CA Paris, 4e ch. A, 29 mars 2000, n° 1998-00843
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Sodetour International (SA)
Défendeur :
Tourisme International Ferret (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Marais
Conseillers :
M. Lachacinski, Mme Magueur
Avoués :
SCP Fanet, Me Nut
Avocats :
Mes Sanglade, Villeminot.
FAITS ET PROCÉDURE
La société Sodetour International qui exerce sous l'enseigne Tapis Rouge International Gotha International, une activité d'agence de voyage a employé Brigitte Joyeux, du 2 octobre 1989 jusqu'au 2 juin 1995, en qualité de responsable des voyages de prestige individuels ;
Par acte du 26 mars 1996, la société Tapis Rouge International a assigné la société Shenendo devant le Tribunal de commerce de Paris en lui reprochant d'avoir eu à son encontre un comportement déloyal et parasitaire résultant de ce qu'elle a :
- créé au mois de septembre 1995 un service de voyages sur mesure haut de gamme et de voyage à thème identique à celui qu'elle propose,
- édité un catalogue " collection 1996 " reproduisant sur la couverture en surimpression une carte du monde identique à celle présentée sur son catalogue,
- employé Brigitte Joyeux dans le but de démarcher sa clientèle ainsi que les prestataires de service à l'étranger ;
Par acte du 28 janvier 1997, cette même société a assigné devant la même juridiction aux mêmes fins la société Tourisme International Ferret exerçant sous l'enseigne Shenendo ;
Par jugement du 12 septembre 1997, le tribunal a :
- ordonné la jonction des deux procédures,
- débouté les sociétés Tapis Rouge International et Tourisme International Ferret de toutes leurs demandes,
- condamné la société Tapis Rouge International à payer à la société Tourisme International Ferret la somme de 24 120 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
La cour,
Vu l'appel interjeté par la société Tapis Rouge International le 17 novembre 1997 ;
Vu les conclusions signifiées le 16 février 2000 par la société Sodetour International déclarant exercer sous l'enseigne Tapis Rouge International par lesquelles elle poursuit l'infirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions, le rejet de la demande de nullité soulevée par la société Tourisme International Ferret fondée sur l'absence de précision sur sa qualité, la condamnation au titre de la concurrence déloyale de la société Sodetour International à lui payer, à titre de dommages-intérêts, les sommes de 2 200 000 F et de 300 000 F en réparation respectivement de son préjudice financier et moral, outre celle de 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Vu les conclusions signifiées le 18 février 2000 par la société Tourisme International Ferret tendant :
- à titre principal :
- à la nullité de l'appel interjeté par la société Tapis Rouge International, laquelle dépourvue de personnalité morale, n'a pas la capacité à agir en justice,
- à titre subsidiaire :
- à la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions, au rejet des demandes formées contre elle par la société Tapis Rouge International, et à sa condamnation à lui payer la somme de 36 180 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Sur quoi,
Sur la procédure :
A. Sur le respect du contradictoire
Considérant que les conclusions signifiées le jour de la clôture de la procédure intervenue le 21 février 2000 par la société Sodetour International alors que celle-ci disposait de la faculté de les présenter en temps utile pour permettre à la partie adverse d'y répondre éventuellement doivent être écartées des débats comme ne respectant les dispositions impératives prévues par les dispositions des article 15 et 16 du nouveau Code de procédure civile ;
B. Sur la capacité à agir de la société Sodetour International
Considérant que la société Tourisme International Ferret qui fait observer que la dénomination Tapis Rouge International constitue une marque commerciale enregistrée par la société Sodetour International conclut à la nullité de l'appel interjeté au nom de la société Tapis Rouge International qui, dépourvue de la personnalité morale n'est pas recevable après l'expiration du délai légal de recours, à régulariser l'acte entaché d'irrégularité ;
Considérant que le Kbis de la société Sodetour International mentionne qu'elle exerce sous l'enseigne " Tapis Rouge International Gotha International ";
Considérant qu'il convient d'observer que la société Sodetour International a accompli en première instance tous les actes de procédure en utilisant son enseigne Tapis Rouge International sans qu'il lui en soit fait grief ;
Que cette enseigne, au même titre que sa dénomination sociale ou son nom commercial, associée dans l'acte d'appel à l'indication de sa forme juridique, de son siège social et de l'organe qui la représente constitue, conformément à l'article 901 du nouveau Code de procédure civile, l'un des éléments permettant d'identifier la société appelante avec précision ;
Que la société Tourisme International Ferret qui ne justifie pas du grief que l'omission qu'elle invoque lui cause n'est donc pas fondée à opposer les dispositions des articles 117 et suivants du nouveau Code de procédure civile à la société Sodetour International qui, contrairement à ce qu'elle affirme, possède la personnalité morale et donc la capacité juridique pour ester en justice ;
Que ce moyen de procédure sera en conséquence rejeté ;
Sur les actes de concurrence déloyale :
Considérant que la société Sodetour International reproche à la société Tourisme International Ferret d'avoir, sous l'enseigne Shenendo commis à son encontre des actes de concurrence déloyale en :
