CA Paris, 3e ch. A, 5 novembre 2002, n° 1999-22501
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Habitmat (SARL)
Défendeur :
France Sélection (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Perie
Conseillers :
Mmes Deurbergue, Le Jan
Avoués :
SCP Lecharny-Calarn, SCP Narrat-Peytavi
Avocats :
Mes La Burthe, Martin de la Bastide.
Vu l'appel interjeté par la société Habitmat d'un jugement du Tribunal de commerce de Bobigny (2e Chambre) du 23 septembre 1999 qui :
- a rejeté l'exception d'incompétence qu'elle avait soulevée,
- l'a déclarée responsable d'actes de concurrence déloyale commis envers la société France Sélection,
- l'a condamnée à payer à la société France Sélection une provision de 220 000 F, à valoir sur la réparation de son préjudice et 15 000 F, par application de l'article 700 du NCPC,
- a ordonné une expertise sur le préjudice de la société France Sélection et la publication du jugement;
Vu les conclusions du 25 septembre 2001 de la société Habimat et de la SCP Perney Angel, représentant des créanciers et commissaire à l'exécution du plan, qui prient la Cour :
- d'annuler le jugement, subsidiairement, de le déclarer caduque, de surseoir à statuer dans l'attente de l'issue du pourvoi en cassation interjeté contre un arrêt de cette Cour (18e Chambre E) du 22 juin 2001 rendu dans l'instance opposant Mme Carteau à la société France Sélection,
- plus subsidiairement, d'infirmer le jugement et de condamner la société France Sélection à payer à la société Habimat 150 000 F de dommages et intérêts pour procédure abusive et 15 000 F par application de l'article 700 du NCPC;
Vu les conclusions du 18 octobre 2001 de la société France Sélection, de Me Brignier, commissaire à l'exécution du plan, et de Me Moynard, représentant des créanciers, qui demandent à la Cour de :
- déclarer recevable l'action en concurrence déloyale de la société France Sélection,
- subsidiairement, donner acte à Me Brignier et à Me Moynard de leurs interventions volontaires,
- confirmer le jugement,
- fixer à 15 000 F l'indemnité allouée à la société France Sélection au titre de l'article 700 du NCPC
Sur quoi:
Considérant que la société France Sélection, spécialisée dans la vente de matériel destinés aux sapeurs pompiers, aux mairies et aux services administratifs, a employé M. Collas comme chef comptable et Mme Carteau comme secrétaire, jusqu'à leur départ de l'entreprise au cours de l'année 1998 ;
Que, le 18 décembre 1997, a été immatriculée au registre du commerce une société, dénommée Habitmat, ayant une activité similaire, dont Mme Carteau et M. Collas étaient les associés, M. Collas assumant en outre les fonctions de gérant ;
Que, le 7 janvier 1998, la société France Sélection a été mise en redressement judiciaire puis, le 16 décembre 1998, a bénéficié d'un plan de continuation ;
Que, le 29 mars 1999, la société France Sélection a engagé à l'encontre de la société Habimat une action en concurrence déloyale ;
Que, le 4 septembre 2000, la société Habimat, mise en redressement judiciaire le 10 janvier 2000, a bénéficié d'un plan de continuation de 10 ans ;
Sur la régularité de la procédure :
Considérant que la société Habitmat fait valoir que la société France Sélection n'ayant pas mis en cause Me Brignier et Me Moynard, ès qualités, l'instance a été irrégulièrement introduite ;
Mais considérant que, dès le prononcé du jugement arrêtant le plan de continuation, la société France Sélection a retrouvé la totalité de ses pouvoirs, sous réserve de ceux attribués à l'administrateur pour la mise en œuvre du plan et au commissaire à l'exécution du plan pour veiller à son exécution;
Que la mise en cause du commissaire à l'exécution du plan et du représentant des créanciers dans une procédure diligentée postérieurement à l'adoption du plan de continuation, étrangère à l'exécution de ce plan et à la procédure de vérification des créances, est facultative, de sorte que l'omission de cette formalité n'est assortie d'aucune sanction;
Qu'il convient en conséquence de rejeter les exceptions de nullité et caducité du jugement et de déclarer recevable l'action de la société France Sélection contre la société Habitmat;
Sur le sursis à statuer :
