Livv
Décisions

CA Limoges, ch. civ. sect. 1, 28 février 2002, n° 00-01559

LIMOGES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Malivert

Défendeur :

Morel, Pouyade

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bressoulaly

Conseillers :

M. Francis Tcherkez, Mme Barberon-Pasquet

Avoués :

Me Jupile-Boisverd, Avocat : Mes Villette, Baronnet.

T. com., Limoges, du 27 oct. 2000

27 octobre 2000

EXPOSE DU LITIGE

Faits et procédure

La SARL Sofitec, ayant pour activité la diffusion de matériel incendie-extincteurs-alarmes (vol et incendie), était liée par des contrats " d'attaché commercial " d'une durée indéterminée avec M. Malivert depuis le 4 novembre 1996 et Mme Morel depuis le 6 janvier 1997.

Mme Morel était licenciée par lettre en date du 23 avril 1999. Le 26 mai 1999, elle acquérait un fonds de commerce à Vayres (Haute-Vienne) dont l'activité exercée était celle de fleuriste pour laquelle elle était inscrite au registre du commerce et des sociétés de Limoges. Le 24 mai 2000, elle était immatriculée au registre du commerce et des sociétés d'Angoulême pour l'exploitation en nom personnel, sous l'enseigne " Protec Flamme ", d'un commerce de vente et entretien d'appareils incendie, extincteurs, alarmes (incendie et vol) et tout matériel de sécurité, le début d'activité étant déclaré à compter du 2 mai 2000.

M. Malivert était licencié pour motif économique par lettre en date du 30 août 1999. Il s'inscrivait le 11 février 2000 au registre du commerce et des sociétés d'Angoulême, en nom personnel, pour exploiter sous l'enseigne " Protec Flamme Habitat 2000 " un commerce de vente d'extincteurs et d'alarmes, le début d'activité étant fixé au 18 janvier 2000, puis faisait procéder à sa radiation pour cessation complète d'activité le 27 avril 2000.

Par jugement en date du 29 septembre 1999, le Tribunal de commerce de Limoges prononçait la liquidation judiciaire de la SARL Sofitec et par ordonnance du juge commissaire en date du 23 novembre 1999, était ordonnée la vente du fonds de commerce de la SARL Sofitec à M. Roger Pouyade, ce dernier agissant tant en son nom personnel que pour le compte d'une société à constituer. La vente était régularisée par acte notarié en date du 8 mars 2000.

M. Pouyade s'inscrivait au registre du commerce et des sociétés le 13 janvier 2000 pour la création d'une société ayant pour enseigne " La Sofitec ", le début d'activité étant fixé au 23.11.1999.

Se plaignant d'actes de concurrence déloyale imputables à M. Malivert et Mme Morel auprès de la clientèle " Sofitec ", M. Pouyade les faisait assigner par actes en date du 18 avril 2000 en paiement de dommages-intérêts.

Par jugement du 27 octobre 2000, le Tribunal de commerce de Limoges a :

- reçu M. Malivert et Mme Morel en l'exception d'incompétence matérielle par eux soulevés mais l'a dit mal fondée et les en déboutés,

- reçu M. Malivert et Mme Morel en l'exception d'irrecevabilité par eux soulevés mais l'a dit mal fondée et les en déboutés,

- statuant sur le fond,

- débouté M. Pouyade de ses demandes dirigées à l'encontre de Mme Morel,

- condamné M. Malivert à payer à M. Pouyade la somme de 75 000 F outre intérêts de retard à compter de la date de prononcé du jugement,

- débouté M. Pouyade de ses autres chefs de demandes,

- dit que toute nouvelle infraction constatée sera sanctionnée par le versement à M. Pouyade par M. Malivert d'une somme de 5 000 F,

- condamné M. Malivert à verser à M. Pouyade une indemnité de 4 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Le 31 octobre 2000, M. Malivert a interjeté appel du jugement.

Le 13 décembre 2000, M. Pouyade a également interjeté un appel provoqué contre Mme Morel intimée pour les torts que lui cause l'ensemble des dispositions du jugement.

Les deux affaires ont fait l'objet d'une jonction.

Prétentions des parties

Vu les conclusions signifiées le 7 janvier 2002, accompagnées d'un bordereau récapitulatif de pièces communiquées, aux termes desquelles M. Malivert et Mme Morel demandent de :

- réformer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté M. Pouyade de sa demande concernant Mme Morel.

