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Décisions

CCE, 8 octobre 1973, n° 73-323

COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Décision

Prym/Beka

CCE n° 73-323

8 octobre 1973

La Commission des Communautés européennes,

Vu le traité instituant la Communauté économique européenne, et notamment son article 85, vu le règlement n° 17 du Conseil du 6 février 1962 (1), et notamment ses articles 2, 4 et 6, vu la demande d'attestation négative présentée le 9 avril 1970, conformément a l'article 2 du règlement n° 17, puis la notification présentée le 18 mai 1972, conformément a l'article 4 du règlement n° 17 en vue d'obtenir une décision d'application de l'article 85 paragraphe 3 en faveur de l'accord de livraison conclu le 11 août 1969 entre l'entreprise allemande william Prym-werke kg, a Stolberg (Rhenanie), et l'entreprise belge sa manufacture belge d'aiguilles Beka, a Eupen, dans le domaine des aiguilles pour machines a coudre de ménage, après audition des entreprises intéressées, conformément a l'article 19 paragraphe 1 du règlement n° 17 et aux dispositions du règlement n° 99-63-CEE (2), vu la publication de l'essentiel du contenu de la notification, faite en application de l'article 19 paragraphe 3 du règlement n° 17, dans le journal officiel des Communautés européennes n° c 12 du 24 mars 1973, vu l'avis du comite consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes, recueilli conformément a l'article 10 du règlement n° 17, le 18 mai 1973,

I

Considérant que l'accord notifie a été conclu le 11 août 1969 par les deux entreprises suivantes :

a) d'une part, la société en commandite de droit allemand william Prym werke (ci-après dénommée Prym), qui fabrique en Allemagne dans plusieurs usines occupant environ 4 500 personnes, a cote de demi-produits en laiton, toute une série de petits articles de mercerie destines principalement a l'habillement, tels que fermetures en tous genres, boucles et aiguilles,

b) d'autre part, la société anonyme de droit belge manufacture belge d'aiguilles Beka (ci-après dénommée Beka), filiale du groupe belge Bekaert, un des principaux producteurs mondiaux de fils et files métalliques, qui possède une seule usine, occupant environ 350 personnes, et consacrée a la fabrication d'aiguilles pour machines a coudre tant de ménage qu'a usage industriel ;

Considérant que ces deux entreprises ont conclu l'accord notifie pour les raisons ci-après :

Ayant constate qu'elles fabriquaient et vendaient toutes deux des aiguilles pour machines a coudre de ménage, mais que leurs capacités de production respectives en ces articles étaient trop faibles pour permettre de pratiquer des prix suffisamment compétitifs, elles décidèrent en 1969 de concentrer leur production dans une seule usine, celle de Beka a Eupen, de manière a pouvoir abaisser le prix de revient grâce a une fabrication a la chaîne. Cette décision devait entraîner l'arrêt de la fabrication d'aiguilles dans l'usine de Prym à stolberg et le transfert des installations et du matériel correspondants a eupen. En contrepartie, Prym obtint une participation de 25 % dans le capital de Beka et l'assurance de pouvoir couvrir à long terme tous ses besoins en aiguilles auprès de Beka ;

Considérant que l'accord notifie prévoit actuellement ce qui suit.

Prym s'oblige :

a) à ne plus fabriquer, a partir de la fin de 1970, et à ne pas faire fabriquer pour son compte des aiguilles pour machines à coudre de ménage,

b) à ne pas acheter ou faire acheter pour son compte de telles aiguilles a d'autres qu'à Beka,

c) a couvrir la totalité de ses besoins exclusivement auprès de Beka, aux prix et conditions fixes par l'accord,

d) à fournir à Beka, a la fin de chaque année, un programme de ses besoins pour l'année suivante.

Beka s'engage à fournir à Prym, sur les indications de celle-ci, toutes les quantités d'aiguilles qui lui sont nécessaires, dans des délais normaux et aux conditions spéciales fixées par l'accord.

