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Décisions

CA Toulouse, 4e ch. soc., 19 octobre 2000, n° 2000-00201

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Wella France (SA)

Défendeur :

Fresnel

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Roger

Conseillers :

MM. Saint Ramon, Robert

Avocats :

Me Rayroux, Caillier.

CA Toulouse n° 2000-00201

19 octobre 2000

FAITS ET PROCEDURE

Jean-François Fresnel, né le 25 mars 1960, a été embauché le 19 septembre 1994 par la société anonyme Wella France, en qualité de VRP exclusif de la gamme " Système Professional ", dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, sur un secteur composé de sept départements.

Son salaire était constitué d'un fixe mensuel de 3 155 F, d'une commission de 4 % sur le chiffre d'affaires net hors taxe réalisé avec les coiffeurs en SP et d'une commission spéciale de 2 % sur le chiffre d'affaires en matière de création de clientèle et de remboursements de frais.

Par lettre du 16 avril 1996, la société lui a reproché son insuffisance de prospection de nouveaux clients, l'insuffisance de clients dépositaires ainsi que l'absence de toute suggestion positive et utile de sa part pour redresser la situation, reproches sur lesquels il s'est expliqué dans un courrier du 22 avril 1996.

Le 8 septembre 1997, la société lui a fait part de nouveaux griefs concernant ses propos et son attitude lors d'une réunion nationale à Opio les 30 et 31 août 1997.

Au début de l'année 1998, son employeur lui a reproché à plusieurs reprises son absence manifeste de travail, notamment une insuffisance quant aux cadences et à la qualité des visites effectuées et des résultats très inférieurs à ceux de ses collègues.

Par lettre du 10 décembre 1997, Jean-François Fresnel a formulé une demande de congé individuel de formation, mais le délai de prévenance de quatre mois n'ayant pu être exécuté, il a provisoirement abandonné cette formation.

Le 17 mars 1998, il a été convoqué à un entretien préalable à son licenciement, fixé au 27 mars 1998.

Son licenciement pour faute grave lui a été notifié le 15 avril 1998 dans les termes suivants :

"Alors que vos frais sont payés au regard de vos rapports de visites, nous avons relevé plusieurs faux rapports, comportant des clients soi-disant visités par vos soins et qui ne l'avaient point été.

L'un d'entre eux notamment est réputé avoir été visité par vous le vendredi 20 février 1998, alors que le salon était fermé du 16 au 21 février 1998... Outre ce fait d'une gravité particulière, nous vous avons encore reproché le ton employé par vous dans un message que vous adressez à la société, à l'intention notamment de votre direction. Le ton utilisé à l'égard de votre hiérarchie est parfaitement insupportable.

Nous vous reprochons encore la qualité défectueuse de votre prospection, notamment dans l'opération "concurrence".

Nous sommes donc amenés à vous licencier pour faute grave, sans préavis ni indemnité, dès réception de la présente lettre".

Le 27 mai 1998, le salarié a saisi le Conseil des prud'hommes de Toulouse qui, par jugement du 4 octobre 1999, a considéré que son licenciement était sans cause réelle et sérieuse et a condamné l'employeur à lui payer les sommes de:

- 42 154,23 F au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 4 215,42 F au titre des congés payés y afférents,

- 85 000 F à titre de dommages et intérêts pour licenciement non causé,

- 100 000 F au titre de l'indemnité de clientèle,

- 19 903,71 F au titre de rappel de salaire,

- 1 990,37 F au titre des congés payés y afférents,

- 2 000 F au titre de l'article 700 du NCPC,

a rappelé qu'en application de l'article R. 516-37 du Code du travail, l'exécution provisoire est de droit dans la limite de neuf mois de salaire,

a fixé à 14 324,66 F la moyenne mensuelle des salaires.

La société a relevé appel de cette décision.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

Au soutien de son appel, la société anonyme Wella France expose que le licenciement de Jean-François Fresnel revêt une cause réelle et sérieuse et se justifie sur les griefs à l'origine de cette mesure dans des conclusions très complètes auxquelles la cour renvoie pour plus ample informé, explications accompagnées d'attestations versées aux débats.

Elle affirme qu'aucune difficulté économique ni modification de la politique de l'entreprise ne sont pas à l'origine de la baisse de clientèle du salarié; que ce dernier n'a subi aucune modification de ses conditions de travail et que l'argument selon lequel sa demande de congé individuel de formation serait à l'origine de son licenciement est totalement obsolète dans la mesure où l'entreprise lui avait notifié son accord dans une lettre du 7 janvier 1998.

