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Décisions

CA Paris, 5e ch. C, 24 mars 2000, n° 1998-02485

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Shopping Tricots (SARL)

Défendeur :

Intexal (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Desgrange

Conseillers :

MM. Bouche, Savatier

Avoués :

SCP Goirand, SCP Roblin-Chaix de la Varenne

Avocats :

Mes Porthault, Paul.

T. Com. Paris, 7e ch., du 30 sept. 1997

30 septembre 1997

La société Intexal détient la licence exclusive de la marque " Rodier ".

Depuis plus de trente ans, elle entretient des relations commerciales avec la société Shopping Tricots, qui exploite un magasin à l'enseigne " Rodier ", rue de la Boétie à Paris, successivement au numéro 102, puis récemment au numéro 93, et un magasin multimarques à Champigny.

Pour le magasin de la rue de la Boétie à Paris, les partenaires sont liés par des contrats de franchise, le dernier pour cinq années renouvelables par tacite reconduction en date du 24 novembre 1988 à effet du 2 février 1989; quant aux commandes destinées au magasin de Champigny, elles sont régies par les conditions générales de vente Intexal.

Dans des circonstances sur lesquelles s'opposent les partenaires, des difficultés sont apparues à partir de 1993 à propos des comptes et des livraisons; ils sont parvenus le 12 juin 1995 à un accord qui, mal exécuté, a conduit la société Intexal à résilier le contrat par lettre recommandée du 14 septembre 1995 et à cesser ses livraisons.

Sommée sous astreinte par une ordonnance de référé du Président du Tribunal de Commerce de Nanterre datée du 29 septembre 1995 de reprendre les livraisons moyennant le séquestre par la société Shopping Tricots d'une provision de 50 000 F, la société Intexal a remis en vigueur la franchise et a obtenu le 28 décembre 1995 du juge des référés le rejet de la demande de liquidation d'astreinte formulée par son franchisé.

Le 29 décembre 1995, la société Intexal a assigné la société Shopping Tricots devant le Tribunal de Commerce de Paris afin d'obtenir le paiement d'un solde de compte de 70 076,82 F et afin de l'interroger sur la poursuite ou sur la résiliation du contrat du 28 novembre 1998 ; la société défenderesse, qui a opté pour la résiliation a formé des demandes reconventionnelles.

Condamnée en référé le 2 octobre 1996 à déposer les enseignes de marque " Rodier ", la société Shopping Tricots par jugement au fond du 30 septembre 1997, a été déboutée de ses demandes et condamnée à payer à la société Intexal 30 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; ce même jugement du Tribunal de Commerce de Paris a prononcé la résiliation du contrat à compter du 1er février 1997 et a ordonné la remise à la société Intexal des 50 000 F séquestrés entre les mains du Bâtonnier des Hauts de Seine.

La société Shopping Tricots a fait appel de ce jugement du 30 septembre 1997.

Elle expose que les difficultés de livraison qu'elle a rencontrées ont correspondu à un changement intervenu en 1993 dans le capital social de la société Intexal;

Que cette dernière n'a pas respecté la clause de reprise de 20 % contenue dans le nouveau contrat de franchise de 1993 qu'elle se refuse à produire ;

Que la suspension des livraisons prétextée par un très léger débit de compte de 14577,91 F après déduction des avoirs sur retours a été brutale de même que la suppression de plusieurs de ses prestations ;

Que c'est pour éviter le paiement de dommages-intérêts que le franchiseur a demandé le 25 octobre 1995 le report de la résiliation au 1er février 1997.

La société appelante prétend faire la preuve :

- de l'existence d'un nouveau contrat de franchise " 5eme génération " de 1993 qui lui est plus favorable et qui concerne son nouveau magasin du 93 rue de la Boétie et ses coûteux aménagements conformes aux exigences " Rodier ",

- de la fausseté des comptes d'avoirs qui ont servi de mauvais prétexte à une résiliation brutale en septembre 1995, à l'initiative du franchiseur,

- de la mauvaise qualité des marchandises livrées,

- du préjudice dont elle demande réparation pour les refus de livrer les collections Automne-Hiver 1995-1996, et 1996-1997.

La société Shopping Tricots conclut ainsi à l'infirmation du jugement entrepris, au rejet des demandes de la société Intexal, et à sa condamnation à lui payer à titre de dommages-intérêts:

- deux millions de francs pour rupture abusive du contrat,

- 227 638F pour la qualité défectueuse des marchandises livrées,

- 700 478F pour refus de livraison,

- ainsi qu'une somme de 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Intexal attribue les difficultés rencontrées à partir de 1993 avec son franchisé au comportement querelleur et de harcèlement de Monsieur Marrache, père de la gérante Madame Ratti, et gérant de fait de la société, au défaut de respect de ses obligations de retours de marchandises consignées dans l'accord du 12 juin 1995, et à l'accroissement consécutif de la dette arrêtée le 14 septembre 1995 ;

Elle fait valoir :

- que la société Shopping Tricots ne reprend pas en appel le moyen tiré d'un prétendu refus de " retourner autant de marchandises que prévu contractuellement ",

