CA Douai, 1re ch., 25 juillet 2000, n° 2000-03864
DOUAI
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
La Redoute (SA)
Défendeur :
Chambre départementale habillement vendée, Chambre syndicale départementale de l'habillement de l'Aude, Chambre syndicale départementale de l'habillement de Marseille et région, Chambre syndicale des commerces de l'habillement nouveauté et accessoires de la région parisienne, Chambre syndicale des détaillants du textile et de l'habillement du Nord de la France, Syndicat nantais du commerce de la nouveauté et des spécialités qui s'y rattachent, Syndicat national Fédération nationale de l'habillement nouveauté et accessoires
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gondran de Robert
Conseillers :
Mme Courteille, M. Lionet
Avoués :
Me Quignon, SCP Carlier Regnier
Avocats :
Mes Doueb, Doussot.
I) DONNEES DEVANT LA COUR :
La décision attaquée :
Par ordonnance du 3 juillet 2000, le Président du Tribunal de grande instance de Lille, juge des référés :
- a déclaré recevable l'action engagée par les syndicats,
- a constaté que La Redoute n'a pas fourni l'autorisation préfectorale prévue par les dispositions de l'article 26 de la loi n° 96-603 du 5 juillet 1996,
- a constaté que le début de la période légale des soldes a été fixé, selon les départements, à la fin du mois de juin (les 26, 27, 28 et 30 juin 2000) et au début de juillet (les 1er, 5, 7, 8, 10, 12 et 15 juillet 2000)
- a condamné la société La Redoute, sur le fondement de l'article 809 alinéa 1er du nouveau Code de procédure civile relatif à l'existence d'un trouble manifestement illicite, à se conformer aux dispositions des articles 26, 28 et 31 de la loi n° 96-603 du 5 juillet 1996, sous astreinte ferme et définitive de 3 000 000 F par jour de retard à compter du 3ème jour suivant la signification de l'ordonnance,
Tout en se réservant le pouvoir de liquider l'astreinte :
- a autorisé les syndicats à se faire assister par l'huissier de leur choix pour faire procéder à tout constat de la violation de l'interdiction prononcée par l'ordonnance et, notamment, se faire communiquer le livre de recettes journalières et les étiquettes des articles vendus, les factures, les bons de livraison et les fiches d'expédition et recueillir les dires des éventuels clients et de tout sachant,
- a condamné La Redoute à payer aux syndicats la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,
- a débouté La Redoute de ses demandes.
La procédure :
Par déclaration du 4 juillet 2000, l'avoué de La Redoute a interjeté appel de cette décision.
Par ordonnance du 5 juillet du premier Président de la cour, l'appelante a été autorisée à assigner les intimés à jour fixe pour l'audience du 1er juillet 2000.
Les prétentions de l'appelante :
La Redoute, dans les dernières conclusions du 11 juillet 2000, demande voir la cour :
* In limine litis :
- constater la nullité de l'assignation introductive d'instance,
- constater l'absence d'autorisation à agir,
- constater l'extinction de l'instance et son irrecevabilité,
* Subsidiairement :
Vu la lettre du 3 juillet 2000 adressée au Procureur de la République, postérieure à la saisine du juge des référés :
- dire et juger qu'il y a lieu d'appliquer le principe "le criminel tien le civil en l'état" et en conséquence, réformer l'ordonnance attaquée,
- en conséquence, surseoir à statuer jusqu'à l'issue de plainte pénale en cours,
* Encore plus subsidiairement
- constater que l'action diligentée est discriminatoire à son égard,
- dire l'action irrecevable, compte tenu que les syndicats et associations ne justifient pas leur qualité à agir dans le cadre de la défense de la profession et qu'aucune preuve n'est apportée in limine litis d'un préjudice ou de la licéité ou non de l'action promotionnelle par des décisions antérieures,
* A titre infiniment subsidiaire,
Vu les articles 807 et 809 du nouveau Code de procédure civile,
Vu les faits,
- constater que son opération commerciale est une opération promotionnelle,
- constater qu'il existe une contestation sérieuse qu'il n'appartient pas au juge des référés de trancher, mais une question de fond sur la nature juridique d'une action commerciale,
- constater qu'il n'existe pas de trouble manifestement illicite,
- en conséquence, dire qu'il y a pas lieu à référé,
* à titre infiniment subsidiaire, également, au regard aux éléments exposés, débouter les syndicats intimés de l'ensemble de leurs demandes,
* en tous les cas, les condamner au paiement d'une somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens qui seront recouvrés par son avoué conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.
