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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 20 mars 2002, n° 2000-07437

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Nemery et Calmejane (SA)

Défendeur :

SAP Polyne (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marais

Conseillers :

Mme Magueur, M. Rosenthal-Rolland

Avoués :

SCP Bourdais Virenque, Me Baufumé, SCP Cottereau Meunier

Avocats :

Mes Bardon, Cycman.

TGI Paris, 3e ch., 1re sect., du 23 févr…

23 février 2000

La société Polyne exploite un fonds de commerce de souvenirs et d'articles de Paris .

Revendiquant les droits d'auteur sur un modèle de Tour Eiffel en métal doré oxydé décliné en diverses tailles, et après avoir fait procéder à une saisie contrefaçon, elle a, par acte du 23 avril 1999, saisi le Tribunal de grande instance de Paris d'une action en contrefaçon et en concurrence déloyale, à l'encontre de la société Mondial Souvenir, vendeur, et la société Nemery & Calmejane, fournisseur.

Par jugement du 23 février 2000, le Tribunal de grande instance de Paris a :

- dit qu'en offrant en vente et en vendant un modèle de Tour Eiffel miniature reproduisant quasi servilement le modèle de Tour Eiffel miniature de 16 cm sur lequel la société Polyne est investie de droits d'auteur, la société Mondial Souvenir et son fournisseur, la société Nemery & Calmejane, ont commis des actes de contrefaçon,

- en conséquence, interdit aux sociétés Mondial Souvenir et Nemery & Calmejane de poursuivre leurs agissements sous astreinte de 500 F par infraction constatée passé le délai de quinze jours à compter de la signification du présent jugement,

- condamné la société Nemery & Calmejane à payer à la société Polyne la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts, in solidum avec la société Mondial Souvenir à concurrence de la somme de 30 000 F ,

- autorisé la société Polyne à faire publier le dispositif du présent jugement par extraits ou en entier, dans deux journaux ou revues de son choix, aux frais des défenderesses tenues in solidum, le coût total de ces insertions ne pouvant excéder à leur charge la somme globale hors taxes de 40 000 F ,

- débouté la société Polyne de sa demande au titre de la concurrence déloyale, et la société Nemery & Calmejane de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts,

- condamné in solidum les sociétés Mondial Souvenir et Nemery & Calmejane à payer à la société Polyne la somme de 15 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Nemery & Calmejane a interjeté appel de cette décision, le 11 avril 2000.

LA COUR,

Vu les conclusions du 28 janvier 2002 aux termes desquelles la société Nemery & Calmejane :

- soulève l'irrecevabilité de l'action en contrefaçon intentée par la société Polyne faute pour celle-ci de justifier de la titularité des droits d'auteur sur le modèle en cause,

- conteste les faits de contrefaçon et de concurrence déloyale qui lui sont reprochés, prétendant à cet effet, que toute reproduction, par un procédé quelconque, des formes de la Tour Eiffel est libre et que la reproduction qu'elle en a faite n'est pas la copie servile du modèle qui lui est opposé, et ajoutant que la conception et la mise au point de son propre modèle ont nécessité des investissements financiers, matériels et humains importants,

demandant en conséquence à la cour :

- d'infirmer la décision entreprise,

- de dire la société Polyne irrecevable, ou à tout le moins, mal fondée en ses prétentions, et de la débouter de l'ensemble de ses demandes,

- de la condamner à lui payer les sommes de 15 244,90 euros (100 000 F) en réparation du préjudice qui lui a été causé, de 7 622,45 euros (50 000 F ) pour procédure abusive, et de 3 811,22 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- d'ordonner la publication de la décision à intervenir dans trois journaux de son choix et sur tous les lieux de vente d'articles de souvenirs, aux frais de la société Polyne ;

Vu les conclusions du 24 janvier 2002 aux termes desquelles la société Polyne, réfutant point par point l'argumentation de la société Nemery & Calmejane, poursuit la confirmation de la décision entreprise, sauf sur le montant des dommages-intérêts qui lui ont été alloués et sur le rejet de la demande qu'elle a formée au titre de la concurrence déloyale, demandant à la Cour de condamner la société Nemery & Calmejane à lui payer une somme de 60 979,61 euros (400 000 F) au titre de la contrefaçon, la somme de 60 979,61 euros au titre de la concurrence déloyale, ainsi qu'une somme de 3 201,43 euros au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

La société Mondial Souvenir, régulièrement appelée en la cause, n'ayant pas constitué avoué ;

Sur quoi,

Sur la recevabilité à agir de la société Polyne :

Considérant que la société Polyne justifie, par la production des plans. des factures et des correspondances échangées, qu'elle exploite, sous son nom, le modèle de Tour Eiffel conçu dans les années 1991 et dont elle a confié la réalisation aux sociétés AMM, pour la confection du moule, et Duboc pour la fabrication ;

Considérant qu'en l'absence de toute revendication de la part de ou des personnes physiques qui s'en réclameraient l'auteur, la société Polyne est, du fait de ces actes d'exploitation, présumée, à l'égard des personnes poursuivies pour contrefaçon, titulaire des droits de propriété incorporelle de l'auteur sur l'œuvre en cause quelle qu'en soit la qualification;

Que la société Polyne est recevable à agir en contrefaçon.