- condamner M. Pouyade à verser à M. Malivert et Mme Morel la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Vu les conclusions signifiées le 19 juin 2001, suivies d'un bordereau récapitulatif de pièces communiquées signifié le 15 janvier 2002, aux termes desquelles M. Pouyade demande de :

- débouter M. Malivert de l'intégralité de ses demandes,

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions en ce qu'il a condamné M. Malivert,

- y ajoutant,

- condamner Mme Morel et M. Malivert solidairement à verser en réparation du préjudice d'ores et déjà établi à M. Pouyade représentant la Sofitec la somme de 147 000 F correspondant à la perte de 196 clients,

- constater que Mme Morel comme M. Malivert poursuivent leur activité en concurrence déloyale et portent atteinte en cela à l'image de la Sofitec et la discréditent,

- condamner solidairement Mine Morel et M. Malivert à verser à M. Pouyade représentant la Sofitec la somme de 250 000 F à titre de dommages-intérêts en réparation de tous les préjudices confondus et la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Monsieur le premier Président de la Cour d'appel de Limoges, en application de l'article 910 du nouveau Code de procédure civile, a fixé l'affaire à l'audience collégiale du 16 janvier 2002.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'exception d'incompétence soulevée par M. Malivert au profit de la juridiction prud'homale :

M. Malivert fait valoir que l'action engagée à son encontre par M. Pouyade serait fondée sur une clause de non-concurrence figurant à l'article 4 du contrat de travail qui le liait à la SARL Sofitec. Il en tire argument pour prétendre que l'action relève de la compétence du Conseil des Prud'hommes.

Ce moyen ne peut prospérer dès lors qu'il n'a jamais existé aucun lien contractuel entre M. Malivert et M. Pouyade. En effet, les licenciements de M. Malivert et Mme Morel étant intervenus avant l'acquisition du fonds de commerce de la SARL Sofitec par M. Pouyade, le juge commissaire a limité la reprise des contrats de travail attachés au fonds cédés à ceux de M. Eric Coudert et de Mlle Nathalie Renaudie.

Il convient donc de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté l'exception de compétence d'attribution.

Sur l'action en concurrence déloyale :

En l'absence de tout rapport contractuel entre les parties, l'action en concurrence déloyale est fondée sur les articles 1382 et 1383 du Code civil, lesquels impliquent l'existence d'une faute en relation directe de causalité avec le préjudice allégué.

Selon une jurisprudence constante basée sur la liberté du commerce, une entreprise ne bénéficie d'aucun droit privatif sur sa clientèle et le simple démarchage de la clientèle par un concurrent est licite dès lors qu'elle ne s'accompagne d'aucun acte déloyal. Il est en conséquence admis qu'un ancien employeur ne saurait faire échec au droit qu'a tout salarié qui n'est plus lié à lui et qui n'est débiteur d'aucune clause de non-concurrence, ce qu'admet en l'espèce M. Pouyade, de passer au service d'un concurrent de son choix, quelle que puisse être la répercussion de ce changement d'employeur sur la clientèle dont la liberté reste entière, sauf à démontrer l'existence de manœuvres déloyales. De même, un ancien salarié est en droit de s'établir à son compte après avoir démissionné ou après avoir été licencié.

Il s'ensuit que les actes de démarchage de la clientèle allégués par M. Pouyade ne sont pas suffisants pour justifier du bien fondé de ses prétentions.

Il ne peut pas non plus tirer argument des stipulations de l'acte de cession du fonds de commerce de la SARL Sofitec, régularisé le 8 mars 2000, non opposable aux tiers que sont M. Malivert et Mme Morel, pour fonder ses prétentions.

En fait, les indications figurant sur l'inscription de M. Pouyade au registre du commerce et des sociétés de Limoges, soumises à consultation des tiers, montraient qu'il avait créé un nouveau fonds de commerce, ce qui paraissait contradictoire avec le fait qu'il ait poursuivi l'activité commerciale de la SARL Sofitec.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, quand bien même M. Malivert ou Mme Morel aurait évoqué lors du démarchage de la clientèle la mise en liquidation judiciaire de la Sofitec ou encore dit que cette société n'existait plus par suite d'une faillite, cela ne saurait être assimilé à une manœuvre déloyale.

En définitive, l'absence de tout élément susceptible de caractériser les agissements fautifs reprochés à M. Malivert et à Mme Morel, et à défaut d'apporter la preuve d'un préjudice directement lié aux pratiques dénoncées, le dossier ne comportant que des listings de clients prétendument détournés établis par M. Pouyade lui-même, sans production de la moindre pièce comptable renseignant sur l'évolution du volume d'activité ni même aucun justificatif de l'aptitude de son entreprise à avoir un niveau d'activité en rapport avec les dommages invoqués, il convient de débouter M. Pouyade de toutes ses prétentions.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il avait rejeté l'action engagée contre Mme Morel et sera réformé en ce qu'il avait prononcé des condamnations à l'encontre de M. Malivert.

Au vu des éléments de la cause, l'équité ne commande pas de faire application de I 'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Il appartiendra à M. Pouyade qui succombe de supporter les entiers dépens de première instance et d'appel.

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort et après en avoir délibéré conformément à la loi ; Déclare l'appel principal de M. Malivert et l'appel provoqué de M. Pouyade recevable en la forme ; Réformant partiellement le jugement entrepris et statuant à nouveau : Déboute M. Pouyade de toutes ses demandes dirigées contre M. Malivert ; Confirme pour le surplus le jugement entrepris ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne M. Pouyade aux entiers dépens de première instance et d'appel ; Accorde à Me Jupile-Boisverd, avoué, le bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.