CA Paris, 13e ch. A, 7 juin 2000, n° 99-00049
PARIS
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guilbaud
Conseillers :
M. Nivose, Mme Marie
Avocats :
Mes Beauquier, Houdelinckx.
RAPPEL DE LA PROCÉDURE
LA PREVENTION:
S Philippe est poursuivi par ordonnance d'un juge d'instruction en date du 30 avril 1998, pour avoir:
- à Paris et sur le territoire national, en 1994 et 1995, effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur l'existence, la nature, les qualités substantielles, les propriétés, les prix et conditions de vente de biens ou services et les résultats qui peuvent être attendus de leur utilisation en indiquant faussement dans un tableau comparatif des tarifs du contrat X de Y qu'un capital est versé à l'adhérent en cas de décès alors qu'il s'agit d'une rente viagère.
- dans les mêmes circonstances de temps et de lieu, effectué une publicité comparative des cotisations, des garanties et des prestations notamment du contrat Formule de Y et de celui de BEAM/Abeille qui n'est ni loyale ni véridique et qui est de nature à induire en erreur le consommateur concernant les cotisations, le capital décès, l'incapacité de travail et la rente invalidité.
LE JUGEMENT:
Le tribunal, par jugement contradictoire, a:
déclaré S Philippe:
coupable de publicité mensongère ou de nature a induire en erreur, faits commis de 1994 à 1995, à Paris,
infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al. 1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 121-6, L. 121-4, L. 213-1 du Code de la consommation;
coupable de publicité comparative mensongère ou de nature à induire en erreur en ce qui concerne les cotisations, le capital décès, l'incapacité de travail et la rente invalidité, faits commis de 1994 à 1995, à Paris,
infraction prévue et punie par les articles L. 121-8 à L. 121-14 du Code de la consommation,
et, en application de ces articles,
l'a condamné à 40 000 F d'amende,
ordonné, à titre de peine complémentaire, la publication du jugement par extrait dans Le Quotidien du Médecin et dans Le Généraliste,
statuant sur l'action civile,
reçu le Bureau d'Etude des Assurances Médicales en sa constitution de partie civile
condamné Philippe S à lui payer la somme de un franc à titre de dommages-intérêts et celle de 5 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale,
déclaré irrecevables les demandes relatives aux publications,
l'a condamné aux dépens de l'action civile.
a dit que cette décision était assujettie au droit fixe de procédure de 600 F dont est redevable le condamné.
DÉCISION:
Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,
Statuant sur les appels relevés par le prévenu et le Ministère Public à l'encontre du jugement précité auquel il est fait référence pour l'exposé des faits et de la prévention.
Par voie de conclusions Philippe S demande à la cour de le relaxer, par infirmation, des fins de la poursuite, et en conséquence, de débouter la partie civile de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
Sur le délit de publicité trompeuse il fait valoir que le tableau faisant état des garanties offertes par Y et ses concurrents n'est pas un tract publicitaire, mais a été adressé le 11 septembre 1995 uniquement aux adhérents de l'association, à titre d'information et ne présente aucun caractère incitatif ou promotionnel.
Il soutient par ailleurs que les médecins généralistes ne pouvaient ignorer qu'une rente était versée en cas de décès et ne peuvent donc avoir été induits en erreur comme l'affirme le tribunal.
Sur le délit de publicité comparative il souligne que compte tenu des termes très nuancés du rapport d'expertise les premiers juges ne pouvaient en déduire que les différentes inexactitudes rendent la comparaison déloyale et non véridique et que le délit de publicité comparative de nature à induire en erreur était constitué;
Monsieur l'Avocat général requiert la cour de confirmer le jugement attaqué sur la déclaration de culpabilité tout en s'en remettant à son appréciation sur le quantum des peines à prononcer.
Par voie de conclusions le Bureau d'Etudes des Assurances Médicales BEAM demande à la cour de:
- Déclarer Philippe S coupable:
- de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur relativement au versement d'un capital,
- de publicité comparative mensongère ou de nature à induire en erreur en ce qui concerne les cotisations, le capital décès, l'incapacité de travail et la rente invalidité, faits commis de 1994 à 1995 à Paris et sur le territoire national,
- Condamner en conséquence Philippe S à une amende délictuelle de 40 000 F,
- Le condamner à titre de peine complémentaire aux frais de publication de l'arrêt à intervenir dans le quotidien du médecin et dans le Généraliste,
- Recevoir le Bureau d'Etudes des Assurances Médicales en sa constitution de partie civile,
- Condamner Monsieur Philippe S à payer à la partie civile la somme de 1 F à titre de dommage et intérêts,
- Condamner Philippe S à payer également à la partie civile une indemnité complémentaire de 20 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, en sus de celle allouée par jugement du 27 novembre 1998.
- Condamner Monsieur Philippe S à rembourser au Bureau d'Etudes des Assurances Médicales les frais de constitution de partie civile et à payer les entiers dépens d'instance et d'appel.
RAPPEL DES FAITS
Les premiers juges ont exactement et complètement rapportés les faits de la cause dans un exposé auquel la cour se réfère expressément.