- que l'évolution du préjudice invoqué au cours de la procédure laisse perplexe sur sa réalité,

- qu'il n'y a jamais eu de nouveau contrat en 1993, et qu'aucune de ses clauses de reprise de 20 % n'est donc applicable,

- que la société Shopping Tricots fait preuve de beaucoup d'audace en invoquant qu'elle a été " contrainte et forcée " de signer l'accord du 12 juin 1995 qu'elle n'a par la suite que partiellement exécuté, laissant apparaître un solde débiteur de 54 528,18 F, au lieu des 14 577,71 F stipulés,

- qu'était particulièrement fondé le motif de la résiliation initiale du contrat du 14 septembre 1995 à effet du 14 octobre suivant et non du 14 mars 1996 comme l'écrit le Tribunal,

- que la société Shopping Tricots, tout en se déclarant liée par le contrat jusqu'au 14 octobre 1995, s'est fournie auprès de concurrents,

- que le contrat annuellement renouvelé a été finalement régulièrement dénoncé le 25 octobre 1995 à effet du 1er février 1997, sans faute du franchiseur, comme le tribunal l'a reconnu ;

- que les marchandises défectueuses livrées en 1993 ont été reprises par la société Intexal,

- que la suspension des livraisons de la collection Automne-Hiver 1995-1996 était fondée, et que la reprise des livraisons s'est faite ensuite en exécution de l'ordonnance de référé du 29 septembre 1995.

La société intimée conclut en conséquence à la confirmation du jugement déféré, mais forme incidemment appel afin d'obtenir la condamnation de la société appelante à lui payer la somme de 102 953,27 F pour solde de factures échues avec intérêts au taux légal eux-mêmes capitalisés à compter du 23 mai 1997, qui tient compte des 50 000 F séquestrés et déjà déconsignés depuis le 25 mai 1996, une somme de 300 000 F de dommages-intérêts, et une indemnité de 80 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

MOTIFS DE LA COUR

Sur le contrat de franchise applicable:

Considérant que la société Shopping Tricots prétend que le contrat de franchise résilié est un contrat signé en 1993 pour l'exploitation du nouveau magasin situé au 93 de la rue de la Boétie, et non le contrat signé le 24 novembre 1988 qui aurait concerné le fonds exploité au 102 de la même rue;

Qu'elle entend en conséquence faire application des dispositions de ce contrat de 1993 qui lui sont plus favorables, notamment en matière de droit de reprise des marchandises, ce qui modifie son compte débiteur;

Or, considérant qu'en juin 1992, en raison de l'évolution de la législation par la publication de la loi Doubin et de son décret d'application, la société Intexal a adressé à tous ses franchisés, dont la société Shopping Tricots en la personne de son gérant de fait Monsieur Marrache, des documents d'information précontractuelle en vue de la signature d'un nouveau contrat conforme aux nouvelles dispositions législatives;

Que Monsieur Marrache a retourné annoté et paraphé le document précontractuel et les nouvelles conditions de vente le 9 juin 1992 mais n'a jamais approuvé de nouveau contrat;

Que le déménagement de la boutique de quelques mètres dans la même rue de la Boétie à cette époque ne justifiait pas en soi la négociation d'un nouveau contrat;

Qu'à défaut de production d'un nouveau document contractuel, sinon par la société Intexal au moins par le franchisé qui s'en prévaut, seul celui du 24 novembre 1988 resté en vigueur a continué à s'appliquer jusqu'au 2 février 1994, s'est renouvelé tacitement pour un an en application de l'article 22 jusqu'au 2 février 1995, puis à nouveau jusqu'au 2 février 1996 à la suite de l'ordonnance de référé du 29 septembre 1995 qui a remis la franchise en vigueur, enfin jusqu'au 2 février 1997.

Sur la rupture du contrat:

Considérant qu'en faisant coïncider le début des difficultés rencontrées par le franchiseur avec son franchisé avec les changements intervenus au sein de la société Intexal, la société Shopping Tricots tente d'expliquer ses propres difficultés dans l'exécution de son contrat;

Que, sans pouvoir utilement dénier les retards de livraison et les retraits de plusieurs dizaines de franchises à cette époque de mutation, comme en fait foi une lettre de la société Intexal du 16 juillet 1993, cette société est fondée à se référer à l'accord sur les comptes signé le 12 juin 1995 par la société Shopping Tricots pour condition de la poursuite de leurs relations contractuelles.

Considérant que la société Shopping Tricots, sans tirer les conséquences de nullité de l'accord qu'elle dit avoir signé " contrainte et forcée ", en dénie simplement la portée au prétexte que la société Intexal ne l'a pas paraphé;

Que cependant il est constant que cet accord, qui octroyait au franchisé une provision d'avoirs énumérés dans des annexes dont le manuscrit reprend le résultat négatif de 14 577,71 F, a été mis en place afin d'aplanir les difficultés de mévente et de trésorerie, et de " solder tous les litiges antérieurs " ;

Qu'au terme de cet accord il a été convenu qu'un total d'avoirs de 280 000 F viendrait en déduction de la dette du franchisé au titre des fournitures des magasins de Paris et de Champigny, sous réserve implicite mais évidente que soient restituées au franchiseur les marchandises correspondant à ces avoirs, et ceci " avant les livraisons de la prochaine saison pour repartir avec des comptes soldés ".