Si Beka ne parvient pas a couvrir tous les besoins de Prym, même par des achats a des tiers, Prym a le droit de s'approvisionner ailleurs, a condition d'indiquer a Beka le fournisseur et les quantités en cause.

Beka doit vendre les aiguilles a Prym a des prix provisoires qui sont fixes par l'accord et qui doivent être modifies proportionnellement, en cas de variation de leurs bases de calculation de plus de 5 % au total, a la suite d'augmentation des salaires, de changements de prix des matières premières ou d'économies de rationalisation. Les prix définitifs des livraisons de Beka a Prym, qui sont établis a la fin de chaque année conformément a un schéma annexe a l'accord, sont fonction des prix de vente finals a la clientèle obtenus par Prym ; ils ne peuvent toutefois jamais être inférieurs aux coûts de fabrication de Beka ni laisser a Prym un bénéfice supérieur a un pourcentage détermine.

Il est convenu que les aiguilles de la qualité courante portent l'indication " 555 ", quel que soit celui qui les vendent, tandis que celles de la qualité supérieure sont estampes " Beka " ou " Prym " selon le partenaire qui les vend.

L'accord est conclu pour une durée indéterminée. Il ne peut être résilié aussi longtemps que Prym détient une participation dans le capital de Beka et en tout cas, pas avant le 31 décembre 1984 (moyennant respect d'un préavis de 5 ans) ;

Considérant que, dans sa version primitive, l'accord en cause prévoyait également que :

a) Prym approvisionnera exclusivement le commerce d'assortiment de mercerie et de bonneterie, ainsi que les revendeurs de cycles spécialisés,

b) Beka approvisionnera exclusivement le secteur des machines a coudre (fabricants, commerçants spécialises et confrères qui livrent a ce secteur), ainsi que les fabricants de fils et les ateliers de mise en paquets (pour autant qu'il s'agisse d'aiguilles en vrac ou a moitie emballées),

c) Beka n'approvisionnera les entreprises qui sont concurrentes de Prym dans le secteur de la mercerie qu'avec l'accord de Prym,

d) à l'exception de quelques affaires déterminées, les exportations vers les pays extra-europeens sont réservées à Prym,

e) les partenaires peuvent traiter tous deux des affaires avec les pays de l'Est ;

Considérant que, dans une communication des griefs qu'elle a adressée a Prym et a Beka le 18 juillet 1972, conformément a l'article 19 paragraphe 1 du règlement n° 17 et en application du règlement n° 99-63-CEE, la Commission leur a fait savoir que les dispositions citées sous a) a c) étaient non seulement visées par l'interdiction de l'article 85 paragraphe 1 du traité dans la mesure ou elles avaient pour objet de repartir la clientèle des deux partenaires sur leurs marchés d'exportation a l'intérieur du Marché commun, mais qu'elles empêcheraient aussi une application éventuelle de l'article 85 paragraphe 3 a l'accord, notamment parce qu'elles faisaient obstacle a ce qu'une partie équitable du profit qui résulterait de la rationalisation de la production soit réservée aux utilisateurs ;

Considérant que, a la suite de cette communication des griefs, les entreprises en cause ont supprime les dispositions incriminées dans la mesure ou elles concernent le marché de la CEE, et ce, par décision prise respectivement par Prym le 15 septembre 1972 et par Beka, le 10 octobre 1972 ;

Considérant que pour apprécier les effets de l'accord sur le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun, il convient également de tenir compte des éléments suivants.

La production mondiale d'aiguilles pour machines à coudre de ménage, qui correspond à une valeur approximative de 50 millions d'unités de compte par an, est assurée par 25 a 30 entreprises situées principalement en Europe occidentale, en amerique du Nord et en extreme-orient.

Avant la concentration de leurs fabrications respectives, Beka produisait environ 6 % de la production mondiale et Prym environ 3 %.