Elle rappelle que l'existence d'un préjudice subi par l'employeur n'est pas nécessaire à la reconnaissance d'une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Elle expose que la procédure de licenciement est parfaitement régulière; qu'en effet et conformément à la jurisprudence, le fait pour un employeur de ne pas notifier de mise à pied à titre conservatoire pendant la durée de la procédure ne saurait ôter aux faits leur caractère de faute grave.

Elle conteste le soi-disant caractère tardif de la rupture et précise qu'une enquête interne a été réalisée début mars; que c'est la date du dépôt de ce rapport qui marque le point de départ du délai de deux mois et que le délai écoulé entre la révélation des fautes et l'engagement des poursuites disciplinaires s'expliquait, conformément à la jurisprudence, par le souci d'une information complète et n'excluait donc pas la qualification de faute grave.

Elle démontre que le salarié ne peut prétendre à aucune de ses demandes de rappels de salaires dans des conclusions très complètes auxquelles la cour renvoie pour plus ample informé.

Elle précise qu'en présence d'une faute grave, le salarié ne saurait solliciter ni indemnité de préavis, ni indemnité de licenciement ou de clientèle; que, subsidiairement, il ressort des termes de l'article 751-9 du Code du travail qu'un VRP ne peut prétendre au versement d'une indemnité de clientèle que "pour la part qui lui revient personnellement dans l'importance en nombre et on valeur de la clientèle apportée" ; qu'en l'occurrence, le salarié n'a pas justifié avoir augmenté " en chiffre et en valeur " la clientèle qui lui avait été confiée, au contraire, et qu'en conséquence, les conditions d'application de ce texte n'étant pas réunies, une telle indemnité ne peut lui être accordée et qu'il devra rembourser les sommes perçues en application du contrat de travail depuis son entrée en fonctions soit la somme de 109 662 F.

Subsidiairement, elle remarque que les commissions spéciales accordées en cours de contrat en plus des commissions normales devaient être déduites de l'indemnité de clientèle et qu'en tout état de cause et compte tenu de l'augmentation du chiffre d'affaires de l'entreprise entre 1994 et le départ du salarié, ce dernier ne pourrait revendiquer une condamnation à hauteur de 100 000 F.

Elle souligne que Jean-François Fresnel ne justifie d'aucun préjudice lui permettant de solliciter des dommages et intérêts d'une telle importance.

Elle conclut à la réformation du jugement dont appel et demande à la cour de :

- rejeter l'ensemble des demandes du salarié,

- constater que ce dernier ne remplit pas les conditions pour pouvoir bénéficier d'une indemnité de clientèle,

- le condamner en conséquence à lui rembourser les sommes perçues au titre d'une rémunération spéciale soit la somme de 109 662 F,

- si la cour estimait que Jean-François Fresnel pouvait prétendre à une indemnité de clientèle, tenir compte de cette somme de 109 662 F déjà versée et le condamner à rembourser la différence entre l'indemnité de clientèle à laquelle il pouvait prétendre et cette somme,

- le condamner à lui restituer les sommes perçues au titre de l'exécution provisoire, à savoir la somme de 58 348,84 F correspondant:

* au salaire net des condamnations:

- rappel des salaires pour les réunions des samedis, dimanches et lundis : 19 903,71 F,

- congés payés afférents: 1 990,37 F,

- indemnité de préavis: 42 164,23 F,

- indemnité de congés payés sur préavis: 4 215,42 F,

* aux intérêts soit la somme de 3 738,84 F.

Elle sollicite le paiement de la somme de 10 000 F HT sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Jean-François Fresnel réplique que son licenciement ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse et que les motifs de cette mesure sont injustifiés et irrecevables au fond dans des conclusions très complètes, auxquelles la cour renvoie pour plus ample informé.

Il soutient que la société n'a subit aucun préjudice financier lié à ces griefs et que les attestations versées aux débats par la société anonyme WelIa France manquent manifestement d'objectivité.

Il affirme que la procédure de licenciement revêt un caractère tardif qui permet de constater le manque de gravité du fait reproché, la société ne justifiant pas de la prétendue enquête qu'elle aurait demandée entre temps.

