction édictée à l'article 85 paragraphe 1 du traité CEE ne s'applique pas pour la période du 13 mars 1962 au 30 juin 1980 au contrat de société instituant la société civile "Exportkartell Solnhofener Natursteinplatten" ni à l'adoption ou à l'application par ladite société, en vertu de ses statuts, de prix de base, de rabais et de conditions de vente ou de paiement.
Article 3
L'association "Industrieverband Solnhofener Natursteinplatten eV", D-8834 Pappenheim, est destinataire de la présente décision.
Notes :
(1)JO nº 13 du 21.2.1962, p. 204/62.
(2)JO nº 127 du 20.8.1963, p. 2268/63.
(3)Voir décision de la Commission du 29 décembre 1970 (affaire "Communauté d'intérêts des fabricants allemands de carreaux céramiques", JO nº L 10 du 13.1.1971, p. 15).
(4)JO nº C 313 du 29.12.1977, p. 3.