Il suffit de rappeler que le 20 mars 1996, Monsieur Jean-Marie Verschuur, Président du Bureau d'Etudes des assurances Médicales (BEAM), déposait plainte avec constitution de partie civile et exposait notamment les faits suivants:
- BEAM est une association qui a notamment pour but la recherche du meilleur rapport qualité-prix pour toutes les assurances du corps médical. Elle a ainsi obtenu de la compagnie Abeille Vie un contrat groupe accordant diverses garanties (capital-décès, indemnités journalières totales en arrêt total et à 50 % en exercice partiel, rente d'invalidité professionnelle).
- BEAM critique un tract publicitaire émanant d'une association concurrente Y dont elle a eu connaissance le 13.10.1995. Elle lui reproche de prétendre proposer " les meilleurs garanties des risques spécifiques au métier de médecin généraliste ".
- BEAM fait valoir qu'elle propose à ses adhérents une indemnité journalière à 50 % en exercice partiel, alors que Y ne donne pas cette garantie. Elle précise que sa garantie est aussi plus complète en étant accordée dès le premier jour au lieu du quatrième, et qu'elle est seule à donner une garantie exonération.
- Concernant le tableau comparatif, BEAM reproche à Y d'alourdir sa cotisation en utilisant une option d'indemnité journalière non utilisée par BEAM.
- selon BEAM, Y veut faire croire qu'elle donne un capital décès, ce qui est faux pour les contrats déductibles dans le cadre de la loi Madelin qui impose le service d'une rente viagère.
- Au sujet des garanties indemnité journalière et rente invalidité, BEAM note que les éléments présentés ne sont pas comparables, étant différentes.
- Par ailleurs, BEAM s'étonne de ne pas être mentionnée dans un second tableau comparatif.
De son côté le Docteur S, médecin généraliste, président du Syndicat Z exposait que ce syndicat avait créé l'association Y pour qu'à travers elle, les médecins puissent mieux négocier des contrats d'assurance qu'individuellement.
Il précisait les points suivants:
- il est le président de Y,
- cette association a élaboré avec le GAN trois contrats visant la retraite, la maladie, et l'incapacité de travail,
- le syndicat a créé un cabinet de courtage sous forme d'une SARL gérée par Mme P, pour commercialiser ces contrats,
- à sa connaissance, les médecins pouvaient bénéficier d'un capital décès ou, dans le cadre de la loi Madelin, d'une rente,
- on lui a proposé un travail de reconstitution comparative s'efforçant de reconstituer des prestations aussi équivalentes que possible, en calculant le coût des cotisations correspondantes,
- il y a une certaine marge d'incertitude, notamment lors du choix d'une tranche d'âge,
- il s'est appuyé sur l'expérience d'une professionnelle pour diffuser le tableau (cote D 18) qui a été présenté expressément comme partiel dans la lettre du 11.09.1995.
SUR L'ACTION PUBLIQUE
Considérant que vainement Philippe S affirme le caractère non publicitaire des documents litigieux;
Qu'en effet la lettre circulaire dont s'agit a été adressée aux nombreux adhérents de Y (clients potentiels) pour les inciter à contracter et revêt donc, en dépit des assertions du prévenu, un caractère incitatif et promotionnel évident;
Considérant que le tableau comparatif versé à la cote D 18 de la procédure laisse apparaître un sous titre: " capital décès % de capital " pouvant prêter à confusion notamment sur le plan fiscal;
Considérant que ce tableau, qui place côte à côte Y et BEAM Abeille, comporte d'autres inexactitudes (cotisations majorées, nature de certaines prestations occultées...) étant rappelé l'extrême difficulté que présente la comparaison de produits concurrents dans le domaine de l'assurance, ce qui aurait dû inciter Philippe S à une plus grande vigilance;
Considérant qu'il appartenait à Philippe S, en sa qualité d'annonceur, de s'assurer que la publicité litigieuse était exempte de tout élément susceptible d'induire le consommateur en erreur, ce qu'il a, à tout le moins, manifestement omis de faire;
Que par ailleurs la communication préalable prévue à l'article L. 121-12 du Code de la consommation - visée à la prévention - n'a pas été effectuée alors que cette formalité est essentielle pour le respect de la condition de loyauté exigée en cas de publicité comparative;
Considérant que par ces motifs, et ceux pertinents du tribunal qu'elle fait siens, la cour confirmera le jugement dont appel sur la déclaration de culpabilité, les peines d'amende et de publication de la décision qui constituent une juste application de la loi pénale;
SUR L'ACTION CIVILE
Considérant que la cour ne trouve pas motif à modifier la décision critiquée qui a fait l'objet d'une exacte appréciation du préjudice subi par la partie civile et résultant directement des faits visés à la prévention;
Considérant que le jugement sera confirmé sur les intérêts civils;
Qu'y ajoutant la cour, condamnera Philippe S à verser la somme supplémentaire de 15 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale en cause d'appel;
Par ces motifs: LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement dont appel sur la déclaration de culpabilité, la peine d'amende et les intérêts civils; Ordonne la publication de la décision, par extraits, aux frais du condamné, dans le quotidien du Médecin et dans le Généraliste; Y ajoutant, Condamne Philippe S à verser à la BEAM, partie civile intimée, la somme supplémentaire de 15 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale en cause d'appel; Rejette toutes conclusions plus amples ou contraires.