Leurs principaux concurrents européens sont la société allemande schmetz, les usines de fabrication d'aiguilles des groupes américains singer et Torrington et la société hollandaise musolf, mais ce sont les fabricants du japon et de hong kong qui exercent actuellement la plus forte pression sur le marché ;

Considérant que, a la suite de la publication du contenu essentiel de la notification, aucune observation de tiers n'a été communiquée à la Commission ;

II

Considérant que, selon l'article 2 du règlement n° 17, la Commission peut accorder une attestation négative si elle constate qu'il n'y a pas lieu pour elle, en fonction des éléments dont elle a connaissance, d'intervenir en vertu des dispositions de l'article 85 paragraphe 1 du traité CEE a l'égard de l'accord en cause ;

Considérant que, même dans sa version modifiée le 10 octobre 1972, l'accord conclu entre Prym et Beka a pour objet et pour effet de restreindre de manière sensible la concurrence a l'intérieur du Marché commun dans la mesure ou il prévoit pour une durée indéterminée :

1. L'interdiction pour Prym de fabriquer des aiguilles pour machines à coudre de ménage et de faire fabriquer ces articles pour son compte par des tiers,

2. L'obligation pour Prym d'acheter la totalité de ses besoins en aiguilles pour machines à coudre de ménage exclusivement à Beka,

3. L'obligation pour Beka de livrer à Prym toutes les quantités de ces articles dont Prym aurait besoin, et ce, a des prix de vente préférentiels ;

Considérant que l'accord en cause est susceptible d'affecter le commerce entre Etats membres parce qu'il réserve l'approvisionnement exclusif de Prym a une entreprise belge, ce qui peut mettre en cause la liberté du commerce entre Etats membres d'une façon préjudiciable a la réalisation des objectifs d'un marché unique ;

Considérant que, par conséquent, les conditions d'application de l'interdiction édictée a l'article 85 paragraphe 1 du traité sont réunies, de sorte qu'il n'est pas non plus justifie que la Commission délivre l'attestation négative demandée en ce qui concerne l'accord dans sa version modifiée le 10 octobre 1972 ;

III

Considérant que l'article 85 paragraphe 3 prévoit que les dispositions du paragraphe 1 peuvent être déclarées inapplicables a tout accord entre entreprises qui contribue a améliorer la production ou la distribution des produits ou a promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, et sans

a) imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs,

b) donner à ces entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d'éliminer la concurrence ;

1. Considérant que l'accord ne remplit pas les conditions du règlement (CEE) n° 2779-72 de la Commission, du 21 décembre 1972 (3), concernant l'application de l'article 85 paragraphe 3 a des catégories d'accords de spécialisation, parce qu'il ne s'agit pas d'un engagement réciproque des participants de renoncer, pendant la durée de l'accord, a la fabrication de certains produits pour la confier au partenaire, mais seulement de l'engagement unilatéral de Prym de cesser sa fabrication d'aiguilles pour la transférer a Beka ;

Considérant toutefois que la concentration de fabrication convenue par Prym et Beka a, du point de vue de l'amélioration de la production, des effets favorables analogues a ceux d'une spécialisation; qu'elle provoque une augmentation d'au moins 50 % des quantités d'aiguilles a fabriquer dans l'usine d'Eupen, ce qui permet d'utiliser de manière plus intensive les installations existantes et de mettre en route une fabrication a la chaîne;

Considérant que cette rationalisation de la production a notamment rendu possible une réduction de la part très importante du coût de la main-d'œuvre dans le prix de revient; que le prix de revient des aiguilles de la qualité " standard " qui avait diminue de 20 % environ en 1970 après la concentration de la fabrication a Eupen, était a la fin de 1972 encore inférieur a celui de 1969, malgré les hausses de salaires et de matières premières intervenues au cours de ces 4 années ; que la mise en route d'une chaîne de fabrication mécanise dans le cadre d'une capacité de production élargie permet en outre de fabriquer des articles de qualité plus régulier;

2. Considérant que l'accord réserve aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, étant donne que, vu la pression de la concurrence existant sur le marché des aiguilles, on doit présumer que les avantages résultant de la rationalisation sont transmis aux consommateurs ;

