CA Toulouse, 2e ch., 6 décembre 1995, n° 4197-93
TOULOUSE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Comptoir général d'Ameublement Teisseire International(SARL)
Défendeur :
Union Fédérale des Consommateurs
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Foulon
Conseillers :
MM. Lebreuil, Kriegk
Avoués :
SCP Nidecker Prieu, SCP Boyer Lescat
Avocats :
SCP Ravina, Me Bihl.
Par acte du 29 octobre 1991, l'Union Fédérale des Consommateurs "Que Choisir ?", se fondant sur les dispositions de la loi 78-22 du 10 janvier 1978, a assigné le Comptoir général d'Ameublement Teisseire International aux fins d'obtenir la suppression de ses contrats, modèles de contrats et bon de commande les clauses compromissoires, celles soumettant la conclusion du contrat à l'approbation du vendeur, et celle supprimant le droit du consommateur à réparation en cas de manquement du vendeur à ses obligations de livrer dans les délais,
La société défenderesse a soutenu que l'action était irrecevable et mal fondée,
Au terme de son jugement rendu le 6 juillet 1993, le Tribunal de grande instance de Toulouse a déclaré l'action recevable, a ordonné la suppression des trois clauses litigieuses sous astreinte de 1 000 F par infraction constatée, et a condamné la société Teisseire à payer à l'UFC la somme de 50 000 F à titre de dommages et intérêts outre celle de 6 000 F en application de l'article 700 du NCPC,
La société Teisseire a relevé appel de cette décision par déclaration en date du 24 août 1993,
Elle demande d'infirmer la décision entreprise ; ce faisant de déclarer l'action de l'UFC irrecevable ; subsidiairement de juger son action mal fondée ; plus subsidiairement de juger qu'elle n'établit aucun préjudice ; par voie de conséquence de la débouter de l'ensemble de ses demandes et de la condamner au paiement d'une somme de 10 000 F en application de l'article 700 du NCPC,
L'UFC, "Que Choisir ?" demande de confirmer le jugement en toutes ses dispositions et de condamner la société Teisseire au paiement de la somme de 10 000 F en application de l'article 700 du NCPC,
MOTIFS DE L'ARRET :
Sur la recevabilité de l'action :
La société Teisseire affirme qu'à la date de l'assignation, le modèle de contrat critiqué n'était plus utilisé et qu'un nouveau modèle, exempt de toute clause abusive, aurait été en vigueur depuis mars 1991.
Le premier juge, par des motifs qui méritent adoption, a rejeté cette argumentation en l'absence de preuve de ces allégations,
L'UFC relève d'ailleurs à juste titre qu'il serait étonnant, que la société Teisseire ait adressé sans aucune réserve en octobre 1990 à l'UFC un contrat qu'elle se serait apprêté à abandonner aussitôt après,
L'appelant veut par ailleurs s'emparer des termes de l'article 6 de la loi du 5 janvier 1988 qui ouvre aux organisations de consommateurs le droit de demander que soit ordonnée la suppression des clauses abusives dans les modèles de convention "habituellement proposés par les professionnels aux consommateurs", pour en tirer la conséquence que l'action ne serait ouverte que pour les contrats futurs,
La cour doit approuver le premier juge d'avoir refusé une telle interprétation qui n'est en rien commandée par les termes de la loi, laquelle s'adresse non seulement aux futurs contrats, mais aux contrats en cours,
C'est à bon droit que le tribunal a écarté ces arguments et a jugé que la demande de l'UFC était recevable,
Sur le caractère abusif des clauses :
La société Teisseire commercialise des cuisines dont elle assure l'installation,
1) Le contrat Teisseire comporte une clause par laquelle le professionnel réserve son consentement à sa discrétion, ainsi libellée :
"Toute commande ne devient définitive qu'après confirmation par la direction",
Cette clause a été classée abusive par la commission des clauses abusives,
L'appelant soutient que cette considération ne peut suffire à emporter la conviction, et fait valoir que la clause se justifie par la nécessité de vérifier la faisabilité de la commande,