Sur les rappels de salaire des samedis, dimanches et lundis, il rappelle les principes applicables au sein de la société et demande en conséquence le versement de la somme de 31 216,90 F correspondant à l'ensemble de ces jours travaillés de 1994 à 1998, majorée des congés payés y afférents à hauteur de 3 121,69 F.

Sur l'indemnité de clientèle, il explique avoir non seulement développé mais également apporté la clientèle comme l'exige les principes légaux et contractuels et qu'il a en perdu le bénéfice dans la mesure où il n'a retrouvé à ce jour aucun emploi dans un domaine similaire.

Il précise que les modalités de calcul utilisées par la société sont totalement contraires aux prescriptions légales qui évaluent cette indemnité en fonction du commissionnement annuel à hauteur de deux ans de commissions.

Il soutient que les commissions spéciales ne figurent pas comme acompte éventuellement remboursables ni sur les bulletins de salaires, ni sur le contrat de travail ; que la perception de ces commissions est la preuve même qu'il a réellement apporté une clientèle et qu'en conséquence, le solde de 102 327 F lui resterait acquis si la cour estimait que cette somme vienne en déduction de l'indemnité de clientèle de 211 327 F à laquelle il peut prétendre.

Il démontre que, conformément aux exigences de la jurisprudence, son licenciement revêt un caractère abusif et demande en conséquence le paiement de la somme de 83 308 F, correspondant à six mois de salaire.

Sur les indemnités de rupture, il soutient que les sommes allouées par le conseil des prud'hommes seront confirmées par la cour, complétées par une somme correspondant à six mois de salaire afin de réparer l'entier préjudice subi, lié à son ancienneté et à la difficulté de retrouver un emploi.

Il conclut à la confirmation partielle du jugement dont appel et demande à la cour de :

- constater le caractère dépourvu de cause réelle et sérieuse de son licenciement et en conséquence, de condamner la société à lui verser les sommes de :

*42 154,23 F à titre d'indemnité de préavis,

*4 215,42 F à titre de congés payés sur préavis,

*168 616 F à titre de dommages et intérêts pour licenciementsans cause réelle et sérieuse,

- constater le caractère abusif de son licenciement et en conséquence, condamner la société à lui verser des dommages et intérêts pour licenciement abusif à hauteur de six mois de salaires soit la somme de 83 308 F,

- condamner la société à lui verser les sommes de :

*21 132 720 F à titre d'indemnité de clientèle,

*31 216,90 F à titre de rappel de salaires pour les réunions des samedis, dimanches et lundis,

*3 121,69 F au titre des congés payés y afférents.

Il sollicite le versement de la somme de 6 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

MOTIFS DE LA DECISION

Attendu que le premier grief consiste en l'établissement de plusieurs faux rapports comportant des clients soit disant visités par Jean-François Fresnel et qui ne l'avaient point été ; qu'à titre d'exemple est donné un salon fermé du 16 au 21février 1998 alors que le rapport de visite indiquait une visite le 20 février 1998.

Attendu que les faits allégués sont suffisamment précis et qu'il appartient à la cour d'en vérifier la réalité et la gravité sans qu'il y ait lieu de se limiter au seul salon fermé du 16 au 21 février 1998.

Attendu qu'il apparaît clairement que Jean-François Fresnel a menti lorsqu'il a dit avoir s'être rendu au salon de Mme Musa à Tarbes alors que celui-ci était fermé le jour où il a prétendu y avoir été : attendu que lors de l'entretien préalable à la question qui lui était posée sur le contenu de cette visite il a simplement répondu qu'il n'y avait pas de commentaires particuliers alors qu'il lui était loisible de s'expliquer à ce moment sur la fermeture du salon et le caractère inutile de son déplacement.

Attendu par ailleurs que dans l'attestation réitérée et confirmée de Mme Meslet il indiquait avoir eu contact avec des employés ce qui était nécessairement faux.

Attendu que des enquêtes de notoriété établies de la seule main du directeur régional ne peuvent être retenues en preuve, pas plus que l'attestation établie par celui-ci ; que leur caractère objectif est fortement suspect.

Attendu que les griefs ne présentent aucun caractère tardif dans la mesure où les faits sont du 20 février 1998 et où la procédure de licenciement a été mise en œuvre moins d'un mois plus tard.

Attendu qu'il était clairement indiqué que le rapport d'activité journalière ne devait comporter que le nom des coiffeurs qui avaient été visités physiquement c'est-à-dire avec lesquels le VRP avait eu un contact ; qu'il est évident que l'absence de Mme Musa rendait impossible tout contact et qu'ainsi c'est à tort que Jean-François Fresnel a inscrit son nom sur son rapport d'activité.