3. Considérant que l'accord ne contient pas de restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre lesdits avantages; que les effets favorables de l'accord étant dus essentiellement a l'amélioration de la productivité résultant d'une utilisation plus intensive de la capacité de production, celle-ci n'est possible que si les quantités d'aiguilles a fabriquer sont et resteront sensiblement plus importantes qu'auparavant; qu'il est des lors indispensable que Prym s'engage pour une longue période non seulement a arrêter sa propre fabrication, mais aussi a acheter tous ses besoins en aiguilles pour machines a coudre de ménage a Beka, de manière a garantir a cette dernière un volume de production accru; que l'engagement d'approvisionnement exclusif a long terme pris par Prym a l'égard de Beka est donc une restriction indispensable pour que les effets favorables de l'accord puissent être atteints et même maintenus ; que cet engagement ne va d'ailleurs pas au-delà de ce qui est strictement nécessaire puisqu'il laisse la possibilité a Prym, en cas de défaillance de Beka, d'acheter a des tiers, et que, de toute manière, Prym bénéficie de prix de vente préférentiels;

4. Considérant enfin que l'accord ne donne pas aux partenaires la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d'éliminer la concurrence ; que, en effet, dans sa version modifie en vigueur depuis le 10 octobre 1972, cet accord n'empêche plus Beka et Prym de se concurrencer sur n'importe quel marché de la CEE tant géographique que sectoriel ; que les deux entreprises restent exposées a la forte concurrence qu'exercent d'autres fabricants, parfois plus importants, en se présentant comme vendeurs a l'intérieur de la CEE ;

5. Considérant que toutes les conditions d'application de l'article 85 paragraphes 3 du traité sont donc remplies ;

IV

Considérant que, tel qu'il était en vigueur au moment de sa notification a la Commission le 18 mai 1972, l'accord en cause ne remplissait pas les conditions d'application de l'article 85 paragraphe 3 parce qu'il comportait a son article 4 des clauses ayant pour objet une répartition de la clientèle entre les deux partenaires a l'intérieur du Marché commun ;

Considérant que, dans la mesure ou elles concernent le marché de la CEE, ces clauses ont été supprimées par les intéresses le 10 octobre 1972 ; que c'est donc seulement a partir de cette date que les conditions d'application de l'article 85 paragraphe 3 ont été réunies et qu'une décision rendue en vertu de l'article 6 paragraphe 1 du règlement n° 17 peut prendre effet ;

Considérant que, pour fixer la durée de validité d'une telle décision validité a l'article 8 paragraphe 1 du règlement n° 17, il y a lieu de tenir compte que les effets favorables de l'accord sont lies au maintien d'une collaboration de longue durée entre les parties,

A arrêté la présente décision :

Article premier :

La demande d'attestation négative présentée le 9 avril 1970 par les entreprises william Prym-werke kg, a stolberg, et sa manufacture belge d'aiguilles Beka, a Eupen, concernant leur accord de livraison du 11 août 1969, est rejette.

Article 2 :

Les dispositions de l'article 85 paragraphe 1 du traité instituant la Communauté économique européenne sont déclares inapplicables, conformément a l'article 85 paragraphe 3, a l'accord vise a l'article 1er dans sa version modifie le 10 octobre 1972.

Article 3 :

La décision rendue à l'article 2 prend effet au 10 octobre 1972 ; elle est valable jusqu'au 31 décembre 1984.

Article 4 :

La présente décision est destinée aux entreprises william Prym-werke kg, zweifaller strasse 5-7, a stolberg/rheinland (Allemagne), et sa manufacture belge d'aiguilles Beka, huette 77, a Eupen (Belgique).

Notes :

(1) JO n° 13 du 21.2.1962, p. 204/62.

(2) JO n° 127 du 20.8.1963, p. 2268/63.

(3) JO n° L 292 du 29.12.1972, p. 23.