Cette dernière considération ne saurait prévaloir, la commande étant nécessairement formalisée après examen des lieux où l'implantation est envisagée, le professionnel ne pouvant s'abriter derrière une prétendue mauvaise définition des contraintes techniques par le client,
Le caractère abusif de la clause litigieuse résulte de ce que la conclusion du contrat dépend de la seule volonté du vendeur qui se trouve pourtant ne état de pollicitation permanente,
2) Le contrat Teisseire comporte une clause relative aux retards ainsi libellée "Nous nous efforçons de toujours respecter les délais de livraison, mais il est bien entendu qu'un retard ne peut constituer une cause de résiliation de la présente commande, ni donner droit à dommages et intérêts",
Une telle clause est illégale en ce qu'elle heurte les prescriptions de l'article 2 du décret du 24 mars 1978,
L'appelant soutient que ce texte ne peut trouver application en l'espèce, le contrat devant être s'analyse en un contrat de louage d'ouvrage,
Contrairement à cette affirmation, la qualification de vente l'importe en l'espèce sur celle d'entreprise,
En toute hypothèse, cette clause, qui aboutit à supprimer tout droit à réparation en cas de manquement du professionnel à son obligation de délivrance, est abusive en ce qu'elle procure au professionnel un avantage manifestement excessif,
3) Le contrat Teisseire comporte une clause attributive de compétence au tribunal de commerce, laquelle, quoiqu'elle ait pu être jugée valide pour des actes mixtes, a été qualifiée d'abusive par la recommandation du 24 février 1979 de la commission des clauses abusives,
L'appelant soutient que la clause doit être jugée légale eu égard à la jurisprudence sur la validité des clauses attributives de compétence pour les actes mixtes,
Le premier juge doit cependant être approuvé en ce qu'il a considéré qu'une telle clause, généralement illégale, est en même temps abusive en ce qu'elle apporte une dérogation aux règles normales de compétence dont le consommateur peut sous-estimer l'importance, et en ce qu'elle apporte un avantage excessif au professionnel, lequel vise à dissuader le consommateur d'agir devant le juge civil, puisqu'il ne s'adresse presque exclusivement qu'à des particuliers,
Le jugement doit être confirmé en ce qu'il a déclaré abusives les trois clauses litigieuses,
Sur le préjudice :
L'appelant soutient que l'UFC ne démontre la réalité d'aucun préjudice,
L'UFC fait cependant justement valoir qu'elle investie en vertu de la loi, de la mission de défendre les intérêts collectifs des consommateurs, et que les clauses abusives dénoncées ont eu pour effet de dissuader les consommateurs de faire valoir leurs droits ; que le préjudice collectif de ces derniers est donc bien établi,
Le jugement doit être confirmé en ce qu'il a fait une juste appréciation du montant des dommages et intérêts qui méritent d'être alloués,
La société appelante, qui succombe, doit supporter les dépens d'appel,
L'équité commande de mettre à sa charge en cause d'appel une somme de 10 000 F en application de l'article 700 du NCPC,
La société appelante n'ayant proposé aucun moyen sérieux à l'appui de son recours, l'appel doit être considéré comme abusif, et il y a lieu de prononcer à son encontre une amende civile de 10 000 F,
Par ces motifs, LA COUR, Reçoit l'appel jugé régulier, Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 6 juillet 1993 par le Tribunal de grande instance de Toulouse, Met les dépens d'appel à la charge de la société Comptoir général d'Ameublement Teisseire International, et dit qu'ils pourront être recouvrés directement par la SCP Boyer Lescat, avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC, Condamne la société Comptoir général d'Ameublement Teisseire International à payer à l'UFC "Que Choisir ?" la somme de 10 000 F en application de l'article 700 du NCPC, Condamne la société Comptoir général d'Ameublement Teisseire International au paiement d'une amende civile de 10 000 F.