Considérant qu'il est sans objet de surseoir à statuer dans l'attente de l'issue du pourvoi en cassation interjeté dans l'instance prud'homale opposant la société France Sélection à Mme Carteau dès lors qu'il est justifié que la société France Sélection s'est désistée de son pourvoi le 4 septembre 2001 et que l'affaire a été radiée du rôle de la Cour de cassation ;
Sur les actes de concurrence déloyale et de dénigrement:
Considérant que la circonstance que les contrats de travail de M. Collas et de Mme Carteau, qui régissaient leurs rapports avec la société France Sélection jusqu'à leur départ de l'entreprise, ne comportaient pas de clause de non-concurrence ou d'exclusivité, est sans incidence, dès lors que ce n'est pas leur responsabilité personnelle qui est recherchée pour des actes de concurrence déloyale mais celle de la société Habitmat ;
Considérant que, s'agissant du reproche fait pas la société France Sélection à la société Habitmat de l'avoir dénigrée dans une télécopie qu'elle aurait adressée à des présidents d'amicales de sapeurs pompiers, force est de constater que rien n'établit que la société Habitmat ait effectué l'envoi d'un tel document, ni qu'elle en ait été le rédacteur, observation étant faite que les éléments contenus dans cette télécopie avaient été portés à la connaissance d'autres personnes que M. Collas ;
Que ce grief n'est donc pas avéré ;
Considérant, en revanche, s'agissant du détournement de clientèle, qu'il est établi que Mme Carteau transmettait aux clients de la société France Sélection qui passaient des commandes un devis de fournitures à l'en-tête de cette société et en même temps un devis à l'en-tête de la société Habimat rédigé en termes identiques mais mentionnant un prix inférieur à celui indiqué dans le devis de la société France Sélection ; qu'il en a été ainsi, notamment, pour des commandes passées en décembre 1997 et au cours du premier trimestre de l'année 1998 par la mairie de Sainte-Luperce et par la Chambre de commerce et d'industrie de la Guyane;
Que, par ailleurs, Mme Carteau et M. Collas incitaient les clients à annuler les commandes passées auprès de la société France Sélection en leur faisant croire que cette société était proche du dépôt de bilan ou qu'elle était en rupture de stocks et leur proposaient de se fournir auprès de la société Habitmat; qu'il en a été ainsi pour des commandes concernant les sociétés Paprodis Antilles, Garnier et Normandie Protection, la mairie de Marck et la Chambre de commerce et d'industrie de la Guyane, comme cela est confirmé par les courriers de ces sociétés ou administrations publiques versés aux débats;
Que la preuve est donc rapportée que la société Habitmat s'est rendue coupable d'agissements déloyaux à l'égard de la société France Sélection par détournement de clientèle;
Sur le préjudice:
Considérant qu'il n'a pas été statué par l'arrêt de cette Cour (18e Chambre E) du 22 juin 2001 rendu dans l'instance prud'homale opposant Mme Carteau à la société France Sélection sur le dommage imputable aux procédés déloyaux utilisés par la société Habitmat ;
Qu'il n'y a pas d'autorité de la chose jugée de cette décision sur la réparation du dommage de la société France Sélection du fait des agissements fautifs de la société Habitmat ;
Considérant que l'expertise ordonnée par le tribunal de commerce n'ayant pas été mise en œuvre par la société France Sélection est devenue caduque;
Qu'il convient d'évoquer sur le préjudice et d'inviter les parties à conclure sur ce point ;
Qu'il doit être sursis à statuer sur le surplus des demandes ;
Par ces motifs : Rejette l'exception de nullité et de caducité du jugement et la demande de sursis à statuer ; Déclare recevable l'action de la société France Sélection; Confirme le jugement en ce qu'il a retenu la responsabilité de la société Habitmat pour des actes de concurrence déloyale commis au détriment de la société France Sélection; Evoque sur le préjudice; Invite les parties à conclure sur ce point avant le 14 janvier 2003; Sursoit à statuer sur les autres demandes; Renvoie l'affaire pour clôture à l'audience de mise en état du 14 janvier 2003 à 13h30; Fixe l'audience des plaidoiries au 25 février 2003 à 14 heures; Réserve les dépens.