Les prétentions des intimés :
Dans leurs dernières conclusions du 11 juillet 2000, les syndicats sollicitent voir la Cour:
* confirmer l'ordonnance de référé du 3 juillet 2000,
- en déclarant recevable l'action par eux engagée,
- en constatant que La Redoute n'a pas fourni l'autorisation préfectorale prévue par les dispositions de l'article 26 de la loi n° 96-603 du 5 juillet 1996,
- en constatant que le début de la période légale des soldes a été fixé, selon les départements, à la fin du mois de juin (les 26, 27, 28 et 30 juin 2090) et au début du mois de juillet (les 1er, 5, 7, 8, 10, 12, 15 et 22 juillet 2000),
- en condamnant la société La Redoute à se conformer aux dispositions des articles 26, 28 et 31 de la loi n° 96-603 du 5 juillet 1996, sous astreinte ferme et définitive de 3 000 000 F,
en se réservant le pouvoir de liquider l'astreinte,
- en les autorisant à se faire assister par l'huissier de leur choix pour faire procéder à tout constat de la violation de l'interdiction prononcée par l'ordonnance et, notamment, se faire communiquer le livre des recettes journalières et les étiquettes des articles vendus, les factures, les bons de livraisons et les fiches d'expédition et recueillir les dires des éventuels clients et de tout sachant,
- en condamnant La Redoute à leur payer la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,
* la réformer en ce que l'astreinte commence à courir à compter du 3ème jour suivant la signification de l'ordonnance,
en condamnant la société La Redoute à se conformer aux dispositions des articles 26, 28 et 31 de la loi n° 96-603 du 5 juillet 1996 sous astreinte ferme et définitive de 3 000 000 F par jour de retard à compter de la signification de l'ordonnance de référé, soit le 4 juillet 2000,
* Y ajoutant,
- condamner la société La Redoute à leur payer, à chacun, la somme de 15 000 F au titre des frais irrépétibles d'appel,
- la condamner, enfin, aux entiers dépens d'appel avec distraction au profit de leur avoué aux offres de droit en application de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.
II) ARGUMENTATION DE LA COUR :
Il y a lieu de constater que chaque partie a pu disposer du temps nécessaire à la préparation de sa défense. Elles ont disposé, l'une et les autres, des notes en délibéré, en conformité avec l'autorisation qui leur avait été donnée à l'audience.
Pour l'exposé des faits, de la procédure et des prétentions et argumentations des parties en prentière instance, il convient de se référer à l'ordonnance attaquée. Il sera rappelé que les syndicats reprochent à La Redoute, société de vente à distance, notamment de prêt-à-porter et de linge, en substance, d'avoir commencé a organisé depuis le 15 juin, pour une période devant s'étendre jusqu'au 30 septembre 2000, de soldes déguisées, au mépris de la réglementation légale, en particulier des arrêtés préfectoraux de la région fixant la période des soldes qu'à compter de la fin juin et comme devant s'arrêter à la mi-août.
En ce qui concerne la qualité à agir des syndicats, le caractère discriminatoire de leur action et l'intérêt présent de celle-ci, il y a lieu d'adopter les motifs du premier juge, sauf à préciser qu'il n'est apporté la preuve d'aucune disposition générale ou statutaire qui subordonnerait la décision des présidents des syndicats présents de décider de l'opportunité de leur action en justice, à un vote préalable de tel ou tel de leurs organes délibérants.
En outre, le dépôt d'une plainte devant le Procureur de la République ne saurait imposer un sursis à statuer.
La Redoute édite 2 catalogues généraux dans l'année, l'un "Printemps-Eté", l'autre "Autonome-Hiver", sur deux saisons qui se chevauchent légèrement. L'opération litigieuse aujourd'hui, "soldes déguisées" pour les uns, "simple opération promotionnelle" pour les autres, ne vise pas la vente opérée ainsi. Elle cible l'opération qui, s'appuyant sur le catalogue "Printemps-Eté 2000", au moyen d'une très grande diffusion depuis mi-juin de prospectus complémentaires, liste plus de 16 000 articles en offrant des réductions jusqu'à - 70 % du prix indiqué au catalogue général qui comprend lui plus de 100 000 types d'articles.
Les ventes en solde et les ventes promotionnelles ont en commun d'être accompagnées ou précédées de publicité, et d'être annoncées comme tendant, par une réduction de prix, à l'écoulement accéléré de marchandises. Elles se distinguent pour l'essentiel les unes des autres, en ce que, pour qu'il y ait soldes, il est nécessaire que les marchandises mises en vente pré-existent en stock, ce dernier devant être pré-déterminé et non renouvelable. L'article 28 de la loi du 5 juillet 1996 va jusqu'à préciser que seules des marchandises "payées depuis au moins un mois" à la date du début de la période des soldes considérée peuvent être proposées à la vente.
Force est de constater que la notion de stock "pré-déterminé" n'est pas adaptée aux méthodes de distribution des entreprises de ventes à distance. Pour elles, un stock, si tant est que le concept même leur soit vraiment applicable, est a priori vivant ou évolutif, non déterminable selon le critère légal sus-énoncé, et par essence renouvelable pour la plupart.