Sur la validité du modèle :

Considérant que la société Nemery & Calmejane soutient que le modèle qui lui est opposé ne fait que reprendre les caractéristiques de la Tour Eiffel, laquelle appartient au domaine public et peut librement être reproduite; qu'elle estime qu'un tel modèle, à défaut d'être original, ne peut être protégé par le droit d'auteur ;

Mais considérant que par des motifs pertinents que la Cour adopte, le tribunal a justement estimé que le modèle réduit de la société Polyne présentait une originalité à tout le moins relative puisque les proportions en ont été modifiées, tant en longueur qu'en largeur, que la structure métallique a été épurée, comme la Cour a pu le constater, selon un style particulier, la représentation du troisième étage a été modifiée et l'antenne interprétée selon un mode qui lui est propre que les choix effectués pour parvenir à la miniaturisation du célèbre monument procède d'un effort créatif certain qui, nonobstant la faible marge de manœuvre dont disposait son auteur, s'agissant de reproduire un monument célèbre, a réussi à s'exprimer, comme en attestent au demeurant les modèles concurrents, régulièrement mis sur le marché, qui s'en démarquent ;

Que la société Nemery & Calmejane ne peut valablement prétendre que la société Polyne chercherait, par cette action, à s'approprier la reproduction de la Tour Eiffel, la protection qui lui est accordée n'excédant pas les limites des détails ci-dessus relevés ;

Sur les actes de contrefaçon :

Considérant qu'il est constant que le modèle mis sur le marché par la société Nemery & Calmejane reprend, de façon strictement identique, les caractéristiques qui sont propres au modèle de la société Polyne et en font son originalité ;

Que les documents produits aux débats établissent de façon certaine que ce modèle lui est postérieur puisque la réalisation en a été entreprise en 1995 ;

Considérant que contrairement à ce qu'elle affirme, la société Nemery & Calmejane n'a versé aux débats, contrairement à la société Polyne, aucun document, ébauches ou plans, qui lui soient personnels ; qu'il résulte d'un important échange de fax qu'elle a confié à la société chinoise Ningbo la confection du moule et des modèles et lui a remis, à cet effet, un échantillon du modèle à réaliser, à tout le moins sous forme de photographie; qu'en évoquant, en effet, la photographie de la "Tour Eiffel en métal", la société chinoise ne peut, bien évidemment, viser que celle du modèle réduit qui lui a été remise ; que la reprise des éléments du modèle de la société Polyne permet, dans ces conditions d'affirmer que le modèle reproduit sur cette photographie était celui de cette société ; que la reprise des détails et des proportions identiques, qui ne reprennent pas celles de la Tour Eiffel, ne procède nullement d'un hasard, les différences minimes invoquées par la société Nemery & Calmejane provenant de la confection, en Chine, d'un moule différent ;

Que la contrefaçon de modèle a exactement été relevée par le tribunal.

Sur les faits de concurrence déloyale:

Considérant que la contrefaçon étant la reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, d'une œuvre de l'esprit, la reproduction servile de celle-ci, si elle peut aggraver le préjudice, ne constitue pas un fait distinct de concurrence déloyale;

Qu'il est en de même du prix de vente inférieur pratiqué, dès lors qu'il n'est pas démontré que ce prix serait vil ou illicite ;

Que les premiers juges ont exactement estimé que la preuve n'était pas rapportée d'un fait distinct de concurrence déloyaleet ont, à bon droit, débouté la société Polyne des prétentions émises à ce titre.

Sur les mesures réparatrices:

Considérant que la société Polyne justifie des investissements particulièrement importants engagés pour la réalisation de son modèle ;

Qu'en raison de l'atteinte réellement portée à celui-ci et du trouble commercial qui lui a été causé, le montant des dommages-intérêts alloués en réparation du préjudice subi doit être porté à la somme de 38 112,25 euros (250 000 F) ;

Que les mesures d'interdiction et de publication, qui s'imposent pour mettre fin aux faits dénoncés et réparer le préjudice causé, doivent également être confirmées ;

Considérant que les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile doivent bénéficier à la société Polyne, la somme de 3 200 euros devant lui être octroyée à ce titre pour ses frais irrépétibles en cause d'appel ;

Que la solution du litige commande le rejet des demandes en dommagesintérêts et au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile formulées par la société Nemery & Calmejane ;

Par ces motifs, Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions sauf sur le montant des dommages-intérêts alloués à la société Polyne, Le réformant sur ce point, Condamne la société Nemery & Calmejane à payer à la société Polyne la somme de 38 112,25 euros (250 000 F) à titre de dommages-intérêts pour contrefaçon, Y ajoutant, Condamne la société Nemery & Calmejane à payer à la société Polyne la somme de 3 200 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en cause d'appel, Rejette toute autre demande, Met les dépens à la charge de la société Polyne et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile (arrêt rectificatif).