- créant en 1995 un service de voyages identique au sien,
- embauchant son ancienne employée, Brigitte Joyeux, laquelle a démarché sa clientèle ainsi que les correspondants locaux à l'étranger,
- éditant un catalogue sur lequel figurait à l'identique comme sur le sien, une carte du monde,
Considérant qu'il ne peut être reproché à la société Tourisme International Ferret d'avoir créé une activité directement concurrentielle de celle poursuivie par la société Sodetour International;
Considérant qu'il n'est pas contesté que Brigitte Joyeux exerce depuis le mois de septembre 1995 des fonctions commerciales au profit de la société Tourisme International Ferret ;
Considérant que pour démontrer le démarchage de sa clientèle, la société Sodetour International produit une lettre datée du 18 octobre 1995 dans laquelle Brigitte Joyeux s'adressant à des clients, écrivait : " Assurant les mêmes fonctions qu'à l'Agence Tapis rouge International, je reste à votre entière disposition pour étudier avec vous tout voyage que vous pouvez envisager dans le monde entier individuellement ou entre amis. Espérant conserver la confiance que vous avez bien voulu m'accorder..., ainsi que cinq attestations de clients qui indiquaient que Catherine (sic) Joyeux leur proposait des voyages au nom de la nouvelle agence Shenendo en remplacement des services qu'elle leur proposait lorsqu'elle travaillait pour la société Tapis Rouge International;
Que pour prouver que Brigitte Joyeux s'était rapprochée de ses correspondants locaux à l'étranger afin de reprendre dans les mêmes conditions les produits touristiques qu'elle avait élaborés, la société Sodetour International produit une lettre datée du 26 septembre 1995 dans laquelle Brigitte Joyeux indiquait: " ...j'exerce depuis le début du mois de septembre au sein de l'agence Shenendo. J'ai quitté Tapis Rouge après 6 ans de présence et quelques différents. J'ai donc pris en charge la création d'un service de voyage sur mesure haut de gamme et de voyages à thème en accord avec Bruno Ferret, directeur de cette agence, et que je connais depuis maintenant plus de 10 ans. J'envisage donc de reprendre une production " Polynésie " sur les mêmes bases qu'auparavant sachant que je désire éditer un " 4 pages " avec les hôtels Beachcomber à paraître dès que possible... Je compte cependant sur ton entière discrétion vis-à-vis de Tapis Rouge concernant mes nouvelles fonctions qui doivent pour l'instant rester confidentielles... "
Que les éléments susvisés associés à la diffusion par la société Tourisme International Ferret d'un catalogue Collection 1996 représentant une carte du monde sur un fond qui lui même reproduit une partie des continents européen et africain et qui reprend les caractéristiques essentielles de la carte du monde du catalogue diffusé par la société Sodetour International démontre que la société Tourisme International Ferret, qui ne justifie pas avoir diffusé un catalogue similaire ou identique avant l'embauche de Brigitte Joyeux, a cherché à s'accaparer à un moindre coût la clientèle et les prestataires de services de la société Sodetour International en employant celle-ci ;
Que si le jeu de la libre concurrence permet à tout acteur économique d'acquérir de nouveaux clients, cette règle ne doit pas être enfreinte par le comportement déloyal de l'un d'eux;
Que quand bien même le contrat de travail de Brigitte Joyeux ne comportait aucune clause de non concurrence, la société Tourisme International Ferret qui n'était pas autorisée à exploiter et à profiter indûment des informations, ayant trait à la clientèle de son ancien employeur, détenues par la salariée qu'elle venait d'embaucher, a en conséquence commis une faute délictuelle qui a occasionné à la société Sodetour International un préjudice certain;
Considérant qu'à partir de la baisse justifiée par une attestation de son expert-comptable datée du 28 février 1996 de son chiffre d'affaires de plus de 2 000 000 F, la société Sodetour International évalue son préjudice commercial à la somme de 2 200 000 F ;
Mais considérant qu'elle ne démontre pas que cette diminution a pour seule origine le comportement fautif de la société Tourisme International Ferret à son encontre ;
Que sa demande sera en conséquence rejetée à ce titre ;
Que la société Sodetour International étant toutefois fondée à obtenir la réparation de son préjudice résultant de l'atteinte portée à son image, la société Tourisme International Ferret sera condamnée à lui payer la somme de 100 000 F à titre de dommages et intérêts ;
Considérant que les frais non compris dans les dépens qu'elle a engagés tant en première instance qu'en cause d'appel doivent être fixés à la somme de 25 000 F ;
Que la demande formée au même titre par la société Sodetour International doit être rejetée ;
Par ces motifs : Rejette les conclusions signifiées le 21 février 2000 par la société Sodetour International ; Déboute la société Tourisme International Ferret de sa demande de nullité de l'appel interjeté par la société Sodetour International ; Infirme le jugement rendu le 12 septembre 1997 par le Tribunal de commerce de Paris en toutes ses dispositions ; Statuant à nouveau, Condamne la société Tourisme International Ferret à payer à la société Sodetour International la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 25 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la société Tourisme International Ferret aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction pour ces derniers au profit de Maître Bruno Nut, avoué, dans les conditions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.