Les statistiques, réclamées à La Redoute, permettent de constater que le taux moyen annuel d'"épuisés" depuis le début de l'année a été de 8,4 %. Ce taux a été, pour le mois de juin 2000, de 13,6 % pour les commandes sur catalogue général et de 13,47 % pour les commandes sur prospectus complémentaires. Il n'y a pas d'écart significatif.
L'on ne peut utilement se référer, par ailleurs, à l'arrêté du 2 septembre 1977 qui énonce qu'aucune réduction de prix ne peut être accordée sur les articles qui ne sont pas disponibles à la vente pendant la période à laquelle se rapporte une publicité. En effet, compte tenu de la spécificité des ventes à distance, en particulier le fait que les offres sur catalogue peuvent s'étaler sur plusieurs mois, près de 4 mois en l'occurrence pour le prospectus complémentaires, l'usage s'est établi d'encourager les entreprises qui s'y adonnent à mentionner sur leurs catalogues généraux, la mention "jusqu'à épuisement des stocks", et en cas de rabais, l'indication précise du pourcentage par rapport au prix de référence qui ne peut être en l'espèce que celui du catalogue général.
Pour ces seuls motifs, il y a lieu contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, de constater l'existence d'une contestation sérieuse et l'absence d'un trouble manifestement illicite, imposant à la juridiction des référés, qui ne peut statuer que devant une évidence, à décliner sa compétence. Il appartient également aux seuls juges du fond de trancher les difficultés subséquentes.
Dès lors, il importe peu, dans la présente instance en référé, que les syndicats fassent état :
- de ce que les prospectus complémentaires mentionnent par exemple : "Dépêchez-vous : il n'y en aura pas pour tout le monde" ou "Dépêchez-vous : tout doit disparaître",
- de ce qu'ils proposent à des prix très réduits des produits de marques commercialisées par ailleurs par les détaillants de prêt-à-porter,
- de ce que plusieurs centaines de produits, repérés par sondages sur Internet, sont annoncés comme "épuisés", alors même que le catalogue "Autonome-Hiver 2000" est déjà diffusé,
- de ce que des rabais plus ou moins importants existent pour des produits différenciés en fonction de la taille ou la couleur, sans indication pour chacun d'entre eux de leur nombre précis (cf. procès verbal de constat du 7 juillet 2000), en l'absence soit de rabais progressifs au fur et à mesure de l'écoulement du temps sur un produit identique, ("soldes à l'américaine"), soit de vente à perte attestée,
- de ce que la période des soldes n'a pas encore débuté dans certains départements français, alors même que ce serait la loi du département du client de La Redoute qui régirait la vente.
De la même manière, La Redoute, pour voir statuer au rejet des demandes en référé, ne peut utilement invoquer le fait :
- qu'elle avait pris la précaution de conditionner la possibilité de commander au prix des prospectus complémentaires à l'indication expresse d'une clé à 5 chiffres, intitulée "Code offre spéciale" (soldes dites "privées"),
- que les marchandises étaient neuves et n'étaient pas des fins de séries et des fins de saison,
- que, même pour les marchandises annoncées "épuisées", étaient proposés soit des articles réassortissables dans un délai raisonnable, soit des articles de substitution, (à qualités égales ou supérieures à un prix égal ou inférieur), comme pour ses deux grands catalogues,
- que les titres alléchants ("dépêchez-vous, . . .") ne constituent pas des pratiques publicitaires irrégulières, mais de simples annonces indispensables et d'usage courant pour attirer l'attention des clients sur les offres ("dolus bonus").
Enfin, contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, aucune confusion n'est possible entre les ventes sus-énoncées et des liquidations au sens de l'article 26 de la loi du 5 juillet 1996. Celles-ci supposent, élément par hypothèse inexistant matériellement pour la vente par correspondance, que des marchandises pré-existent dans un "établissement commercial" pour lequel des modifications essentielles aux conditions d'exploitation sont annoncées à la clientèle par ailleurs.
En définitive, l'ordonnance du 3 juillet 2000 doit être infirmée.
Aucune partie ne justifie que l'équité fasse que l'on doive leur accorder à l'une ou aux autres des indemnités irrépétibles de frais de justice sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Les dépens de première instance et d'appel doivent être mis à la charge des syndicats, avec pour ceux d'appel, distraction au profit de l'avoué de la Redoute, conformément aux dispositions, de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.
Par ces motifs : LA COUR, juge des référés, 1) infirme l'ordonnance attaquée, 2) dit n'y avoir lieu à référé, 3) condamne conjointement les syndicats susindiqués aux entiers dépens avec pour ceux d'appel la distraction énoncée, 4) rejette les demandes autres, plus amples ou contraires.