Attendu que ce fait réel constitue une faute.

Attendu que le second grief consiste dans le ton employé par le salarié dans un message adressé à la société qui a été estimé parfaitement supportable.

Mais attendu que Jean-François Fresnel établit la mauvaise qualité du suivi logistique de la société Wella et la circonstance que le jour d'émission de ce message il avait donné des informations inexactes à une cliente et se voyait obligé de lui mentir ce qui suscitait de sa part une légitime colère.

Il résulte des messages émanant de la direction qu'une certaine liberté de temps était de mise dans la société le directeur régional se montrant parfois plus que stimulant mais menaçant.

Attendu, s'agissant de la qualité défectueuse de la prospection de Jean-François Fresnel, que celui-ci a reçu de nombreux reproches depuis son entrée dans l'entreprise pour son absence de prospection et que lors de l'entretien préalable il a été constaté ainsi que cela résulte d'ailleurs des documents produits que sur 230 salons, seuls 39 avaient été visités au 3 février 1998, tandis que 194 salons n'avaient pas été visités.

Attendu que Jean-François Fresnel n'a apporté aucune contestation à ce grief.

Attendu qu'il a reçu le 20 février 1998 une lettre intitulée : objet priorité 1998 faisant état de cette insuffisance de prospection et de l'absence de fiche du tracé qui lie toute observation concernant des clients visités.

Que sans qu'il y ait lieu de s'appesantir sur tes résultats qu'il a obtenus et qui effectivement peuvent tenir en partie aux difficultés conjoncturelles il n'en demeure pas moins que la qualité défectueuse de la prospection de Jean-François Fresnel est établie.

Attendu que les faits reprochés constituent une faute sérieuse justifiant la rupture du contrat de travail de Jean-François Fresnel.

Attendu qu'il était en droit de percevoir l'indemnité de préavis plus les congés payés y afférents mais non des dommages et intérêts qui lui ont été alloués.

Attendu qu'étant licencié pour cause réelle et sérieuse Jean-François Fresnel est en droit de prétendre à l'indemnité de clientèle.

Attendu qu'il résulte des éléments produits que la société Wella a changé de politique commerciale et a imposé à ses clients la signature d'un accord de partenariat comportant des clauses contraignantes ce qui a contraint les VRP à de nouvelles démarches pour reconstituer la clientèle.

Qu'il est incontestable que le chiffre d'affaires a augmenté d'environ 50 % en 3 ans et qu'il est donc bien fondé à percevoir l'indemnité de clientèle telle qu'elle a été calculée par les premiers juges soit la somme de 100 000 F.

Attendu, sur le rappel de salaire, que la participation à des réunions ou à des journées de formation professionnelle ne doit entraîner les jours ouvrables aucune baisse de rémunération ; que la société Wella ne peut sérieusement soutenir que la rémunération versée notamment les taux de commissions accordés tient nécessairement compte de l'ensemble des prestations des salariés y compris des prestations administratives permettant d'organiser et de mettre en place leur prospection ; que l'employeur ne conteste pas utilement le calcul fait sur les dimanches et les samedis travaillés et qu'il convient de lui allouer la somme qu'il réclame à savoir 31 216,90 F outre les congés payés y afférents 3 121,69 F.

Attendu que le licenciement ne revêt aucun caractère abusif, qu'il convient de débouter Jean-François Fresnel de sa demande en paiement de dommages et intérêts.

Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge ceux des frais non compris dans les dépens dont il a fait l'avance, qu'il convient de condamner la société Wella France à lui payer sur le fondement de l'article 700 la somme de 6 000 F.

Par ces motifs : LA COUR, Réformant partiellement le jugement entrepris, déclare pourvu d'une cause réelle et sérieuse le licenciement dont Jean-François Fresnel a fait l'objet. Confirme le jugement entrepris en ce qu'il lui a alloué l'indemnité de préavis de 42 154,23 F plus les congés payés y afférents 4 215,42 F et l'indemnité de clientèle de 100 000 F et le rappel de salaire. Fixe celui-ci à la somme de 31 216,90 F plus les congés payés 3 121,69 F. Condamne la société Wella France à payer à Jean-François Fresnel la somme de 6 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC. Rejette toute autre demande. Condamne la société Wella France en tous les dépens.