Considérant qu'il n'est pas sérieusement contestable que la société Shopping Tricots n'a pas fait retour de l'intégralité des articles ouvrant droit aux avoirs, et qu'au 14 septembre 1995 elle est restée ainsi débitrice, non pas de 14 577,71 F mais de 54 528,18 F après comptabilisation des avoirs correspondant aux retours des deux magasins ;

Que l'accusation adressée au franchiseur de " saboter ledit accord en retardant malicieusement la réalisation des retours et leur comptabilisation " est purement gratuite, à défaut de preuve de ces retards; que c'est dans cet esprit, d'ailleurs, que le juge des référés, juge de l'évidence, a pu ordonner le 29 septembre 1995 la consignation d'une provision de 50 000 F à valoir sur la dette, contre reprise des livraisons ;

Qu'était donc fondée en elle-même la première tentative de résiliation signifiée le 14 septembre 1995 à effet de trente jours en application de l'article 25 du contrat et reposant sur le manquement du franchisé à son obligation de paiement ou de retour de marchandises.

Considérant que la société Shopping Tricots, qui a évolué dans la série des reproches faits à son fournisseur de refus de livraison, se limite aux collections Automne-Hiver 1995-1996, et ultérieurement ;

Que le refus de livrer la collection Automne-Hiver 1996 était justifié, sans égard aux restrictions tardives et mal fondées de la société Shopping Tricots relatives à des avoirs hypothétiques sans correspondance à des retours; qu'elle n'a pas respecté son engagement du 12 juin 1995;

Que la reprise par le franchiseur des livraisons de cette collection a été expressément constatée ensuite par l'ordonnance de référé du 28 décembre 1995 qui a refusé de liquider l'astreinte.

Considérant que, non sans échanges de courriers sur un ton polémique, le contrat tacitement reconduit est arrivé à son terme le 1er février 1997 sans que le franchisé justifie de nouveaux refus de livraison, ni de la mauvaise qualité des marchandises jadis reconnue ;

Que, face aux exigences financières de la société Shopping Tricots, la société Intexal a pu avoir enfin la conviction que celle-ci ne souhaitait pas reconduire le contrat, malgré plus de trente cinq ans de partenariat ;

Qu'aucun élément sérieux ne permettait toutefois au tribunal de négliger la demande formée par le franchiseur d'être payé d'un solde de compte échu en mai 1997 de 102 953,27 F ;

Que ce compte laisse apparaître au crédit de la société Shopping Tricots une somme de 48.900 F remise le 14 mai 1996 par le Bâtonnier séquestre dès avant le jugement querellé qui en a ordonné la déconsignation.

Considérant qu'au soutien de sa demande de 300 000 F de dommages-intérêts, la société Intexal fait valoir que son franchisé, et Monsieur Marrache plus précisément, s'est livré à un véritable harcèlement pour obtenir le maximum d'avantages, et a inondé le franchiseur de courriers dont les réponses ont nécessité la mobilisation permanente d'un membre de son personnel ;

Que les circonstances de la résiliation de la franchise, après des atermoiements dont le franchisé porte une grande part de responsabilité, et le ton polémique et souvent discourtois de ses courriers, fondent le principe d'une demande de dommages-intérêts pour les tracasseries qui en sont résultées, demande qui ne saurait toutefois dépasser une indemnité de principe de 20 000 F.

Considérant qu'il serait contraire à l'équité que la société appelante conserve la charge des frais irrépétibles qu'elle a exposés pour faire reconnaître ses droits.

Par ces motifs : Confirme le jugement du 30 septembre 1997, sauf en ce qu'il a ordonné la déconsignation de la somme de 50 000 F au profit de la société Intexal, et en ce qu'il a débouté cette société de ses demandes de condamnation; Déboutant la société Shopping Tricots de son appel et faisant partiellement droit à l'appel incident de la société Intexal ; Condamne la société Shopping Tricots à payer à la société Intexal la somme de 102 953,27 F pour solde de tous comptes, avec intérêts au taux légal à compter du 23 mai 1997; Dit que cette condamnation tient compte de la somme de 50 000 F séquestrée, puis déconsignée depuis le 14 mai 1996 et portée au crédit de la société Shopping Tricots ; Dit que les intérêts échus produisent eux-mêmes intérêts à compter des conclusions du 4 février 2000 saisissant la cour qui en font la demande sans se référer à de précédentes écritures, dans les conditions de l'article 1154 du Code civil; Condamne la société Shopping Tricots à payer à la société Intexal 20 000 F de dommages-intérêts et 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en sus des 3 000 F accordés par le tribunal sur le même fondement; Condamne la société Shopping Tricots aux dépens ; Reconnaît à la SCP Roblin Chaix de la Varenne, avoué, le bénéfice du recouvrement direct dans les conditions prévues par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.